RAY LAWRENCE - LANTANA (2001)

Dites-le avec des fleurs ...
Parce que le lantana (ou lantanier) est une sorte d’arbuste rampant et envahissant à fleurs multicolores typique de l’Australie. Et que c’est en Australie (Sydney, même si la ville n’a aucune importance) que « Lantana » a été filmé et que c’est dans un massif de lantanas qu’on voit après un long travelling « rampant » un cadavre dès le premier plan. Et que c’est dans un autre massif de lantanas qu’une chaussure va être trouvée, et orienter l’enquête policière vers son dénouement.
Parce que je vous ai pas dit, « Lantana » est un film policier. Primé au Festival du film policier de Cognac lors de sa sortie. Ouais, sauf que tous les gens impliqués dans son tournage, en parlent comme d’un film sur la vie, sur la crise de la quarantaine, voire un film sur des histoires d’amour contemporaines. Et que le film divise. Ceux qui le trouvent génial, sommet du polar psychologique. Les autres parlant d’un thriller soporifique où il ne se passe rien. Ces autres ont tort (tel est mon point de vue, ferme, définitif et incontestable).
Ray Lawrence en pleine crise d'hystérie
« Lantana » est réalisé par Ray Lawrence, australien d’origine anglaise un peu moins connu que George Miller, si vous voyez ce que je veux dire … Il a fait que trois films, dont un premier qui paraît-il a fait date en son temps (« Bliss », jamais vu). D’ailleurs ça marchait tellement fort pour lui au pays des kangourous qu’il s’est cassé à L.A. tourner des téléfilms. Lawrence, c’est un laborieux pas très doué. Visuellement, « Lantana » est même plutôt pénible. Par contre, l’histoire est prenante. Très. Merci donc à l’inconnu au bataillon Andrew Bovell dont la pièce de théâtre « Speaking in tongues » sert de base au scénario.
« Lantana » n’est cependant pas une pièce de théâtre filmée, malgré une immense majorité de scènes en intérieur. Avec gros plans sur la tronche des acteurs. Un casting hétéroclite (des australiens, des américains) composé d’illustres inconnus ou de tombés aux oubliettes pour l’amateur de cinéma lambda. Le « héros », le flic Leon Zat, c’est Anthony LaPaglia (Anthony qui ?). Mou, bedonnant, parfois colérique voire impulsif (l’acharnement à coups de pompes sur un petit dealer), queutard désabusé à la sauvette. Pas du tout Dirty Harry, quoi. Pas non plus Columbo, aucun coup de génie dans la résolution de l’enquête. A ses côtés une multitude de protagonistes dont la principale qualité est de se présenter par couples. Même si tous auront leur rôle à jouer dans le drame, ce sont surtout les relations internes (ou extraconjugales) de ces couples qui sont aussi le cœur du film. On remarque dans cette galerie de portraits la star ( ? ) australienne Geoffrey Rush (trogne de serial killer), employé dans quelques nanars sanguinolents et même dans un épisode de « Pirate des Caraïbes », ou la disparue des radars après quelques apparitions remarquées (chez Kaufman, Levinson, Allen ou Scorsese) Barbara Hershey (la psychiatre femme de Rush).
Le flic (Anthony LaPaglia)
L’histoire dans « Lantana » ? Irracontable, tant les destins de ces couples qui vont finir par se croiser et s’enchevêtrer sont compliqués. L’histoire, au sens polar du terme, elle commence pile poil au milieu du film avec la disparition de la psychiatre Valerie Somers (Hershey). Et aussi sa mort, qui ne fait guère de doute. Avec immédiatement trois suspects idéaux. Le mari (ils n’ont pas de vie commune, détruits et traumatisés à jamais par l’assassinat de leur petite fille deux ans plus tôt). Le client de la psy homo et menaçant dont tout laisse à penser qu’il a une liaison avec le mari de la psy. Le chômeur père de famille qui commence à être nombreuse et voisin de la maîtresse du flic qui passe son temps à l’espionner sans qu’on sache si c’est parce qu’elle envie de se le faire ou si c’est juste une maniaque insomniaque.
La psy (Hershey) et son mari (Rush)
Galerie de portraits auxquels il faut rajouter la femme du flic (cliente de la psy, mais son mari ne le sait pas, c’est à peu près la seule trouvaille qu’il fera lors de son enquête), qui se change les idées en prenant des cours de salsa (où traînent aussi son mari et sa maîtresse), en se faisant draguer par des minots de vingt ans tout en essayant de gérer tant bien que mal ses deux ados de fils. Ou la collègue de bureau du flic, qu’on sent prête à se taper le bedonnant, mais également amoureuse transie d’un mec qu’elle croise au resto qu’elle passe longtemps sans revoir (normal, il s’est fait démonter la tête par le flic d’un coup de boule accidentel lors d’un jogging, ce qui vaudra au « héros » de se balader pendant une bonne partie du film avec un sparadrap sur le pif, comme Nicholson dans « Chinatown »). Ou encore le mari de la maîtresse du flic (celle qui espionne son voisin, voir plus haut) qui a rencontré le flic dans un bar où il était allé se requinquer après avoir croisé dans la rue la psy en plein pétage de plombs. Ou encore … Vous suivez ? Non, c’est normal. Il y a dans « Lantana » cette mise en scène de tous ces destins qui se croisent en s’entrechoquent, marque de fabrique de réalisateurs comme Altman (parfois) et Iñarritu (toujours).
« Lantana » est un film assez atypique, perpétuellement à cheval entre drame psychologique (mais on n’est pas chez Cassavetes ou Bergman) et polar mou (pas un coup de flingue, pas une poursuite en bagnole, pas de suspense …). Logiquement, ça devrait donner quelque chose d’immensément chiant. Et finalement, on ne sait pas pourquoi, c’est captivant. On passe presque deux heures à observer toutes ces tribulations quelconques en se prenant à tous ces jeux schizophrènes, tous ces gens qui s’attachent à cacher une part d’ombre de leur personnalité qu’on se surprend à découvrir au fil des plans.

Un film totalement improbable. Un très grand film pourtant …