Un coup de froid ...
Les années 70 ont été la décennie prodigieuse de
Stevie Wonder, culminant en 1976 avec le double 33T « Songs in the key of
life », qui devrait être dans le Top 10 de quiconque ayant des oreilles et
un cœur en état de marche … On ne sort pas indemne de la production de tels
monuments, et Wonder attendit trois ans avant de lui donner une suite, plus ou
moins un album de commande pour une bonne cause ou prétendue telle (une
fondation écolo), le pas terrible (également double vinyle) « Journey
throught the secret life of plants ». On l’excusa pour ce faux pas et on
attendit la suite. Qui s’appelle « Hotter than July ».
Et rien qu’à voir le livret, liste interminable de
musiciens de séances, on se dit que pas mal de choses ont changé. Révolu le
temps de l’ermite génial révolutionnant la soul musique tout seul dans son
studio avec ses machines, place au notable de la variété qui vient livrer son
nouveau blockbuster. Car c’est bien de courbes de ventes qu’il s’agit avec
« Hotter than July », qui sera le disque de Wonder qui se vendra le
mieux (on parle de millions d’exemplaires, là, pas de succès d’estime).
Pour moi, « Hotter than July » marque le
début de la fin, de cette inexplicable dérive qui verra un des artistes les
plus doués et les plus originaux de sa génération, sombrer dans la mélasse
artistique. Bon, il n’y a encore rien d’aussi honteux que « I just call to say I love you », mais enfin on s’en
approche à grand pas. Le plus frappant est l’évolution de la voix de Stevie
Wonder. Auparavant gorgée d’émotion et de feeling, ce qui l’entraînait parfois
à la limite de la justesse, elle est sur ce disque très en place, trop en
place, techniquement irréprochable, mais beaucoup moins chaude que par le passé
récent. En cause aussi, ce revirement artistique, qui le voit passer de la
création solitaire de disques à une liste de participants interminables sur
tous les titres. Des musiciens compétents de studio, certes, mais sûrement pas
des pointures qui auraient tiré les morceaux vers le haut. Oui, je sais, il y a
Michael Jackson sur un titre (« All I do »), mais il n’était pas
encore le « King of Pop », il n’est que dans les chœurs, et on ne le distingue même pas …
Certains de ses biographes ont souligné, peut-être à
juste titre, l’instabilité de sa vie privée à cette époque-là, une relation pas
au beau fixe avec sa compagne Yolanda Simmons, conjuguée à la présence de son
ancienne femme Syreeta Wright dans les chœurs du disque. Mais bon, Stevie
Wonder a toujours eu un cœur d’artichaut, c’est pas ça qui l’avait empêché de
faire de bons disques auparavant. Peut-être simplement est-il comme à peu près
tous les autres, après avoir atteint les sommets, il ne pouvait qu’en
redescendre.
La cassure est pour moi nette, sans que pour autant
ce « Hotter than July » soit infâme. Il est bien moins bon que les
précédents, c’est tout. Même s’il subsiste de belles choses comme « I
ain’t gonna stand for it » disco-funk dans l’air du temps mais tout entier
imprégné de la « patte » Wonder, la ballade lacrymale
« Lately », encore digne, mais qui annonce toutes celles
pleurnichardes à venir. Egalement au crédit de ce disque, les trois hommages,
avec des résultats différents.
La meilleure vente en 45T de Stevie Wonder |
Un à Tammi Terrell, la chanteuse de la Motown morte
sur scène dans les bras de Marvin Gaye, et pour laquelle l’alors tout jeune
Little Stevie avait écrit un titre resté par la force des choses dans les
tiroirs, ce « All I do » réarrangé pour l’occasion ici, et morceau
sinon crucial, du moins intéressant.
Second hommage à Bob Marley qui par son charisme
avait fortement impressionné Wonder. En pleine reggaemania et Marleymania,
Wonder écrit ce qui deviendra le plus gros hit du disque « Master Blaster
(Jammin’) » en partie inspiré par le « Jammin’ » de Marley. La
mort de Marley six mois après la sortie de « Hotter than July »
affectera profondément et durablement Stevie Wonder.
Dernier hommage (et dernier titre du disque)
« Happy birthday » à la mémoire de Martin Luther King et pour que
soit instauré un jour férié correspondant à l’anniversaire de sa mort, ou
plutôt de son assassinat. Intention hautement louable, sauf que ce morceau est
une horrible scie interminable …
La
poignée de titres restant sont soit mauvais (« Rocket love »,
« As if you read my mind », l’atroce « Catch in your
face ») soit insignifiants (« Did I hear … », « Do like
you »).
« Hotter than July » est le disque
charnière de Stevie Wonder. Avant tout est bon, par la suite tout sera à peu
près à jeter …
Du même sur ce blog :
Talking Book
Innervisions
Du même sur ce blog :
Talking Book
Innervisions