Y’en a pas beaucoup, des comme ça … je veux dire des
disques de rap qui pourraient plaire à ceux qui détestent le rap. Et pourtant
« Doggystyle » et Snoop, ce sont un peu le best of de tous les
clichés qui accompagnent le rap. Difficile de faire plus caricatural.
Snoop, c’est le petit délinquant de banlieue
californienne (Long Beach) qui file un coton de plus en plus mauvais (il est
accusé de meurtre pendant qu’il enregistre « Doggystyle », il sera
finalement acquitté), fumeur boulimique d’herbe, amateur de bling-bling et de
putes siliconées en string. Rappeur pour « spécialistes », il fait
partie du Dogg Pound (collectif tentant de se faire remarquer en cachetonnant
sur quelques disques), et il est crédité en 1992 sur « The chronic »
de Dr Dre (le meilleur pote de Snoop, Warren G, est le demi-frère de Dre, ceci
expliquant sans doute cela). Dès lors, le conte de fées sauce rap va pouvoir se
mettre en place. Un contrat signé avec le label Death Row Records du boss aux
méthodes de truand Suge Knight, et un premier disque produit par Dr. Dre. Qui
va faire un carton planétaire et de Snoop une légende du rap.
Snoop |
Snoop a t-il plus de talent que les autres ?
Euh, non. C’est plutôt un rappeur atypique, pas un technicien de la tchatche
avec sa voix nasillarde, traînarde et enfumée par tous les pétards qu’il
s’envoie. D’ailleurs, il est un peu feignasse sur les bords et laisse
volontiers le micro à ses potes (ses homies comme il dit). Les crédits,
participations et featurings sont interminables sur « Doggystyle » comme
d’ailleurs sur la plupart des disques de rap. Ce qui sort
« Doggystyle » du lot, c’est le boulot de Dr. Dre. Qui codifie
définitivement le gangsta-rap et sa variante de circonstance le g-funk (g pour
gangsta, évidemment). Un genre musical autour duquel il tournait depuis ses
débuts avec les NWA, qu’il peaufinait petit à petit, aidé par une culture
musicale phénoménale et un talent confinant plus souvent que de raison au génie
dès lors qu’il se mettait derrière une console de studio.
Dre démontre que la recette d’un disque de rap, ça
peut aller plus loin qu’un sample de James Brown, un type qui passe des vinyles
à l’envers, et un nègre à débit vocal de mitraillette en survet et casquette à
l’envers. Le nom même du genre est évidemment une référence au P-Funk de George
Clinton et de ses avatars Parliament et Funkadelic. Dre ne va pas se focaliser
uniquement sur les rythmiques métronomiques, il va aller exhumer des samples
venus du jazz, de la soul, du funk pré-disco, voire se mettre en phase avec les
dernières modes (si « Murder was the case », c’est pas du trip-hop,
je veux bien changer d’oreilles), sortir des lignes de basse fantastiques, et
écrire des mélodies d’une tuante évidence. Le résultat, autant un disque de pop
qu’un disque de rap, c’est une musique à l’opposé des stéréotypes de l’époque
du rap, une musique qui swingue et qui ondule, qui fourmille de trouvailles
sonores et d’arrangements malins.
Malins, on peut pas en dire autant des textes de
Snoop qui eux multiplient allusions malheureusement guère équivoques : la
gangsta-attitude et tous ses clichés violents et mysogynes, sa vulgarité à ras
du caniveau. Le pire, c’est qu’on ne peut guère soupçonner Snoop de jouer un
rôle de composition, les montagnes de dollars récoltées avec ce
« Doggystyle » en feront un type d’une prétention méprisable, qui
pour se faire remarquer quand ses disques deviendront moins bons, radicalisera
des propos racistes et sexistes. La parfaite tête de nœud imbue de sa propre
personne …
Le Dogg et Dr Dre |
Il n’empêche que « Doggystyle » fut perçu
à très juste titre comme un choc artistique, la conjonction de l’énorme talent
d’un type (Dr. Dre) avec son époque. Des titres vont particulièrement cartonner
(« Who am I », « Gin & juice », Doggy dogg
world »), mais quasiment tous auraient pu sortir en single. Un morceau
comme « Ain’t no fun » funke comme du Rick James, « Gz &
hustles » mélange groove pachydermique et comptine, « Tha
shiznit » est plein de gimmicks imparables, … ce sont ces innombrables
petites touches variées au sein d’un ensemble instantanément reconnaissable qui
caractérisent le mieux le boulot de titan de Dr. Dre.
Si pour Snoop Doggy Dogg ce « Doggystyle »
(titre à double sens, que ceux qui n’ont pas compris regardent le très moche crobard de la pochette, il y a
un indice …) représente un Everest dont il ne s’approchera plus, Dr. Dre a fait
au moins aussi fort dans le même genre avec « Regulate … G-Funk era »
de Warren G, son apogée en tant que producteur étant selon moi à chercher du
côté du « Slim Shady Lp » d’Eminem ou du « Get rich or die tryin’ »
de 50 Cent, parce que vendre des millions disques avec ces deux-là (un blanc
white trash et un des pires rappeurs de la décennie), faut vraiment le faire …