« Spartacus » fut à son époque un des films les
plus coûteux jamais mis en chantier (entre 10 et 13 millions de dollars, les
sources diffèrent). Un film a priori très tendance, dans la lignée des
« Ben Hur », « Les Dix commandements », à savoir le péplum
à grand spectacle, au budget colossal, et à la multitude de stars au générique.
Le succès sera – évidemment est-on tenté de dire – au rendez-vous, tous les
ingrédients sont là.
Sauf que
« Spartacus » est un grand film raté. Pour plein de raisons, que l’on
n’a connues pour la plupart que plus tard.
La première vague de jérémiades
insatisfaites survint dès les premières projections. « Spartacus » se
voulait un péplum historique, sauf que le scénario prenait quelques libertés
avec l’Histoire, se permettant même de mettre en scène des personnages n’ayant
apparemment jamais existés. Au premier titre desquels figure Varinia,
l’esclave-compagne de Spartacus. Lequel lui a bien existé, un des chefs d’une
révolte d’esclaves qui a même menacé un temps le tout puissant Empire romain.
Kubrick sur le tournage |
Spartacus est à l’écran
interprété par Kirk Douglas. Normal, serait-on tenté de dire, c’est lui qui a
le rôle principal parce que c’est lui qui produit (avec le soutien du bout de
carnet de chèques d’Universal) le film. Et quand on met autant de pépettes sur
la table, on trouve pas grand monde pour vous contredire. « Spartacus »
est adapté d’un roman de Howard Fast. Auquel Universal a confié le scénario.
Problème, écrivain et scénariste peuvent être deux métiers différents et Fast
n’arrive pas à adapter son bouquin. Douglas fait alors appel à un des plus
grands scénaristes américains, Dalton Trumbo. Une grande gueule qui l’a trop
ouverte sur des sujets avec lesquels on ne plaisantait pas au pays de l’Oncle
Sam en ces temps-là. Trumbo est blacklisté par le maccarthysme et devra donc
utiliser un pseudo (Sam Jackson). Dès le début du tournage, Trumbo émet des
réserves. Douglas lui fait comprendre qu’il a été payé pour son boulot, qu’il
est terminé, et qu’il n’a plus rien à dire. Pourtant il en aura des choses à
dire, Trumbo. Dans les bonus du Dvd, on y reviendra. Mais surtout lorsqu’il
visionne la mouture prétendue définitive du film lors d’une avant-première. Il
se fend d’une « notule » de 1500 ( ! ) pages critiquant à peu
près tout ce qui est visible et audible à l’écran. Des règlements de compte
personnels mais aussi quelques remarques pertinentes qui feront tourner un an
après le clap de fin quelques scènes supplémentaires.
Derrière la caméra, Universal a
mis un de ses réalisateurs stars, Anthony Mann. Qui en plus de s’occuper des
images, a envie de retoucher le scénario. Douglas le vire. Ne resteront de Mann
que les vingt premières minutes, tournées en Lybie. Kirk Douglas qui veut tout
gérer remplace Mann par le jeune Stanley Kubrick, avec qui il a tourné
« Les Sentiers de la Gloire ». On est avec « Spartacus »
assez loin de la Kubrick touch telle qu’on l’a connue par la suite. Ayant à
gérer une pression énorme (le pognon, la tension permanente sur le plateau),
Kubrick signe une réalisation « classique », s’offrant juste
deux-trois plans sublimes et une paire de scènes grandioses, dont notamment
celle de la bataille finale aux portes de Rome. Même ses velléités
« sanglantes » lors de cette bataille ont été remisées au panier, sur
une trentaine de plans « gore » proposés, seuls quelques-uns seront
retenus. Ce qui n’empêchera pas « Spartacus » de passer pour un film très
violent à sa sortie. On est quand même assez loin de « Orange
mécanique ».
Gavin, Olivier, Ustinov, Douglas, Simmons, Curtis |
Douglas s’est enquillé deux
problèmes avec le scénariste et le réalisateur initiaux. Il ne va pas s’arrêter
en si bon chemin, réussissant à réunir un casting de stars (certes) totalement
abracadabrantesque, composé d’Anglais et d’Américains qui se détestent au plus
haut point. Laurence Olivier et Charles Laughton, ennemis au Sénat romain dans
le scénario, ne peuvent pas se blairer et ne s’adressent pas la parole en
dehors des prises. Peter Ustinov décide (avec l’accord de Douglas), de réécrire
toutes les scènes où il intervient. Comme il en a plus avec Laughton qu’avec
Olivier, il deviendra pote de l’un et ennemi de l’autre. Ce qui ne l’empêchera pas d’avoir l’Oscar du meilleur second rôle, parmi les quatre (seulement serait-on
tenté de dire, tant « Spartacus » se voulait aussi une machine à
Oscars) qu’obtiendra le film. Ustinov donne à son personnage (Batiatus,
acheteur d’esclaves et « dresseur » de gladiateurs) et aux scènes
dans lesquelles il intervient une touche humoristique, allégeant quelque peu ce
qui aurait pu devenir un pensum filmé. Trumbo évidemment déteste ces retouches
scénaristiques.
« Spartacus », c’est
peut-être son plus gros défaut, est un film totalement déséquilibré. La partie
la plus fouillée, la plus intéressante, ne concerne pas la révolte des
esclaves, mais la gestion de cette situation par les politiques romains du
Sénat, et notamment l’affrontement (historique) entre Crassus (Olivier) et
Gracchus (Laughton). Le premier voulant une Rome forte et autoritaire, le
second une République populaire. Les deux bien évidemment corrompus à la
gueule. Et entre eux, apparaît un second rôle, le jeune Jules César (John
Gavin), qui trahira Gracchus pour s’allier à Crassus (légère uchronie, il y a
selon les historiens, un décalage de 10-15 ans entre ces manœuvres sénatoriales
et l’épopée de Spartacus). Olivier et Laughton sont deux grands acteurs, on le
savait, mais leur inimitié les fait se surpasser. Et ce sont eux qui tirent le
film vers le haut.
Laughton |
Parce que du côté des esclaves
révoltés, il n’y en a que pour Spartacus-Douglas. Et accessoirement pour
l’idylle à l’eau de rose avec Varinia (l’assez transparente potiche Jean
Simmons, par ailleurs nunuche totale, ce dont on se rend compte dans une courte
interview des bonus). Douglas, quoi qu’il en pense (il est très satisfait de
tout, lou ravi du village en somme), ne livre pas dans ce film la prestation de
sa vie. Tant qu’il faut se battre en jupette, ça va (il n’est pas doublé, c’est
lui qui assure ses propres cascades), mais le reste du temps, il est aussi
expressif que Schwarzie dans la série des « Terminator », et de plus
affublé d’une excroissance capillaire pré-Désireless du plus mauvais effet. Sa
performance d’acteur n’est saluée par personne dans les copieux bonus (pourtant
le genre d’exercice consensuel
tout-le-monde-il-est-beau-tout-le-monde-il-est-gentil), et fort logiquement
décriée par Trumbo. Qui n’a pas tort, on ne fait pas ce qui avait les allures
d’une vraie révolution en ayant l’impression de s’emmerder à chaque plan. Et le
Trumbo, décidément très en verve, se lâche totalement dès lors qu’il s’agit
d’évoquer Tony Curtis (esclave lettré, Giton un temps de Crassus, avant de
s’évader et de rejoindre la bande à Spartacus). L’avis du scénariste est sans
appel : « En tant qu’acteur, c’est un zéro, et il le restera toute sa
vie, même s’il a de grands succès ». Fermez le ban.
On l’aura compris, pour moi,
les bonus du Dvd sont meilleurs que le film lui-même. Un bon spectacle familial,
avec des effets scénaristiques convenus et prévisibles. Rendons grâce à Kubrick
d’avoir rendu ces plus de trois heures (ouais, quand même) supportables par
quelques scènes grandioses (de grandes bagarres, de grands mouvements de foule,
une grande bataille, …). Et encore, là aussi, Trumbo le torpille (en général,
il le tient pour négligeable dans ce film), révélant que la mémorable bataille
finale est calquée sur une, mise en scène plus de vingt ans auparavant par
Eisenstein dans « Alexandre Nevski »).
La scène finale |
Quelques anecdotes plus ou
moins savoureuses pour finir. Laurence Olivier était incapable de jouer un
personnage sans se modifier physiquement. Pour le rôle de Crassus, il porte un
faux nez. Les scènes de foule et de bataille ont été tournées en Espagne. La
raison : pas le coût de la main d’œuvre (y’avait le Mexique pas loin des
studios Universal), mais parce que sous le régime de Franco, tout le monde
savait marcher au pas (no comment), et surtout les militaires espagnols,
réquisitionnés comme figurants (Kirk Douglas a posteriori, avoue quand même en
avoir honte). Laurence Olivier (Sir Laurence Olivier pour être précis) a
toujours pensé que Kubrick était un inculte, ce dont il n’a pas honte. Laughton
a plusieurs fois menacé le producteur Douglas de tribunal, estimant que le rôle
qu’on lui avait donné était trop secondaire pour son immense talent. Trumbo
voulait Jeanne Moreau pour jouer Virania et Orson Welles pour l’émissaire des
pirates, présent cinq minutes sur deux scènes. Une dernière pour la
route : la mode au début des années 60 n’étant pas au pantacourt-tongs,
tous les acteurs devaient passer avant d’enfiler leur jupette par la case
maquillage pour pas avoir à l’écran des jambes couleur lavabo.
Conclusion lapidaire mais
indiscutable : « Spartacus » ne vaut pas « Gladiator ».
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