On nous cache tout, on nous dit rien ...
Tout le monde aime Jacques Dutronc. Généralement pour de
mauvaises raisons. Dutronc est pour certains au Panthéon de la chanson
française de qualité. Faut pas déconner, il a pas écrit les paroles d’un seul
de ses bons titres. Et des bons titres, justement, hormis peut-être le
scato-punk-rockab « Merde in France », il en a pas sorti un depuis
presque 45 ans.
Alors, faute de bonnes chansons depuis des siècles, on se
gargarise du personnage Dutronc. Le gentil poivrot à l’humour tongue-in-cheek,
le dandy feignasse, le timide qui cache ses complexes derrière ses Ray-Ban,
l’amoureux des chats et de la Corse, que sais-je encore … Et le mari de
Françoise Hardy. Françoise Hardy ? Qui a dit ça ? Ah, ben là, fallait
pas, ça va tomber comme à Gravelotte. Cette vieille mémère bobo diseuse de bonne
aventure me gonfle grave, surtout quand elle parle. Ce qu’elle raconte est du
même tonneau que ce que raconte sa quasi contemporaine Brigitte Bardot, une
piquette verbale plus qu’idéologiquement douteuse. Mais voilà, celle qui buvait
des drinks dans les boîtes londoniennes avec Mick Jagger, Keith Richard et
Brian Jones, qui avait Bob Dylan à ses pieds dans un hôtel parisien, a fini par
croire que ces gens-là la trouvaient intéressante et cultivée. Ben non, ils
voulaient juste te sauter, parce que tu représentais un fantasme, l’image de la
fille idéale des sixties avec ton look longiligne, tes grands yeux tristes et
tes mini-jupes Paco Rabanne. Ils en avaient rien à cirer de ce que tu pouvais
raconter, faudrait comprendre ça un jour, et la fermer maintenant … Voilà,
voilà … Les inconvénients du direct …
Revenons donc à Dutronc. Très surestimé selon moi depuis
ce disque, aucun de ceux qui ont suivi n’atteindra le niveau de ce premier
effort. C’est bien simple, au moins la
moitié de ses meilleurs titres est sur ce « Jacques Dutronc » de
1967. Même pas un « vrai » disque, puisque la réunion de 3 Eps parus
un peu plus tôt dans l’année, mais qu’importe. Un Dutronc qu’il faut replacer
dans le contexte de l’époque, la France de De Gaulle, en pleine vague yé-yé
retombante. Dutronc est grouillot chez les disques Vogue, guitariste dilettante
d’un groupe de quatrième zone, El Toro et les Cyclones. Son patron chez Vogue,
Jacques Wolfsohn cherche un concurrent à Antoine. Dutronc amène des chansons
qu’il a composées, aux textes signés Jacques Lanzmann, écrivain
« engagé » (en gros, proche des idées communistes). Pour ne pas rater
le train contestataire mis sur les rails par Antoine, et faute d’avoir mieux
sous la main, Wolfsohn poussera Dutronc derrière le micro … on connaît la suite…
Dutronc est un amateur de rock. Ça se voit rien que sur
la pochette, tenue vestimentaire mod classique, le même genre de fringues que
portaient Steve Marriott, Pete Townsend, Roger Daltrey et les frangins Davis
sur leurs photos en 1966. Et dès qu’il y a un titre « rock » chez
Dutronc, on retrouve tous les tics sonores repérés chez Small Faces, Who ou
Kinks, mélodies énergiques et guitares
fuzz (« Sur une nappe de restaurant », « J’ai mis un tigre
… », le quasi Sonics « Les gens sont fous … », le très méchamment
rock’n’roll « Mini-mini-mini »).
Il y a dans ce premier disque les titres mythiques de
Dutronc, le sarcastique doo-wop « Les Playboys », le sautillant et
syncopé « Et moi et moi et moi », qui forgera l’image de Dutronc,
gentiment cynique et j’menfoutiste, le rhytmn’n’blues cuivré « On nous
cache tout, on nous dit rien », l’incontournable rock garage primaire
« Les Cactus ».
Et surtout le chef-d’œuvre absolu « La fille du Père
Noel ». Au moins dans le Top 5 des meilleurs titres de rock publiés par
des Français. Même si Dutronc s’est pas foulé, il a pompé le riff de « I’m
a man » de Bo Diddley (lequel l’avait déjà emprunté au « Hoochie
Coochie Man » de Willie Dixon et Muddy Waters) … On va pas lui jeter la
pierre pour ça, d’autant que quelques années plus tard, un certain David Bowie
recyclera le même riff pour son « Jean Genie », l’histoire du rock
n’étant en définitive faite que de pillages et « emprunts ».
Il y a aussi d’autres titres sur ce disque.
Malheureusement, est-on tenté d’écrire. Des pochades bâclées (Dutronc ne joue
pas les fainéants, c’en est un) qui préfigurent les funestes titres qui ne tarderont pas à inonder son répertoire
(« L’opération », sans intérêt, les arpèges byrdsiens de « L’espace
d’une fille » jetés sans conviction). Ou le terrifiant « La
compapade », grotesque morceau qui fleure bon les slogans « Y’a bon
Banania », et annonciateur des horreurs genre « L’hôtesse de
l’air » qui ravissent toujours aujourd’hui les beaufs en goguette…
Malgré tout, vers 66-67, Dutronc est globalement
excellent. Ça ne durera guère …