Où il va être question de blues et musiques assimilées… Question
préliminaire : qu’y a t-il de plus chiant qu’un disque de blues
récent ? Et le premier qui me dit un vieux disque de blues, il s’en
ramasse une … Bon, je reformule : qu’est-ce qui est plus chiant qu’un
disque de Joe Bonamachin, de Robert Cray, de Clapton depuis trente ans, de
Stevie Ray Vaughan, et de tous leurs semblables ? Ben rien, cette bande de
pénibles se contentant de remettre à la sauce électrique avec des budgets
colossaux ce que des types pauvres comme Job avaient fait mieux qu’eux en deux
temps trois mouvements et leur vieille gratte pourrie il y a des décennies. Et
qu’on me dise pas que le blues c’est bien parce que c’est toujours pareil, un
genre qui n’évolue pas est un genre mort …
Et qu’est-ce qu’il faut pour faire évoluer le
blues ? Revenir aux sources, aux origines, laisser de côté toute la putain
fuckin’ technique à la noix, mettre toute son âme (la soul dit-on dans une
autre langue) dans la bataille, et ne pas avoir comme objectif de faire un duo
avec BB King au Royal Albert Hall devant des bourgeois qui auront raqué cinq
cent livres leur strapontin …
Et le type dont au sujet duquel il va être question,
il a fait le meilleur disque de blues depuis … Hendrix, au hasard. Donc, le
gars il s’appelle Paulo Furtado pour l’état-civil, il est Portugais, son nom de
scène quand il est tout seul, c’est Legendary Tiger Man, et son groupe c’est
Wraygunn, on y arrive … Et pourquoi il
a tout bon dès le départ ? Parce qu’il est allé dans sa démarche encore
plus loin que le blues, il est remonté jusqu’aux églises où l’on chantait du
gospel, des spirituals, il a du au moins dans ses rêves se retrouver au fameux
crossroad et là, il a pas choisi entre Dieu et le Diable, il a pris les deux.
Parce qu’il a bien compris qu’il y a quelque chose de diabolique dans le blues,
mais qu’à la base, tous les vieux bluesmen sortent des églises. Et Furtado a recruté
une bande de caralhos dans son Portugal, pays cousin des très dévotes Espagne
et Italie. Des gars et une fille qui aiment peut-être Muddy Waters, mais
surtout faire bouger les lignes. Et dans cette troupe, il y a … éloignez les
enfants et les fans de Canned Heat ou John Mayall… un type aux synthés,
scratches, platines et bruitages divers … un DJ quoi … et croyez-moi, on
l’entend … Et les cinq autres, dont deux batteurs (et non, on ne dit pas comme
les foutus frangins Allman, ou je vais de nouveau me fâcher), ils lâchent les
chevaux, envoient le bois…
La pochette dit tout, et plus encore … on y voit
Furtado prendre la pose du Christ du Corcovado, mais au lieu de surplomber Rio,
il est au milieu d’une décharge publique. Et là, sous nos oreilles ébahies, ce
métèque et sa bande de va-nu-pieds vont pendant trois quarts d’heure détruire,
reconstruire et finalement réinventer le blues. En réinjectant dans les douze
mesures les chants des églises noires d’Amérique, la soul, le rhythm’n’blues,
l’électro. … avec les bouffées de violence qui renvoient le pauvre Jon Spencer
à ses chères études, avec ce côté prêcheur fou sous substances partagé entre
démons et rédemption que n’a fait qu’effleurer un Nick Cave. Wraygunn est
toujours partagé entre appels au sexe et à la prière, c’est le mariage du
mystique et du pornocrate.
On est d’entrée au cœur du sujet. « Soul
city » le premier titre commence par une incantation de prêcheur habité
(Martin Luther King ?), qui se transforme brutalement en un rhythm’n’soul
qui arrache tout. « Drunk or stoned » qui suit est un rock’n’roll
crade, moîte, sexuel, avec un super gimmick de synthés. Le troisième titre
(« Keep on prayin’ ») finit de planter le décor, rhythm’n’blues
torride avec ses handclaps et l’apparition pour un duo avec Furtado de la voix
féminine du groupe, la troublante Raquel Ralha. Un quart du disque et les bases
sont posées. Le son est unique, tentaculaire, gavé d’effets électroniques, de
distorsions, de filtres, comme si Trent Reznor avait remixé Howlin’ Wolf. Le phrasé
peut se rapprocher du rap (« How long, how long ? »), peut
devenir syncopé et dangereux comme celui d’Alan Vega (« Sometimes I miss
you »), les guitares peuvent empiler des cocottes funky (« She’s a
speed freak », le meilleur titre que les Red Hot Machin ont oublié
d’écrire), le boogie (« All night long ») être aussi puissant que
ceux de ZZ Top dans les 70’s, l’hommage aux Stones (« Hip »,
démarquage du « Shake your hips » de Slim Harpo, déjà entendu sur le
« Exile … » des Cailloux) est plein de cette déglingue obligatoire de
l’exercice …
« Ecclesiastes 1.11 » apporte la preuve
que l’on peut faire du neuf avec du très vieux. Suffit d’avoir de l’imagination
et de ne rien respecter. Un disque exceptionnel passé évidemment inaperçu (ils
ont beau être portugais, ils chantent – très correctement – en anglais et sont
distribués par une major), et d’après le peu que je connais de Furtado et de
son œuvre, très nettement au-dessus de ce qu’il a pu produire avant ou après …