Tu n'as rien vu à Hiroshima ...
« Hiroshima mon
amour » est le premier film d’Alain Resnais, pas un inconnu derrière la
caméra pour autant, réalisateur « engagé », dont un documentaire
« Nuit et brouillard » sur les camps de concentration nazis a déjà
marqué quelques esprits.
Cette guerre mondiale qu’il a
vécue (Renais est né en 1922) est aussi au cœur de son premier long métrage. Au
scénario, une jeune écrivain « Rive Gauche », qui rêve de faire
bouger les lignes de la littérature bourgeoise, Marguerite Duras. Ça tombe
bien, Resnais va faire évoluer le cinéma, et pas seulement français.
Les dix premières minutes de
« Hiroshima … » sont un choc visuel et esthétique. Des visions d’un
couple nu tout d’abord recouvert de cendres, entrecoupées d’images purement
documentaires sur une Hiroshima dévastée par la bombe atomique, une musique
lancinante et obsédante (signée Georges Delerue et Giovanni Fusco), et une
phrase qui revient, hypnotique : « Tu n’as rien vu à Hiroshima ».
Une ouverture qui laisse scotché, quelque peu béat devant cette forme
d’hermétisme où se mêlent poésie des corps enlacés et visions crues des
stigmates nucléaires sur la ville et ses habitants, morts ou rescapés …
Petit à petit, l’intrigue et
les personnages se mettent en place. Elle (jamais de prénoms ou de noms ne sont
cités) est française, actrice, et termine (c’est son dernier jour au Japon) un
tournage à Hiroshima. Lui est japonais, architecte. Tous les deux sont mariés,
ont certainement des enfants. La brève passion dévorante qui les unit touche à
sa fin, ils vont devoir irrémédiablement se séparer. Cette dernière journée
sera pour les deux l’occasion d’une mise à nu émotionnelle. Chacun a ses
secrets, des brisures profondes issues de la guerre.
Lui a au fond de son cœur le
traumatisme d’une population « atomisée » par l’ennemi militaire
(« Hiroshima … » n’est jamais un film à charge contre les Américains
qui ont bombardé, mais contre le bombardement lui-même et ses conséquences).
Elle, c’est le personnage
« fort » du film (assez rare dans le cinéma de l’époque, trop souvent
reflet d’une société patriarcale). Provinciale de Nevers, elle est tombée toute
jeune amoureuse d’un soldat allemand des troupes d’occupation (Bernard Fresson
dans un de ses premiers rôles). Là aussi, Resnais et Duras zappent
volontairement le nazisme. « Hiroshima … » n’est pas un film à
vocation idéologique, c’est un film sur une histoire d’amour impossible. Et
Elle fera dans ces dernières heures passées avec Lui un transfert de son amour
de jeunesse « immoral » (on sait comment ont fini en général ces
amants « maudits » de l’Occupation, et Elle et le soldat allemand n’y ont pas échappé) avec
son amour forcément sans suite inenvisageable avec Lui, allant jusqu’à
fusionner ces deux hommes qui ont traversé sa vie à quinze ans d’intervalle.
C’est le récit de cette liaison
à Nevers, alors qu’ils sont attablés dans un bar, qui est le cœur du film. Un
récit que rien ne vient parasiter, pas de musique, aucun bruit d’ambiance, seul
le dialogue des deux acteurs, et le parallèle et la confusion entre l’Allemand
et le Japonais. Un récit conclu par une magistrale paire de claques qu’Il lui
donne.
Elle, c’est Emmanuelle Riva,
troublante (très) plus que belle. Lui, c’est un acteur japonais Eiji Okada. Il
y a dans leurs échanges tout ce détachement, cette lenteur typiques des
dialogues de ce qui deviendra la Nouvelle Vague et que ce film commence à
codifier. Tous ces gros plans, ces regards fixes, comme éteints par le poids de
leurs destins, alors que l’on sent à l’intérieur l’incendie qui les consume.
Resnais fait preuve sinon de
virtuosité, du moins d’une maîtrise certaine, dans ces deux histoires d’amour
qu’il mène en parallèle. Si la fin de la première est montrée, celle
d’Hiroshima est laissée en suspens, même si rien ne laisse supposer une happy
end. Resnais joue les contrastes entre une ville de la France victorieuse, mais
terne et grise, et celle d’Hiroshima, rasée mais qui renaît dans la lumière et
le mouvement.
« Hiroshima … » a été
dès sa sortie perçu comme un chef-d’œuvre, un film sans équivalent, sans
référence dans le passé du septième art. Bon, je vais pas jouer les malins,
mais j’en ai vu une. L’hôtel dans lequel Elle est descendue et dont on voit l'enseigne dans la dernière bobine s’appelle
le Casablanca Hotel … Euh, « Casablanca », ce serait-il pas
un film avec Bogart et Bergman qui raconte leur impossible amour sur fond de
guerre mondiale ? Et ça ne voudrait-il pas dire que les deux films ont le même épilogue, même si ici il n'est pas montré ?