Krautrock
Ils devaient commencer à avoir les boules, les
Faust, de voir qualifier leur musique de « krautrock » (« rock
de Boches ») par la presse anglaise, grande colleuse d’étiquettes. Et
surtout de l’opposition entre leur musique et les bouses sonores du prog
anglais auquel on les comparait.
D’un côté, les pénibles british fans de classique,
et leurs purges racontant des histoires d’elfes, de donjons et de dragons, en
gros toutes ces billevesées et calembredaines inspirées par l’univers médiéval de Tolkien. Tandis
que les Faust, dans leur communauté bavaroise, le soir à la veillée, ils se
racontaient pas les histoires de Bilbo le Hobbit, ils discutaient avec les gars
et les filles qui faisaient ou allaient faire partie des Brigades Rouges, Bande
à Baader, Fraction Armée Rouge, qu’ils hébergeaient (ou planquaient, c’est
selon).
Prêts à partir dans tous les sens : Faust 1973 |
Les Faust étaient dans leur tête des
révolutionnaires, à des lieues de l’image d’Epinal du hippy allemand avachi,
s’apprêtant à envahir le Larzac ou l’Ardèche. Niveau musical, ils venaient de
l’avant-garde, Stockhausen est souvent cité, en compagnie des Stooges, du
Velvet Underground, des Mothers de Zappa. Alors forcément ça part un peu dans
tous les sens, et quelquefois droit dans le mur. Les Faust sont capables de
crétineries sonores absolues, comme de fulgurances électriques inouïes.
Ce « Faust IV », c’est le disque de
« Krautrock », le titre. Un déluge de guitares et de claviers, sept
minutes de stridences, à faire passer le Velvet de « Sister Ray »
pour la Bande à Basile. Et puis, comme si ça ne suffisait pas avec ce mur de
larsens et de feedback, y’a le batteur qui arrive et commence à enclumer cinq
minutes de plus. Le genre de titre qui laisse vidé, lessivé, essoré par tant de
jusqu’auboutisme…
Alors le reste de la rondelle, à côté de cette orgie
de sons bouillonnants, elle fait triste figure. D’autant plus que se glissent
quelques bêtises comme « Läuft … », qui malgré son titre en teuton
est chanté dans un français incompréhensible (y’a un Français dans Faust), et
nous sert un folk acoustique et psychédélique interminable juste bon à ravir
quelque malentendant fan de Devendra Banhart. Rayon atroce, une sorte de reggae
mutant (« The sad skinhead »), à faire passer Jahnick Noah pour
Burning Spear. L’enchaînement « Just a second …» donne l’impression
que dans leurs antiques synthés ce sont les circuits imprimés qui ont pris le
pouvoir, et ça me paraît totalement inaudible.
Le reste, faut voir, car les types de Faust prennent
un malin plaisir à déconstruire, à brouiller les pistes. « Giggy
smile » est un rock psychédélique qui part dans tous les sens genre Zappa,
c’est à dire en perpétuel équilibre entre génie et fumisterie ; « It’s
a bit of a pain » serait une ballade captivante si elle n’était pas
perturbée par des couinements (y’a pas d’autre mot) synthétiques genre kazoo
échantillonné.
On a l’impression que les Faust ont quelque peu
saboté le boulot (mais avaient-ils vraiment envie de le réussir ?). Ce
disque assez incohérent, suivant l’encore plus ardu « Faust tapes »,
va faire voir rouge (enfin, façon de parler) à Richard Branson qui vient de les
signer sur Virgin. Groupe totalement ingérable et imprévisible, Faust va cesser
d’émettre pendant plus de vingt ans avant un retour au milieu des années 90,
qui aura beaucoup moins de retentissement que la période conclue par ce
« Faust IV ».