« Autant en emporte le
vent » (« Gone with the wind », ce qui n’est pas exactement la
même chose en VO) est un des films les plus célèbres et célébrés de cet art
qu’on appelle 7ème. Pour plein de raisons, généralement meilleures
les unes que les autres. Le mètre-étalon du mélo et de la saga familiale depuis
plus de 70 ans …
C’est pourtant d’un kitsch
ultime, ça empile les clichés romantiques, sociaux, racistes pendant quasiment
quatre heures (trois heures cinquante trois sur la version BluRay dite du 70ème
anniversaire, avec une superbe image restaurée dans le 4/3 d’origine respecté,
mais revers de la médaille, avec des filtres, des superpositions d’images et
des trucages bien voyants).
Vivien Leigh & Clark Gable |
« Autant … » est
l’adaptation d’un roman à succès tout récent (1936 pour le roman, fin décembre
1939 pour la première mondiale du film) de Margaret Mitchell, racontant la vie
mouvementée et les amours tourmentées d’une riche héritière de grands
propriétaires du Sud des Etats-Unis, sur fond de Guerre de Sécession. Le rôle
féminin principal est tenu par une Anglaise peu connue, Vivien Leigh, choisie
après un interminable casting, pittoresque et plein d’anecdotes. Pour lui
donner la réplique, une star confirmée, Clark Gable. Les deux formeront à
l’écran le couple devenu mythique Scarlett O’Hara et Rhett Butler. Malgré la
durée du film, ces deux personnages sont les seuls assez fouillés, même s’ils
se résument assez facilement à l’exposition de deux superbes têtes à claques.
Selznick, Fleming, Leigh & Gable |
Elle, hautaine et infantile,
multipliant maris de circonstance et entendant voir le monde tourner autour de
sa petite personne. Lui, coureur, dragueur sûr de son charme, naviguant à vue
dans la guerre au gré de ses intérêts personnels. Les deux passent le film à se
croiser, se séduire, se détester, se marier, se séparer, imbus d’eux-mêmes,
semant morts et couples brisés, comme des Bonnie and Clyde de comédie galante …
Ils finissent tous les deux plus ou moins alcoolos, préfigurant dans une scène
de dispute les Richard Burton et Liz Taylor de « Qui a peur de Virginia
Woolf ? ». Les autres personnages (le couple Ashley-Melanie notamment)
sont taillés à la hache (la sainte qui se sacrifie pour le bonheur des autres et
le simplet romantique incapable de choisir entre les deux femmes de sa vie), de
toute façon une bonne moitié des seconds rôles meurt avant la fin, manière
d’entretenir la larme à l’œil du spectateur. Détail cocasse (ou saugrenu, au
choix), dans ce film censé raconter entre autres l’effondrement d’un monde et
d’une société sudiste raciste, suprématiste et prétentieuse, dans une guerre
civile qui a permis entre autres la fin de l’esclavage et l’émancipation des
Noirs, ces derniers semblent tous sortis de la Revue Nègre ou des sinistres
pubs Banania (ils roulent de gros yeux, sont très bêtes et naïfs, et sont
doublés en français d’une façon tragique, on comprend pas un mot de ce qu’ils
racontent). Comme quoi, même si les Yankees ont gagné, soixante ans après la
fin de la Guerre de Sécession, y’avait encore du boulot en ce qui concernait
l’image de tous ceux qui n’étaient pas Blancs…
De belles images ... |
« Autant … » est
réalisé par Victor Fleming (un vieux de la vieille de la MGM qui a débuté au
temps du muet), c’est du moins ce qui est écrit dans le générique. En fait,
l’histoire est connue et archi-connue, trois réalisateurs se sont succédé
derrière la caméra (George Cukor, Sam Wood et Fleming), mais c’est bel et bien
le magnat producteur David O. Selznick qui a fait la pluie et le beau temps sur
le plateau, c’est lui dont le nom apparaît le premier au générique, et
« Autant … » est avant tout son film à lui. Selznick a mis du pognon
dans cette affaire, pas à perte, « Autant … » est aujourd’hui
considéré comme le film le plus vu de tous les temps et celui qui en dollars
(corrigés par l’inflation) a rapporté le plus de pognon.
De beaux travellings ... |
Faut reconnaître que c’est bien
foutu. Tout a été travaillé, pensé pour en foutre plein les oreilles (la
musique de Max Steiner et ses violons lyriques larmoyants, maintes fois plagiés
depuis dès qu’il s’agit de jouer sur la corde sensible du spectateur), mais
surtout les yeux. Les plans larges sont somptueux, les couleurs malgré l’époque
superbement maîtrisées, les costumes remarquables (il faudra attendre « My
Fair Lady » pour voir mieux) et quelques plans font partie à tout jamais de
la légende du cinéma. Tels ce travelling arrière dans la gare d’Atlanta,
dévoilant des centaines de blessés et de mourants (pas que des figurants, mais
ça en jette un max), ou les scènes de l’incendie d’Atlanta (ils ont cramé de
vieux décors, et les acteurs ne traversent pas les flammes, ça se voit, mais
qu’importe, c’est assez saisissant et ça donne même quand l’attelage a quitté
la ville de superbes fonds de ciels rougeoyants sur lequel Rhett et Scarlett
échangeront leur premier baiser …). Les deux fermes (la Tara des O’Hara et les
Twelve Oaks chez Ashley) ont de la gueule, les scènes d’intérieur se passent
dans des décors et des reconstitutions grandioses, comme la scène du bal à
Twelve Oaks (qui vaut pas celle du « Guépard » mais quand même), où
la Tara reconstruite grâce au pognon héritée par la veuve Scarlett et celui
acquis dans des conditions douteuses par Butler.
Les Oscars sont tombés comme à
Gravelotte sur le film (huit statuettes, plus deux prix spéciaux ou un truc du
genre), en fait la seule surprise de cette œuvre magistrale bien que
consensuelle, c’est que Clark Gable n’ait pas gagné dans la catégorie du
meilleur acteur. Malgré des dialogues très théâtraux, le côté suranné de ce
monde et de ses amourettes, malgré … une multitude de petits défauts, « Autant
en emporte le vent » reste un monument.
De kitsch, certes, mais un
monument quand même …
Du même sur ce blog :