« Tommy » est le premier très gros succès
populaire (en termes de ventes de disques, à l’époque c’est ça qui comptait)
des Who, jusque-là plutôt catalogués comme groupe à singles. Cette réputation
« légère » tracassait le groupe et son entourage (le manager et
producteur Kit Lambert, la maison de disques, …). Au centre des
préoccupations et attentions générales, Pete Townshend. Compositeur quasi
exclusif du groupe, et compositeur exclusif tout court de ses meilleurs titres.

A l’époque de l’écriture de « Tommy »,
Townshend est comme il le sera souvent en état de délabrement nerveux (quand on
se pose beaucoup de questions et qu’on compte trouver la réponse avec des cures
d’amphets et d’alcool forts, ça arrive souvent), et en chantier mental (c’est
l’époque où il fréquente et suit les préceptes du gourou illuminé - pléonasme -
Meher Baba). La trame narrative de « Tommy », le cœur de l’affaire,
c’est l’histoire de Tommy, né aveugle, sourd et muet, pédophilisé par la suite,
qui ne réagit que de façon intuitive et sensorielle, devient un champion de
flipper puis un gourou … Pitch totalement crétin, et détail des paroles à
l’avenant.
Musicalement, « Tommy » c’est tout et
n’importe quoi. Avec le n’importe quoi qui l’emporte largement. Le thème
musical récurent a déjà été ébauché dans un des « mouvements » de la
funeste suite qui clôturait « A quick one », le disque précédent. Les
prétentions « musicales » de « Tommy » nous valent à
plusieurs reprises un Entwistle (bassiste sous-mixé alors qu’il peut déclencher
des tremblements de terre avec ses quatre cordes) jouant un thème neuneu au cor
anglais. Pire elles nous gratifient d’une « Overture » aussi terrible
que les pires machins du prog à venir et d’une « Underture »,
monstrueux pensum instrumental de dix minutes. Mais surtout, les Who tournent
la plupart du temps le dos au rock au sens large, sont méconnaissables. Keith
Moon a dû s’emmerder ferme en studio, on ne sent aucune conviction dans ses
roulements de toms, Daltrey d’évidence ne sait comment transformer et placer sa
voix en fonction des « personnages » qu’il interprète.
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Les Who de "Tommy" : fatigués ou fatigants ? |
En dehors d’intermèdes de quelques secondes listés,
« Tommy » se compose d’une vingtaine de titres (double vinyle et
aussi double Cd, alors que ça contiendrait sur un seule rondelle argentée,
business is business). Les trois quarts sont mauvais ou sans intérêt, reprise
méconnaissable d’un blues de Sonny Boy Williamson (« Eyesight to the
blind »), orgues de Barbarie de fête foraine « Tommy’s holiday
camp », country-hillbilly à la sauce Townshend (« Sally
Simpson », pas le plus moche du lot), … Faut quasiment attendre la fin du
premier Cd pour dresser l’oreille avec « Acid queen », et encore,
parce qu’on a fatalement la vision d’une exubérante Tina Turner dans le film
qui a été tiré du skeud. En comparaison
avec ces quarante indigentes premières minutes, le second Cd est bon. C’est en
tout cas celui des trois meilleurs titres.
Avec par ordre d’apparition « Pinball
wizard », ses arpèges acoustiques à droite et le gargantuesque riff de
Gibson SG qui vient déchirer le haut-parleur gauche. Un grand titre, un grand
classique des Who. « Go to the mirror » est peut-être le seul morceau
de « Tommy » où l’on sent les quatre concernés, se donnant sans
retenue. Il n’aurait pas démérité s’il s’était retrouvé sur « Who’s
next ». « I’m free », c’est de la pop de très haut niveau, pour
rappeler que les Who, c’est pas seulement du cabossage de batterie et des
moulinets sur la guitare, il y a aussi des mélodies tuantes (« The kids
are alright », « Pictures of Lily », …).
Vous l’avez compris, mes très chers, pour moi
« Tommy » c’est limite poubelle direct, le pire disque de leur
première décennie. Bizarrement ? Logiquement ? il a fait un triomphe
dès sa sortie, et est de très loin le disque des Who qui s’est le mieux vendu …
Le monde doit être plein de Tommy …
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