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FRANCIS FORD COPPOLA - LE PARRAIN II (1974)

Only the strong survive ...
« Le Parrain », 1er du nom, avait été un immense succès tant critique que public. Coppola en avait cependant gardé un mauvais souvenir, en butte perpétuelle avec les budgets et les producteurs de la Paramount. Une suite était pour lui totalement hors de propos. D’ailleurs, il faisait un pied-de-nez à son film-référence en tournant le névrotique et intimiste « Conversation secrète ».
On peut croire Coppola sincère quand dans la version du film qu’il commente dans le Blu-ray, sa première phrase est « Voici « Le Parrain 2 », un film que je n’avais pas vraiment envie de tourner au départ ». C’était sans compter sur la persévérance des gros cigares de la Paramount. Qui reniflent avec une suite du « Parrain » le jackpot. Et qui finissent par faire à Coppola le genre de proposition qu’on est obligé d’étudier. Budget doublé, totale liberté du choix des acteurs et du scénario. Coppola tente de feinter, en proposant comme réalisateur un certain Scorsese, petit italo-américain (of course) naturellement et chimiquement speedé dont un film urbain et teigneux sur des petits malfrats (« Mean streets ») l’a impressionné. Cris d’orfraie des financiers de la Paramount, pas question de Scorsese. Coppola est piégé, ne peut que livrer un baroud d’honneur sur le titre du film. Lui veut « Le Parrain 2 », le studio met son veto, on n’a jamais vu dans les annales d’Hollywood une suite de film numérotée, ça ne peut pas marcher. Toutes ces tergiversations jouent en faveur de Coppola, les studios veulent vite la suite, et finissent par céder totalement aux desiderata de leur poule aux œufs d’or …
La famille de Vito Corleone
Coppola se met à l’écriture avec l’auteur du roman dont était tiré le premier film, Mario Puzo. Coppola n’a mis en scène qu’une partie du bouquin. Du coup, la moitié de la suite est déjà écrite, celle qui raconte la jeunesse et l’accession au titre de « Parrain » de Vito Corleone. La moitié seulement, car pas question de laisser tomber Michael Corleone, dont la lente et inexorable ascension constituait la trame du premier volet. Surtout que Pacino, l’acteur qui a maintenant Hollywood à ses pieds, est partant pour la suite (moyennant quelques caprices de diva, il faudra réécrire quelques scènes à sa demande) ainsi que l’essentiel des survivants (au figuré) du premier casting (Duvall, Keaton, Cazale, Shire, …). Là où se situe le coup de génie de Coppola, c’est de faire en même temps un prequel et un sequel de son succès. Bon, faudra se passer de Brando, qui refusera un pont d’or (il s’estimait – entre autres – sous-payé lors du premier volet) pour apparaître dans la suite, mais laissera toujours planer le doute jusqu’au dernier jour du tournage sur une possible apparition. Coup de poker (gagnant) avec pour reprendre le personnage de Vito Corleone, le jeune espoir Robert de Niro, repéré par Coppola dans « Mean streets » (toujours la connexion italo-blablabla …).
La solitude du tueur de fond ...
Le succès raz-de-marée planétaire du « Parrain », mettait peut-être la pression sur l’équipe, mais avait montré tellement de points d’ancrage scénaristiques solides que sa suite coulait de source. Les similitudes entre les deux films sont volontairement légion, des scènes du premier se retrouvent par effet de miroir quasiment plagiés dans le second, Coppola le reconnaît volontiers et prend un malin plaisir à le souligner dans ses commentaires. Le seul pari de mise en scène (qui est devenu un modèle et a bien fait école), c’est cette juxtaposition non chronologique des destins du père et du fils, à travers de longues séquences de leurs aventures. On passe un quart d’heure avec De Niro – Vito, vingt minutes avec Pacino – Michael, puis on revient sur De Niro … Un procédé casse-gueule, parce que les « affaires » de Michael ne sont pas très simples, et du coup quelques seconds rôles laissent perplexes, genre « mais il est avec qui, lui ? ».
Il y a un parallèle dans ces deux histoires, le père comme le fils veulent monter toujours plus haut, jouant les Icare de la délinquance, quitte à risquer de se cramer les ailes. Il y a aussi une grosse différence entre ces deux destins. Vito à mesure qu’il « s’élève », bâtit toute sa vie sur la construction d’une famille dans tous les sens du terme (un ménage avec des enfants, puis des « amis »). De son côté Michael n’a plus aucune limite géographique dans son ambition (il est passé du quartier de New-York à des « investissements » internationaux), et son ascension qu’il veut hégémonique dans le milieu du crime organisé le conduit à tout perdre ou à tout détruire dans sa famille. Plus Vito devient important, plus il est entouré. Le Michael triomphant après les traditionnels  bains de sang menés en parallèle dans le final est un homme seul, regardant à travers une véranda un homme de main exécuter sur son ordre son propre frère. La vengeance (l’honneur de la famille, du clan, disent les mafieux) guidait ses actions dans le premier film, dans « Le Parrain 2 », c’est juste la soif de pouvoir … Mais tout çà, c’est de l’analyse à deux balles quand on a vu plusieurs fois le(s) film(s), et qu’on a entendu Coppola en causer pendant trois heures et vingt-deux minutes ( !!).
Pacino - Cazale : le baiser de la mort
Non, la base, ce qui fait qu’un film va rencontrer un succès colossal (quand même pas autant que le premier qui avait placé la barre très haut), c’est que les gens vont se précipiter pour aller le voir. Pour cette saga familiale, pour quelques scènes sanguines, pour quelques reconstitutions méticuleuses (le Cuba de Batista, les fringues, accessoires et bagnoles d’époque, … pas de fausses notes), et parce qu’il y a des types (ou des nanas) qui crèvent l’écran. On a beau jeu de dire quarante ans plus tard que ouais, c’est facile de faire un carton avec Pacino et De Niro, sauf que c’est Coppola qui les a tous les deux lancés pour la première fois devant le « grand public » dans cette saga. Ce serait oublier aussi qu’un film de plus de trois heures ne tient pas la route s’il n’y a pas de grands seconds rôles. Diane Keaton est excellente dans ce monde hyper patriarcal (fabuleuse scène conclue par une beigne d’anthologie quand elle avoue son avortement), Duvall impeccable tout en sobriété économe, Cazale livre sa meilleure prestation (et malgré sa trop courte carrière, il n’a pas exactement tourné que des navets). Comment ne pas citer la performance des quasi inconnus Michael V. Gazzo (le mafieux repenti) ou Gastone Moschin (le caïd de quartier buté par De Niro). D’autres acteurs ne sont pas là par hasard. Roger Corman (apparition fugitive dans le rôle d’un sénateur de la Commission d’Enquête) est un producteur indépendant qui a soutenu les débuts de Coppola et l’ennemi de Michael (le machiavélique Hyman Roth) est tenu par Lee Strassberg cofondateur et principale cheville ouvrière de l’Actor’s Studio auquel le cinéma américain des années 70 doit tant. Last but not least, que serait un film de Coppola sans la « famille » ? La vraie, celle du sang, papa à la musique (bien aidé par Nino Rota quand même), la frangine Talia Shire dans un second rôle, quelques apparitions fugitives d’oncles, neveux, enfants. Même Maman Coppola est du casting. C’est elle qui, maquillée, joue (enfin, façon de parler) la mère morte de Michael parce que la préposée au rôle, très croyante et superstitieuse, avait refusé de s’allonger dans le cercueil. La « famille » de Coppola, c’est aussi la communauté italo-américaine et les patronymes sentant bon Calabre, Sicile, Pouilles et autres contrées du Mezzogiorno n’arrêtent pas de défiler lors du générique (de façon un peu moins hégémonique que sur le premier volet tout de même).
Coppola et ses acteurs attendent Brando ...
Coppola ne voulait pas de cette suite, et encore moins d’une autre (qu’il finira par tourner ses affaires allant mal juste pour le fric, sans conviction, et ça se verra). Il glisse donc en épilogue une scène censée faire la liaison entre deux époques de la saga, le moment évoqué dans le premier volet ou Michael se met, rompant tous les codes mis en place par son père, en marge de sa famille. Il annonce à ses frères alors que tous attendent l’arrivée du Père qui fête son anniversaire son engagement dans l’armée après Pearl Harbour. Coppola avait fait revenir pour cette scène James Caan et Brando était censé apparaître. Jusqu’à la veille du tournage, tout le staff espérait encore sa présence. On n’entend hors-champ qu’une porte qui s’ouvre et le bruit de ses pas …
La boucle était définitivement bouclée …


P.S. Malgré la remastérisation (par les studios Zoetrope de Coppola himself) le Bluray n’est pas un de ceux qui feront date en matière technique, même s’il est correct. Bon, le support original date de 1974, ceci expliquant sans doute cela …

Du même sur ce blog :


ROB REINER - THIS IS SPINAL TAP (1984)

Top ...
2014. Le rock a pile poil soixante ans. Et putain il fait son âge …
1984. Le rock a pile poil trente ans. Et putain ça commence à merder sévère… On ne brûle plus depuis longtemps les skeuds d’Elvis (tout juste si quelque prêcheur baptiste fait des feux de joie avec ceux d’AC/DC sous les sarcasmes généraux), le rock est devenu mainstream et surtout un vaste bizness. Les comptables et les directeurs de marketing ont pris le pouvoir dans les maisons de disques, toute une industrie lourde se met en place pour vendre de la « musique du Diable » formatée, ne lésinant sur l’emploi d’aucune grosse ficelle pour attirer le chaland.
Smalls, Tufnel, Saint Hubbins & DeBergi
C’est dans ce contexte que paraît « Spinal Tap », le film définitif sur le monde du rock. Pourquoi « Spinal Tap » est définitif ? Parce qu’il appuie là où ça fait mal, et là où ça fait rire. L’idée de génie de son réalisateur, l’inconnu Rob Reiner est de présenter son film comme un documentaire (documenteur ?, rockumentaire ?), sur une tournée américaine d’un groupe de hard anglais au creux de la vague, Spinal Tap.
« Spinal Tap » est un film qui se mérite, faut avoir auparavant lu, écouté, vu, des interviews de musiciens, leurs disques, leurs VHS. Faut une « culture » de base de la chose rock et du rock’n’roll circus qui gravite autour. Evidemment, le but du jeu, à travers les situations loufoques et les scènes devenues cultes, est de rechercher « qui sont » vraiment Spinal Tap. Ben, Spinal Tap, c’est Spinal Tap … Autre coup génie de Reiner et sa clique, c’est de faire des décennies après comme si Spinal Tap existait. D’ailleurs Spinal Tap existe, ils sortent des disques, ont joué (et pas en playback) au Live Aid, ou au Royal Albert Hall, comme on peut le voir dans les bonus du BluRay. Un peu le principe des poupées gigognes appliqué au groupe Spinal Tap, il y a toujours un gag dans le gag, et ça semble sans fin.
Un effet scénique avorté dans l’œuf
Rien ne fonctionnerait dans ce film si les acteurs n’étaient pas des musiciens, ce sont eux qui ont composé et jouent leurs titres. Définitivement, Spinal Tap existe réellement, quel que soit le niveau de la caricature offerte. Et le monde du hard-rock (qui domine les charts et les ventes au début des années 80) fournit un cortège d’attitudes, de codes, de lieux communs qui deviennent jubilatoires. On retient bien sûr de « Spinal Tap » les vannes majeures (l’ampli qui va jusqu’à onze, les « Hello Cleveland » braillés alors que le groupe se perd dans les coulisses, la courgette enveloppée dans du papier alu dans le slip, et quantité d’autres …). Mais dans « Spinal Tap », tout est détourné, chaque situation, chaque plan, chaque image, touchent au subliminal.
Spinal Tap, le groupe, est anglais. Ça évite de froisser quelques susceptibilités chez les Américains, a priori peu portés sur l’auto-dérision. Et pourtant, Nigel Tufnel, le guitariste brun, tire la langue comme Gene Simmons de Kiss, accroche une ribambelle de médiators au pied de micro comme Hendrix ou Joe Perry, a le contour des yeux maquillés comme Alice Cooper, … Nick Saint-Hubbins, le chanteur-guitariste blond, évoque immanquablement Robin Zander de Cheap Trick, David Lee Roth des Van Halen mais aussi Peter Frampton (anglais certes, mais qui a écoulé les millions de son « Comes alive » quasi uniquement aux States) … Le nom du groupe avec le tréma sur le « N » (putain comment on fait pour l’écrire avec Word ?) renvoie certes à Motörhead (et le basssite à Lemmy), mais aussi à Mötley Crue et Blue Öyster Cult. Certes les analogies avec de vrais groupes anglais dominent, mais il est amusant de constater que parmi les intervenants dans les bonus, tous sont Américains et se focalisent sur les Anglais. Certains « spécialistes » affirmant que le modèle de Spinal Tap serait Saxon, ce qui est quelque peu réducteur. Certes personne dans Saxon n’était candidat au prix Nobel, mais ils étaient pas plus cons que … les autres en fait, et depuis on en a vu des crétins terminaux se lancer dans le gros riff qui déchire sa race (non, pas de noms, on en finirait jamais de citer des abrutis en pantacourts). Autrement dit, si les Spinal Tap sont présentés comme des zozos un peu limités, peu dans les générations suivantes ont retenu la leçon et s’embourbent à qui mieux-mieux dans le ridicule. Suffit de voir dans les bonus les Kings Of Leon, encore bourrés et / ou défoncés de la veille, ne pas se rendre compte qu’ils livrent une interview plus spinaltapienne que les originaux …
Les grandioses décors de Stonehenge
L’histoire et le scénario de « Spinal Tap » tiennent sur l’ourlet d’un string de Nabila, mais chaque image, chaque mot, chaque regard des acteurs, renvoie à quelque chose de vu ou entendu chez d’autres. La caricature aurait pu se limiter à la mise en ridicule du hard-rock bas de gamme, genre quand même un peu neuneu. Même pas, les dieux vivants du rock en prennent aussi. Si Tufnel qui joue de la guitare avec un violon, c’est pas une allusion à l’archet de Jimmy Page sur « Dazed & confused », je veux bien prendre un abonnement pour le prochain Hellfest. Si le même Tufnel qui reste bloqué en se roulant par terre pendant son solo, c’est pas du foutage de gueule d’AC/DC et des Scorpions, si sa collection de guitares et son air perpétuellement maussade, c’est pas tout repiqué sur Jeff Beck, si la double basse de Derek Smalls c’est pas « inspiré » direct du crétin congénital Chris Squire de … Yes (c’est bien, vous suivez) qui lui en avait trois empilées (pour en faire quoi, on ne saura jamais), si la courgette ça vient pas de Jagger qui pendant la tournée « Some girls » avait l’habitude de glisser une bouteille de Coca sous sa braguette, si … etc, etc … Avec son aspect j’menfoutiste tourné avec les pieds, « Spinal Tap » révèle de nouveaux trésors à chaque visionnage, ou a contrario, on lit une anecdote, on voit un clip ou une interview, et bingo, on comprend les codes d’un plan de « Spinal Tap ».
Problème de courgette à l'aéroport
Les musiciens sont au centre de l’attention, évidemment, mais tous les personnages qui gravitent autour sont des caricatures, à commencer par Reiner lui-même qui se met en scène en tant que Marty DeBergi, pseudo-journaliste nonchalant auteur du « documentaire », la femme de Saint Hubbins qui s’improvise manageuse (just like Sharon Osbourne avec son Ozzy) en remplacement d’un blondinet manieur de battes de cricket (Peter Grant ? ouais, mais le manager de Led Zep avait des méthodes bien plus brutales et n’était pas blond), les attaché(e)s de presse vils et veules, le patron de la maison de disques Polymer (que ceux qui n’ont pas compris la double vanne se fassent connaître, ils gagnent l’intégrale de Venom), avec pour ce rôle-éclair Patrick McNee … même Anjelica Huston fait une apparition de quelques secondes.
Reiner et ses scénaristes (les vrais-faux membres de Spinal Tap) montrent qu’il maîtrisent parfaitement un genre qui tient l’essentiel du film, et qui nous montre le présent du groupe. Mais la pseudo-histoire de Spinal Tap qui sert de fil rouge vaut aussi le détour, avec sa kyrielle de batteurs maudits (dont celui écrasé par sa tondeuse, l’autre victime d’auto-combustion sur scène, un troisième étouffé par du vomi, mais pas le sien !!!) les faux clips garantis imitation vintage (la bubblegum pop à la Herman Hermit’s, et la pop psychédélique très Buffalo Springfield – Byrds – Floyd de Barrett). La bande-son (originale évidemment, toujours par le même trio) s’amuse à pasticher Queen (« Fat bottom », hymne aux pétasses à gros cul), les groupes de hair metal (« Hell hole »). Enfin comment passer sous silence le fabuleux concept de « Stonehenge » (encore plus fort que le fumeux jeu de mots de Ten Years After), son intro très « Nous sommes du Soleil » de … (remplacer les points par  des insultes, liste exhaustive souhaitée) Yes, ses délires celtico-tolkienens, ses grandioses décors de 60 centimètres (running gag, lors du vrai concert donné par le faux groupe au Royal Albert Hall, le menhir trop monumental cette fois ne peut pas rentrer dans la salle) …

En conclusion, parce que je pourrais y passer des heures, il y a dans la vie de tout mélomane à la con (le type qui écoute du rock, quoi, et qui croit que c’est de la musique géniale faite par des génies), un avant et un après « Spinal Tap ». La fin du temps de l’innocence, en quelque sorte …


Du même sur ce blog :


FRANCIS FORD COPPOLA - LE PARRAIN (1972)

Les Anciens et les Modernes ...
« Le Parrain » premier du nom, c’est le film-jalon, le film-référence, celui autour duquel un genre (en gros le polar-film de gangsters) s’articule. Et … oh misère, qu’est-ce que vous voulez que je raconte sur ce film que vous ayez pas entendu ou lu des centaines de fois (notamment chez un certain Luc B., auteur ailleurs sur la Toile d’un article définitif sur ce film et sa suite …).
Coppola, Brandon & Pacino
Il y a eu un avant et un après « Parrain ». Mais surtout pour Coppola. Qui jouait son va-tout avec ce film. Jonglant avec un budget dont il n’avait pas l’habitude, lui qui se serait bien vu héritier américain de la Nouvelle Vague française, et qui végétait dans le « film d’auteur ». Jouant serré avec les financiers et les boss de la Paramount qui mettaient les dollars, et voulaient d’un réalisateur à leurs ordres. Edulcorant par son adaptation le bouquin de Mario Puzo, beaucoup plus trash et cul que le film, un bouquin qui au fur et à mesure que Coppola avançait dans la préparation et le tournage du film devenait un best-seller, ce qui accentuait la pression sur le réalisateur. Un Coppola composant avec un casting de bric et de broc, à savoir une superstar réputée ingérable (Brando), confrontée à un ramassis de troisièmes couteaux ou d’inconnus, voire même piochés dans le cercle familial (papa, maman, fifille, la petite sœur, …) parce que le budget explosait et que les personnages secondaires étaient légion … En fait, Coppola réunissait avec une persévérance louable tous les éléments susceptibles de ruiner  sa carrière. Bizarrement, il a avec cette fresque démesurée assuré sa fortune …
Parce que plus qu’un film, c’est d’une épopée, d’une saga, qu’il s’agit. Celle de la famille Corleone, dirigée d’une main de fer par un patriarche (Brando), une des familles qui comptent dans la mafia new-yorkaise. Qui dit mafia dit embrouilles et elles sont nombreuses, on a un peu de mal à s’y retrouver (et d’ailleurs quelques types au patronyme sentant bon la Calabre, la Sicile et les affaires douteuses qui vont avec ont été choqués de voir leur communauté présentée sous cet angle et se sont montrés « menaçants »), c’est au bout de plusieurs visionnages qu’on « s’approprie » tous les personnages. Qui nous sont tous présentés dans une séquence devenue mythique, les vingt sept minutes initiales de la noce. Tous les acteurs de la tragédie, certains n’intervenant que beaucoup plus tard dans le film y participent, dans cette alternance de scènes lumineuses et ensoleillées en extérieur, tandis que dans la pénombre de son bureau, le Parrain Corleone tire les ficelles (superbe lettrage "marionnete" de l'affiche du film au passage, très stylisée, mais tellement parlante …), dévide l’écheveau et tisse ses toiles dans un dédale de « petits services » et de gros délits. L’occasion déjà de s’apercevoir que le personnage de Vito Corleone va marquer les esprits des spectateurs et l’histoire du cinéma.
Caan, Brando, Pacino & Cazale
Qu’en serait-il de ce film sans Brando, that’s the question … Tant le Marlon livre une performance hallucinante de laquelle beaucoup de ceux qui deviendront les grandes stars des années suivantes s’inspireront. Performance typée Actor’s Studio certes, mais avec une patte tellement personnelle que Brando « est » Corleone. Et pourtant, les gros cigares de la Paramount n’en voulaient pas de lui, ils préféraient Laurence Olivier, prévu au départ. L’histoire du casting de Brando, avec le coton qu’il se met dans les joues, la voix cassée, le regard, les épaules voûtées comme s’il devait supporter toute la misère du monde fait partie de ces anecdotes qui n’en sont plus tant elles sont connues. Brando, assez « bizarre » tout de même allait effectuer en cette année 1972, un comeback fracassant, l’autre film sur lequel il sera tête d’affiche c’est rien de moins que « Le dernier tango à Paris », qui apprendra à toute une génération un usage alternatif du beurre … Deux films au succès que l’on pourrait qualifier d’accidentels, tant sur l’un comme sur l’autre, Brando a tout fait pour foutre le boxon sur le plateau de tournage et déstabiliser ses partenaires ... Il faut, même si ça dure trois heures comme le film, écouter sur le BluRay la version commentée par Coppola lui-même narrant au fur et à mesure des scènes les « trouvailles » de Brando pour déstabiliser ses partenaires, s’en donnant encore plus à cœur-joie quand il s’agit de simples figurants (à titre d’exemple, déjà qu’à l’instar d’Obélix il était naturellement un peu « enveloppé », Brando avait rajouté des barres de plomb sur son brancard quand on le ramenait de l’hôpital, juste pour voir la tronche que feraient les deux brancardiers, quand ils devraient le monter à l’étage …). Le refus de l’Oscar que Brando obtiendra pour son rôle dans « Le Parrain » ne fut dès lors qu’une surprise de pacotille, énième pirouette d’un type quand même assez mal en point dans sa tête …
Des lasagnes au petit déjeuner ?
La performance de Brando a tiré tout le casting du « Parrain » vers le haut. Pour beaucoup ce film est la première ligne glorieuse de leur CV (Pacino, Keaton, Duvall, Cazale, Caan), pour d’autres notamment l’ancienne gloire des roaring fifties Sterling Hayden dans le rôle du flic ripou qui finira buté par Pacino dans le restaurant, c’est un retour inespéré sous les feux de l’actualité …
Le succès et l’aura jamais démentie par le temps du « Parrain », apparaît, eu égard à ce qu’est devenu le cinéma « grand public » aujourd’hui comme une aberration. Le tournage n’a duré que soixante deux jours, essentiellement dans un studio new-yorkais, des scènes ont été mises en boîte sans que Coppola soit présent (c’est un de ses potes, un certain George Lucas qui était derrière la caméra), des plans « bizarres » ont été conservés faute de moyens (le plus « célèbre » étant celui devant l’hôtel de Las Vegas où l’on aperçoit fugitivement deux hippies très 70’s, alors que l’action est censée se situer à la fin des années 50). Coppola à maintes reprises a failli se voir débarqué du projet, ce qui ne l’a quand même pas empêché de glisser de temps en temps des hommages subliminaux. Le chanteur de charme, à l’origine de l’histoire dans l’histoire qui aboutira à la mémorable scène dite de « la tête de cheval », est directement inspiré, à tous niveaux, par Sinatra. De même, le guet-apens tendu à James Caan haché menu par les rafales de mitraillette renvoie à l’épilogue du « Bonnie & Clyde » d’Arthur Penn.
Comme toute saga qui se respecte, « Le Parrain » aura une suite … sans Brando, « remplacé » par De Niro. Une suite excellente, un peu moins que le premier volet, mais nettement meilleure que le dispensable épilogue du « Parrain III ».
Tiens, avec ces titres numérotés, cette série de films me fait penser à un groupe de rock de qualité (le crétin qui a hurlé « Chicago » est prié de dégager avant que je me fâche) de la même époque, connu sous le nom de code de Led Zeppelin. Dont le succès gigantesque avait commencé dans des conditions similaires : une major derrière, certes, un type qui joue gros (Jimmy Page dans le rôle de Coppola-Brando), et un premier disque enregistré en une trentaine heures (à peu près le temps nécessaire au pénible Stromae pour trouver une minable rime triste) …
O tempora o mores …


Du même sur ce blog :

ABEL GANCE - NAPOLEON (1927)

Impérial ...
Le « Napoléon » d’Abel Gance, c’est un film comme on n’en fait plus depuis longtemps et comme on n’en fera plus jamais. Comparé à ce film, n’importe quel James Cameron fait figure de court métrage à petit budget. D’ailleurs, on peut raisonnablement se demander si « Napoléon » peut être qualifié de film. C’est une épopée en images, une œuvre et une fresque épiques qui dépassent largement le cadre du cinéma. Un projet un peu (beaucoup) fou inachevé…
Les spécialistes de cette œuvre gargantuesque (au nombre desquels Claude Lelouch et Francis Ford Coppola) dénombrent une vingtaine de versions, d’une durée variable, entre quasiment quatre heures et plus de neuf heures. La plupart des versions ayant été pendant plus de quarante ans supervisées ou effectuées par Gance lui-même, qui poursuivait là l’œuvre de sa vie. Perso j’en ai vu une, diffusée en deux fois à pas d’heure sur Arte, celle de 1971 produite par Lelouch avec des bouts de versions différentes de plusieurs époques et dialogues reconstitués en post synchro (la version originale du film dont le tournage a eu lieu en 1925-26 est bien évidemment muette). Une des versions les plus critiquées, équivalente d’un remix pour la musique, avec des acteurs parfois différents qui jouent le même personnage.
Dieudonné / Napoléon
La version que j’ai en Dvd et dont je vais causer est celle dite de Coppola (en fait des studios Zeotrope dont il est propriétaire) sortie dans de très rares salles en 1981. Au crédit, une image restaurée et pour un film de ces âges reculés, c’est appréciable. Au débit … plein de choses. Des images colorisées grâce à des filtres de couleur selon un code ( ? ) totalement incompréhensible, une musique gavante de Carmine Coppola (le frangin « musicien » de Francis Ford) à base d’ininterrompues variations de « La Marseillaise ». Et puis, et surtout, bicorne sur la perruque poudrée, cette version n’existe pas en français, on n’a le choix pour l’affichage des intertitres et des dialogues qu’à la traduction … en anglais ou en allemand. Quand on connaît l’histoire de l’époque et quelles furent les nations les plus acharnées à l’échec de la Révolution ou de l’Empire en France, ce symbolisme linguistique est soit une provoc, soit de l’humour à un degré qui m’échappe. Le film retraçant la vie d’une des figures les plus célèbres de notre histoire n’est disponible que dans la langue de ses ennemis … il y en aurait des paragraphes à noircir sur la situation de notre patrimoine culturel …
A la base, le projet de Gance était un biopic depuis l’école militaire de Brienne jusqu’à l’exil et la mort à Sainte-Hélène. A une époque où l’on faisait du cinéma de façon empirique, intuitive, tout semblait possible à Gance. Deux ans de tournage, une perpétuelle recherche de financeurs qui faisaient à tour de rôle faillite face aux moyens pharaoniques engagés en technique et en figurants, et seulement un tiers des neuf parties prévues furent plus ou moins terminées. « Napoléon » s’arrête en 1796 alors que Bonaparte, nommé Général en chef de l’Armée d’Italie, entre avec ses troupes dans la péninsule pour la conquérir.
Abel Gance / Saint-Just
Pour moi, « Napoléon », c’est un des plus grands films jamais tournés. Pas à cause de son côté cocorico-cocardier quelquefois embarrassant, mais parce que c’est un film totalement fou, une œuvre de maniaque, de cinglé total qui a repoussé toutes les limites connues de l’art cinématographique naissant. Gance s’est inspiré de Griffith pour le côté fresque plus ou moins historique (« Naissance d’une Nation » et « Intolérance » notamment) pour se livrer à un panégyrique napoléonien. Il y a dans « Napoléon » une admiration évidente de Gance pour son personnage qui donne lieu à quelques scènes allégoriques qui tiennent beaucoup plus de la béatification que de la vérité historique (les quasi-miracles qui jalonnent ses aventures, les « signes du destin », l’aigle qui le survole dans les moments cruciaux et les instants où tout bascule en sa faveur …). Clairement pour Gance, Bonaparte est « L’Elu ». Tout son génie scénaristique est de ne pas tomber dans l’hagiographie, ou pire dans le révisionnisme. Les éléments historiques, qui constituent l’essentiel du film sont conformes à ce que nous en savons, et n’ont à ma connaissance pas fait l’objet de débats et de controverses majeures au sein de la communauté des rats de bibliothèque spécialistes de l’époque. En même temps que le destin hors du commun d’un homme, c’est aussi une page d’histoire que l’on feuillette, en compagnie de Danton, Robespierre, Marat, Saint-Just, ... Ce qui donne lieu à des scènes sidérantes, immersives, qu’elles aient lieu dans l’appartement de Robespierre ou dans les travées de l’Assemblée.
Antonin Artaud / Marat
Gance est un maniaque, qui ose, prend tous les risques. Des décennies avant la Louma, il suspend sa caméra à un câble et la fait se balancer au-dessus des personnages dans un effet de vague (pour montrer des débats forcément houleux à l’Assemblée), filme un nombre incalculable de fois des scènes de poursuite à cheval depuis une voiture (on voit les innombrables traces de roues dans la poussière), met en place des trucages certes naïfs aujourd’hui (la coque de noix de Bonaparte dans la tempête au large de la Corse) mais plutôt plus élaborés que ceux de ses contemporains, superpose des images différentes (jusqu’à une vingtaine, prétend-on, alors que passé trois ou quatre, les autres deviennent indiscernables à l’œil humain), se livre à du split-screen (neuf ( !! ) images juxtaposées)... Mais tout ça, c’est du bricolage, des choses plus ou moins vues ailleurs. Le grand projet de Gance, c’est des lustres avant le cinémascope, l’invention d’un procédé technique totalement délirant, la Polyvision. A savoir trois caméras qui filment la même scène depuis des endroits différents, les image qu’elles ont tourné étant ensuite projetées sur trois écrans côte à côte. On a un aperçu du résultat sur les dernières scènes du film, visuellement c’est totalement fou, mais ça doit filer un putain de mal de crâne si ça dure longtemps. Petit problème, auquel Gance, perdu dans son œuvre, n’avait pas songé : il faudrait construire de nouveaux cinémas pour projeter en polyvision, ceux en service ne pouvant accueillir une telle largeur d’écrans … Autant dire que financièrement l’aventure « Napoléon » a été un fiasco assez colossal …
La bataille de Toulon
« Napoléon » est également différent de la plupart des films de l’époque. Dans lesquels les acteurs, compte tenu du format muet, surjouaient toutes les scènes, exagérant mimiques, mouvements et attitudes (voir les chefs-d’œuvre allemands de l’époque dite expressionniste, c’est pas par hasard qu’on l’appelle comme ça …). Il y a certes dans la mise en scène un aspect théâtral épique (cependant d’après les écrits historiques et les textes et discours qui nous sont parvenus, cet aspect était réellement dans l’air du temps), mais les acteurs ne cabotinent pas, récitent leurs textes que personne n’entendra … Ils sont leur personnage. Difficile de ne pas être secoué par les apparitions glaçantes de Robespierre, par la dureté du regard de Napoléon (Dieudonné, non, rien à voir avec l’abruti à quenelle), par le charme maléfique de Saint-Just (joué par le stakhanoviste Gance lui-même), « l’Ange de la Terreur » comme l’Histoire le surnomma, le terrible tribun le plus acharné à faire couper des têtes lors de la Terreur, par l’étrange délabrement mental que l’on sent dans l’attitude de Marat (l’assez incroyable acteur Antonin Artaud), cet homme de lettres devenu théoricien de la Révolution dans sa version sanglante.
Et puis, malgré une distribution pléthorique de personnages de premier plan, Gance n’a pas lésiné sur les personnages secondaires et les figurants. Il y en a des centaines dans l’Assemblée pour plusieurs scènes, notamment celle, lyrique dans le bon sens du terme, où les délégués du peuple entonnent la Marseillaise que vient d’écrire et chanter devant eux Rouget de Lisle. Il y en a aussi des centaines lors des scènes de bataille (et pas des cascadeurs pro, il y eut de vrais morts et blessés sur le tournage, dans des conditions à faire passer – notamment la reconstitution de la bataille de Toulon sous un déluge ininterrompu – celles des plateaux de Kechiche pour un thé à Buckingham Palace), toutes les recréations des lieux, vêtements et accessoires sont minutieuses.
Napoléon face aux morts ...
Et puis, au milieu de cette mise en images maniaque de l’Histoire, il y a vers la fin une des scènes les plus extraordinaires de tout le cinéma, lorsque Napoléon sentant que son destin va s’accomplir avec la Campagne d’Italie, se rend seul avant de rejoindre ses troupes dans le Sud à l’Assemblée Nationale s’imprégner de l’esprit de la Révolution et de ses morts. Apparaissent alors en surimpression sur l’image toutes les victimes justes ou injustes, les Danton, Marat, Saint-Just, Robespierre, les célèbres et les anonymes. Une scène d’une force et d’une émotion inouïe. Et nul doute que Malraux, au moment d’écrire son « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège … » devait avoir cette scène en tête, toute en tension héroïque …

« Napoléon », même en version colorisée, charcutée, même avec son affreuse bande-son, même sous-titré en anglais (putain, j’y reviens, faut pas déconner, en anglais !!…), c’est juste géant …

Une bande-annonce ... en anglais ...

ZHANG YIMOU - EPOUSES ET CONCUBINES (1991)

Quatre mariées et deux enterrements ...
Zhang Yimou a du talent. Et il lui en faut, certainement beaucoup plus qu’à d’autres, lorsque l’on est un cinéaste bridé (non, je commence pas cette chronique par une joke nationalfrontiste). Le poids du régime communiste chinois et la censure qui l’accompagne définissent un carcan dont il est bien difficile de s’extraire pour réaliser une œuvre « visible » sans bailler dans le reste du monde.
Techniquement, Zhang est impressionnant. Il y a dans « Epouses et concubines » un aspect esthétique qui coupe le souffle, une minutie au niveau du cadrage notamment qui en font un chef-d’œuvre sur le strict plan de vue technique, alternance de plans serrés sur les protagonistes et mise en scène de ces protagonistes dans l’immense dédale des toitures et terrasses d’une maison de maître chinoise des années 1920, ces plans larges réussissant à renforcer l’atmosphère oppressante d’enfermement, de claustrophobie. Tout le film (hormis la courte scène d’ouverture, un gros plan sur Gong Li) se passe dans cette maison / palais / prison …
Gong Li & Zhang Yimou
« Epouses et concubines » est irradié par la présence et le jeu de Gong Li. Si c’est un lieu commun que de dire qu’une actrice très belle (et Gong Li est très belle, très) peut facilement crever l’écran, on sent qu’elle est filmée amoureusement par Zhang (son mari à l’époque) qui la sublime littéralement à l’image. Une similitude frappante avec Anna Karina quand elle partageait la vie de Godard et qu’il la mettait en scène. Un peu plus qu’un hasard, quand on sait que Zhang s’est beaucoup inspiré de l’approche cinématographique de la Nouvelle Vague …
« Epouses et concubines » est un huis clos. La jeune Songlian (19 ans) annonce à sa belle-mère (sa mère puis son père sont morts) que n’ayant plus les moyens de poursuivre ses études, elle préfère devenir la concubine d’un riche polygame plutôt que la seule femme d’un pauvre. Toute sa fermeté et sa détermination apparaissent dans cette courte scène d’introduction, malgré les larmes qui coulent sur ses joues. Songlian se retrouve donc la quatrième et plus jeune épouse d’un « Maître » dans son immense demeure. Les quatre femmes (une dizaine d’années les sépare toutes) ont chacune leurs appartements au fond d’une cour intérieure. Le soir venue, elles attendent avec leur servante principale à l’entrée de leur cour (les quatre cours se font face, ce qui donne lieu à des échanges de regards qui en disent plus que d’interminables dialogues) qu’une nuée de domestiques vienne éclairer la cour et l’appartement de celle chez qui le Maître va passer la nuit. Dans cette société ultra-patriarcale, ce choix est décisif. Celle qui est désignée dirige la maison le lendemain, commande les domestiques, choisit les plats du repas. Si l’on est choisie souvent, on devient de fait la « maîtresse » de la maison et on a toutes les chances de donner naissance à un héritier (mâle fortement souhaité) de la maison.

La situation est évidemment prétexte à toutes les inimitiés, haines, alliances hypocrites de circonstance. Si l’aînée des femmes, trop vieille, s’est résignée et n’est plus garante que du respect « des valeurs » de la maison, les trois autres vont très vite se livrer à un combat sans merci pour obtenir les faveurs du Maître. Tous les coups sont permis. Ou presque. Car tout en haut des toits, après une enfilade de terrasses, trône un petit réduit cadenassé, la Maison des Morts, où, dit-on, deux anciennes femmes (mais on ignore ou feint d’ignorer l’époque) qui avaient « fauté » se sont pendues … Manque de chance pour Songlian, en plus des autres concubines, elle doit également affronter une servante qui lui a été attribuée, avec qui le Maître se laisse parfois aller, et qui rêve donc de promotion sociale.
Le Maître, c’est un peu le coq de ce harem oriental. Lui ne se mêle pas d’intrigues courtisanes, mais le résultat de ces intrigues détermine son choix pour la nuit. Il dirige cependant tout d’une main de fer, prend des décisions cruelles voire pire … Jamais on ne le verra en gros plan durant le film, ce qui renforce son aspect impersonnel. Il représente le Pouvoir, quasi invisible, mais toujours présent…

Il y a dans « Epouses … » une tension, une violence (suggérée, rien n’est montré) beaucoup plus oppressante que dans l’intégrale filmographique de Rob Zombie. Dans une montée paroxystique rythmée par les saisons. Le film commence en été, la saison chaude, de l’insouciance, de l’innocence et des amours. Il trouve son épilogue sur les terrasses enneigées de la demeure du maître, symboles du froid de la mort. Les images sont imprégnées de rouge. Un rouge pas autant hégémonique que dans le premier film (et premier chef-d’œuvre de Zhang, « Le sorgho rouge »), mais qui rythme la vie dans ce vase clos. Le rouge orangé des lanternes qui s’allument dans un cérémonial hiératique et immuable chaque soir dans la cour de « l’élue » (le titre anglais du film est « Rise the red lantern »), aussi le rouge du sang qui fait lentement avancer l’intrigue vers sa conclusion inexorable ( celui des sous-vêtements de Songlian, qui entraînera sa disgrâce, celui de l’oreille coupée de la troisième épouse, témoin de cette lutte féminine sans merci).
Formellement, au premier degré, « Epouses et concubines » est déjà un chef-d’œuvre de drame psychologique, un thriller domestique à huis-clos. Evitant tous les clichés du cinéma asiatique, notamment cette lenteur chargée de symboles dans laquelle il se complaît souvent.
Au second degré, c’est un film politique. Zhang Yimou est un cinéaste « officiel ». La République Populaire de Chine (qui contrôle évidemment de près la production) a tout lieu d’être satisfaite du résultat. Cette dénonciation de l’autoritarisme patriarcal de la Chine du début du XXème siècle démontre incidemment que « c’était pas mieux avant ». Autre signe politique fort, les capitaux du Grand Satan, en l’occurrence ceux du frère ennemi sécessionniste de Taïwan, ont été autorisés à participer au tour de table financier de la production.

Seulement, il y a  encore un autre degré de perception, encore plus pervers et sournois, à l’image des intrigues du film. A cette époque, Zhang, sans être un contestataire déclaré ne rentre pas dans le moule strict du régime. « Epouses et concubines » est sorti en 1991, deux ans après les « événements » de la place Tien Anmen. Comment ne pas voir dans le Maître et sa première femme les tenants du conservatisme communiste, dans la seconde épouse l’archétype de l’apparatchik du Parti prêt à tout pour conserver sa place et son pouvoir (et qui réussira). Les deux épouses les plus jeunes (une ancienne chanteuse d’opéra, une artiste donc, et Songlian l’étudiante) finiront broyées par la « machine », et malgré leurs intrigues, sont les deux personnages les plus empathiques du film. Les artistes et les étudiants sont ceux qui se sont retrouvés devant les chars du pouvoir Place Tien Anmen avec le résultat que l’on sait. Il y a dans la symbolique du film trop de coïncidences allégoriques avec la situation de la Chine contemporaine pour que l’on puisse n’y voir que du hasard. En filigrane de « Epouses et concubines », il y a bel et bien la contestation du régime communiste. Fort, très fort, un monument de lecture à plusieurs niveaux …
Ce film est pour moi le sommet de l’œuvre de Zhang Yimou, qui lentement mais sûrement, se rapprochera de plus en plus du rôle de porte-parole officiel artistique du pouvoir chinois (celui-ci ayant également mis un tout petit peu d’eau dans son alcool de riz), donnant dans le cinéma commercial et exportable sans arrière-pensées (« Hero », « La Cité interdite », « Le secret des poignards volants »), ou signant la mise en scène de la cérémonie d’ouverture des J.O. de Pékin …

Restera pour toujours « Epouses et concubines », un chef-d’œuvre du cinéma universel …


Du même sur ce blog :




ANTHONY MANN - L'APPÂT (1953)

Et à la fin coule une rivière ...
« L’Appât » en VO il s’appelle « The Naked Spur ». Pour deux raisons. C’est le (vrai) nom du lieu, un piton rocheux au bord d’une rivière en crue sur lequel a lieu le règlement de comptes final. C’est aussi une allusion à l’éperon de James Stewart, filmé en gros plan lors de la première scène du film et qui aura son importance dans la bagarre finale. Mais « L’Appât » n’est pas vraiment un film axé sur un accessoire d’équitation.
James Stewart & Anthony Mann
C’est avant tout un western, une des références du genre. Tout en étant un western atypique. Quasi un huis clos à cinq personnages, mai un huis clos qui a pour cadre les somptueux décors naturels des Rocheuses du Colorado. « L’Appât » est la troisième collaboration (cinq autres suivront) entre deux monstres sacrés du cinéma hollywoodien, le réalisateur Anthony Mann et l’acteur James Stewart. Et l’association de ces deux vaut bien celle de John Ford et John Wayne.
Parce que Mann sait assurer et pas qu’un peu le minimum syndical en matière de western hollywoodien. Il y a dans « L’Appât » des bons (quoique), un méchant, des cavalcades, des coups de flingue, de la baston, des rebondissements de l’intrigue. Et même une attaque de Cheyennes. Et puis, avec James Stewart, Mann peut compter sur un des plus fantastiques acteurs qu’on puisse souhaiter devant l’objectif. Stewart sait tout jouer, son jeu est quand même un peu plus subtil et moins carré que celui d’un Wayne par exemple. Ce qui permet de donner à ses personnages une profondeur, une complexité qui rajoutent une dimension psychologique à l’intrigue.
Millard Mitchell,  Robert Ryan, Janet Leigh & Ralph Meeker
Psychologique, le mot qui fait fuir les fans de Vin Diesel et de Frank Dubosc est lâché. La trame de base est vite connue. Un homme se faisant d’abord passer pour un shériff (James Stewart / Howard Kemp) capture un assassin recherché (Robert Ryan / Ben Vandergroat) accompagné de sa jeune maîtresse (Janet Leigh / Lina Patch). Un concours de circonstances a fait que cette capture n’a été possible qu’avec l’aide d’un vieux chercheur d’or malchanceux (Millard Mitchell / Jesse Tate) et d’un ancien sous-officier (Ralph Meeker / Roy Anderson) tout juste viré de l’armée. Un long périple commence pour ramener l’assassin. Dès lors, dans cette cohabitation forcée des cinq personnes, les vérités et les secrets de chacun vont peu à peu se dévoiler. Kemp a besoin de l’argent de la prime pour racheter son ranch, Mitchell veut sa part, Anderson voudrait bien toute la récompense pour lui, Lina veut refaire sa vie, et Ryan cherche à sauver la sienne. C’est ce dernier qui petit à petit, va avancer les pions de cette partie d’échecs dont il est l’enjeu. En se servant de Lina, et surtout d’un autre moteur lui aussi vieux comme le monde, la cupidité. Par cet aspect-là, « L’Appât » s’apparente beaucoup à un autre fameux western de John Huston avec Humphrey Bogart, « Le trésor de la Sierra Madre ».
Ce jeu du chat et de la souris autour des 5000 dollars de prime va révéler toute la part sombre qui est dans chacun des protagonistes. Personne n’en sort grandi, personne n’a le beau rôle de Chevalier Blanc. Les deux personnages « forts », ceux qui par leurs actes font le plus évoluer la situation sont James Stewart et Robert Ryan. Entre eux, le rôle de l’appât est tenu tant par l’argent que par Janet Leigh, que Ryan pousse dans les pattes, sinon dans les bras des trois autres.
James Stewart
Le grand mérite du film, c’est de ne pas sombrer  dans l’étude de caractère avec interminables dialogues autour du feu de camp. L’action est toujours présente, chaque coup porté au moral ou à l’intégrité physique des adversaires est conçu comme décisif. Il y a du suspens, une happy end pas si prévisible que ça (surtout par la façon dont se prépare le dénouement), l’essentiel est filmé en extérieurs dans de grandioses décors naturels en couleurs et en Technicolor, et le rythme est soutenu (pas de redondances du scénario, l’affaire est bâclée en une heure et demie).
Mann et Stewart ont tourné cinq westerns ensemble. Celui-ci est le troisième, et leur second chef-d’œuvre, entre les deux autres classiques que sont « Winchester 73 » et « The man from Laramie » (« L’homme de la plaine » en VF). « L’appât » est aussi un des premiers rôles majeurs de Janet Leigh, (c’est elle qui sera l’inoubliable Marion Crane poignardée dans la douche  dans « Psychose »), la future femme de Tony Curtis et donc la mère de la Jamie Lee du même nom …

« L’Appât », pourtant unanimement salué comme un classique de premier ordre, n’est semble t-il disponible que dans une version Dvd tout juste passable, sans aucun bonus.


Du même sur ce blog :



ROMAN POLANSKI - CHINATOWN (1974)

Noir et brillant ...
« Laisse tomber Jake, c’est Chinatown ici … ». La dernière phrase du film, prononcée par un des associés de Gittes, alors qu’il l’amène loin du carnage final…
Chinatown, c’est le quartier de Los Angeles où Gittes a commencé sa carrière de flic. Et puis dans des circonstances qui resteront mystérieuses mais qui l’ont traumatisé, il a monté un cabinet de détective privé assez florissant, qui le conduira à nouveau vers Chinatown pour l’épilogue tragique d’une enquête.
« Chinatown » le film, est sorti au mauvais moment. En 1974. Année qui a vu « Le Parrain II » rafler toutes les récompenses. Bon, moi je suis client des deux, mais s’il fallait vraiment choisir, je crois que je prendrais le film de Polanski.
John Huston & Jack Nicholson
« Chinatown » c’est une synthèse. Et une déclaration d’amour d’un des cinéastes les plus controversés (déjà à l’époque, quelque temps avant sa mise en accusation pour viol, et des années avant que cette histoires de coucherie avec une mineure plus ou moins consentante soit remise récemment d’actualité). Dont les films les plus marquants jusque-là (« Repulsion », « Rosemary’s baby », « Le bal des vampires ») ont choqué, voire traumatisé les spectateurs du monde entier, et plus encore les Américains chez lesquels il réside. « Chinatown » est totalement différent, c’est l’hommage de Polanski à une certaine forme de cinéma typiquement américain au départ, le film noir. Qui a connu son apogée dans les années 30 et 40, et généré un nombre conséquent de chefs-d’œuvre. Avec en tête de gondole son sous-genre policier, qui a vu portées à l’écran de longues lignées de (détectives) privés, englués jusqu’au trognon dans des intrigues - sacs de nœuds, et sous le charme de créatures aussi affriolantes que dangereuses, dans des ambiances alcoolisées et enfumées rythmées par du jazz cool … La quintessence du genre c’est « Le faucon maltais », adapté d’un bouquin de Dashiell Hammett, avec Humphrey Bogart - Sam Spade, et derrière la caméra John Huston.
Et pour que les choses soient bien claires, c’est le vétéran John Huston, ayant à son actif une lignée de chef-d’œuvres plus que bien fournie, qui va jouer dans « Chinatown ». Et pas une fugace apparition en guise d’hommage. C’est l’un des trois personnages centraux du film, le vieux patriarche richissime Noah Cross vers lequel vont converger toutes les intrigues du scénario. Mais les deux têtes d’affiche sont le « couple » (en fait, ils ne passent qu’une partie d’une nuit ensemble) JJ « Jake » Gittes (Jack Nicholson) et Evelyn Mulwray (Faye Dunaway). Dunaway en veuve noire (dans tous les sens du terme), allumeuse, manipulatrice, et qui cache un bien pesant secret. Nicholson en détective malin, perspicace et débrouillard, jamais armé, et n’utilisant que rarement ses poings. Un net démarquage par rapport aux Marlowe-Spade dont il est le descendant.
Jake Gittes & Evelyn Mulwray
Descendant, même pas, car dans le scénario, il est leur contemporain puisque le film se déroule dans la seconde moitié des années 30. Au départ, Gittes est contacté par une femme (Diane Ladd qui dit être Evelyn Mulwray), pour enquêter sur son mari, ingénieur directeur du Service des Eaux de Los Angeles. Lequel Mulwray ne tarde pas à être retrouvé noyé, l’occasion pour Gittes de s’apercevoir que ce n’est pas la veuve de l’ingénieur qui l’avait contactée. Malgré les pressions diverses qu’il va subir, Gittes va continuer son enquête, au milieu d’imbroglios économiques sur fond d’été caniculaire, de spéculation foncière sur l’irrigation, et d’intrigues familiales chez les Mulwray. Bien dans la tradition du film noir, faut s’accrocher pour tout suivre, mais ça reste quand même plus évident que les rebondissements en cascade du « Faucon maltais » par exemple.
L’occasion de signaler qu’il vaut mieux avoir un bon scénario pour faire un bon film. Celui de « Chinatown » est signé Rober Towne, c’est lui qui récoltera le seul Oscar du film, et en plus d’une intrigue complexe et machiavélique à souhait, un gros travail a été effectué sur le caractère et la psychologie des personnages.
Nicholson écrase la distribution, dans un jeu tout en finesse et en retenue, beaucoup plus dans la suggestion que dans la démonstration. Un jeu d’acteur quasi à l’opposé de celui très typique, tout en performance exubérante, de l’Actor’s Studio qui lui vaudra les pluies de louanges (méritées, d’ailleurs) pour « Shining », « Vol au-dessus d’un nid de coucou », « Broadcast News », … C’est Nicholson qui le premier se saisira du scénario de Towne, et réussira à convaincre Polanski de revenir à Los Angeles pour tourner le film. Polanski hésitera beaucoup avant de se lancer.
Roman Polanski & Jack Nicholson sur le tournage
Faut dire qu’il a de plus que mauvais souvenirs à L.A., où fut sauvagement assassinée au cours d’un meurtre rituel sa femme Sharon Tate, meurtre commandité par le cinglé Charles Manson et commis par sa secte de demeurés The Family. Il y a certainement comme une forme d’exorcisme pour Polanski de se mettre en scène dans « Chinatown » sous les traits d’un homme de main de Noah Cross, prompt à sortir le stilleto (Sharon Tate, enceinte, avait été éventrée à l’arme blanche). Dans le film, c’est le nez de Nicholson qui tâtera de la lame … Mais surtout Polanski signe une merveille de réalisation, avec une reconstitution crédible (j’ai beau être vieux, j’ai pas connu cette époque) du Los Angeles des années 30, avec un foisonnement de détail vintage dans les costumes, les voitures, les demeures de la haute bourgeoisie. Une mise en scène hyper classique, avec un soin que l’on devine maniaque apporté à la lumière, au cadrage, et une place de choix accordée aux accessoires de vision (on voit beaucoup de choses à travers des jumelles, dans les miroirs ou les rétroviseurs, et une paire de lunettes brisées à double foyer mènera à la résolution de l’énigme).

Le Blu-ray disponible en France a une image d’une netteté fabuleuse, avec cependant une très légère tendance à se figer ou à tressauter. Par contre seule la VO bénéficie d’un son « moderne » (VF en mono !), et les bonus sont inexistants. La meilleure édition du support serait la version américaine All-zone pas facile à dénicher semble t-il. 



Du même sur ce blog :

QUENTIN TARANTINO - INGLOURIOUS BASTERDS (2009)

Drôle de drame ...
Un des films les plus controversés, sinon le film le plus controversé de Tarantino…et un de ses meilleurs.
Le bon peuple cinéphile et érudit (les ceusses qui regardent le film du dimanche soir sur TF1 et Questions pour un champion) s’est offusqué devant pareille chose. Pour qui se prenait-il ce jeune gommeux américain de Tarantino, à bafouer l’Histoire majuscule, celle qui est dans les livres ? A nous montrer tonton Adolph criblé de balles en 44 dans un cinéma en feu parisien ? Et criblé de balles par, en plus, un commando de juifs américains plus sauvage que les hordes d’Attila et de Gengis Khan réunies, ayant auparavant dézingué et scalpé du soldat nazi à profusion dans des geysers d’hémoglobine ? 
Eli Roth & Brad Pitt
Bon, les constipés, ce que vous avez vu c’est un film. Pas les archives de l’INA des émissions d’André Castelot. Ça vous est pas venu à l’esprit que le cinéma c’était fait pour raconter des histoires, faire rêver, passer du bon temps ? Et que ça n’a pas à être vrai, véridique ou vraisemblable. Vous avez été troublés de voir les flots de la Mer Rouge s’ouvrir devant Moïse dans « Les Dix Commandements », et ensuite se refermer pour engloutir l’armée égyptienne ? Vous croyez que tout dans « Spartacus », « Ben Hur », ou le « Napoléon » d’Abel Gance est rigoureusement exact ? Et vous croyez que dans les années 40 en France, c’était comme dans « La grande vadrouille » ou « On a retrouvé la septième compagnie » ?
En plus, j’ai l’impression que vous tombez mal avec Tarantino. Parce qu’il a bossé comme un forcené sur son scénario, et qu’il prouve dans les bonus du BluRay que l’histoire – la vraie – de la Seconde Guerre Mondiale, il la connaît aussi, beaucoup plus que ce que vous croyez …
« Inglourious basterds », c’est une comédie. Noire, sordide, macabre, de mauvais goût, si vous voulez. Mais une fuckin’ géniale comédie, pleine de clin d’œils, d’allusions, … et de non-dits, même si ça jacasse encore plus vite que les rafales de mitraillette. Un film de fan (plus encore que tous ceux de la Nouvelle Vague, Tarantino est avant d’être un réalisateur un dingue de cinéma). Et puis, quand les répliques deviennent plus posées, on a de grands moments de cinéma. Avec trois scènes de bien vingt minutes, celle de la ferme qui débute le film, celle du restaurant, et celle de la taverne (et encore ces deux dernières ont été raccourcies au montage). Des sommets de suspense, avec une tension qui n’achève jamais de monter. On sent que ça va mal finir, c’est inéluctable, et dans la ferme ça finit effectivement très mal. On s’attend donc au pire au restaurant, et … surprise, ça se « passe » bien. Du coup, dans la taverne, on ne sait plus à quoi s’attendre, et là, on va en avoir pour notre argent … Clouzot ou Hitchcock, et encore plus Leone (tant les références à son cinéma sont nombreuses, de la lenteur des scènes-clés à la musique de Morricone, très présente dans la B.O.) auraient approuvé, Fincher devra se surpasser …
Christoph Waltz
« Inglourious basterds », au moins autant qu’un film d’action sur la guerre (le premier du genre de Tarantino) est un film sur le cinéma. Et là bizarrement, on a pas lu trop de grincheux surenchérir sur l’exposé du cinéma d’époque, surtout allemand, les liens que certains acteurs ou réalisateurs ont eu (ou pas) avec le régime nazi, le cinéma de propagande de l’époque. Le film c’est pas toujours de l’uchronie, là c’est la leçon du fan et du connaisseur. Et je suis prêt à parier que l’œuvre de Leni Riefenstahl n’a pas de secrets pour Tarantino. Le film dans le film (« La fierté de la Nation ») est un petit bijou (réalisé non par Tarantino, mais par Eli Roth, celui qui joue dans le film Donowitz, le « bâtard » à la batte de base-ball). Coupé aux deux-tiers au montage, il pastiche les films de Goebbels, ceux de la propagande stalinienne, et même avec un landau sur une place mitraillée le « Cuirassé Potemkine ») Et comme le film est un fake, on a droit dans les bonus à un génial fake de making-off. Clairement, « Inglourious basterds » est un film sur le cinéma. Une bonne part de l’histoire se passe dans un cinéma et y trouve en partie son épilogue. L’agent double allemand (un des meilleurs rôles de Diane Kruger) est une actrice allemande, le commando des Bâtards s’infiltre dans le cinéma en se faisant passer pour équipe technique et un réalisateur italien, …
Diane Kruger & Michael Fassbender
Et là, dans cette Tour de Babel des nationalités présentes à l’écran, réside une autre trouvaille assez formidable de Tarantino. On passe sans arrêt d’une langue à l’autre, et évidemment, les polyglottes finissent par paraître tenir les atouts maîtres de l’action. Et le personnage central du film, à peu près le seul lien entre des histoires dans l’histoire menées en parallèle, est le formidable acteur allemand Christoph Waltz. Qui incarne le colonel nazi Landa surnommé le « chasseur de Juifs », raffiné, sadique, machiavélique et cruel, qui jongle entre allemand, anglais, français et italien, tout en assurant un jeu plein d’acteur, tout en regards, poses, mimiques, et gestes d’une justesse absolue. Quasiment inconnu, c’est lui l’acteur de premier plan du film. Il éclipse à mon avis un Brad Pitt pourtant concerné et intéressant en leader du commando juif. C’est pourtant Pitt qui est en avant sur toute la promo du film (les affiches notamment), à la tête d’un casting international très fourni en second rôles. Et ce sont ces seconds rôles qui font toute la richesse du film, sans obscurcir l’intrigue. Dans les bonus, Pitt et Tarantino (interview plus souvent en roue libre que réellement intéressante) ne tarissent pas d’éloges sur un autre quasi inconnu qui ne va pas le rester (Michael Fassbender, dans le rôle d’un officier anglais qui rejoint les Bâtards). Mais on trouve également dans la distribution Myke Miers, pote de déjante de Tarantino, et toujours au rayon hommage (hommage et vengeance sont les deux moteurs du cinéma tarantinien), la participation de Bo Svenson et Enzo Castellari, respectivement acteur principal et réalisateur d’un nanar italien de série Z (y’a Michel Constantin qui y joue, c’est dire …) dont s’est inspiré Tarantino (en fait d’une seule scène) pour le scénario de « Inglourious … ». Anecdote : Castellari a fait cadeau de ses droits à Tarantino à la condition d’avoir une réplique dans le film, c’est lui l’officier nazi au premier rang du cinéma qui crie « Au feu ! » quand l’écran s’embrase …
En fait, la seule dans ce casting qui me semble un peu en dedans, c’est Mélanie Laurent (Soshana, jeune juive dont la famille a été massacrée par Landa et ses hommes). Même si elle incarne la vengeance implacable, quasi rituelle (la scène  du maquillage en forme de peinture de guerre indienne, avec en fond sonore le « Cat people (Putting out fire) » de Bowie et Moroder), on a l’impression qu’elle ne « s’amuse » pas sur ce film, alors que tous les autres semblent s’en donner à cœur-joie …
Mélanie Laurent
« Inglourious basterds » est un film qui fourmille de détails qui eux-mêmes peuvent renvoyer à d’autres thématiques. L’une d’entre elles, qui revient comme un fil rouge subliminal a trait aux Indiens d’Amérique  (Raine – Brad Pitt a un peu de sang indien, le rituel du scalp des Bâtards, le maquillage de Mélanie Laurent, une carte à deviner dans une scène coupée de la taverne porte le nom d’un chef Indien). D’autres détails des personnages restent sans réponse : pourquoi la cicatrice autour du cou de Raine ? Pourquoi à tout prix identifier par des flèches et des incrustations à l’écran les hauts dignitaires nazis dans le cinéma alors qu’à ce moment on est en totale fiction historique?
« Inglourious basterds » (l’orthographe bizarre du titre vient de l’accent en V.O. de Pitt, mais aussi pour éviter la confusion avec le film italien de Castellari, sorti aux States sous le nom de « Inglorious bastards ») fait pour moi partie du quarté majeur de Tarantino avec « Reservoir dogs », « Pulp fiction » et le Volume I de « Kill Bill ».
Un film à visionner obligatoirement en V.O. sous-titrée pour prendre la mesure de tout le jeu de langage des acteurs. Il existe un coffret métal à prix dérisoire contenant le film en BluRay et en Dvd, ainsi que le Dvd du film italien de Castellari. Qualité du BluRay excellente, mais bonus de l’ensemble un peu chiches …


Du même sur ce blog :
Kill Bill Vol. 2