FRANCIS FORD COPPOLA - LE PARRAIN II (1974)

Only the strong survive ...
« Le Parrain », 1er du nom, avait été un immense succès tant critique que public. Coppola en avait cependant gardé un mauvais souvenir, en butte perpétuelle avec les budgets et les producteurs de la Paramount. Une suite était pour lui totalement hors de propos. D’ailleurs, il faisait un pied-de-nez à son film-référence en tournant le névrotique et intimiste « Conversation secrète ».
On peut croire Coppola sincère quand dans la version du film qu’il commente dans le Blu-ray, sa première phrase est « Voici « Le Parrain 2 », un film que je n’avais pas vraiment envie de tourner au départ ». C’était sans compter sur la persévérance des gros cigares de la Paramount. Qui reniflent avec une suite du « Parrain » le jackpot. Et qui finissent par faire à Coppola le genre de proposition qu’on est obligé d’étudier. Budget doublé, totale liberté du choix des acteurs et du scénario. Coppola tente de feinter, en proposant comme réalisateur un certain Scorsese, petit italo-américain (of course) naturellement et chimiquement speedé dont un film urbain et teigneux sur des petits malfrats (« Mean streets ») l’a impressionné. Cris d’orfraie des financiers de la Paramount, pas question de Scorsese. Coppola est piégé, ne peut que livrer un baroud d’honneur sur le titre du film. Lui veut « Le Parrain 2 », le studio met son veto, on n’a jamais vu dans les annales d’Hollywood une suite de film numérotée, ça ne peut pas marcher. Toutes ces tergiversations jouent en faveur de Coppola, les studios veulent vite la suite, et finissent par céder totalement aux desiderata de leur poule aux œufs d’or …
La famille de Vito Corleone
Coppola se met à l’écriture avec l’auteur du roman dont était tiré le premier film, Mario Puzo. Coppola n’a mis en scène qu’une partie du bouquin. Du coup, la moitié de la suite est déjà écrite, celle qui raconte la jeunesse et l’accession au titre de « Parrain » de Vito Corleone. La moitié seulement, car pas question de laisser tomber Michael Corleone, dont la lente et inexorable ascension constituait la trame du premier volet. Surtout que Pacino, l’acteur qui a maintenant Hollywood à ses pieds, est partant pour la suite (moyennant quelques caprices de diva, il faudra réécrire quelques scènes à sa demande) ainsi que l’essentiel des survivants (au figuré) du premier casting (Duvall, Keaton, Cazale, Shire, …). Là où se situe le coup de génie de Coppola, c’est de faire en même temps un prequel et un sequel de son succès. Bon, faudra se passer de Brando, qui refusera un pont d’or (il s’estimait – entre autres – sous-payé lors du premier volet) pour apparaître dans la suite, mais laissera toujours planer le doute jusqu’au dernier jour du tournage sur une possible apparition. Coup de poker (gagnant) avec pour reprendre le personnage de Vito Corleone, le jeune espoir Robert de Niro, repéré par Coppola dans « Mean streets » (toujours la connexion italo-blablabla …).
La solitude du tueur de fond ...
Le succès raz-de-marée planétaire du « Parrain », mettait peut-être la pression sur l’équipe, mais avait montré tellement de points d’ancrage scénaristiques solides que sa suite coulait de source. Les similitudes entre les deux films sont volontairement légion, des scènes du premier se retrouvent par effet de miroir quasiment plagiés dans le second, Coppola le reconnaît volontiers et prend un malin plaisir à le souligner dans ses commentaires. Le seul pari de mise en scène (qui est devenu un modèle et a bien fait école), c’est cette juxtaposition non chronologique des destins du père et du fils, à travers de longues séquences de leurs aventures. On passe un quart d’heure avec De Niro – Vito, vingt minutes avec Pacino – Michael, puis on revient sur De Niro … Un procédé casse-gueule, parce que les « affaires » de Michael ne sont pas très simples, et du coup quelques seconds rôles laissent perplexes, genre « mais il est avec qui, lui ? ».
Il y a un parallèle dans ces deux histoires, le père comme le fils veulent monter toujours plus haut, jouant les Icare de la délinquance, quitte à risquer de se cramer les ailes. Il y a aussi une grosse différence entre ces deux destins. Vito à mesure qu’il « s’élève », bâtit toute sa vie sur la construction d’une famille dans tous les sens du terme (un ménage avec des enfants, puis des « amis »). De son côté Michael n’a plus aucune limite géographique dans son ambition (il est passé du quartier de New-York à des « investissements » internationaux), et son ascension qu’il veut hégémonique dans le milieu du crime organisé le conduit à tout perdre ou à tout détruire dans sa famille. Plus Vito devient important, plus il est entouré. Le Michael triomphant après les traditionnels  bains de sang menés en parallèle dans le final est un homme seul, regardant à travers une véranda un homme de main exécuter sur son ordre son propre frère. La vengeance (l’honneur de la famille, du clan, disent les mafieux) guidait ses actions dans le premier film, dans « Le Parrain 2 », c’est juste la soif de pouvoir … Mais tout çà, c’est de l’analyse à deux balles quand on a vu plusieurs fois le(s) film(s), et qu’on a entendu Coppola en causer pendant trois heures et vingt-deux minutes ( !!).
Pacino - Cazale : le baiser de la mort
Non, la base, ce qui fait qu’un film va rencontrer un succès colossal (quand même pas autant que le premier qui avait placé la barre très haut), c’est que les gens vont se précipiter pour aller le voir. Pour cette saga familiale, pour quelques scènes sanguines, pour quelques reconstitutions méticuleuses (le Cuba de Batista, les fringues, accessoires et bagnoles d’époque, … pas de fausses notes), et parce qu’il y a des types (ou des nanas) qui crèvent l’écran. On a beau jeu de dire quarante ans plus tard que ouais, c’est facile de faire un carton avec Pacino et De Niro, sauf que c’est Coppola qui les a tous les deux lancés pour la première fois devant le « grand public » dans cette saga. Ce serait oublier aussi qu’un film de plus de trois heures ne tient pas la route s’il n’y a pas de grands seconds rôles. Diane Keaton est excellente dans ce monde hyper patriarcal (fabuleuse scène conclue par une beigne d’anthologie quand elle avoue son avortement), Duvall impeccable tout en sobriété économe, Cazale livre sa meilleure prestation (et malgré sa trop courte carrière, il n’a pas exactement tourné que des navets). Comment ne pas citer la performance des quasi inconnus Michael V. Gazzo (le mafieux repenti) ou Gastone Moschin (le caïd de quartier buté par De Niro). D’autres acteurs ne sont pas là par hasard. Roger Corman (apparition fugitive dans le rôle d’un sénateur de la Commission d’Enquête) est un producteur indépendant qui a soutenu les débuts de Coppola et l’ennemi de Michael (le machiavélique Hyman Roth) est tenu par Lee Strassberg cofondateur et principale cheville ouvrière de l’Actor’s Studio auquel le cinéma américain des années 70 doit tant. Last but not least, que serait un film de Coppola sans la « famille » ? La vraie, celle du sang, papa à la musique (bien aidé par Nino Rota quand même), la frangine Talia Shire dans un second rôle, quelques apparitions fugitives d’oncles, neveux, enfants. Même Maman Coppola est du casting. C’est elle qui, maquillée, joue (enfin, façon de parler) la mère morte de Michael parce que la préposée au rôle, très croyante et superstitieuse, avait refusé de s’allonger dans le cercueil. La « famille » de Coppola, c’est aussi la communauté italo-américaine et les patronymes sentant bon Calabre, Sicile, Pouilles et autres contrées du Mezzogiorno n’arrêtent pas de défiler lors du générique (de façon un peu moins hégémonique que sur le premier volet tout de même).
Coppola et ses acteurs attendent Brando ...
Coppola ne voulait pas de cette suite, et encore moins d’une autre (qu’il finira par tourner ses affaires allant mal juste pour le fric, sans conviction, et ça se verra). Il glisse donc en épilogue une scène censée faire la liaison entre deux époques de la saga, le moment évoqué dans le premier volet ou Michael se met, rompant tous les codes mis en place par son père, en marge de sa famille. Il annonce à ses frères alors que tous attendent l’arrivée du Père qui fête son anniversaire son engagement dans l’armée après Pearl Harbour. Coppola avait fait revenir pour cette scène James Caan et Brando était censé apparaître. Jusqu’à la veille du tournage, tout le staff espérait encore sa présence. On n’entend hors-champ qu’une porte qui s’ouvre et le bruit de ses pas …
La boucle était définitivement bouclée …


P.S. Malgré la remastérisation (par les studios Zoetrope de Coppola himself) le Bluray n’est pas un de ceux qui feront date en matière technique, même s’il est correct. Bon, le support original date de 1974, ceci expliquant sans doute cela …

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