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LARS VON TRIER - BREAKING THE WAVES (1996)

Un mélo ?
Oui, si on s’en tient à la plupart des définitions reconnues du terme. Sauf que quand c’est signé Lars Von Trier, faut prendre quelques précautions avec ce terme.
Même si le Von Trier des années 90 ne l’ouvre pas encore à tout bout de champ pour dire des conneries (ou pire), il est déjà perçu comme quelqu’un de « difficile ». Le Dogme dont il est la figure de proue ne présente pas des œuvres à se taper sur le bide tellement c’est drôle, et les trois-quatre films que Von Trier a réalisés jusque-là n’ont guère fait tinter les caisses enregistreuses du box-office. En 1996, Von Trier, c’est dans le meilleur des cas assimilé à du film d’auteur (très) chiant.
« Breaking the waves » marquera un tournant dans sa carrière, dans la mesure où il sera globalement bien noté par la critique et touchera le « grand public ». Il va aussi entamer une sorte de cycle pour son auteur qui va dès lors symétriquement alterner films « faciles » (« Breaking … », « Dancer in the dark »), avec des choses beaucoup plus austères, rêches et agaçantes, voire dérangeantes (« Les idiots », « Dogville »).
Von Trier, Skarsgard & Watson
« Breaking … » n’est pas vraiment une rupture par rapport au Dogme. L’image est jaune, baveuse, à chier, et le meilleur lecteur de Dvd n’y pourra rien (d’ailleurs le film n’existe pas en BluRay, à quoi servirait une telle version ?). C’est la plupart du temps (toujours ?) filmé caméra à l’épaule, et Von Trier n’hésite pas à donner le rôle principal à une totale inconnue (Emily Watson). 
L’histoire principale, beaucoup en auraient fait un tire-larmes vite oublié. Une jeune fille coincée s’entiche d’un ouvrier qui travaille sur une plate-forme de forage. Mariage expédié, découverte de l’amour physique, et le mari se ramasse un trépan sur la tête qui le laisse dans un très sale état. L’amour et la foi de sa femme le sauveront-ils ? Un scénar tout juste bon à faire du sous Douglas Sirk…
Seulement Von Trier (co-auteur du scénar) fait de quasiment tous les protagonistes du film des gens un peu (ou beaucoup) sur le qui-vive mental. Emily Watson / Bess est issue d’un milieu religieux très strict (des Ecossais calvinistes ou un truc du genre, en gros des Mormons européens), elle a fait quelques séjours en hôpital psy (peut-être à cause de la mort de son frère), vit sous la tutelle d’un grand-père obnubilé par la religion, d’une mère qui ne la comprend absolument pas, et d’une belle-sœur, infirmière, veuve, asexuée et poursuivie par un besoin permanent de rédemption et de salut des autres. Son mari Jan (le peu connu Stellan Skarsgard), se sert de son infirmité (plus ou moins tétraplégique) après l’accident pour exercer un contrôle mental total sur sa femme et par ses ordres ou ses suggestions scabreuses lui fait gravir un chemin de croix où alternent phases de mysticisme aigu et prostitution de plus en plus glauque. Les autres personnages (ils sont nombreux, le film dure plus de deux heures et demie), bien que tous rattachés à l’histoire principale, présentent tous des tares plus ou moins apparentes qui les empêcheront de lui donner une issue favorable.

Parce que « Breaking the waves » est un film noir dans le propos, qui fait se succéder les situations dérangeantes dans une intrigue dont l’issue se révèlera inéluctable. Il y a un côté tragédie antique dans « Breaking … », la plupart des personnages se tracent un destin, un mode de vie et n’en dévient pas quoi qu’il puisse arriver. Même si tous sont finalement beaucoup plus pathétiques et minables que grandioses. « Breaking the waves » est un mélo qui assassine le mélo. C’est aussi un pamphlet antireligieux féroce, avec la multiplication des scènes de « prière » d’une Bess à la dérive mentalement qui dans l’église se fait les questions et les réponses pour trouver un justificatif à ses choix et ses actions, croyant qu’elle est en train de dialoguer avec Dieu, avec les visions de cette communauté religieuse coupée du monde réel, perdue dans son patriarcat mystique (ils bannissent Bess puis la proclament maudite une fois morte, pensant à sauver leur âme plutôt que de voir la responsabilité qu’ils portent). Les gens « normaux », censés représenter l’élite ne valent pour Von Trier guère mieux. Ils sont ici représentés par le milieu hospitalier (les débuts de Von Trier ont souvent un rapport avec ce milieu, il a commencé avec une série télévisée « L’hôpital et ses fantômes »), où travaillent la belle-sœur de Bess (qui voit, devine, comprend mais se tait) et un jeune médecin, lâche plus souvent qu’à son tour et qui finit par se liquéfier devant le tribunal.
« Breaking the waves » pourrait être un film génial. Pour moi, il n’est que bon (ou très bon, on va pas chipoter…). C’est le parti-pris de Von Trier d’en faire et d’en montrer trop sans beaucoup de discernement qui finissent par gêner. Sans cesse sur le métier il remet son ouvrage, avec des scènes, des situations, qui reviennent sempiternellement comme un mantra. On a parfois envie de lui dire que ouais, bon, ça va, on avait compris où tu voulais en venir, t’es juste un peu lourd, là, maintenant. Le pire est pour moi la dernière bobine, où après bien plus de deux heures noires, on bascule tout à coup dans l’allégorie à deux balles, avec ce cadavre dérobé qu’on immerge et ces cloches qui se mettent à sonner tout là-haut dans le ciel …

Oh, Lars, t’avais des regrets, quelque chose à te faire pardonner par avance ? Quand on va dans le noir, on fait comme les personnages de ton film, on y va jusqu’au bout, on n’esquive pas, on ne cherche pas la porte  de sortie mystique …
Parce que Von Trier pouvait s’appuyer sur des acteurs qui bien que peu connus ou débutants y vont à fond. On sent tout cela, cette implication, ces scènes et mimiques mûrement répétées, malgré le côté technique dilettante dans la réalisation. Les deux femmes se taillent la part du lion et crèvent l’écran dans des rôles que pour faire simple on qualifiera de compliqués. Si Emily Watson a recueilli les suffrages, la peu connue et trop vite disparue Katrin Cartlidge (sa belle-sœur dans le film) est d’une justesse et d’une sobriété remarquables dans un rôle pourtant ingrat de femme effacée et introvertie.
Bizarrement, alors que le film n’est pas vraiment rock’n’roll ni par le fond ni par la forme, ce sont de grands classiques rock de la fin des 60’s – début 70’s qui rythment le début des chapitres de l’histoire, qui servent autant à présenter les « époques » que de servir de stations au chemin de croix de Bess. Rappelons qu’à l’origine, la musique extérieure était bannie par le Dogme, la bande sonore  d’un film ne devant comporter que bruits extérieurs et dialogues des acteurs. Dans « Breaking the waves », on peut entendre des oldies signées Procol Harum, Deep Purple ou Elton John …
Lars Von Trier donne avec ce film l’impression de devenir conventionnel. Ce qui au vu de ce qui suivra, n’était pas forcément l’effet escompté …

Du même sur ce blog :



ERIC ROHMER - CONTE D'HIVER (1992)

Félicie aussi ?
Bon, Rohmer, c’est pas un joyeux … une sorte de Leonard Cohen a qui on aurait refilé une caméra if you know what I mean … Rohmer, à la louche, c’est triste et austère, et c’est pas ses films qu’une major du cinéma va remastériser en version 3D.
D’ailleurs, Rohmer, c’est un indépendant, dès qu’il a eu quatre ronds, il a monté sa propre maison de prod, nommée avec beaucoup d’imagination Compagnie Eric Rohmer. Rohmer, il est connoté Nouvelle Vague. Pour plein de raisons, généralement bonnes. Et même lorsqu’avec le temps, tous les tics chers aux Godard, Truffaut, Rivette, …, s’estomperont de son œuvre, il en restera toujours quelque chose. Comme dans ce « Conte d’hiver ».
Eric Rohmer 1992
Ce qui distingue Rohmer, c’est que toute sa vie il a essayé de mettre sur pied une filmographie structurée, mettant en place des thématiques qu’il développera sur plusieurs films (Contes moraux, Comédies et proverbes, Contes des quatre saisons). Rohmer veut dire des choses en images. Sans tomber dans le cinéma dit social. Rohmer, c’est pas du cinéma-vérité, et pour bien le faire comprendre, plusieurs de ses films ont dans leur titre « Conte ».
« Conte d’hiver », c’est l’histoire de Félicie et de ses amours. Une histoire totalement invraisemblable, mais « réaliste ». Elle commence de façon idyllique sur les plages bretonnes (quand je vous disais que Rohmer c’est pas un joyeux, qui, à part un bénéficiaire des minima sociaux déprimé a envie d’aller passer ses vacances sur un plage bretonne, hein ?), théâtre des amours adolescentes de Félicie et Charles. Très cons, les deux tourtereaux ne prennent pas le temps de se donner leur nom, et au moment de la séparation, Félicie se trompe en donnant son adresse ( !! ), confondant Courbevoie et Levallois (c’était avant les Balkany, les funestes Rapetou de banlieue, sinon, putain, tu risques pas de l’oublier que t’habites à Levallois …).
Levallois ou Courbevoie ?
Cinq ans plus tard, elle élève la fille née de cet amour, rêvant toujours de retrouver le père. Tiraillée entre deux types, Loïc, un bibliothécaire cérébral (avec la même tête que le dispensable Alexandre Jardin jeune) chez lequel elle vit, et Maxence, un amant coiffeur chez lequel elle travaille. C’est finalement avec le Figaro qu’elle partira bosser en province, à Nevers. Certainement pas un hasard, le choix de Nevers, c’est aussi le lieu du flashback du « Hiroshima mon amour » de Resnais. Cette escapade amoureuse provinciale ne durera guère, Félicie reviendra au bibliothécaire, avant, le soir du Nouvel An, de retrouver par hasard Charles dans un bus et de continuer avec lui son histoire d’amour interrompue …
Félicie et Maxence à Nevers ...
Autrement dit, le scénario est très con(te), mais c’est écrit dans le titre. Alors, pourquoi passer un peu plus d’une heure et demie à mater « Conte d’hiver » ? Parce que sous ses aspects j’menfoutiste (l’image est terne, froide, et les amateurs de grands mouvements de louma sont priés de passer leur chemin), Rohmer sait tenir une caméra qui va au fond des yeux et de l’âme de ses acteurs (pas non plus de scope en décors naturels grandioses, y’a une longue discussion filmée à l’intérieur d’une Renault 19 Chamade, c’est dire si c’est pas glamour). Rohmer s’en fout un peu de son histoire, ce sont les êtres qui la vivent qui l’intéressent. Même s’il n’en perd pas le fil (on n’est pas chez Godard), l’histoire ou le conte devrait-on dire, n’est que la trame, passant quelquefois au second plan du film. Rohmer nous « montre » ainsi une longue scène théâtrale du « Conte d’hiver » de Shakespeare (celle de l’être aimé que l’on croyait mort et qui renaît) et un long débat mystique sur l’immortalité de l’âme (dans la R 19). Manière de montrer que la marque de fabrique et l’esprit de la Nouvelle Vague ne l’ont pas quitté. Nouvelle Vague aussi, le jeu très théâtralisé des acteurs (la plupart des amateurs inconnus et qui le resteront) desquels ressort Charlotte Very (Félicie) qui a également peint l’affiche du film …

« Conte d’hiver » est une des œuvres les plus connues de Rohmer, « vivante » malgré son scénario amorphe, un peu trop « jolie » et tire-larmes dans son final téléphoné … Assez loin toutefois du film qui reste pour moi sa masterpiece « Ma nuit chez Maud », où là, il y avait de grands acteurs (Trintignant, Fabian, …).


JIMMY PAGE & ROBERT PLANT - NO QUARTER JIMMY PAGE & ROBERT PLANT UNLEDDED (1994)

Dead Zeppelin ?
Rarement disque aura été glissé aussi fébrilement dans le lecteur Cd. Putain, Jimmy Page et Robert Plant … Qui plus est ensemble … Les deux frontmen de Led Zep, paraît-il pas vraiment les meilleurs amis du monde. Mais Led Zep, enfin, Led Zep, merde quoi …
Led Zep, la plus sacrée des Vaches Sacrées, LE groupe des années 70. Celui qui les symbolise le mieux. Celui qui a poussé au paroxysme le rock’n’roll circus et tous les excès musicaux et extra-musicaux qui vont avec. Led Zep … le dernier groupe mythique de rock, tout simplement (et si quelqu’un me sort Mumuse ou Radiomachin, putain je lui arrache les yeux avec les doigts de pied …). Led Zep, disparu des écrans de contrôle à la fin des seventies, en pleine gloire et avant d’avoir été ridicule …

Alors pensez-donc tout ce qui peut passer dans la tête d’un mec dont le tout premier disque acheté est justement le 1er de Led Zep (non, pas quand il était sorti, mais trois-quatre ans plus tard, je ne suis pas aussi grabataire que çà, faut pas déconner quand même …) au moment où va commencer la lecture de la rondelle argentée …
Imaginez aussi sa tronche au bout d’une heure vingt … Putain mais c’est quoi ce bidule ? Ils se foutent de la gueule du monde les deux vieux chevelus avec leurs orchestres à cordes égyptiens, marocains, et le London Philarmonic Machin ou un truc de ce genre. Mais qu’est-ce qu’on en a à foutre, de ces métèques gardiens de troupeaux de chèvres dans le désert et de leurs ouds, bendirs et je sais plus quoi ? ou des concertistes de violoncelle pour noblesse anglaise consanguine ?
Bon, il aurait convenu de raison garder, se méfier, parce que Plant se prenait depuis quelque temps pour le sosie de Peter Gabriel  et de sa world music, et que Page, empâté et embouffi tel un Elvis à Gibson ne faisait plus rêver avec ses derniers skeuds les apprentis branleurs de manche … Mais de là à revisiter le patrimoine sacré en mode bouzouki, y’avait des limites. Ce « No quarter … », c’est un peu un « Songs remains the same » bis, un truc que t’attends comme le Messi, et puis tu te retrouves avec Gignac … « No quarter … », il a été enregistré live … enfin, j’en sais rien, on dirait, en tout cas on entend des gens applaudir et …
Bon, faut quand même préciser avant que les torgnoles tombent de tous les côtés, qu’il est pas si mauvais que ce que ma prose agile pourrait faire croire. Assez digne même, et dans l’ensemble moins risible que ceux des contemporains de Page et Plant (Paulo, Mick, Keith, Roger et Pete, pourquoi vous toussez ?). Mais de là à me joindre à la secte des adorateurs béats qui ont tressé des couronnes à cette rondelle, faut pas pousser …
Plant, il a perdu au moins cinquante octaves, incapable de monter dans les aigus. Même Mylène Farmer ou Daho n’en voudraient pas comme choriste. Et Page, il est où, le guitar hero ultime des années 70 ? Quand il est le meilleur, c’est quand il joue de la mandoline sur « The battle of evermore », comme par hasard aussi le meilleur titre du Cd. Et même s’ils ont remplacé Sandy Denny (bon, ils ont quelques excuses, vu qu’elle était morte depuis bien vingt cinq ans) par une certaine Najma Akhtar qui s’en sort pas si mal que çà, dans cette ambiance nord-africaine qui se superpose et remplace à la fois l’atmosphère celtique originale.
Page & Plant 1994 : ils ne vont même pas saccager cette chambre d'hôtel ...
Evidemment, Page et Plant, c’est que la moitié la plus voyante du Zeppelin. Ils ont oublié d’inviter John Paul Jones, qui aurait quand même pu les aider pour les arrangements (quand on lit que « No quarter … » est produit par Page et Plant, dans une formule qui sent la diplomatie juridique, tant le dernier nommé s’était toujours par le passé prudemment éloigné des consoles). Et puis, fallait pas compter sur Bonzo Bonham, toujours aussi mort, et remplacé ( ??? ) par le dénommé Michael Lee, sessionman certes connu, mais d’un académisme mortifère. Signe ultime du malaise musical, Page est secondé (comme si quand on s’appelle Jimmy Page on a besoin d’un clampin à la guitare rythmique) par le sieur Porl Thompson, dont la seule ligne de gloire sur le CV était d’avoir été un temps dans l’ombre gothique du Cure de Robert Smith … Tout ça pour dire que la moitié de Led Zep, ça peut pas faire Led Zep … alors pourquoi diable sur quatorze titres, en reprendre dix du Dirigeable ? La relecture world ? Ouais, si on veut, même s’il y a des blasphèmes qu’il ne faut pas proférer …
Quand cette pléthorique bande de zicos s’attaque à « Kashmir » (LE titre majeur du Zep, avec un Bonham stratosphérique en VO), ils ont beau l’étirer sur plus de douze minutes, multiplier les arrangements tarabiscotés, rien n’y fait, il manque le drive infernal de Bonzo, et là l’hymne himalayen accouche d’un volcan érodé auvergnat …
Les quatre inédits sont des titres à la gomme (forcément arabique) perclus de sonorités nord-africaines, comme quoi quand tu choisis un fil rouge un peu lourdingue, il te plombe tout un skeud. Parfois ça marche, notamment sur « City don’t cry », où Plant n’essaie pas d’atteindre des aigus de toutes façon maintenant inaccessibles, et où le chœur de voix arabes donne une impression de gospel musulman. Quant aux reprises de quelques classiques (ou pas) zeppeliniens, deux pistes semblent suivies. Soit on se colle au plus près de l’original avec les moyens du bord (exemple type « Since I’ve been loving you », avec un Page quelconque pour un titre totalement dénué de feeling, un comble pour l’épitomé du blues frotti-frotta 70’s), soit un déconstruit « world » (« Nobody’s fault … » avec un Plant à la ramasse vocalement).

Alors, Page et Plant, c’est pas honteux, c’est juste deux (déjà) veilles gloires qui venaient faire le buzz au milieu des mortelles années 90, avec une rondelle certes pas indigne, mais tellement loin de leurs fulgurances passées … Etre et avoir été …


k.d. lang - INGENUE (1992)

Préjugés ...
Ouais, les préjugés, je sais, faut s’en méfier … Mais elle, k.d. lang, y’avait tellement de choses extra-musicales qui revenaient sempiternellement, que bof, ça me donnait pas envie de m’intéresser à son cas … Son blaze orthographié sans majuscules (pourquoi ? m’en fous), son physique comment dire, ingrat, son look androgyne, les riot grrrls, la folkeuse à la lesbianité proclamée, les combats pour la cause homosexuelle, la Canadienne qui vient la ramener aux States … Je subodorais les pensums sonores austères et militants, et comment dire, j’avais déjà cotisé pour les bonnes causes musicales dont on ne peut décemment pas dire de mal, mais qu’on s’emmerde quand même à écouter …

« Ingénue », c’est à force de lire ici où là que c’était son chef-d’œuvre atypique, que je l’ai écouté. Presque à reculons, je le sentais pas, ce truc… Ben, je vais vous dire, ce disque, il est vachement bien. Pas chiant pour deux sous. D’abord la donzelle, elle a une sacrée voix. Chante bien des mélodies pas simples, sans en faire des tonnes. Et puis « Ingénue », c’est pas du folk. C’est … j’en sais rien, en fait. Il y a plein de choses, d’arrangements venus d’horizons divers … Plein d’instruments « additionnels » (violoncelles, cordes, clarinette, marimbas, accordéon, …) dont les death metalleux ignorent l’existence, des musiciens dont j’avais jamais entendu causer.
Ça reste homogène dans la démarche, tout en partant dans tous les sens, ça évoque plein de noms sans jamais donner l’impression de copie ou de plagiat. On pense tour à tour à Suzanne Vega, aux Cowboy Junkies, aux productions de Lanois, aux U2 de « Joshua tree », aux disques « difficiles » de Scott Walker, à Dead Can Dance, Elvis Costello, Chris Isaak, Jeff Buclkey … Et pas souvent à Roy Orbison, auquel k.d. lang a souvent été comparée …
Les chansons (malgré le côté un peu précieux, on est bien dans le format chanson, tout est dit en moins de cinq minutes) sont apaisées, un peu tristes mais pas pleurnichardes, évitent le côté lyrique pompier dans lequel tombent trop facilement les « grandes » voix. Et puis, mis à part une paire, ces titres ne sont pas prévisibles, linéaires, ils ondulent, bougent, évoluent, multiplient les points d’accroche sans jamais être racoleurs … de la belle ouvrage …
Bizarrement, alors qu’il y a quand même un petit côté arty-élitiste, cet « Ingénue » a cartonné grave en Amérique, bien aidé par le succès en single du titre le plus « facile », le petit rock mid-tempo « Constant craving ». Mais des choses comme « Miss Chatelaine » et sa base salsa discrète, la ballade « Still thrives …» avec son ambiance femme fatale de film noir, ou la majesté tout en finesse de « Season of hollow soul » (pour moi le sommet du disque) sont d’une évidence immédiate …

Me donne bien envie d’aller jeter une oreille sur ses autres disques. Malgré mes préjugés …


THE BEATLES - FREE AS A BIRD (1995)

Kill 'em all ...
Ouais, flinguez-les tous, dans le tas y’aura forcément les bons … les responsables de cette mascarade sonore parue sous l’intitulé Beatles. Bon, soyons clair, j’en ai rien à foutre des Beatles. Z’ont suffisamment de fans béats all around the world pour trouver des armées d’avocats prêts à défendre ce « Free as a bird », ils peuvent se passer de moi...
Et à propos d’armées d’avocats, j’aimerais savoir combien ont été mobilisés, combien de tomes de contrats léonins ont été nécessaires avant que paraisse … cette chose.
Pensez, mettre sur le marché UN titre inédit des Beatles, le plus grand groupe du monde etc etc …  Faut choisir, après consultation de plusieurs mages et marabouts réputés, lecture dans de la tripaille de volaille, du sang de mouton et observation du vol des autruches l’instant propice. Le moment retenu sera donc avant les fêtes de Noël (le disque qui sent le sapin à mettre sous le sapin), au vague prétexte que tout, tout, tout sur les Beatles va être disponible (les très inutiles coffrets « Anthology » que même Laurent Voulzy a pas dû écouter plus d’une fois). Et là, miracle, Tata Yoyo Ono retrouve une K7 sur laquelle son mec, le totalement mort John Lennon, avait enregistré un soir de cuite ou de déprime une mélodie à deux balles sur un puissant concept philosophique (« Free as a bird », tu la sens la puissance, hein, tu la sens la puissance de la métaphore ?). La veuve noire du binoclard (elle est créditée nulle part sur le Cd 2 titres, qu’est-ce qu’ils ont du casquer pour que son blaze soit pas écrit en gros !) donne généreusement la K7 (combien vous l’avez raquée, EMI, ça doit faire cher le kilo de dioxyde de chrome) au label des Beatles. EMI en parle aux survivants (enfin, à leurs avocats), et ô miracle, tous ces gens qui se détestent assez furieusement décident que oui, juste pour la beauté du geste et celle de l’art, les trois non-morts vont ensemble (hum, vraiment ensemble ?) travailler cette ébauche foireuse du Dakota man pour en faire, 25 ans après la dissolution, un nouveau titre des Beatles.
McCartney, Starr, Lynne, Harrison : les quatre pas très fabuleux ...
Sir George Martin, le producteur historique des Quatre quand ils étaient dans le vent, ne peut malheureusement pas participer. Officiellement, parce qu’il est quasiment sourd. En fait, il a dû un peu écouter la version brute de « Free … » et taper en touche, parce que le soi-disant sourd passera plus tard des années à remixer les bandes des Beatles pour l’édition remastérisée de l’intégrale en 2009. On réquisitionne alors son second de l’époque, Geoff Emerick, ingé-son attitré des studios Abbey Road dans les sixties. Mais pour que la fête (ricanements) soit  complète, quelque gros cigare a la lumineuse idée de faire chapeauter l’opération par le énième cinquième Beatles, fan number one du quatuor, le sieur Jeff Lynne des absolutely pénibles ELO, producteur de trucs de vieux pour un public de vieux (les Traveling Wilburys) ayant à cette époque le vent du succès en poupe. Résultat des courses : « Free as a bird » sonne comme un titre d’ELO, certainement pas comme un titre des Beatles. Des rumeurs prétendent même que perdant tout sens de la mesure et de la réalité, le perfide Lynne aurait profité de l’occasion pour glisser sa voix dans les chœurs, assouvissant ce qui était pour lui l’ultime fantasme : faire partie des Beatles. Je sais pas si c’est vrai et si les trois autres s’en sont aperçu …
Faut dire qu’ils donnent l’impression de s’en foutre comme c’est pas permis, Macca, Ringo et Harrison. Quoi que ce dernier fasse l’effort de jouer une partie de slide point trop honteuse, quasiment concernée. Mais les deux autres, ils se hissent péniblement au niveau de la démo de Lennon, totalement en roue libre. Faut dire que le niveau affligeant de la base sur laquelle ils travaillent doit pas trop les motiver.
La version (l’aversion ?) du single comprend une autre merveille digne du niveau des années 90, un chant de Noël raclure de fonds de tiroir, enregistré à l’occasion pour un 45T à destination exclusive du fan-club il me semble bien (ça faisait partie des avantages du club des supporters des Fab Four dans les sixties, eux mais aussi plein d’autres étant coutumiers du (mé)fait à cette époque-là). Ce « Xmas time (is here again) » est basé sur une mélodie riche de bien trois notes, et les lyrics doivent contenir au moins quinze syllabes. Bon, c’était pour le fan-club en 1967, fallait pas non plus s’attendre à quelque chose du niveau de « Penny Lane »…

Remarquez, le fan-club de 1995 est pas plus exigeant. Y’a plein de gens qui l’ont trouvé très bien, ce disque à deux titres …

Des mêmes sur ce blog :
The Beatles Again


ZHANG YIMOU - EPOUSES ET CONCUBINES (1991)

Quatre mariées et deux enterrements ...
Zhang Yimou a du talent. Et il lui en faut, certainement beaucoup plus qu’à d’autres, lorsque l’on est un cinéaste bridé (non, je commence pas cette chronique par une joke nationalfrontiste). Le poids du régime communiste chinois et la censure qui l’accompagne définissent un carcan dont il est bien difficile de s’extraire pour réaliser une œuvre « visible » sans bailler dans le reste du monde.
Techniquement, Zhang est impressionnant. Il y a dans « Epouses et concubines » un aspect esthétique qui coupe le souffle, une minutie au niveau du cadrage notamment qui en font un chef-d’œuvre sur le strict plan de vue technique, alternance de plans serrés sur les protagonistes et mise en scène de ces protagonistes dans l’immense dédale des toitures et terrasses d’une maison de maître chinoise des années 1920, ces plans larges réussissant à renforcer l’atmosphère oppressante d’enfermement, de claustrophobie. Tout le film (hormis la courte scène d’ouverture, un gros plan sur Gong Li) se passe dans cette maison / palais / prison …
Gong Li & Zhang Yimou
« Epouses et concubines » est irradié par la présence et le jeu de Gong Li. Si c’est un lieu commun que de dire qu’une actrice très belle (et Gong Li est très belle, très) peut facilement crever l’écran, on sent qu’elle est filmée amoureusement par Zhang (son mari à l’époque) qui la sublime littéralement à l’image. Une similitude frappante avec Anna Karina quand elle partageait la vie de Godard et qu’il la mettait en scène. Un peu plus qu’un hasard, quand on sait que Zhang s’est beaucoup inspiré de l’approche cinématographique de la Nouvelle Vague …
« Epouses et concubines » est un huis clos. La jeune Songlian (19 ans) annonce à sa belle-mère (sa mère puis son père sont morts) que n’ayant plus les moyens de poursuivre ses études, elle préfère devenir la concubine d’un riche polygame plutôt que la seule femme d’un pauvre. Toute sa fermeté et sa détermination apparaissent dans cette courte scène d’introduction, malgré les larmes qui coulent sur ses joues. Songlian se retrouve donc la quatrième et plus jeune épouse d’un « Maître » dans son immense demeure. Les quatre femmes (une dizaine d’années les sépare toutes) ont chacune leurs appartements au fond d’une cour intérieure. Le soir venue, elles attendent avec leur servante principale à l’entrée de leur cour (les quatre cours se font face, ce qui donne lieu à des échanges de regards qui en disent plus que d’interminables dialogues) qu’une nuée de domestiques vienne éclairer la cour et l’appartement de celle chez qui le Maître va passer la nuit. Dans cette société ultra-patriarcale, ce choix est décisif. Celle qui est désignée dirige la maison le lendemain, commande les domestiques, choisit les plats du repas. Si l’on est choisie souvent, on devient de fait la « maîtresse » de la maison et on a toutes les chances de donner naissance à un héritier (mâle fortement souhaité) de la maison.

La situation est évidemment prétexte à toutes les inimitiés, haines, alliances hypocrites de circonstance. Si l’aînée des femmes, trop vieille, s’est résignée et n’est plus garante que du respect « des valeurs » de la maison, les trois autres vont très vite se livrer à un combat sans merci pour obtenir les faveurs du Maître. Tous les coups sont permis. Ou presque. Car tout en haut des toits, après une enfilade de terrasses, trône un petit réduit cadenassé, la Maison des Morts, où, dit-on, deux anciennes femmes (mais on ignore ou feint d’ignorer l’époque) qui avaient « fauté » se sont pendues … Manque de chance pour Songlian, en plus des autres concubines, elle doit également affronter une servante qui lui a été attribuée, avec qui le Maître se laisse parfois aller, et qui rêve donc de promotion sociale.
Le Maître, c’est un peu le coq de ce harem oriental. Lui ne se mêle pas d’intrigues courtisanes, mais le résultat de ces intrigues détermine son choix pour la nuit. Il dirige cependant tout d’une main de fer, prend des décisions cruelles voire pire … Jamais on ne le verra en gros plan durant le film, ce qui renforce son aspect impersonnel. Il représente le Pouvoir, quasi invisible, mais toujours présent…

Il y a dans « Epouses … » une tension, une violence (suggérée, rien n’est montré) beaucoup plus oppressante que dans l’intégrale filmographique de Rob Zombie. Dans une montée paroxystique rythmée par les saisons. Le film commence en été, la saison chaude, de l’insouciance, de l’innocence et des amours. Il trouve son épilogue sur les terrasses enneigées de la demeure du maître, symboles du froid de la mort. Les images sont imprégnées de rouge. Un rouge pas autant hégémonique que dans le premier film (et premier chef-d’œuvre de Zhang, « Le sorgho rouge »), mais qui rythme la vie dans ce vase clos. Le rouge orangé des lanternes qui s’allument dans un cérémonial hiératique et immuable chaque soir dans la cour de « l’élue » (le titre anglais du film est « Rise the red lantern »), aussi le rouge du sang qui fait lentement avancer l’intrigue vers sa conclusion inexorable ( celui des sous-vêtements de Songlian, qui entraînera sa disgrâce, celui de l’oreille coupée de la troisième épouse, témoin de cette lutte féminine sans merci).
Formellement, au premier degré, « Epouses et concubines » est déjà un chef-d’œuvre de drame psychologique, un thriller domestique à huis-clos. Evitant tous les clichés du cinéma asiatique, notamment cette lenteur chargée de symboles dans laquelle il se complaît souvent.
Au second degré, c’est un film politique. Zhang Yimou est un cinéaste « officiel ». La République Populaire de Chine (qui contrôle évidemment de près la production) a tout lieu d’être satisfaite du résultat. Cette dénonciation de l’autoritarisme patriarcal de la Chine du début du XXème siècle démontre incidemment que « c’était pas mieux avant ». Autre signe politique fort, les capitaux du Grand Satan, en l’occurrence ceux du frère ennemi sécessionniste de Taïwan, ont été autorisés à participer au tour de table financier de la production.

Seulement, il y a  encore un autre degré de perception, encore plus pervers et sournois, à l’image des intrigues du film. A cette époque, Zhang, sans être un contestataire déclaré ne rentre pas dans le moule strict du régime. « Epouses et concubines » est sorti en 1991, deux ans après les « événements » de la place Tien Anmen. Comment ne pas voir dans le Maître et sa première femme les tenants du conservatisme communiste, dans la seconde épouse l’archétype de l’apparatchik du Parti prêt à tout pour conserver sa place et son pouvoir (et qui réussira). Les deux épouses les plus jeunes (une ancienne chanteuse d’opéra, une artiste donc, et Songlian l’étudiante) finiront broyées par la « machine », et malgré leurs intrigues, sont les deux personnages les plus empathiques du film. Les artistes et les étudiants sont ceux qui se sont retrouvés devant les chars du pouvoir Place Tien Anmen avec le résultat que l’on sait. Il y a dans la symbolique du film trop de coïncidences allégoriques avec la situation de la Chine contemporaine pour que l’on puisse n’y voir que du hasard. En filigrane de « Epouses et concubines », il y a bel et bien la contestation du régime communiste. Fort, très fort, un monument de lecture à plusieurs niveaux …
Ce film est pour moi le sommet de l’œuvre de Zhang Yimou, qui lentement mais sûrement, se rapprochera de plus en plus du rôle de porte-parole officiel artistique du pouvoir chinois (celui-ci ayant également mis un tout petit peu d’eau dans son alcool de riz), donnant dans le cinéma commercial et exportable sans arrière-pensées (« Hero », « La Cité interdite », « Le secret des poignards volants »), ou signant la mise en scène de la cérémonie d’ouverture des J.O. de Pékin …

Restera pour toujours « Epouses et concubines », un chef-d’œuvre du cinéma universel …


Du même sur ce blog :




LARS VON TRIER - LES IDIOTS (1998)

Idiotheque ?
Lars Von Trier est un type totalement imprévisible, un jour crétin méprisable, le lendemain visionnaire de génie. Son cinéma lui ressemble, alternant navets terminaux (l’horrible « Antichrist ») et chefs-d’œuvre instantanés (« Breaking the waves », un des meilleurs mélos du siècle, voire l’onirique et esthétisant « Melancholia »). Et entre les deux extrêmes, la majeure partie de ses films, qui laissent souvent un goût d’inachevé, comme « Dancer in the dark », « Dogville », ou ces « Idiots ».
Lars Von Trier 1998
Avec « Les Idiots », il n’y a cependant pas tromperie sur la marchandise. C’était écrit sur l’affiche (et sur la jaquette du DVD, à la section bonus assez chiche), le titre exact du film est « Dogme 2 : Les Idiots ». Le Dogme ça se confond un peu avec Lars Von Trier. C’est le seul (avec à un degré moindre Thomas Vinterberg et son fabuleux « Festen ») passé à la postérité de cette bande d’étudiants en cinéma danois qui ont défini cette nouvelle norme (rigide, rigoriste même) devant s’appliquer à la création cinématographique. Un « code d’honneur » du réalisateur en dix points, en réaction notamment à l’évolution jugée « mercantile » des cinéastes de la Nouvelle Vague. Le Dogme, c’est un exercice de style austère. Caméra à l’épaule, son et image enregistrés conjointement, les scènes dans la continuité, pas d’éclairage artificiel, pas de maquillage, pas de raccords au montage, …
Forcément, ça donne des choses que les fans de Max Ophuls peuvent avoir du mal à digérer. Les micros et les techniciens parfois dans le champ de la caméra, les mises au point d’objectifs en direct live, les images tressautantes et d’un flou pas vraiment artistique, les points noirs, la peau grasse et les boutons sur le pif des acteurs en gros plan, et un jeu (parfois – souvent, rayer la mention inutile) en roue libre.
D’autant plus qu’avec « Les Idiots », Von Trier n’a pas choisi la simplicité. Il a pris le contrepied total du précédent (« Breaking the waves ») revenant donc au Dogme et au cinéma de ses premiers films, dont même les programmateurs de la tranche fin de nuit d’Arte ne veulent pas (« Epidemic », « Europa »). « Les Idiots » est un film dérangeant et agressif. Par le thème choisi, sujet ô combien délicat voire tabou (le handicap, ici mental). Par l’histoire racontée et son évolution vers un final poignant et oppressant. Comme si ça ne suffisait pas, Von Trier n’esquive aucune provocation, filmant « droit dans les yeux » et non simulées, Dogme oblige, tendances scatologiques et scènes de partouze. Le rendu est complètement déstabilisant, entre la poésie morale de l’étrangement somptueux « Freaks » de Todd Browning, et le dégoût visuel du « Salo ou les 120 journées de Sodome» de Pasolini.
Karen
Au début du film, on voit une femme à l’aspect fragile et rêveur (Karen), se promener dans une calèche par les rues de Copenhague, avant de s’installer à la table d’un restaurant chicos, où, sous le regard sarcastique du serveur, elle commande juste une salade et un verre d’eau parce qu’elle n’a pas « les moyens ». A la table voisine, une autre femme (Susanne, jouée par une des rares comédiennes pro du casting, Anne Louise Hassing), accompagne deux hommes (Ped et Stoffer), handicapés mentaux, qui ne tardent pas à partir en vrille, et finissent par quitter le restau, en emmenant avec eux Karen, mais au grand soulagement des autres clients et du personnel du restaurant. Dans le taxi qui les emmène, on comprend qu’ils simulent leur handicap. En fait, les trois nouveaux amis de Karen font partie d’une sorte de communauté d’une dizaine de personnes qu’elle va rejoindre (essentiellement des bobos) s’ingéniant sous la tutelle de leur « maître à penser » Stoffer à « laisser s’exprimer notre idiot intérieur ». Ca passe par le partage d’une même habitation, et des travaux pratiques de « simulation » grandeur nature dans des usines, des établissements publics …, des « entraînements » à la maison ou en pleine campagne.
Evidemment, ça crée à l’écran une atmosphère malsaine, entre la classique compassion initiale et la répulsion devant le jeu des « simulateurs ». Le film devient encore plus troublant quand Von Trier mélange sadiquement et volontairement des scènes « comiques » assez folles - c’est bien le mot – (lors des visites de l’oncle chez lequel la troupe squatte, des représentants de la mairie, d’acheteurs potentiels de la bicoque, …), avec d’autres d’une noirceur glaciale (quelques pétages de plomb, la visite d’un père, la scène finale chez Karen, …). De plus, lentement, insidieusement, on se rend compte que chez tous les participants à ce jeu étrange, se cachent des fêlures, voire des brisures profondes. Et qu’en fait, tout ces gens qui semblaient se livrer à un jeu décadent de désœuvrés bourgeois, ne font que masquer par leur attitude grotesque leur inadaptation totale au monde. Ils ont tous quelque chose de pathétique, et leur attitude imbécilement puérile (devant les « vraies » difficultés, y’a plus personne) rajoute au malaise, ce groupe où en fait chacun ne joue que pour soi n’inspire aucune empathie…
Suzanne & Stoffer
Et au final, on ne sait plus quoi penser. Comédie iconoclaste, humour noir de mauvais goût ? Tragédie glaciale avec en toile de fond l’incommunicabilité des individus dans nos sociétés aux codes rigides ? Les deux ?
On apprend dans les bonus que Lars Von Trier a écrit le scénario complet du film en quatre jours. Il aurait peut-être bien fait de prendre davantage son temps, son message est quand même bien brouillé sur le coup … Et c’est pas le clip « idiot » que Von Trier a tourné pour la promo du film, lui en chanteur lead et le Idiot All Stars (sic) dans les chœurs qui arrange la « lisibilité » de la chose …

Anecdote salace pour conclure : Von Trier n’a pas respecté le Dogme. Dans la scène de la partouze, si ce sont bien les actrices féminines qui participent, les acteurs masculins ont été remplacés par des hardeurs professionnels. Info pour les (a)mateurs, la séquence est (évidemment) dispo sur YouTube …

Du même sur ce blog :

La bande-annonce


Le curieux vidéo-clip


THE BOO RADLEYS - GIANT STEPS (1993)

Furieusement 90's ...
Boo Radleys, c’est le groupe typiquement warholien … le quart d’heure de gloire et la disparition corps et biens ensuite …
Quarantième roue du carrosse Creation, le label de Manchester fondé par Alan McGee, et au catalogue comprenant tous ceux qui ont fait la hype – l’actualité (rayer la mention inutile) fin des 80’s-début des 90’s, à savoir les House Of Love, My Bloody Valentine, Primal Scream, … avant le gros « coup » Oasis. Les Boo Radleys, c’est une paire de disques anonymes, ce « Giant steps », une paire d’autres disques oubliés par tous, et la débandade à la fin de la décennie.
Robert Duvall, le Boo Radley du cinéma
Par habitude sémantique, je me méfie d’un disque ou d’un morceau avec le mot « giant » dans le titre. Généralement, on se retrouve avec un machin boursouflé (mètre-étalon, la rondelle « GIANT » des Woodentops), jouant des biscottos pour se faire remarquer et s’effilochant à mesure qu’on l’écoute. « Giant steps », c’est un peu pareil. Ça part dans tous les sens, multiplie les références à tout-va, cherche à se faire remarquer. De la musique qui a des lettres en somme.
Déjà, le nom du groupe vient de celui d’un personnage de film (Boo Radley un des premiers rôles de Robert Duvall, le mutique soupçonné de sordides histoires avec des gamins, dans le classique de Robert Mulligan « Du silence et des ombres », « To kill a mockinbird » en V.O.), on a de la culture dans le groupe. Même si la musique n’a rien à voir avec un pseudo-concept intello, c’est un digest de plein de choses déjà entendues. Et depuis longtemps, on remonte aux Beatles et aux Beach Boys (les mélodies, les harmonies vocales, tout ça …). Ce qui suffirait, pour peu que ce soit bien fait. Mais c’est pas tout, loin de là. Dans l’épicerie Boo Radleys, vous trouverez aussi du reggae, des machins lyriques avec des cordes et des cuivres, de la new wave 80’s, des guitares grabugeuses grungy ou mybloodyvalentinesques, des bandes passées à l’envers comme au bon vieux temps du psychédélisme, des rythmiques Madchester, ... Et bien souvent le tout dans le même morceau.
The Boo Radleys 1993
Résultat, des pièces montées impressionnantes, mais un peu creuses finalement. Une bonne intro, et on se demande dans quoi le groupe va aller se perdre pour épater la galerie, parce qu’il y a un peu de ça. Les types, avec à leur tête un certain Martin Carr fourmillent d’idées et essayent de toutes les caser (le disque dure plus d’une heure avec 17 morceaux, c’est bien long). C’est pas toujours imbuvable, certains assemblages sont bien vus, rehaussent un niveau d’écriture qui n’a rien d’exceptionnel (de la pop de base, assez loin des quasi contemporains XTC ou Squeeze, et à des lieues de Beatles ou Beach Boys), et, à la louche, une moitié des titres sont plaisants. J’aime bien des choses comme « Leaves and sand », et son alternance quiet-loud poussée au paroxysme, « Butterfly McQueen » sur le même registre et autre référence cinématographique, « Barney (…and me) », sympathique titre sautillant qui rappelle à la fois Cure et XTC, « If you want it, take it », qui avec ses gros riffs et malgré la voix efféminée préfigure Oasis, « Take the time around », qui semble un plagiat des Hüsker Dü de la fin période « Warehouse … », le petit hit « Lazarus », fortement inspiré par la pop à trompettes de Love ou des Pale Fountains, quelques autres sont pas trop mal.
Et puis, on trouve aussi quelques trucs assez risibles aujourd’hui, quelques assemblages sonores ubuesques, mais qui ravissaient la presse musicale toujours à l’affût de sensations (selon un fan, ce « Giant steps » aurait été désigné disque de l’année par le NME et les Inrocks, ce qui est fort possible, c’est le genre de patchwork dont les hebdos sont friands une semaine, avant de passer à autre chose la semaine suivante). Les brouillages trentreznoriens de « Spun around », c’est juste ridicule, des gros riffs nirvanesques sur l’interminable berceuse  « I’ve lost the reason », c’est juste une très mauvaise idée, « One is for » me fait penser aux Beatles, mais ceux inaudibles de « Revolution n°9 » … et grosso modo, pas mal de choses déjà entendues chez les groupes-phares de Creation ou dans l’indie-pop anglaise de l’époque.

« Giant steps » et les Boo Radleys sont un peu, et je suis très gentil, passés de mode aujourd’hui. Sans trop de regrets en ce qui me concerne …

THE DISPOSABLE HEROES OF HIPHOPRISY - HYPOCRISY IS THE GREATEST LUXURY (1992)

Un gâchis ?
Les Disposable Heroes of Hiphoprisy, comme leur nom le laisse deviner font du rap. Comme beaucoup en ce début des années 90. Ils ont dès le départ une particularité géographique. Ils viennent de la Bay Area de San Francisco, plutôt un repaire de trashers (Metallica et tous leurs suiveurs), alors que le rap, né à New York, commence à peine à atteindre la Californie, mais plutôt du côté de Los Angeles (Ice T, NWA).
Mais plusieurs choses vont d’entrée les distinguer d’un troupeau de posses au sein duquel la concurrence est rude. D’abord ils ne sont que deux (et demi, le guitariste plutôt jazz Charlie Hunter, qui fera une carrière solo méconnue mais longue comme le bras les accompagne sur une grosse moitié des titres), le rappeur-auteur-programmeur-arrangeur (ça fait beaucoup, on y reviendra) Michael Franti, et le batteur-bruiteur Rono Tse. Et puis, ils se démarquent de pas mal de choses entendues jusque là.
Michael Franti & Rono Tse, héros jetables ?
Par le propos d’abord. Franti n’est pas un inquisiteur à grande gueule (le rap militant et engagé à la Public Enemy, pour situer), n’a pas non plus une mentalité de caïd de cage d’escalier (le gangsta-rap). C’est un type qui a une vision, un discours (merci aux lyrics reproduits dans le livret). Qui pose un œil intelligent et avisé sur des problèmes qui dépassent le strict cadre du pov’ neg’ méprisé auquel les plus « concernés » du rap s’en tenaient jusque-là. Franti est capable de mettre en parallèle une Europe qui semble se (re)construire en cette fin des années 80 et des Etats-Unis repliés sur eux-mêmes laissant s’exacerber déliquescence sociale et libéralisme à tout-va. Franti n’est bien sûr pas dupe du militarisme à tout crin de l’administration Bush père, et va même jusqu’à avancer un manifeste écologiste (« Everyday life has become … ») assez unique à l’époque chez les rappeurs. Franti rejette toute forme de slogan simpliste, préférant mettre des arguments en avant, expliquer, analyser, approfondir son propos. Conséquence, on se retrouve avec des titres là aussi d’une durée inédite dans le rap (« The winter of the long hot summer » taquine les huit minutes, trois autres morceaux dépassent largement les six minutes). Les « inspirateurs » et « conspirateurs » ainsi nommés et remerciés dans le livret font se voisiner les prévisibles et attendus Malcolm X, Angela Davis, Gil Scott-Heron, Public Enemy, KRS-One voire Linton Kwesi Johnson (rare malgré tout que des anglais soient cités par des rappeurs US) avec les beaucoup plus surprenants au générique d’un disque de rap Jello Biafra (leader du punk band historique de San Francisco Dead Kennedys et activiste social notoire, dont l’hymne « California über alles » est repris et samplé sur ce « Hypocrisy … »), Vernon Reid (guitariste « fusionnel » du groupe de hard-rock Living Colour, groupe présentant la particularité de n’être composé que de Noirs), le Besancenot anglais Billy Bragg, les rockers hardcore de Fugazi et les électroniciens de Meatbeat Manifesto … Un éclectisme inédit pour un rappeur …
Michael Franti
La musique (les plus rétifs au genre parleront plutôt de « fond sonore ») se démarque aussi pas mal de ce que l’on a coutume d’entendre. L’influence de Public Enemy est là aussi évidente, mais la lourdeur menaçante remplace les agressions soniques de Terminator X et du Bomb Squad. Beaucoup d’arrangements (la guitare, somme toute discrète, beaucoup plus les claviers et pianos de toutes sortes) tirent souvent vers le jazz (MC Solaar a du beaucoup écouter « Water Pistol Man », la ressemblance est troublante). Et puis les Disposable Heroes ne rechignent pas à se laisser aller à faire l’éloge de la lenteur, les rythmiques de certains titres sont même très très lentes (corollaire, le flow de Franti l’est aussi, on pense souvent à Gil Scott-Heron), on n’est guère éloigné du trip-hop, de Massive (Attack) en particulier.
« Hypocrisy … » est en tout cas un disque de rap très original, pas pour autant « facile » ou à conseiller à ceux qui n’aiment pas çà. Bien boosté par le single « Television, the drug of the nation » (un des rares titres « évidents », tant par le propos que par la musique), le disque sera un bon succès. Pas tant que cela dans la sphère strictement rap, mais les textes de Michael Franti seront entendus bien au-delà de la « communauté ». Bono engagera personnellement les Disposable Heroes pour quelques dates en ouverture d’une tournée de U2. Ce sera un peu le baiser de la mort pour le duo. Michael Franti, trop « visible », tentera l’aventure plus ou moins solitaire avec le vrai-faux groupe Spearhead, après que le Cd successeur de cet excellent « Hypocrisy … » soit passé totalement inaperçu.

Aujourd’hui, les Disposable Heroes, Franti, Tse, Spearhead semblent bien oubliés. Etre en avance sur son temps et ne pas jouer avec les grosses ficelles ne paye pas …


MASSIVE ATTACK - BLUE LINES (1991)

Adhésion massive ...
1991. A moins de six mois d’intervalle, vont sortir les deux meilleurs disques d’une décennie qui ne restera pas dans les annales, sinon celle de la daube globale. « Blue lines » de Massive Attack sort en Avril, « Nevermind » de Nirvana en Septembre. Les points communs entre les deux sont peu nombreux, en fait j’en vois qu’un, mais de taille.
Ces deux disques sont radicaux par leur démarche. Nirvana bannit toute sophistication technologique (les claviers, les boucles, les samples, la technologie haut de gamme de l’époque), pour sortir un disque n’allant guère plus loin que le punk-rock et le hard-rock des 70’s. Massive (encore Attack) bannit guitares, basses et batteries, se contentant (rarement) de les échantillonner sur de vieux disques. Les deux groupes vont à contre-courant de ce qui semblait être la tendance du moment : la fameuse et fumeuse fusion entre tous les genres de musique, symbolisée pour le « grand public » par les Red Hot Chili Peppers. « Blue lines » et « Nevermind » allaient engendrer des suiveurs innombrables, à travers deux « mouvements » qu’ils allaient initier, le grunge et le trip-hop, genres dont va se repaître la fameuse génération X des 90’s.
Massive Attack
Massive Attack, ils ont à proprement parler rien inventé. Des bases reggae, soul, jazz, … comme beaucoup d’autres. Mais là où on assistait à une course-fuite en avant vers les bpm les plus frénétiques, eux au contraire vont ralentir le tempo aux limites de l’assoupissement hébété, en bon fumeurs d’herbe qu’ils sont. Les structures les plus lentes seront choisies, donnant l’impression d’un dub global, et non plus seulement limité aux riddims du reggae.
Massive Attack sont des branleurs originaires de Bristol, triste cité portuaire (pléonasme). Trois-quatre types planqués derrière des pseudo (3D, Mushroom, Daddy G, quelquefois Tricky Kid) animateurs d’un sound system du dimanche, mode venue de Jamaïque, réactualisée par la house music. Ils toastent, mixent, la routine quoi. C’est le couple (à la ville) Cameron McVey – Neneh Cherry (lui rat de studio et producteur de ce disque, elle  qui avait injecté un peu de fun-rap-glamour-electro dans les charts à la fin des 80’s et qui pousse – discrètement – les chœurs sur un titre) qui vont les pousser à enregistrer. Un Ep, et puis ce premier disque. Cette équipe s’est rendu compte d’une chose, c’est que de la musique, ça passe encore mieux quand il y a des gens dessus qui chantent, rompant ainsi définitivement le dogme tout-instrumental des débuts de la scène électronique, dogme déjà mis à mal par quelques autres (Soul II Soul, Lisa Stanfield & Coldcut, Yazz, …). Problème, y’en a qu’un du trio majeur qui rappe, et c’est pas un cador. Idée de génie : on va prendre des chanteurs, les coller devant le micro avec derrière les morceaux tous faits. Une chanteuse inconnue (Shara Nelson) et un reggaeman obscur et de toutes façons oublié (Horace Andy), seront la plupart du temps les voix de Massive Attack. Elle dans un registre plutôt diva soul, lui sur les trucs plus marqués reggae-dub. Un autre inconnu, un certain Tony Brian, n’est là que sur un titre (« Be thankful … »)
Shara Nelson
« Blue lines » comporte neuf titres. Un seul est sans intérêt, le dernier, « Hymn for the big wheel ». De toute façon, par expérience, quand il y a de mots comme « hymn » ou « big » dans un titre, faut s’attendre au pire. C’est confirmé, le morceau est lourd, empesé, rigide, martial, et tranche salement avec tous les autres. Trois titres feront carrière dans les charts, « Daydreaming », « Unfinished sympathy » et « Safe from harm ». Mais les cinq autres les valent, rien de faible ou seulement moyen pendant presque quarante minutes. Et curieusement, signe que le propos musical est fort, le fait que plusieurs chanteurs interviennent ne fait pas de « Blue lines » un disque disparate. C’est même tout le contraire d’une collection de chansons (a)variées mises bout à bout sans fil conducteur.
L’atmosphère de « Blue lines »  est lourde, lente, oppressante, et miracle, réussit à apparaître aérienne et mélodique. Les basses grondantes du dub sont soulagées par des trilles de piano house (« Unfinished symapthy ») , des beats disco qui ne veulent pas dire leur nom (sur « Be thankful … »), des orgues jazzy (« Blue lines ») … Le titre le plus emblématique du disque est peut-être « Lately » qui a lui seul pose la définition sonore du trip-hop, et que tout un tas de suiveurs (Tricky, Portishead, Earthling, Massive eux-mêmes) recycleront pendant un lustre.
Horace Andy
Faire un (très) bon disque ne suffit pas pour avoir du succès. Les Massive Attack vont créer le buzz comme on ne le disait pas encore. Une première fois quand les médias britanniques et (surtout) américains vont les sommer de changer de nom, trop évocateur selon les petits cerveaux enfouis sous les bérets et les casques des bidasses, de l’action militaire entamée Bush père et plus connue sous le nom de Guerre du Golfe, première du nom. Exit Massive Attack et place à Massive. Quelques mois plus tard, alors que le groupe est en plein succès, et là je pense pas que ce soit à l’insu de leur plein gré, avec une vidéo (très) dénudée et (très) suggestive qui fera beaucoup parler (censure, articles scandalisés de « bien-pensants » dans la presse « sérieuse »), celle de « Be thankful … ».

Le joli succès remporté par « Blue lines » un peu partout around the world, aura vite des conséquences plutôt néfastes sur le moyen et long terme. Massive (ex Attack), bande de potes va-nu-pieds confronté à la big money et au big business avec les tiraillements internes qui vont vite avec, deviendra un groupe peau de chagrin. Le disque suivant, encore excellent, mais un peu moins (et ce sera la constante de leur œuvre, cette lente mais sûre dégringolade artistique), verra disparaître du générique Tricky (parti pour une aventure solo qui se révèlera vite plus passionnante que celle de ses anciens potes), et Panda Bear / Cameron McVey… Aux dernières nouvelles (pas terribles), il n’en reste plus qu’un (Del Naja alias 3D) aux commandes du vieux navire amiral du trip-hop …