« Le Pianiste », c’est malgré les
réalisations qui ont suivi et suivent encore, l’épitaphe cinématographique de
Polanski. Le film qui résume sa vie, et pas forcément (pas du tout ?) son
œuvre. C’est un film-thérapie, un film-exutoire, un film de divan d’analyste. Polanski,
l’enfant grandi dans les années 40 et miraculeusement réchappé du grand
massacre des Juifs polonais ne pouvait pas ne pas s’attaquer à ce thème.
Adrian Brody & Roman Polanski |
Alors, formellement ou esthétiquement, « Le
pianiste » n’est pas son meilleur film. C’est malgré tout son plus
personnel, et pour peu qu’on ait un cœur en état d’insuffler des émotions, son
plus touchant. Bon, évidemment, la leçon d’Histoire, les bons sentiments et
cette atmosphère de mélo perpétuel, ont eu deux conséquences : la méfiance
de certains, jugeant le film « too much ». Corollaire, des
récompenses par la « profession » innombrables, dont trois Oscars (et
47698 Césars, qui comme chacun sait, sont au cinéma ce qu’Annie Cordy est à
Bessie Smith).
Moi, « Le Pianiste », j’suis preneur. A
mille pour cent. Et d’autant plus ces jours-ci, où l’on voit à longueur de 20
Heures, des journaleux nous faire le « devoir de mémoire » sur
l’anniversaire de la libération d’Auschwitz. Pendant que d’autres de leurs
congénères (plutôt cons tout court d’ailleurs) remettent un colifichet
honorifique au maire FN de Hénin-Beaumont, au crâne bien dégagé derrière les
oreilles et bien plein de remugles idéologiques pourris. Comme si on avait pas
assez donné cette année en matière d’exposition faite aux cinglés intolérants.
Et voir l’épouvantail Arlette Chabot (groupie insatisfaite du piteux Chirac,
mais qui au moins, lui, n’a jamais transigé avec ces fachos-là), présidente de
ce jury honteux avaler une colonie de couleuvres pour nous expliquer que
politiquement parlant, c’est une distinction que ce pantin mérite … ‘tain, y’a
des coups de pied au cul qui se perdent. Eh, Arlette, regarde ce qu’a déjà fait
ce mec dans son bled, tu comprendras peut-être que vous êtes quelques-uns à
avoir touché le fond …
Bon, « Le Pianiste ». Qui est en gros un
biopic. Qui aurait pu être celui de Polanski lui-même. Il a préféré tourner la
vie, la survie plutôt entre 1939 et 1945 de Wladislaw Szpilman, pianiste
officiel et surdoué de la radio polonaise au moment où les troupes nazies envahissent la
Pologne. Szpilman n’est apparemment pas un bonimenteur, le livre racontant sa
traversée de la guerre publié en 1946, lui a valu bien des ennuis et une
quasi-censure de la part des autorités communistes polonaises (un Juif sauvé
par un haut officier SS et pas par l’Armée Rouge, les camarades rigolaient pas
avec ça). « Le Pianiste » est un survival, avec des nazis à la place
des zombies. C’est la grande Histoire vue par la « petite » de
Szpilman. Et là, il n’est plus question d’idéologie. Szpilman est pris dans un
engrenage où les salauds ne sont pas tous Allemands, et les types bien pas tous
Polaks ou Juifs, où beaucoup cherchent à sauver ce qui peut encore l’être (leur
vie, tout simplement) et louvoient dangereusement entre grandeur et bassesse.
Il y a les bons et les méchants, et toutes les nuances entre les deux. La
guerre déshumanise, et fabrique plus souvent des lâches que des héros.
Szpilman n’échappe pas à la règle. C’est le type qui
vit à travers la musique et son piano, le reste lui étant souvent accessoire. Mais
pas toujours. Il vend son piano une misère pour que sa famille puisse s’acheter
à manger, il est lucide et fataliste devant les premières pancartes interdisant
l’entrée de certains établissements à des Juifs, envoie bouler les juifs
collabos. Et puis, lentement, insidieusement, quand le cauchemar meurtrier s’amplifie
et qu’il faut à chaque instant assurer sa pitance puis sauver sa peau, Szpilman « lâche »
les valeurs et les idéaux, jouant dans des bars pour juifs chelous gagnant de l’argent
quand d’autres crèvent de faim, suppliant les miliciens juifs pour améliorer
son ordinaire et celui de ses proches, devenant peu à peu un pantin sans
valeurs ou morale, uniquement préoccupé de sa survie. Juste un type qui veut
sauver sa peau au milieu de cette barbarie, rythmée par des intertitres qui
indiquent les dates de cette période qui va de la blitzkrieg polonaise à la
libération des camps de déportés par l’armée russe.
Polanski nous montre ce type aux prises avec la
folie de ses congénères et de leur attitude de plus en plus incompréhensible,
anormale, à mesure que la guerre et son convoi de misères avancent. Et parce
que Polanski sait de quoi il parle mais aussi comment on filme, il évite les
clichés. Celui de l’allégorie qui ferait passer des symboles au-dessus de l’histoire,
celui du « tout est bien qui finit bien » (y’ des pourris qui s’en
sortent, et des mecs bien qui crèvent). Il y a des plans d’une beauté à couper
le souffle, comme celui où l’on voit Szpilman escalader le mur du ghetto de
Varsovie pour revenir dans cet espace dont il s’est évadé quelques mois plus
tôt, et qui d’endroit pas vraiment folichon est devenu un paysage de ruines
lunaires après l’insurrection. Il y a des scènes d’une dureté glaçante, quand
un officier nazi flingue d’une balle dans la nuque des juifs choisis au hasard dans
une procession de travailleurs contraints, quand deux vieux affamés se battent
pour une boîte de conserve qui se renverse et que l’un finit par bouffer à même
le sol. D’autres sont d’une poésie irréelle notamment lorsque Szpilman, pour ne
pas faire du bruit qui trahirait sa présence joue du piano sans même effleurer
les touches et vit littéralement cette musique qu’il n’entend que dans sa tête.
Szpilman, c’est Adrien Brody, qui à même pas trente
ans trouve là ce qui sera certainement le rôle de sa vie, composant entre
sobriété du jeu et techniques de l’Actor’s Studio (il a perdu quinze kilos pendant
le tournage et a appris à jouer du piano, même si ce n’est pas lui qu’on entend
tout le temps). Dans ce casting de seconds couteaux, il ne cherche pas à
écraser le film, est crédible de bout en bout dans un jeu tout en retenue.
Polanski est lui, comme souvent, parfait derrière la
caméra. Il réussit en mettre en parallèle la survie de son personnage principal
dans cette boucherie organisée et les grands faits marquants de l’histoire de
Varsovie et de la Pologne au début des années 40. Une grande partie du « Pianiste »
a été tournée sur les lieux mêmes où se passe l’action, dans ce qui fut le
ghetto juif de Varsovie. Perso, je trouve quand même assez mesquine l’attitude de
quelques-uns qui a la sortie du film n’y ont vu qu’un mélo larmoyant et
émotionnel, limite une machine à Oscars.
Prévert a écrit dans un poème fameux que la guerre
était une connerie. Polanski a dit la même chose. Avec une caméra …
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