Piano Man
En voilà un qui porte un nom lui interdisant la médiocrité. Parce qu’on n’aurait pas fini de se gausser. Pensez, le fils à Loudon Wainwright III et Kate McGarrigle, neveu d’Anna McGarrigle, frère aîné de Martha Wainwright … Que des musiciens dans la famille, et des parents très cotés dans leur Canada natal.
Ce « Want two » est un disque ambitieux, résultant des séances qui avaient également produit « Want one » quelques mois plus tôt. Il faut être assez sûr de soi et de son talent pour commencer un disque par un titre incantatoire en latin (« Agnus Dei »), prière sublime qui jette un pont entre le « Hallelujah » version Jeff Buckley et le qawwali de Nusrat Fateh Ali Khan. Un titre qui d’entrée file des frissons. « The one you love » qui suit est la chanson pop parfaite, forcément sous forte influence anglaise de la chose, avec chœurs féminins séraphiques.
Après pareille entame, on se dit que l’on tient là un très grand disque. Et puis, insidieusement, on déchante. Tout le cœur du Cd repose sur des tempos traînants, avec piano omniprésent, et clins d’œil plus qu’appuyés à la musique classique ou baroque. Et un parti pris souvent agaçant de chanter dans un registre proche de celui de Jeff Buckley, la qualité d’écriture en moins. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si « Memphis Skyline » est un hommage au noyé du Mississippi … Et à la longue, cette préciosité de l’instrumentation, ces parties de piano chiadées, cette voix affectée et maniérée, finissent par lasser.
Bon, des disques plus pénibles que celui-là, on en connaît. Des tas, même. Et il faut reconnaître que Wainwright sait composer, mais pendant une demi-heure on a l’impression d’entendre toujours le même titre. Et par un curieux effet de symétrie, il faut arriver aux dernières plages pour retrouver la qualité aperçue au début. « Crumb by crumb », pop planante et psychédélique, comme une chute de « Meddle » du Floyd, le duo avec Antony (des Johnsons), sur lequel l’empilement de vibrato de l’irréelle voix de l’Anglais fait merveille, sur une structure rythmique qui n’est pas sans rappeler celles des Talking Heads période « Remain in light ». Beaucoup plus anecdotique est la courte reprise d’un titre d’Arletty chantée, une fois n’est pas coutume quand il s’agit d’anglo-saxons, dans un français très compréhensible (Rufus Wainwright est à peu près bilingue).
Il faut aussi évoquer l’homosexualité revendiquée de Wainwright, car le thème revient dans certains titres, notamment un « Gay Messiah », qui vaut plus par le caractère iconoclaste du texte que par l’accompagnement musical.
En définitive, un disque quelque peu frustrant, car on a l’impression, malgré une bonne poignée d’excellents morceaux, que Rufus Wainwright est passé à côté de la réalisation d’une œuvre majeure.