« L’homme qui venait
d’ailleurs » (« The man who fell to Earth » en V.O). est un film
qui s’est vautré lors de sa sortie en salles avant d’acquérir à la longue un
statut de film culte. Essentiellement par la présence dans le rôle principal de
David Robert Jones, plus connu sous le nom de David Bowie.
D’ailleurs aujourd’hui, le
titre du film sert parfois de métaphore pour décrire le chanteur aux yeux
vairons. Peu sont capables de citer d’autres acteurs du casting, rares ceux
pour qui le nom du metteur en scène Nicolas Roeg évoque quelque chose. Les
distributeurs ne s’y sont pas trompés, les bande-annonce et la promotion du
film mettaient exagérément en avant le nom de Bowie. Même si c’est lui qui
porte le film sur ses épaules. Frêles à l’époque. Bowie passe le plus clair de
son temps dans une villa de Los Angeles, se nourrissant quasi exclusivement de
lait et de cocaïne, et est d’une maigreur à faire envie à nos mannequins
anorexiques d’aujourd’hui.
Vers 1975, quand le scénario du
film lui est soumis, Bowie n’est pas au mieux, se cherche. Il a
« suicidé » son personnage de Ziggy Stardust, s’est investi dans une
multitude de collaborations musicales (Lou Reed, Iggy Pop, Mott The Hoople),
certes appréciées, mais au détriment de sa propre carrière. Un album de
reprises, « Pin ups » (qui a d’une certaine façon inventé le
revivalisme dans le rock) plutôt boudé, une suite-renaissance du Ziggy Stardust
sound (« Diamond dogs », qui ne vaut pas « Ziggy … » ou
« Alladin Sane »), et dernier en date, un essai de disco-funk blanc
(« Young americans »), descendu par la critique mais annonciateur de
la déferlante disco imminente. Atout important de Bowie, c’est un curieux de
tout, prêt à toutes les expérimentations artistiques. Alors du coup, le projet
de Roeg lui offre un challenge inédit (il n’a jamais tourné), et satisfait
quelque peu la mégalomanie (il a le premier rôle) inhérente à toutes les stars
du rock.
Bowie & Roeg |
Bowie n’aurait pris qu’une
semaine de réflexion après avoir reçu le scénario pour donner son accord,
s’envoler avec management, femme et enfant (Zowie, aujourd’hui Duncan Jones, ça
fait moins crétin comme prénom tout de même) pour le Nouveau-Mexique, où doit être
tourné le film.
Un film tiré d’un bouquin
(largement réaménagé par le scénariste anglais Paul Mayersberg) de Walter Stone
Tevis. Un panel de producteurs réunit un petit budget et un petit casting. Le
tout confié à un réalisateur jugé plutôt bizarre (alors que l’époque comptait
quand même pas mal de cramés notoires), l’américain Nicolas Roeg. Un
« spécialiste » des rock-stars, puisqu’il avait déjà dirigé Mick
Jagger (dans « Performance », lui aussi plus connu pour son
acteur-vedette que pour sa qualité artistique), et venait de terminer ce qui
reste son meilleur film « Don’t look now » (« Ne vous retournez
pas » en français).
Il paraît (Bowie est absent des
bonus du Dvd, ce qui fait un peu désordre et en dit long sur ce qu’il doit
penser avec le recul du film) que le chanteur glam s’est beaucoup investi sur
le tournage, suggérant plein de choses. Dans un climat curieux et
vaudevillesque. Anecdote croquignolette, l’actrice principale, l’oubliée Candy
Clark était la petite amie du producteur principal Michael Deelay, avant de
devenir celle de Roeg qui l’a imposée dans le casting. Et dans le film, la
maîtresse du richissime Newton finit dans les bras d’un de ses associés, si ça
c’est pas de la private joke subliminale …
David Bowie & Candy Clark |
L’histoire du film, c’est celle
d’un alien (Thomas Jerome Newton / Bowie) venu sur Terre pour trouver le moyen
d’aider et sauver sa famille victime de la désertification de sa planète
d’origine. Doté de connaissances technologiques très supérieures aux nôtres, il
va se lancer dans la construction d’un empire industrialo-financier qui lui
permettra de mettre en chantier son voyage de retour et la résolution de ses
problèmes lointains. Logiquement, cette étrange créature qui a pris forme
humaine souffrira de quelques difficultés d’adaptation qui sont le cœur (et la
conclusion) du film. « L’homme qui venait d’ailleurs » est un curieux
mélange de fantastique et de
psychologique (une petite poignée de personnages évolue à peu près en
vase clos, ce sont leurs relations étranges et ambiguës sur une longue période
– non définie – qui sont montrées).
Dès le départ, « L’homme
… » est un film perdu. Bowie est un chanteur, au mieux un performer,
certainement pas un acteur. Roeg sauve un peu l’affaire en le faisant évoluer
en « terrain connu ». Bowie, qui a chanté « Space
odditty », « Life on Mars » et a été à la scène
l’extra-terrestre Ziggy Stardust, n’est pas Thomas Jerome Newton. Il est Bowie,
tout simplement, les similitudes entre son personnage à l’écran et sa vraie vie
passée étant légion. Comme Bowie, Newton cultive une certaine dichotomie :
le riche inadapté socialement se retrouve sous les feux de l’actualité quand il
veut piloter le vaisseau spatial qu’il a fait construire ; à mettre en
parallèle avec l’artiste introverti qui s’exhibe sur scène de la façon la plus
choquante possible. L’incompréhension, la « chasse au sorcier »
étranger est celle du créateur avant-gardiste. Newton, qui vivait dans une
planète austère et vient sur Terre avec une mentalité d’écolo finit accro à la
télévision, à la bibine et baise à couille rabattue. Newton ressemble beaucoup à Mick Jagger, Keith
Richards, Steven Tyler, Joe Perry, Keith Moon, Alice Cooper (liste non
exhaustive). Il y a même des fois où ça devient surréaliste (un des
acteurs principaux du film va dans un magasin de disques plein d’affiches
publicitaires pour « Young americans », oui, de Bowie, je vois que
vous suivez, un Newton démasqué et
« étudié » par la CIA qui ne retournera jamais dans sa planète n’a
rien trouvé de mieux que de sortir un disque pour que les siens puissent un
jour avoir de ses nouvelles), où le mythe de la (rock) star éternelle devient
un moteur même du scénario (Bowie / Newton ne vieillit pas, alors que tout son
entourage met les cheveux blancs).
Loving the Alien ? |
Le projet reposait tellement
sur les épaules de celui qui allait revenir à la scène en Thin White Duke,
qu’il devait même en écrire la partition musicale. Finalement c’est John
Philips (l’ancien leader des Mamas & Papas) qui en sera chargé, les
ébauches des titres écrits par Bowie durant le tournage seront ensuite
améliorées pour figurer dans « Low », un disque qui comme
« Station to station » reprend pour sa pochette des images issues du
film de Roeg.
« L’homme qui venait
d’ailleurs » est assez dispensable, bâti sur et pour le seul Bowie, multipliant
les clichés plus ou moins bienvenus sur ce que doit (ou devait) être le
quotidien d’une idole « décadente » des jeunes. Le montage façon
puzzle (bien que chronologique) de l’histoire a occasionné de multiples
versions du film (plus ou moins de fantastique, de face-à-face des acteurs, de
scènes de cul, …). Aucune d’entre elles n’a convaincu grand-monde au-delà du
fan-club de Bowie … Me semble t-il pourtant son meilleur rôle, c'est dire le niveau du reste ...