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MICHEL GONDRY - ETERNAL SUNSHINE OF THE SPOTLESS MIND (2004)

La mémoire dans la peau ...
« Eternal … » réunit à peu près tous les ingrédients pour faire un bide all around the world. Un film américain tourné par un frenchie branché, des acteurs à contre-emploi, un scénario totalement barré, et un montage dans lequel se mélangent tellement passé, présent et futur qu’on comprend quasiment rien au premier visionnage … Normalement, ça aurait dû faire direct to Dvd (ou sortie chez Netflix aujourd’hui).
Carey, Gondry & Winslet
Sauf qu’un comptable a dû se lever et souligner que ce machin avait coûté du pognon et qu’il faudrait peut-être essayer de l’amortir. Quelques critiques positives, quelques noms très bankables en haut du générique, et au final un bon petit succès pour un film très atypique. Un peu la même histoire que « Dans la peau de John Malkovitch », avec lequel « Eternal sunshine … » possède bien des similitudes.
Le même scénariste pour commencer, Philip Kaufman, spécialiste de l’écriture pour réalisateur « différents ». Ici, derrière la caméra, Michel Gondry, bobo arty qui avait commencé en jouant de la batterie dans le groupe retro-infantile Oui-Oui (si-si), puis (bien) gagné sa vie en réalisant des pubs ou des clips, avant de virer cinéaste branché (et de se vautrer avec son premier film, « Human nature », tourné aux States et avec déjà Kaufman au scénario).
Clementine et Joel dans les bois ...
« Eternal … » (le titre est un extrait d’un poème anglais du XVIIIème signé Alexander Pope) est un bon film. Barré, confus, hermétique, qui part dans tous les sens à première vue, mais un bon film. Peut-être parce que Gondry la joue profil bas (réalisation simple, préférant nettement les trucages parfois too much aux effets numériques clinquants, profitant par exemple d’une parade d’un troupeau d’éléphants dans Broadway pour s’y précipiter avec équipe et acteurs tourner une scène quasi improvisée), laissant le champ libre à ses acteurs. Faut dire qu’il y a du monde au casting : Jim Carey, Kate Winslet, Elijah Wood, Kirsten Dunst. Pas exactement des débutants ou des gens à l’orée de leur carrière. Carey, sorte de Jerry Lewis pour prématurés, cartonne à chacun de ses films au box office, Winslet est une star (merci Cameron et « Titanic »), Elijah Wood avait le rôle principal de la série triomphale du « Seigneur des Anneaux », Kirsten Dunst est la fiancée de Spider-Man.
Le coup de génie de « Eternal … » est d’utiliser les têtes d’affiche principales (Carey et Winslet) à contre-emploi. Carey laisse tomber ses grimaces pour jouer un jeune mec coincé et fragile, amoureux largué. Son jeu est économe des gesticulations en tout genre qui ont fait sa fortune. C’est Kate Winslet qui en fait des brouettes à sa place, dans le rôle d’une nana libérée et extravertie, dont la principale tocade est de souvent changer de couleur de cheveux et de donner dans le voyant capillaire (orange, bleu, vert, rouge …). Elijah Wood a un second rôle, juste quelques scènes de neuneu qui fait tout foirer. Kirsten Dunst joue comme d’hab la nunuche sexy et creuse, mais dont la « rébellion » finale entraînera le dénouement du film. Casting auquel il faut rajouter un Mark Ruffalo en devenir et l’expérimenté Tom Wilkinson, sur lequel Gondry ne tarit pas d’éloges dans son commentaire du film en section bonus.
Clementine et Joel sur la glace ...
Au début du film, on voit Joel (Carey) visiblement la tête dans le derrière, se lever péniblement pour sa séquence habituelle métro-boulot. Sur le quai de la gare et sur un coup de tête, il prend un autre train qui l’amène sur une plage du New Jersey (en plein hiver et sous la neige, c’est pour le moins une idée étrange). La seule personne qui traîne là est Clementine (Winslet) qui le branche et le vampe littéralement. Début de la love story entre ces deux êtres si différents. Les scènes (que l’on croit banales, mais dont chaque détail compte, on s’en rendra compte plus tard) entre les deux tourtereaux se succèdent jusqu’à ce que le générique du film apparaisse (au bout de 17 minutes quand même). Et à partir de là, des choses étranges, bizarre se produisent, vues par l’œil de Joel. Jusqu’à ce que Clementine à qui il va offrir un cadeau à son boulot dans une librairie ne le reconnaisse même pas, occupée qu’elle est à bécoter un inconnu …
A partir de là, on bascule dans une autre dimension. Joel apprend que Clementine sur un coup de tête a fait « effacer » de son cerveau tous les souvenirs concernant Joel par une entreprise spécialisée, Lacuna. Totalement perdu, Joel s’en va chez Lacuna pour faire lui aussi effacer Clementine de sa mémoire. Evidemment, quand on voit les bureaux de Lacuna (plus lookés étude de notaire que société high-tech) et ses employés (Wilkinson, Dunst, Wood, Ruffalo) plutôt à l’Ouest, on se doute que tout ne va pas se passer exactement comme prévu. D’autant plus que le cerveau de Joel se rebelle, il est très attaché à Clémentine et veut la conserver, au moins dans ses souvenirs.
Dunst, Ruffalo & Wilkinson : la société Lacuna
C’est là qu’on s’aperçoit que le début du film se situe en fait aux deux tiers de l’histoire, et que toutes les scènes « anodines » d’avant le générique livraient des informations cruciales pour la suite. Trop tard (et c’est le gros reproche que je fais à ce film), tu te retrouves largué, d’autant plus que Gondry joue en permanence sur l’espace-temps (les flashbacks, les dédoublements, les retours en enfance, les projections dans le présent ou le futur s’enchaînent). Il faut plusieurs visionnages pour comprendre toute la mécanique poétique et légèrement surréaliste qui font la matière de « Eternal … ». Et ne pas compter sur la version commentée du film par Gondry et Kaufman, sans aucun intérêt. Les deux gars sont apparemment des taiseux (bonjour les blancs interminables) et ne font en gros que s’extasier sur le jeu de leurs acteurs. Quoique c’est peut-être fait exprès, il appartient à chacun d’interpréter, d’imaginer, de se prendre à ce jeu entre rêve et réalité.
Sorte de « Love Story » sous LSD, « Eternal … » est baigné par la musique onirique de Jon Brion et permet d’entendre une reprise par Beck (le scientologue, pas le Jeff) de la scie 80’s des neuneus Korgis « Everybody’s got to learn sometimes ». Un Oscar (mérité) pour le scénario sanctionnera la bonne carrière dans les salles du film.

« Eternal sunshine … » est un joli film à voir … plusieurs fois avant de le juger …



SHINYA TSUKAMOTO - TETSUO (1989)

Metal Machine Movie ...
« Tetsuo », y’a écrit en tellement grosses lettres partout « film culte » que ça en devient trop voyant, limite embarrassant.
De quoi retourne t-il ? Tout d’abord, et c’est difficile de ne pas le reconnaître, « Tetsuo » est un film différent. D’à peu près tout ce qui est paru jusque là, même s’il pioche allègrement dans des œuvres « classiques », en tout cas plus conventionnelles. « Tetsuo » est un des premiers témoignages filmés (quelques courts métrages auparavant) de Shinya Tsukamato, qui a vingt huit ans au moment où il commence le tournage. Tsukamoto vient de la pub, d’où un sens sinon inné mais du moins bien assimilé de l’image qui accroche.
Shinya Tsukamoto
Et là, question image qui accroche, il a placé la barre très haut Tsukamoto. C’est plus de l’accroche, c’est du choc frontal. Qui passe par des choix esthétiques radicaux. Un noir et blanc granuleux, tellement « léger » techniquement (rassurez-vous, c’est fait exprès) qu’on dirait un film des années 20. Un montage hystérique (« Tueurs-nés » on dirait quasiment du Bergman en comparaison), saccadé, rythmé le plus souvent par une techno épileptique (signée Chu Ishikawa, partenaire constant de Tsukamoto). Ce qui fait qu’au bout d’une heure et cinq minutes, générique compris, tout est bouclé.
Le scénario est à la fois simple, sinon simpliste. Dans un Tokyo plus ou moins futuriste, des humains se contaminent, se séduisent et s’exterminent en devenant des mutants mi chair mi ferraille. Le tout dans des décors d’appartements exigus, ou dans des chantiers délabrés de sites industriels. On pense parfois au premier film de Luc Besson « Le dernier combat » (le noir et blanc, les sites post apocalyptiques, les dialogues réduits au strict minimum). Sauf que ni Tsukamoto, ni son fan club ou les spécialistes de son œuvre, ne citent jamais ce film de Besson.
The Man Machine ...
Tsukamoto se réclame de Lynch (« Eraserhead » évidemment), du « Metropolis » de Fritz Lang (le type connaît ses classiques), de « Blade runner » de Ridley Scott, et du « Videodrome » de Cronenberg. Il aurait pu citer « Frankenstein » et ses multiples adaptations. La « fiancée » ( ? ) du « héros » ( ?)  car personne n’a de nom dans le scénario, on dirait la fiancée de Frankenstein dans le film du même nom de Whale. Mais il les enterre tous par le côté totalement destroy de son film. « Tetsuo » est hyper violent, tendance gore (la première scène, c’est un type qui s’entaille très profondément la cuisse pour s’y insérer une longue tige filetée, garantissant en plein cadre giclées de sang, chairs en décomposition et grouillement d’asticots).
Comme il faut tout bien ranger et étiqueter, on trouve un peu partout que « Tetsuo » est un des films fondateurs du cyberpunk, tiroir générique où l’on met tout et n’importe quoi (en musique, c’était les terrifiants pantins de Sigue Sigue Sputnik au milieu des 80’s, mais il y a du cyberpunk littéraire, plastique, filmographique, …). Pour moi, c’est une surenchère visuelle perpétuelle qui se dirige vers un final où se mélangent, mort, vie et résurrection sous la forme d’un combat métallique entre deux mutants (dont Tsukamoto, qui aime bien faire l’acteur dans ses films, même si dans « Tetsuo » c’est dû à un budget plus qu’étriqué) devenus amas de ferrailles et de câbles électrique divers (on pense à Alien, avec les membres qui sortent des membres).
Une petite pipe ?
Visuellement, c’est très fort (pas de fric pour les effets spéciaux, les plans sont tournés image par image, comme un dessin animé), avec des scènes chocs qui s’enchaînent à un rythme effréné. Une des plus mémorables est la bagarre – copulation, avec le sexe de la femme en forme d’un serpent à tête chercheuse (Alien again) qui finit par sodomiser l’homme, avant que le sexe de celui-ci se transforme en foret et éventre sa partenaire … Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Perso, je trouve ce film original (c’est bien le moins), mais c’est pas vraiment mon truc (y’a aussi des références à la culture manga dont j’ignore tout et me contrefous complètement), je le trouve malgré sa durée réduite interminable, succession ininterrompue de délires psychotroniques qui me passent par-dessus la tête. A tel point que dans le coffret où le film est jumelé avec son remake-suite (il y aura quatre épisodes au total tous réalisés par Tsukamoto) en couleurs, je m’en suis prudemment tenu à ce premier volet et ne compte pas aller plus loin.
Etrangement, Tsukamoto que l’on voit dans les bonus du Dvd répondre à des questions de Jean-Pierre Dionnet (qui d’autre ?) est un type calme, poli, très rationnel et nullement extravagant dans ses propos alors que l’on s’attendrait à voir un excité intégral.
En fait, « Tetsuo », il durerait dix fois moins, on dirait un clip de Marylin Manson… C’est dire que pour moi on arrive assez vite aux limites du truc … 



DANIEL MYRICK & EDUARDO SANCHEZ - LE PROJET BLAIR WITCH (1999)

Avec trois bouts de ficelle ...
Des bouts de ficelle qui relient des petites branches pour former des signes inquiétants. C’est à peu près le seul truc qui ne soit pas naturel dans le film…
« Le projet Blair Witch », où comment deux même pas trentenaires américains, Daniel Myrick et Eduardo Sanchez, engendrèrent un des plus colossaux ratios lucratifs (recettes du film par rapport à son coût) de tous les temps. Cinquante mille dollars investis et des centaines de millions de recettes. Tout ça pour un film qui n’en est pas un. Et par deux types inconnus qui ne feront, soit ensemble, soit séparément, plus rien de notable.
Daniel Myrick & Eduardo Sanchez
« Le projet Blair Witch », c’est fait avec les moyens d’un documentaire fauché, genre reportage animalier à la télé est-allemande dans les années 80. Et encore, les boches rouges avaient beaucoup plus de brouzouf… Ici, on a en tout et pour tout une mini-caméra vidéo portable et une en super 16. Les deux tenues à l’épaule, c’est filmé en marchant ou en courant, et souvent la nuit, donc il y a des scènes où on ne voit que le noir intégral. Un truc totalement insensé, à l’encontre de ce que l’on peut voir dans les salles.
Le scénario tient sur un timbre-poste. Trois ados filment un docu dans une forêt où auraient eu lieu à différentes époques des crimes abominables et inexpliqués, que la légende locale attribue à la sorcière de Blair (à moins qu’il y ait plusieurs créatures, on sait pas trop). Les trois bambins se paument dans les bois et vont y passer quasiment une semaine. Un disparaîtra sans laisser de traces (mais des cris de souffrance, on y reviendra), les deux autres termineront leur périple dans une maison délabrée et peu avenante. Toujours en filmant leurs faits et gestes, y compris les plus anodins. En intro, on nous précise que ce sont les images qu’ils ont tournées que l’on retrouvera un an plus tard et qui donneront le film.
Promenons-nous dans les bois ...
« Le projet Blair Witch » inaugurera à peu près (même si certains exégètes citent des œuvres inconnues par des types qui le sont tout autant, comme influences potentielles), un genre particulier de film d’épouvante, celui filmé par les gens qui le vivent (voir la série des « REC »). Avec une technique calamiteuse (les trois savent tout juste tenir une caméra), un peu à la « Massacre à la tronçonneuse », et aucun effet spécial à l’horizon. Tout repose sur une longue montée oppressante de la tension. Sans rien montrer, pas la moindre goutte de sang (on voit tout juste fugitivement enveloppé dans un chiffon au milieu d’un fagot de branches, un truc sanguinolent qui ressemble à une dent), et pas la moindre créature infernale qui dézingue tout ce qui est à l’image (ce qui rend par exemple ridicule le final du quasi clone de « Blair Witch » sorti dix ans plus tard, « Paranormal activity »). Je sais plus qui c’est qui avait dit (Polanski, à propos du bébé maléfique de « Rosemary’s baby » que plein de spectateurs ont décrit alors qu’il n’apparaît jamais à l’image ?) que la peur tu l’as en toi, et que le reste n’est que projection intérieure de fantasmes…
Putain mais c'est quoi ces trucs ?
« Le projet Blair Witch » est une merveille de réussite anxiogène, depuis les ploucs de chez plouc qui interviennent sous forme de micro-trottoir au début pour raconter la ou les légendes de leur bled perdu du Maryland, jusqu’à cette tension qui monte inexorablement au cours des nuits en forêt. Coup de génie, les journées (qui constituent l’essentiel des images), il ne se passe rien (sinon on verrait, et le film perdrait tout son intérêt). Juste de temps à autre la découverte par les randonneurs paumés de quelques tas bizarres de cailloux ou de guirlandes cabalistiques étranges pendues aux arbres. Les jours servent juste à faire monter la pression chez le spectateur comme chez les trois, qui alternent nonchalance potache et pétages de plombs quand ils se rendent compte qu’ils sont complètement paumés, avant à la longue de flipper leur race.
« Le projet Blair Witch » n’a pas de fin (dans le sens d’une fin de film qui donne un épilogue à l’histoire). Au milieu de la panique galopante qui saisit le garçon et la fille « rescapés » dans la vielle baraque en ruines, on les imagine étripés (par quoi ou qui ?), alors que très fugacement, on en aperçoit un collé à un mur et la fille semble se cogner avant de tomber et de laisser sa caméra filmer un plafond décrépi. Tout ça parce cette histoire de sorcière(s) est omniprésente et qu’un des garçons a disparu une nuit sans laisser de traces. Seuls des gémissements au début sourds et la dernière nuit se transformant en hurlements, que les autres reconnaissent comme étant siens, indiquent sa « présence » et guident les deux autres vers l’épouvantable ( ? ) final nocturne.
Image devenue culte ...
Ce qui prouve qu’il y a des choses travaillées, notamment la bande son qui est fabuleuse, ultra flippante avec ses bruissements, ses bruits de pas ou de cavalcade, ses plaintes étouffées ou ses cris de souffrance, quand l’écran est noir. Ou les discussions échangées par les trois ados, leur farouche volonté malgré tout de s’en sortir qui laisserait présager une plus ou moins happy end (la dernière scène a été tournée de plusieurs façons, sans que l’on sache ce qu’étaient celles qui n’ont pas été retenues), et le leitmotiv qui voudrait que l’on ne disparaisse pas dans les Etas-Unis des années 90, que l’on finit toujours par vous retrouver, et qui revient plusieurs fois dans les dialogues façon méthode Coué.
Tout le casting est composé d’acteurs amateurs, et c’est pour les trois personnages principaux leur premier film (d’ailleurs aucun des trois ne fera beaucoup parler de lui par la suite). Ils ont été lâchés pendant deux semaines dans les bois avec leur barda, passant leurs journées à crapahuter et à se filmer, n’ayant aucune idée du scénario (les réalisateurs leur donnaient les instructions le matin pour la journée, tout a été tourné chronologiquement).
Le succès du film sera colossal, appuyé par un marketing (sans aucun moyen, mais avec beaucoup d’imagination au départ) qui fera par la suite école et que l’on a l’habitude de qualifier de « viral ». Les réalisateurs notamment ont profité de l’internet naissant pour multiplier les sites (tous des fakes) où l’on trouvait la « vraie » histoire à l’origine du film, et les prétendues calamités arrivées aux participants (l’un des deux réalisateurs était même soi-disant mort, victime de la terrible vengeance des forces maléfiques). Et même encore aujourd’hui, on trouve sur des forums de pauvres gogos angoissés par cette histoire qu’ils croient vraie.
Ne reculant devant rien, certaines jaquettes de Dvd assurent qu’« on a pas eu autant les jetons au cinéma depuis « Shining » ». Bon, faut pas pousser, faudrait voir à rester dans le domaine des choses comparables.
Il n’empêche que « Le projet Blair Witch » est quand même une belle réussite et qu’il sera difficile de faire aussi anxiogène avec aussi peu de fric.
Une leçon à méditer pour tous ceux qui claquent des millions de dollars dans des effets gore piteux …



FRANCIS FORD COPPOLA - DRACULA (1992)

Sang cinquante ...
Ou plutôt cent cinquante. C’est à peu près le nombre de versions filmées du mythe de Dracula (ou Nosferatu, quand les réalisateurs n’avaient pas les autorisations des ayant-droits de Stoker) déjà tournées quand est sortie celle de Coppola. Depuis les classiques de chez classique de Murnau ou Browning, en passant par les innombrables kitscheries de la Hammer, jusqu’aux parodies blaxploitation (« Blakula »), franchouillardes (« Les Charlots contre Dracula »), voire kung-fu (le très improbable « The seven brothers meet Dracula »).
Autrement dit, même quand on s’appelle Coppola, tourner une énième version, même si c’est celle qui se veut la plus fidèle au livre de Bram Stoker, constitue en soi un sacré challenge. Avec en filigrane quand Coppola débute le projet, l’ombre d’une des plus récentes, celle de l’allumé Werner Herzog avec dans le rôle de Nosferatu-Dracula rien de moins qu’un autre cramé notoire, Klaus Kinski.
Oldman et Reaves, ombres et lumières
Pour faire le grand film dont il rêve (hum, vraiment, n’est-ce pas plutôt un « divertissement » pour un Coppola qui n’a plus rien à prouver après les trois volets du « Parrain » et « Apocalypse now »), s’il a certes un scénario tout écrit depuis des décennies, se doit de trouver un casting qui tienne la route et de signer une mise en scène qui fasse date. A ce stade, il y a deux façons de juger ce film. Soit on fait abstraction de tous ceux d’avant, et le « Dracula » de Coppola est génial. Soit on  garde en tête tous ceux qui l’ont précédé, et là, ça coince quand même un peu (beaucoup ?).
Le casting de Coppola, c’est l’auberge espagnole, savant mélange de valeurs confirmées (Hopkins en professeur Van Helsing) et de jeunes premiers « dans le vent » (Winona Ryder et Keanu Reaves, en amoureux maudits). Pour le rôle-titre, un acteur-performer, l’Anglais Gary Oldman (Monsieur Uma Thurman à la ville à cette époque-là). Tous ayant eu les mois précédents des films qui ont cartonné au box-office (« Le silence des agneaux », « Edward aux mains d’argent », « My own private Idaho », « JFK »). Plus en guest la figure pittoresque de Tom Waits dans une de ses plus mauvaises performances, et une apparition tous tétons en avant d’une Italienne débutante, Monica Belucci ... Alors que ce n’était peut-être pas le but recherché, ce sont les anciens Oldman et Hopkins qui bouffent les minots Reaves et Ryder. Oldman est étonnant, livrant une performance très « maquillée », un moment multi centenaire, la scène d’après en aristo séducteur, plus tard un loup-garou ou une chauve-souris, voire même un nuage vert (non, là c’est pas lui …). Du coup Hopkins (qui d’après les bonus m’a l’air aussi allumé à cette époque qu’un Nicholson des grands jours) y va à fond et campe un Van Helsing possédé ( ! ) et truculent et crève littéralement l’écran, alors qu’il n’apparaît pour la première fois à l’image qu’au milieu du film. Les deux minots souffrent de la comparaison, surtout Keanu Reaves, que l’on sent bien en-dedans, bien transparent dans cette affaire. Quant à Winona Ryder, elle s’en sort un peu mieux, en beauté languide diaphane, même si cette performance à la  Blanche-Neige (voulue par Coppola ?) me semble un peu too much …
Winona Ryder
Malgré son talent, on sent quand même Coppola gêné aux entournures. Que montrer qui n’ait pas été vu des dizaines de fois par les cinéphiles et les Dracula fans ? Du gore à tous les étages ? Même si les jets d’hémoglobine ne le rebutent pas, c’est pas trop son truc à Coppola. Et puis, malgré cette adaptation qui se veut fidèle du roman, tout de la saga centenaire de Dracula est déjà connu, vu et revu. Sauf peut-être les origines de la légende, le combat du comte Dracula contre les envahisseurs Turcs au XVème siècle. Ce qui donne lieu à une intro de film très réussie et qui aide pas mal à faire passer la pilule du reste. D’autant que cette quête éternelle de l’amour perdu va constituer la trame essentielle du film de Coppola. Le Dracula de Coppola est un vampire amoureux, poursuivant de ses assiduités l’image de sa fiancée au travers des siècles, un immortel qui se meurt d’amour. Cet aspect du personnage, rarement mis en avant dans les films précédents, maintient la production Coppola à flot.
Visuellement, ce film est décevant. Non pas parce que c’est filmé avec les pieds (pas le genre de la maison), mais parce qu’il y a là un univers que Coppola ne maîtrise pas. Faire du gothique, ça marche quand c’est Tim Burton (ou Murnau) derrière la caméra, mais là on sent vraiment que c’est pas son univers. D’autant que Coppola reste le cul entre deux chaises, s’aventurant par moments dans des trucages tout numérique, le coup d’après utilisant des décors ultra cheap très Hammer style (c’est tellement grossier que c’est évidemment fait exprès), mais pourquoi ne pas avoir choisi, pourquoi alterner high tech et trompe-l’œil des années cinquante ? En fait, ce qui s’imprime le plus dans les rétines, ce sont les costumes (œuvre du créateur japonais Eiko Ishioka), tellement explosifs en couleurs qu’ils aident à masquer la faiblesse des décors (la première apparition de Dracula avec sa gigantesque cape rouge, on croirait qu’il arrive du carnaval de Venise …).
Anthony Hopkins
Le « Dracula » version Coppola me laisse une impression mitigée, comme une irruption dans un univers qui n’est pas le sien, dont il ne maîtrise pas tous les codes (un autre exemple, la chanson de générique par Annie Lennox, qui force sur le côté gothique théâtral, alors que c’est pas les « vrais » musicos gothiques qui manquaient à l’époque). Coppola passe son temps à reprendre les codes des autres (les ombres démesurées de Murnau, les décors de la Hammer, au milieu d’une surenchère de fumigènes et autres effets de brouillard…), et même si c’est forcément le personnage central du film, « sacrifie » son casting au profit de Dracula. Mais malgré ses efforts et son talent (et celui d’Oldman), je ne suis pas persuadé que le Dracula de Coppola fasse oublier les interprètes « historiques » du rôle, les Christopher Lee, Lon Chaney, Bela Lugosi, …
Perso, je vois ce film comme une récréation un peu bâclée.

Ça n’a pas été l’avis du public, qui en fait une des grandes réussites commerciales de Coppola …

Du même sur ce blog :
Le Parrain 2


NICOLAS ROEG - L'HOMME QUI VENAIT D'AILLEURS (1976)

Cracked Actor ?
« L’homme qui venait d’ailleurs » (« The man who fell to Earth » en V.O). est un film qui s’est vautré lors de sa sortie en salles avant d’acquérir à la longue un statut de film culte. Essentiellement par la présence dans le rôle principal de David Robert Jones, plus connu sous le nom de David Bowie.
D’ailleurs aujourd’hui, le titre du film sert parfois de métaphore pour décrire le chanteur aux yeux vairons. Peu sont capables de citer d’autres acteurs du casting, rares ceux pour qui le nom du metteur en scène Nicolas Roeg évoque quelque chose. Les distributeurs ne s’y sont pas trompés, les bande-annonce et la promotion du film mettaient exagérément en avant le nom de Bowie. Même si c’est lui qui porte le film sur ses épaules. Frêles à l’époque. Bowie passe le plus clair de son temps dans une villa de Los Angeles, se nourrissant quasi exclusivement de lait et de cocaïne, et est d’une maigreur à faire envie à nos mannequins anorexiques d’aujourd’hui.
Vers 1975, quand le scénario du film lui est soumis, Bowie n’est pas au mieux, se cherche. Il a « suicidé » son personnage de Ziggy Stardust, s’est investi dans une multitude de collaborations musicales (Lou Reed, Iggy Pop, Mott The Hoople), certes appréciées, mais au détriment de sa propre carrière. Un album de reprises, « Pin ups » (qui a d’une certaine façon inventé le revivalisme dans le rock) plutôt boudé, une suite-renaissance du Ziggy Stardust sound (« Diamond dogs », qui ne vaut pas « Ziggy … » ou « Alladin Sane »), et dernier en date, un essai de disco-funk blanc (« Young americans »), descendu par la critique mais annonciateur de la déferlante disco imminente. Atout important de Bowie, c’est un curieux de tout, prêt à toutes les expérimentations artistiques. Alors du coup, le projet de Roeg lui offre un challenge inédit (il n’a jamais tourné), et satisfait quelque peu la mégalomanie (il a le premier rôle) inhérente à toutes les stars du rock.
Bowie & Roeg
Bowie n’aurait pris qu’une semaine de réflexion après avoir reçu le scénario pour donner son accord, s’envoler avec management, femme et enfant (Zowie, aujourd’hui Duncan Jones, ça fait moins crétin comme prénom tout de même) pour le Nouveau-Mexique, où doit être tourné le film.
Un film tiré d’un bouquin (largement réaménagé par le scénariste anglais Paul Mayersberg) de Walter Stone Tevis. Un panel de producteurs réunit un petit budget et un petit casting. Le tout confié à un réalisateur jugé plutôt bizarre (alors que l’époque comptait quand même pas mal de cramés notoires), l’américain Nicolas Roeg. Un « spécialiste » des rock-stars, puisqu’il avait déjà dirigé Mick Jagger (dans « Performance », lui aussi plus connu pour son acteur-vedette que pour sa qualité artistique), et venait de terminer ce qui reste son meilleur film « Don’t look now » (« Ne vous retournez pas » en français).
Il paraît (Bowie est absent des bonus du Dvd, ce qui fait un peu désordre et en dit long sur ce qu’il doit penser avec le recul du film) que le chanteur glam s’est beaucoup investi sur le tournage, suggérant plein de choses. Dans un climat curieux et vaudevillesque. Anecdote croquignolette, l’actrice principale, l’oubliée Candy Clark était la petite amie du producteur principal Michael Deelay, avant de devenir celle de Roeg qui l’a imposée dans le casting. Et dans le film, la maîtresse du richissime Newton finit dans les bras d’un de ses associés, si ça c’est pas de la private joke subliminale …
David Bowie & Candy Clark
L’histoire du film, c’est celle d’un alien (Thomas Jerome Newton / Bowie) venu sur Terre pour trouver le moyen d’aider et sauver sa famille victime de la désertification de sa planète d’origine. Doté de connaissances technologiques très supérieures aux nôtres, il va se lancer dans la construction d’un empire industrialo-financier qui lui permettra de mettre en chantier son voyage de retour et la résolution de ses problèmes lointains. Logiquement, cette étrange créature qui a pris forme humaine souffrira de quelques difficultés d’adaptation qui sont le cœur (et la conclusion) du film. « L’homme qui venait d’ailleurs » est un curieux mélange de fantastique et de  psychologique (une petite poignée de personnages évolue à peu près en vase clos, ce sont leurs relations étranges et ambiguës sur une longue période – non définie – qui sont montrées).
Dès le départ, « L’homme … » est un film perdu. Bowie est un chanteur, au mieux un performer, certainement pas un acteur. Roeg sauve un peu l’affaire en le faisant évoluer en « terrain connu ». Bowie, qui a chanté « Space odditty », « Life on Mars » et a été à la scène l’extra-terrestre Ziggy Stardust, n’est pas Thomas Jerome Newton. Il est Bowie, tout simplement, les similitudes entre son personnage à l’écran et sa vraie vie passée étant légion. Comme Bowie, Newton cultive une certaine dichotomie : le riche inadapté socialement se retrouve sous les feux de l’actualité quand il veut piloter le vaisseau spatial qu’il a fait construire ; à mettre en parallèle avec l’artiste introverti qui s’exhibe sur scène de la façon la plus choquante possible. L’incompréhension, la « chasse au sorcier » étranger est celle du créateur avant-gardiste. Newton, qui vivait dans une planète austère et vient sur Terre avec une mentalité d’écolo finit accro à la télévision, à la bibine et baise à couille rabattue. Newton ressemble beaucoup à Mick Jagger, Keith Richards, Steven Tyler, Joe Perry, Keith Moon, Alice Cooper (liste non exhaustive). Il y a même des fois où ça devient surréaliste (un des acteurs principaux du film va dans un magasin de disques plein d’affiches publicitaires pour « Young americans », oui, de Bowie, je vois que vous suivez, un Newton  démasqué et « étudié » par la CIA qui ne retournera jamais dans sa planète n’a rien trouvé de mieux que de sortir un disque pour que les siens puissent un jour avoir de ses nouvelles), où le mythe de la (rock) star éternelle devient un moteur même du scénario (Bowie / Newton ne vieillit pas, alors que tout son entourage met les cheveux blancs).
Loving the Alien ?
Le projet reposait tellement sur les épaules de celui qui allait revenir à la scène en Thin White Duke, qu’il devait même en écrire la partition musicale. Finalement c’est John Philips (l’ancien leader des Mamas & Papas) qui en sera chargé, les ébauches des titres écrits par Bowie durant le tournage seront ensuite améliorées pour figurer dans « Low », un disque qui comme « Station to station » reprend pour sa pochette des images issues du film de Roeg.

« L’homme qui venait d’ailleurs » est assez dispensable, bâti sur et pour le seul Bowie, multipliant les clichés plus ou moins bienvenus sur ce que doit (ou devait) être le quotidien d’une idole « décadente » des jeunes. Le montage façon puzzle (bien que chronologique) de l’histoire a occasionné de multiples versions du film (plus ou moins de fantastique, de face-à-face des acteurs, de scènes de cul, …). Aucune d’entre elles n’a convaincu grand-monde au-delà du fan-club de Bowie … Me semble t-il pourtant son meilleur rôle, c'est dire le niveau du reste ...



SAM RAIMI - SPIDER-MAN (2002)

Spider-Man, appelé à régner (sur le box-office)
« Spider-Man » premier du nom est le genre de film dont on sait avant même sa sortie qu’il va avoir un succès considérable. En tout cas au moins aux Etats-Unis (mais le reste du monde a suivi, 500 millions de dollars de bénefs). Parce que derrière le film il y a une culture, une science du marketing bien rodée, et des sommes faramineuses investies par des majors du cinéma.
Maguire, Raimi & Dunst
La culture, c’est celle des Etats-Unis. Un peuple sans Histoire (moins de 250 ans), donc sans trop de héros réels, et qui en a inventé d’imaginaires. Et tant qu’à faire, comme l’immodeste pays ne fait pas dans la demi-mesure, tant qu’à avoir des héros, autant que ce soit de super-héros. Usine à fabriquer les super-héros, la maison d’édition de comics Marvel, avec à son catalogue tous ces Hulk, Captain America, Iron Man, Wolverine, les X-Men, le Surfeur d’Argent, et tant d’autres. Perle du catalogue, Spider-Man, dont les première planches sont parues en 1963. Personnage créé par le scénariste Stan Lee et le dessinateur Steve Ditko (Lee scénarisera pendant des années, de nombreux dessinateurs se relaieront pour des parutions mensuelles encore en cours me semble t-il). Les aventures de Spider-Man, entre science-fiction et heroic fantasy avec scénarii et rebondissements abracadabrants, c’est pas du tout ma cup of tee, d’autant plus que se révèlent en filigrane toute la déplaisante idéologie respectable et les « saines valeurs » d’une Amérique triomphante, forcément triomphante.  
Peter Parker / Spider-Man
Spider-Man fait partie de la culture américaine, et faire un film de ses aventures était dans l’air du temps depuis des décennies (deux essais guère convaincants qui tiennent plus du téléfilm que du cinéma dans les années 70). Par définition, Spider-Man se doit d’être un film spectaculaire, à grand renfort d’effets spéciaux. La Columbia, associée à Stan Lee, y travaille depuis le début des années 80. L’avancée technologique en matière d’images numériques rendra le film envisageable au début des années 2000. Les billets verts sont engloutis sans compter, pour le film lui même et tous ses à-côtés (promotion, contrats de sponsoring, campagnes de pub, objets dérivés, …). Le budget de l’opération « Spider-Man - The Movie » dépasse très largement les 100 millions de dollars. De quoi en foutre plein la vue …
« Spider-Man » la BD est une saga interminable, peuplée de personnages remplis de super-pouvoirs, qui évoluent au fil des ans, sont amis puis ennemis, meurent et renaissent dans un embrouillamini total, enfin tout le tremblement habituel de ce genre de sornettes dessinées. La première étape a consisté à isoler des personnages et une « histoire » cohérente (entendez compréhensible par un gosse de douze ans gavé de comics, de burgers et de pop-corn). On a donc les origines du super-héros (le puceau timide Peter Parker qui se fait piquer par une araignée radioactive et devient Spider-Man), sa « fiancée » Mary Jane Watson, et bien sûr son faire valoir maléfique le Bouffon Vert (Green Goblin en V.O.) … Plus quelques personnages récurrents de la série.
Rencontrer la belle Mary Jane, il en est tout retourné Spider-Man ...
La caméra est confiée à Sam Raimi, soi-disant fan de Spider-Man depuis tout enfant. Un Sam Raimi qui met avec ce film un terme à sa carrière de réalisateur de séries B horrifiques loufoco-gores (la série des « Evil dead ») pour intégrer le cercle restreint des gens à qui l’on ne confie plus que des projets colossaux en terme de budget (il réalisera également les deux épisodes suivants de la saga Spider-Man, avec des budgets exponentiels). Tobey Maguire est Peter Parker / Spider-Man, il est depuis longtemps dans le métier, mais c’est le premier grand rôle qu’on lui confie. Idem pour sa douce et parfois tendre Mary Jane Watson, jouée par Kirsten Dunst. Mais celui qui survole la distribution, seule vraie « star » du casting au départ, c’est Willem Dafoe pour son double rôle Norman Osborn / Bouffon Vert. Les acteurs, surtout Dafoe, ont assuré eux-mêmes la plupart des scènes d’action, bagarres et cascades, les doublages physiques ou numériques étant peu nombreux (par exemple, la scène où Parker rattrape tous les plats à la cantine n’est pas truquée, elle a nécessité des dizaines de prises). Par contre, les effets numériques sont omniprésents dans les décors (un New York retouché, Times Square numérisé lors de la première confrontation Spider-Man / Bouffon Vert, et évidemment, toutes les ballades aériennes de Spider-Man). D’où l’importance de la coopération entre Raimi et le responsable des effets spéciaux John Dysktra.
La « patte » de Raimi tel que le connaissaient les fans de « Evil dead » est quasi-invisible. Tout au plus faut-il noter un de ses plans typiques (le bras du Bouffon qui sort lentement des décombres façon zombie lors de la baston finale), et la présence au casting de quelques-uns de ses acteurs attitrés, le plus en vue étant logiquement Bruce Campbell en présentateur de combats de catch. On sent derrière ce « Spider-Man » toute la pression et la force de la Columbia-Sony et un cahier des charges extra-cinématographique tellement colossal qu’il éclipse toute velléité d’originalité. Raimi a le budget, certes, mais est entouré d’une pléiade de producteurs (tout court, exécutifs, …). On est prié de rester sérieux avec les millions de dollars.
Le résultat est visuellement remarquable, sans que le film, avec son scénario et ses rebondissements cousus de fil blanc, soit réellement intéressant et encore moins captivant. Ce qui n’empêche pas quelques jolis plans (le baiser « à l’envers » entre Spider-Man et Mary Jane), quelques scènes bien vues (notamment celle du dialogue devant le miroir entre Dafoe/Osborn et son double maléfique).
Miroir, dis-moi qui est le plus méchant ...
Plus gênants sont quelques postulats véhiculés par le film. Passe pour le côté positif, le Bien qui triomphe du Mal, c’est assez commun. Mais si Spider-Man est conçu comme une vitrine, c’est aussi une allégorie de la « bonne » Amérique qui triomphe des méchants, et à ce titre, un des derniers plans du film qui montre Spider-Man accroché à la hampe d’un gigantesque drapeau américain a de quoi laisser perplexe sur le côté cocardier et subliminal de cette affaire. La morale du film et le credo de Spider-Man, qui revient plusieurs fois genre mantra c’est la saine maxime : « avoir un grand pouvoir donne de grandes responsabilités ». Tu parles Charles, suffit de donner du pouvoir à un type pour qu’il se foute royalement de ceux qui le lui ont donné … Il est aussi assez édifiant d’entendre (fugacement, ils s’étendent pas trop sur le sujet) les responsables des effets spéciaux évoquer la retouche numérique de toutes les marques des objets anodins utilisés pour les besoins évidents du film (les boîtes de céréales, les canettes, les paquets de clopes, les affiches, les écrans publicitaires sur les immeubles) dans le but de remplacer la marque d’origine par celle des sponsors ayant amené leurs dollars au projet. Rien n’est neutre, laissé au hasard, tous ont payé pour être visibles à l’écran. Business is business …
Les produits dérivés du film ont évidemment été déclinés à l’infini, même si la plupart existaient de longue date. Il en va de même pour les supports physiques du film, les Dvd, Blu-ray sont cesse réédités sous de nouvelles formes vendues à chaque fois comme « définitives » (même s’il manque encore la director’s cut et la version 3D). Je me suis enquillé (d’occase, 1,5 euro plus frais de port, tout se brade, crise quand tu nous tiens …) une édition « collector » double Dvd avec des heures de bonus plus ou moins intéressants (et plutôt moins que plus d’ailleurs). J’y ai appris deux choses. La première, c’est qu’il n’y a rien de plus pénible qu’un film commenté par les types qui ont fait les effets spéciaux, jamais ils parlent de la scène en cours, ils anticipent celle d’après ou reviennent interminablement sur celle d’avant. La seconde concerne Kirsten Dunst. Si elle est rousse dans le film, c’est en fait une vraie blonde. Elle le démontre avec ses commentaires audio du film (en direct live semble t-il) qui sont d’une banalité, voire d’une bêtise affligeantes. Par contre, dans les exercices imposés des interviews de service après-vente où là elle semble réciter de conventionnelles leçons bien apprises, elle est un peu plus à son avantage … Fuck Mary Jane … quoi, faut faire gaffe à Spider-Man ? Pff, même pas peur …



GUILLERMO DEL TORO - LE LABYRINTHE DE PAN (2006)


Alice in Francoland

« Le Labyrinthe de Pan » est à juste titre un des films les plus marquants et les plus célébrés des années 2000 et sera certainement le film de sa vie pour Guillermo Del Toro. Un projet fou que le gros Mexicain avait dans sa tête depuis vingt ans, avant même d’avoir tourné quoi que ce soit.
Quand il commence le tournage au milieu des années 2000, Del Toro est un réalisateur devenu bankable qui a commencé par des films fantastiques « d’auteur » (entendez par là des petits budgets et des demi-succès) culminant avec « L’échine du Diable », avant d’aller à Hollywood mettre en scène des pelloches à gros budget et gros succès (un « Blade », le premier « Hellboy »). Une carrière qui présente bien des similitudes avec celle de Sam Raimi, parti lui des loufoqueries gore des « Evil dead » pour finir avec la série des « Spider Man ».
« Le Labyrinthe de Pan » (mauvaise traduction du titre original espagnol, « Le Labyrinthe du Faune », beaucoup plus adéquat au scénario) raconte deux histoires, l’une se déroulant dans un monde réel, l’autre dans un monde imaginaire. L’histoire réelle se déroule en 1944 dans le Nord de l’Espagne, où la garnison du capitaine Vidal combat au nom du franquisme les derniers bastions de résistance communiste. L’histoire imaginaire est celle de sa belle-fille Ofelia, et de sa quête pour retrouver son statut de princesse d’un royaume parallèle et disparu. Ces deux mondes vont lentement s’interpénétrer et finalement s’affronter lors d’un final cataclysmique.
Même s’il est en partie inspiré par des films comme « Le Magicien d’Oz » ou « Alice au pays des Merveilles », « Le Labyrinthe … » n’est pas vraiment un film pour enfants … ou alors des enfants (très) avertis, il y a certaines scènes bien gore (le défonçage de tête à coups de bouteille du braconnier, la torture du bègue, l’auto-suturation de la joue de Vidal, …) bien nauséeuses, qui risquent de traumatiser le fan de base de Dumbo …
Il y a dans ce film une abondance de détails, de symboles, qui en font une œuvre dont on découvre toujours quelque chose de nouveau à chaque visionnage. Et puis, au cas où l’on n’aurait pas tout compris, parmi les plus de 6 heures ( ! ) de bonus de la version BluRay, moultes explications de Del Toro, dont une version intégrale du film qu’il commente.
Ce film est un patchwork entre monde réel et monde imaginaire, c’en est aussi un entre « cinéma à l’ancienne » et effets spéciaux numériques. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le monde féérico-cauchemardesque repose beaucoup plus sur des décors pharaoniques construits par des artisans locaux espagnols, certains n’étant utilisés que pour une seule scène (la cité en ruines du début, le train). Le moulin, lieu de l’action « réelle » est un décor. Le numérique n’est utilisé qu’additionnellement pour certains trucages. Le résultat est spectaculaire, et Del Toro n’y est pas pour rien, utilisant une armée de caméras toujours en perpétuel mouvement. Des mouvements lents et ondoyants qui enveloppent les personnages, à l’opposé des montages saccadés et épileptiques trop souvent de mise dans le cinéma d’aujourd’hui. Il y a du Kubrick chez Del Toro, mais un Kubrick qui abandonnerait les grands espaces pour filmer au plus près des acteurs, dans un langoureux ballet qui rend l’atmosphère encore plus oppressante.
Les acteurs livrent de grandes performances, alors qu’ils viennent pour la plupart d’autres genres cinématographiques. Mention particulière à Sergi Lopez, glaçant capitaine Vidal et à la froideur déterminée de Maribel Verdu (Mercedes) , plutôt habituée aux rôles sexy de comédie. Concernant la jeune Ivana Baquero qui joue le rôle principal, celui d’Ofelia, Del Toro a la lucidité de ne pas trop lui en demander, de ne pas faire reposer l’essentiel sur sa seule prestation, et elle se tire des scènes difficiles avec quelques sympathiques mimiques. L’essentiel du casting est espagnol (Del Toro a refusé le tournage dans les studios hollywoodiens), à l’exception de l’américain Doug Jones, spécialiste des rôles très « costumés » et maquillés, c’est lui qui joue ici le Faune et aussi le Pale Man.
L’histoire « imaginaire » explore toutes les symboliques du conte pour enfants. La petite fille qui devient princesse, les épreuves qu’elle doit affronter représentées par les monstres récurrents (l’animal hors-norme, ici un crapaud géant, malgré tout peut-être le passage le plus faible et téléphoné du film, l’ogre, avec la superbe création du personnage du Pale Man un des plus « beaux » monstres des derniers lustres), les soutiens qu’elle reçoit (le Faune qui la guide, les fées-phasmes qui l’escortent), les éléments de pure magie (le livre qui s’écrit quand on l’ouvre, la craie qui trace des portes pour accéder ou s’échapper du monde imaginaire, la mandragore qui soulage les douleurs de la pénible grossesse de la mère d’Ofelia, … ).
Le monde réel est austère, tout en couleurs froides et lignes droites, réglé par des mécaniques inéluctables (les engrenages du moulin, ceux de la montre que Vidal répare et entretient avec un soin maniaque), le monde imaginaire est tout en courbes, « utérin » dit plusieurs fois Del Toro dans ses commentaires (le puits du labyrinthe, la caverne du crapaud, le couloir voûté qui conduit à la salle à manger du Pale Man, la salle du trône du Roi, …), les couleurs sont beaucoup plus chaudes, pour devenir vives (avec un jaune orangé qui domine vers la fin, lors des explosions pendant l’attaque du moulin, ou dans la salle du Trône). Insidieusement les deux mondes se pénètrent, parfois les méchants évoluent dans le même cadre (la parfaite similitude entre la pièce et la table où siège Vidal lors du banquet avec les notables, et la pièce où est installé le Pale Man). Del Toro a même glissé dans le monde réel des éléments qui suggèrent le monde imaginaire, mais bon faut avoir un sacré don de l’observation pour distinguer que les incrustations dans la tête du lit de la mère d’Ofelia et le pommeau de la rampe d’escalier dans le moulin reprennent la forme des cornes du faune, alors que c’est beaucoup plus évident dans la forme de l’arbre mort où se terre le crapaud géant.
Parce que dans ce film Del Toro joue avec les détails d’une façon maniaque (par exemple en rajeunissant et embellissant imperceptiblement le faune à chacune de ses apparitions, à mesure qu’Ofelia progresse dans ses épreuves), et multiplie les allusions lourdement symboliques, notamment religieuses. Quoi de plus normal dans la très croyante Espagne que de multiplier les trinités (trois fées, trois serrures chez le Pale Man, trois épreuves pour Ofelia, …), que le Pale Man (trouvaille absolument géniale) utilise les stigmates de ses mains pour y ficher ses yeux et voir …
Bizarrement, car il s’agit véritablement d’une œuvre majeure à tiroirs, l’aspect historique et politique a été zappé, surtout dans les explications et l’exploitation qui a été faite des thématiques du film. Del Toro lui-même, alors que les allusions sont évidentes, passe très vite (pour ne pas dire qu’il l’occulte carrément) sur cet aspect dans ses heures de commentaires, alors que d’autres sont exposés à plusieurs reprises. Dès les premières images du film, s’incruste sur l’écran « Espagne 1944 », les maquisards dans la grotte lisent un journal annonçant le débarquement des alliés en Normandie. Le lieu et l’époque sont bien définis. Le personnage d’Ofelia (l’innocence, la pureté) ne salue pas (elle tend la main gauche) son beau-père Vidal, le militaire franquiste, ils vont s’opposer tout le film, et elle finira abattue par lui. La scène du banquet donné par Vidal n’a que peu d’importance dans l’histoire du film, mais elle permet de montrer les classes sociales (les notables locaux, l’Eglise) qui soutenaient le franquisme, et leurs représentants sont vraiment traités par Del Toro qui connaît bien l’histoire de l’Espagne de la façon caricaturale qui convient. Et comment ne pas voir dans le personnage et l’environnement du Pale Man (réplique « imaginaire » de Vidal), les allusions criantes au nazisme (la cheminée en forme de four qui brûle derrière lui, l’amoncellement des ossements et des chaussures d’enfants qu’il a dévorés qui rappellent les mêmes amoncellements vus dans les films-documentaires sur les camps de concentration comme « Shoah » ou « Nuit et brouillard »). Le film ayant très vite connu un gros succès en Espagne, il semblerait que Del Toro et tout le staff aient renoncé à mettre en avant cet aspect-là, pour ne pas froisser et raviver quelques susceptibilités dans un pays encore traumatisé de nos jours par plus de trente ans de dictature militaire …
Tiens, comme ça en passant, qu’on ne me dise pas que Tarantino, qui n’a pas les yeux dans sa poche quand il s’agit de piquer les bonnes idées aux autres, ne s’est pas un peu inspiré du personnage de Vidal pour le rôle qu’il a donné à Christoph Waltz dans « Inglorious Basterds ».
Ah et puis pour finir, il y a dans « Le Labyrinthe de Pan » une mélodie inoubliable qui revient plusieurs fois dans le film. La meilleure dans un film espagnol depuis celle de « Porque te vas » dans « Cria cuervos » de Carlos Saura…