Le retour ...
Tiens, et si on causait de l’homme sans lequel il ne
serait pas venu à l’idée à Neil Young, Bruce Springsteen et Kurt Cobain entre
autres, de se fringuer avec des chemises de bûcheron à carreaux. John Fogerty himself. L’âme de Creedence Clearwater Revival, le plus grand groupe de pur
rock’n’roll américain (et donc d’ailleurs).
John
Fogerty, un type bien. Sorti de La Mecque des hippies, San Francisco, pour ramer à total
contre-courant du Summer of Love. Enfin, ramer n’est pas exactement le terme
qui convient, parce que Creedence, dont il était le guitariste, le chanteur et
l’unique compositeur, a vendu des millions de singles et d’albums, publiés à
une cadence infernale entre 68 et 72. Et puis, la brouille avec son frangin
Tom, et plus encore les embrouilles avec le patron du label Fantasy, le futur
producteur de films Saul Zaentz (Fogerty et Zaentz passeront des années devant
les tribunaux, et Fogerty pendant des années ne jouera plus en public aucun
titre de Creedence), mettront un terme à l’aventure Creedence. Fogerty publie
un embarrassant disque de country sous l’intitulé « Blue Ridge
Rangers » avant un premier album solo éponyme en 1975.
Ses démêlés juridiques le tiendront éloigné des
studios d’enregistrement pendant dix
ans. Et alors que tout le monde commençait à l’oublier, il revient avec ce
« Centerfield ». Un disque curieux, un 33T avec deux faces bien
distinctes.
La première face, c’est un voyage dans la machine à
remonter le temps, retour en 1970. Fogerty à lui tout seul (il joue de tous les
instruments, guitare, basse, batterie, saxo) refait du Creedence et ces cinq
titres valent ceux de son âge d’or, et remettent un certain nombre de pendules
à l’heure. Oui, en ce mitan des années 80, on peut faire du strict rock’n’roll
sans que ça sonne ringard, et on peut même glisser des titres dans le haut des
charts (« The old man down the road », et le fantastique hymne
revivaliste « Rock’n’roll girls »). On peut aussi cultiver la
nostalgie lucidement avec « I saw it on TV », et son texte qui balaye
plus de deux décennies de la vie américaine qui a vu tant de rêves idéalistes
se briser depuis l’assassinat de Kennedy. On peut aller encore plus loin en
arrière que le rock’n’roll, vers une country au son roots hallucinant
(« Big train (from Memphis) ». Et puis, envisager cette parution
de disque comme une autre façon de régler ses comptes avec Zaentz (le quasi
hard-rock avec ses gros riffs « Mr Greed »).
Et Fogerty doit en avoir gros sur la patate, parce
qu’il récidive au final du disque avec un des autres titres qui finiront dans
les charts, « Zanz kant danz », allusion guère équivoque. Tellement
limpide que, rebelote, nouvelles convocations au tribunal, pour ce titre, le
Zanz devenant Vanz sur les rééditions, mais aussi pour « The old man
… », que Zaents accuse Fogerty d’avoir plagié sur une chanson qu’il a
écrite du temps de Creedence mais dont il n’a plus les droits, « Run
through the jungle ». No comment …
Mais surtout, cette seconde face du vinyle met en
avant … des synthés, joués ( ? ) aussi par Fogerty. Oui, oui, le
représentant du rock le plus bouseux, le plus traditionaliste qui soit, a
rempli quatre titres des maudites machines des années 80, avec leur affreux
sons (notamment les batteries électroniques Simmons) instantanément
reconnaissables. Et même si ces arrangements ne sont pas mis inconsidérément en
avant, ils viennent un peu beaucoup parasiter trois compositions. Quant au
« Zanz kant danz » dont au sujet duquel j’ai déjà parlé, la question
ne se pose pas, il est entièrement « synthétique ». De ces morceaux
qui ont malgré tout fait tiquer, ressort pour moi « Centerfield » le
titre, dans lequel j’ai bien l’impression que Fogerty s’amuse à imiter
Springsteen (alors que jusqu’à présent et dans les meilleurs moments du
soi-disant Boss, c’était plutôt l’inverse).
Le succès de ce disque autant improbable qu’inespéré
sera considérable, un successeur à la pochette encore plus moche (« Eye of
the zombie ») le suivra de près. De trop près, peut-être, et ne marquera
guère les esprits. Fogerty tourne maintenant quelque peu dans le circuit
revival, ne reformera jamais Creedence, et ne retrouvera certainement plus le
niveau de cet inattendu « Centerfield ».
Du même sur ce blog :