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GASPAR NOE - IRREVERSIBLE (2002)

 

Le temps détruit tout ...

En 2020, Noé a remonté son film à « l’endroit ». Alors certes ça facilite sa compréhension (ça ressemble à une version branchouille arty et gore de « Un justicier dans la ville », autre référence revendiquée de Noé, ce qui explique le parcours vengeur de Cassel et Dupontel au milieu de la faune interlope des nuits parisiennes à la recherche du Ténia). A propos du Ténia, on voit alors qu’il est bien dans la boîte, en compagnie du type qui se fait fracasser la tête. Lors de cette « Inversion Intégrale » le film dure six minutes de moins (il me semble que certaines scènes dans la boîte, le métro ou la teuf sont plus courtes, ou il s’agit d’autres prises), gagné en clarté sonore (remixage de la bande-son ?), mais perdu en chocs sonores et visuels. D’un exercice de style brillant et suffocant, c’est devenu une banale série B … Un peu le problème de tous ces remakes qui n’arrivent pas à la cheville de la version originale …

Au cœur du Rectum

On remonte ainsi la chronologie des événements pour finir-commencer par une scène de couple complice entre Cassel et Bellucci, pas très vêtus dans leur lit ou leur appartement, la caméra a arrêté de tourner dans tous les sens, plus de rouge, les couleurs deviennent plus chaudes, et un plan tournoyant, aérien et bucolique de Bellucci en train de lire un bouquin dans un parc au milieu de gens qui se prélassent et bronzent au milieu des enfants qui jouent, précède une décharge stroboscopique de lumière blanche finale…

Ce qui implique que quasiment aucun dialogue n’était écrit. Ce qui donne parfois lieu à un pain, Cassel disant « Moi c’est Vincent » lors de la soirée à laquelle il est convié avec Alex et Pierre (la coke n’en est pas mais l’alcool c’est du vrai et après quelques prises, y’a des choses étranges qui peuvent se faire ou se dire), ou à un quasi fou rire involontaire de Bellucci lors de la discussion très portée cul dans la rame de métro, discussion d’ailleurs à peu près incompréhensible (le bruit de la rame bouffe la prise de son).

« Irréversible » est un travail collectif. Le point de départ est de Noé, qui avait écrit un scénario de trois pages. C’est avec ça qu’il a récupéré Cassel et Bellucci. « On va faire un « Eyes wide shut » qui serait pas raté » (Noé est fan ultime de Kubrick, y’a d’ailleurs une affiche de « 2001 … » dans la piaule de Marcus (Cassel) et Alex (Bellucci). La minceur du scénario n’a pas effrayé non plus Dupontel, toujours partant pour des trucs zarbis (il est Pierre, pote de Marcus et ex d’Alex). Ces trois pages ont aussi suffi à Lescure et De Greef pour sortir le chéquier de Canal+. Imagine-t-on les comptables de Bolloré faire aujourd’hui de même ?

Bellucci & Prestia

Parce que, c’est pas un secret, il y a beaucoup plus de treize plans-séquence. Chaque scène a été tournée en moyenne une demi-douzaine de fois, plusieurs prises différentes ont parfois servi au montage final. Sans compter les centaines de raccords et retouches numériques (pour les transitions entre les scènes, pour « effacer » tous les reflets, regards, objets, qui traînaient dans l’objectif de la caméra à cause de ses mouvements tournoyants et épileptiques). Le montage et la post-production ont nécessité beaucoup plus que le tournage qui n’a duré que six mois, avec un misérable budget d’à peine plus de trois millions d’euros.

Il s’en est gâché du papier sur cette scène ultra-violente. Et d’un réalisme impressionnant. Le violeur, le fameux Ténia (Jo Prestia), est un ancien champion pro de boxe thaï, les coups de pieds et de poings s’arrêtent à quelques millimètres du visage de Bellucci, le reste est du trucage « à l’ancienne » (la poche de faux-sang préinstallée sur le sol). Et pour renforcer le côté glauque et sordide, l’image d’un type qui entre dans le souterrain et en ressort sans s’être interposé, ainsi que le sexe de Presta (« mais si, je t’assure, il faisait pas semblant, c’était pas simulé », on a entendu ça entre autres bêtises) ont été rajoutés numériquement.

Dupontel Bellucci & Cassel

Et la violence chez Noé, elle est pas hors champ. Il y aussi une scène d’agression, puis de viol et enfin de tabassage commise sur Monica Bellucci. Filmée en temps réel (dix minutes) avec toujours un fond rouge (celui d’un passage souterrain repeint pour l’occasion), et là, une caméra fixe au ras du sol pour filmer le viol. Ce qui a suscité moult émois, hurlements, vomis (il paraît), et départ de salle de nombreux spectateurs. Une scène inspirée, nous dira Noé, de celles de « Délivrance » et « Les chiens de paille ». Un rôle loin de l’image glamour de la sublime Bellucci. Que Noé ne nous montre qu’au bout d’une demi-heure (chronologie inversée oblige), d’abord le visage tuméfié par les coups, et ensuite longuement de dos, alors qu’elle sort d’un immeuble, cherche un taxi, puis s’engage dans le passage souterrain.

Un procédé narratif sinon unique, du moins original. Et du fait que « Irréversible » a évité tout juste l’interdiction aux moins de 18 ans, on a très vite une scène choc. Un cassage de bras suivi d’un écrabouillage de tête à l’extincteur. Réaliste et plutôt gore (un mix entre images réelles, images de synthèse, et trucages à l’ancienne avec une tête en latex), après une visite dans les trois niveaux de la boîte, avec caméra portée et tournant dans tous les sens, avec décor genre cavernes de luxure sado-maso, images subliminales de films pornos homos, lumières rouges, infrabasses signées Bangalter, la moitié du duo Daft Punk. Au bout de même pas dix minutes, on a une scène d’une violence inouïe, et totalement gratuite a priori, parce qu’on comprend rien à ce qui se passe …

Déjà on remarque trois choses. Un éclairage à base de rouge (les gyrophares), une caméra tournoyante, ondoyante, en dépit des règles élémentaires du cadrage, et un bruit sourd d’infrabasses, qui tape sur le plexus. Troisième plan-séquence, on voit Cassel et Dupontel arriver dans la boîte homo (le Rectum) très excités et à la recherche d’un type, le Ténia. Chercher le Ténia dans le Rectum, fallait oser … c’est à peu près le seul calembour du film. Là, on comprend (si on était coupé du monde jusque-là, tant on en avait causé de ce film) que « Irréversible » est monté et présenté à l’inverse de sa chronologie.

Philippe Nahon est de la première scène du film. A poil sur un lit de chambre miteuse, il rumine sur son existence en compagnie de Stéphane Drouot (la réalisation d’un seul court-métrage à son actif, mais révéré par Noé, ce qui explique sa présence au casting d’« Irréversible »). Sirènes et reflets sur les murs de gyrophares de police (« c’est chez les tarlouzes de la boîte en bas » dixit Nahon). Le plan suivant nous montre Cassel sortir sur une civière et un Dupontel hébété encadré de flics et conduit dans un fourgon.

« Irréversible » commence par le générique qui défile à l’envers, avec un lettrage bizarre, façon miroir (des lettres inversées, il faut généralement lire de droite à gauche). Pourquoi pas …

Gaspar Noé

Second film de la soirée. « Irréversible » de Gaspar Noé. Un peu plus d’un heure et demie aussi, là aussi en plans-séquence. Pas un, mais treize. A la sortie, le plus gros scandale cinématographique du festival depuis « La grande bouffe » de Marco Ferreri vingt-neuf ans plus tôt. Responsable, Gaspar Noé. Qui n’a qu’une poignée de courts-métrages et un seul film à son actif (« Seul contre tous »). Le tout dans le genre coup de pompe dans les roubignolles du spectateur. « Seul contre tous » c’est schématiquement, l’histoire d’un garçon-boucher incestueux. Le rôle principal y est tenu par Philippe Nahon (une multitude de seconds rôles dans des films que l’on qualifie généralement d’auteur ou de genre).

Festival de Cannes, 22 mai 2002, compétition officielle. Premier film de la soirée, « L’Arche Russe » d’Alexandre Sokhourov. Un film fou. Un plan-séquence de plus d’une heure et demie, offrant une visite du musée de l’Ermitage à travers les siècles avec des centaines de figurants. Un sommet de virtuosité et accessoirement un grand film.


Du même sur ce blog :

Enter The Void


WOODY ALLEN - MATCH POINT (2005)

 

Jeu, set et match ... ou match nul ?

Woody Allen est le roi du sous-genre humour juif new-yorkais au cinéma (même si les Marx Brothers peuvent aussi être considérés comme des prétendants plus que sérieux au trône). Et Woody Allen a fait pour moi ses meilleurs films (« Manhattan » et « Annie Hall ») dans la seconde moitié des années 70. Ensuite, même si j’ai pas tout vu (le type tourne un film par an), il me donne l’impression de vivoter sur ses acquis, faisant des films pour son fan-club.

Allen & Johansson

Et puis, sentant peut-être qu’il tournait (dans tous les sens du terme) en rond, Woody Allen a fait autre chose. Là, il voulait faire un film policier. Genre peu souvent abordé par lui (la comédie policière potable « Meurtre mystérieux à Manhattan » est le seul qui me vient à l’esprit). Ses habituels producteurs ne l’entendaient pas de cette oreille, et n’ont pas mis tout le pognon qu’il voulait sur la table. La figure emblématique du cinéma new-yorkais s’est tourné vers les Anglais (la BBC a sorti le chéquier) et les banques luxembourgeoises, est parti en repérages pour Londres et a modifié son script. Dont certains esprits (forcément mauvais) ont trouvé des similitudes troublantes avec le chef-d’œuvre de Stevens, « Une place au soleil », ce qui ne me semble pas une hypothèse saugrenue.

Alors, oui, « Match Point » est un polar. Dans sa dernière partie. Parce que jusque-là, Allen prépare le spectateur à ce qui va arriver dans le dernier tiers du film. Il étudie ses personnages comme un entomologistes ses papillons, nous les montre évoluer dans leur cadre de vie. Et on se retrouve avec deux films pour le prix d’un … Mais de quelque façon qu’on l’envisage, il en manque dans chaque partie.

Bizarrement, les personnages apparaissent assez superficiels, et pas seulement à cause du milieu (la haute voire très haute société britannique) dans lequel ils évoluent. Caractères taillés à la serpe, loin des finesses auxquelles Allen nous avait habitués, et revirements et contradictions assez improbables (difficile d’imaginer un type s’improviser serial killer). Pour le côté polar, on repassera aussi. Ce film dont la conclusion (et encore, une conclusion entre chèvre et chou) qui s’appuie sur un détail (un rebond capricieux d’une bague jetée dans la Tamise, qui heurte le parapet et retombe sur la berge), laisse, c’est le moins qu’on puisse dire, des trous béants dans la raquette de l’enquête policière (le journal intime qui ne révèle pas le mobile ?, l’arme du crime ?, les coups de feu qui ne s’entendent pas ?, le témoin bousculé en sortant qui ne se manifeste pas ?, etc …).

Monsieur & Madame

On dirait avec « Match Point » que Allen marche sur les traces de Hitchcock dans un troublant jeu de miroirs. Le gros Alfred était revenu finir sur la fin de sa carrière dans son pays natal (« Frenzy »), Woody Allen a relancé la sienne en s’expatriant, c’est à partir de « Match Point » qu’il a obtenu ses meilleurs scores commerciaux, avec un film selon moi très hitchcockien. Financement oblige, le casting est essentiellement anglais, à une exception près, et pas la moindre, Scarlett Johansson. Qui a dû jongler entre plusieurs engagements, effectuant plusieurs allers-retours transatlantiques pendant le tournage, quelques fois sans trop dormir et en ayant à encaisser le jet-lag. Et tous les intervenants du film (Allen, le reste du casting) sont formels, elle a été extraordinaire, et ça se voit sur l’écran, qu’elle irradie de sa présence toute en séduction animale et magnétique. Dommage qu’elle n’ait pas le premier rôle. Qui revient à l’assez transparent Jonathan Rhys Meyers (dont Allen compare la prestation dans ce film aux meilleures de Brando, … really, Woody ? t’as pas l’impression d’exagérer un peu, là …).

Rhys Meyers, c’est dans le film un playboy sportif (tennisman proche du niveau professionnel), qui se fait engager dans un club privé de chicos londoniens comme prof de tennis (d’où le titre du film, et sa première scène, cette balle qui passe par-dessus le filet, et puis quand elle le touche, l’image s’arrête, on sait pas de quel côté elle va retomber, coup de chance ou coup du sort …) grâce à une de ses anciennes connaissances, fils d’un très riche entrepreneur. Il séduit assez facilement sa sœur, pucelle effacée, le mariage est prévu, ainsi qu’un boulot (très) bien payé chez beau-papa. Juste qu’à ce qu’il rencontre la fiancée de son beau-frère, américaine exilée qui rêve d’une carrière d’actrice et court les castings pour essayer (vainement) de décrocher quelque petit rôle dans la perfide Albion. Evidemment, comme en plus la Johansson, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est pas mal allumeuse, le sportif en tombe amoureux.

Monsieur et sa maîtresse

Ce qui ne l’empêche pas de se marier avec la fifille à papa (et maman, qui n’est intéressante que bien bourrée, ce qui lui arrive tout le temps), et d’entamer une liaison avec celle censée devenir sa belle-sœur. Sauf que les vieux l’entendent pas de cette oreille, leur fils chéri est invité à laisser tomber cette roturière et à épouser une fille digne de son rang. Bizarrement, ce genre de problème ne se pose pas pour Rhys Meyers, le plouc sportif. Qui dès lors va se retrouver coincé entre sa nunuche chicos (qui veut de la progéniture mais n’arrive pas à tomber enceinte) et la Scarlett qui est libre (et qui va se retrouver plus ou moins malgré elle en cloque). C’est ce partage entre deux femmes qui va vers le milieu du film, lancer la partie « policière » de l’affaire. Comment concilier le pognon de beau-papa et l’amour pour l’actrice déclassée sans y laisser des plumes ?

Tout ce qui a précédé est censé nous faire cerner la psychologie des personnages, sauf que tous ces revirements à 180°, et cette double vie improbable ne sont guère crédibles. Les portraits qui se voudraient finement ciselés sont finalement taillés à la hache … on a connu Allen beaucoup plus inspiré de ce côté-là. Et quant à la tragédie meurtrière qui est le tournant du film, ces trois-quarts d’heure-là sont plus près de « Tatort » que de « The Wire », si vous voyez ce que je veux dire …

Reste de belles images (après une bonne trentaine de films, Allen sait tenir une caméra, on est loin des images et des plans foutraques du début des seventies). C’est sobre et classique dans la mise en scène, bien cadré, les décors et les lieux de tournage (le manoir des bourges, la Tate Gallery, …, Allen a eu l’autorisation de tourner partout où il en avait envie) sont somptueux, certaines scènes sont superbes (le premier baiser de Rhys Meyers et Johansson sous une pluie diluvienne), mais rien de palpitant, et suspense pas vraiment haletant …

Comme en plus le Woody a des goûts musicaux sur lesquels j’éviterais de donner un avis de peur de devenir grossier, il laisse tomber le jazz à clarinette pour de l’opéra avec disques vintages en 78 tours en fond sonore (d’où un son mono et les craquements des disques), ce qui n’est pas forcément une bonne idée, même si elle est censée être raccord avec le milieu social des protagonistes …

Le tennis étant un sport où il ne peut pas y avoir de match nul, on dira que Woody Allen a gagné … sans convaincre vraiment …


JAMES GRAY - LA NUIT NOUS APPARTIENT (2007)

 

Because the night ...

… belong to lovers … Tout commence bien dans le film. Par la vision d’un bout de téton d’Eva Mendes en train de se faire peloter par Joaquim Phoenix … Ca donne envie de voir la suite hein, on a connu pire comme première scène. Elle, c’est Amada, bomba latina d’origine portoricaine. Lui, c’est Robert, un gérant d’une boîte de nuit new-yorkaise qui tourne bien. Le proprio, c’est un grand-père russe qui vit peinard au milieu d’une partie de sa famille, et est très sympa avec son gérant …

Mendes, Gray & Phoenix

Robert, il se fait appeler Robert Green. Parce qu’il a un nom de famille difficile à porter. Celui de son père, chef de la police new-yorkaise (impeccable, comme toujours serait-on tenté de dire, Robert Duvall), qui va prendre sa retraite. Son successeur tout désigné est son autre fils, aux états de service irréprochables (Mark Wahlberg). Robert déteste les flics (il tire sur les joints, ne crache pas sur un petit rail de coke), les rapports avec son frangin et son père sont exécrables. La situation ne va pas s’arranger quand ils l’avertissent qu’un Russe, Vadim, client assidu de sa boîte est soupçonné d’être un des plus gros dealers et importateurs de came de New York. Il se trouve que c’est aussi le neveu du vieux proprio … Robert envoie balader père et frère, et refuse de coopérer avec eux, il est très bien avec le proprio, et veut le faire investir dans une autre boîte qu’il gérerait aussi …

Le frangin organise une descente de police dans la boîte, fait interpeller de façon musclée Robert et Vadim contre lequel il ne trouve rien de probant … sauf qu’il faut pas trop chatouiller la mafia russe, le flic prodigue va l’apprendre durement à ses dépens, et se ramasser une balle dans la tête (il s’en sort miraculeusement après des mois d’hosto). Dès lors la situation devient cornélienne pour Robert : renouer les liens familiaux et coopérer avec sa famille de flics, ou laisser courir et même basculer du côté du dealer russe.

Wahlberg & Duvall

Tout ça, c’est en gros la première demi-heure du film. Et c’est un bon début. Parce qu’il y a de sacrés bons acteurs (le quatuor Phoenix, Mendes, Wahlberg, Duvall), et derrière la caméra un type qui tient la route, James Gray. Etrangement sous-estimé aux Etats-Unis, où il est classé plutôt cinéma d’auteur ou indépendant. Il a du mal à trouver des financements, tourne donc peu (un film tous les six-sept ans), bien qu’il réunisse autour de ses projets des acteurs bankables à qui il fait appel régulièrement, créant une sorte de Gray family dont les piliers sont Phoenix et Wahlberg. Et les histoires de famille compliquées seront souvent au cœur de son œuvre.

« La nuit nous appartient » (« We own the night » en V.O.), est le troisième film de Gray, après « The Yards » et « Little Odessa ». C’est son premier succès public notable (hormis comme d’hab aux States) et la critique, un chouia moins enthousiaste que le public, est plutôt bonne…

Gestes barrière COVID ? Non, labo de coke ...

« La nuit nous appartient » n’est pas un mauvais film. C’est pas une masterpiece non plus … trop de choses dans le scénario ne sont guère crédibles, et Gray a un peu trop recours à tous les poncifs du « polar contemporain ». Les poursuites en bagnole, les gunfights, ne sont pas les points forts du film (c’est linéaire et assez prévisible). Le méchant Vadim, hormis dans une scène dans le labo de drogue, qui est censé être un tueur sans scrupule, est plutôt bien naïf et ne fout pas les jetons (on est très très loin d’un Daniel Day-Lewis dans « Gangs of New York », d’un Nicholson dans « Les Infiltrés », d’un Javier Bardem dans « No country for the old man », pour citer trois films assez voisins par le scénario). Ensuite, ce drame familial avec dilemmes, fautes, pardons, rédemptions, n’atteint pas les sommets émotionnels qu’il est censé viser. Malgré les nombreux face-à-face entre les protagonistes principaux, seule une scène de tensions et d’engueulades entre Eva Mendes et Joaquim Phoenix est à la hauteur des combats intérieurs qui agitent les personnages.

« La nuit nous appartient » est quand même un bon polar. Mais qui laisse un peu sur sa faim (le face à face final au milieu de roseaux enfumés est quand même bien foiré). Les meilleures scènes sont finalement celles qui sont tournées en boîte de nuit (de bonnes scènes de foule, des angles de prise de vue intéressants et parfois originaux) et qui bénéficient en plus d’une bande-son irréprochable (Blondie, Clash, Specials, Bowie, … et même une séquence live de Coati Mundi, le clown exubérant et quasi alter ego d’August Darnell dans Kid Creole).

Gray fera par la suite partie du décor du Festival de Cannes, ses films seront toujours bien accueillis (« Two lovers », « The Immigrant », « The lost city of Z », « Ad Astra »), mais sans jamais vraiment déclencher l’enthousiasme (toujours un peu trop de quelque chose et pas assez d’autre chose …).

D’un autre côté, a-t-il vraiment envie de tourner des blockbusters ?


CHARLOTTE GAINSBOURG - IRM (2009)

 

Fortunate son ...

Comme tout le monde, Charlotte est la fille de ses parents. Mais c’est  la seule au monde à être la fille de Serge Gainsbourg et Jane Birkin. Ce qui n’est pas forcément un handicap dans la vie. D’ailleurs, elle fait carrière sous le pseudo de son père (pour l’état-civil, elle s’appelle Charlotte Lucy Ginsburg). Son gagne-pain, à Charlotte, c’est d’être actrice. Un métier pour lequel elle est assez douée, excellant dans des rôles de pleureuse diaphane triste, mais pas que …Elle fait des disques aussi, la Charlotte … et là on peut se poser deux questions : pourquoi et comment ?


Pourquoi faire des disques quand on s’appelle Charlotte Gainsbourg ? Parce que Gainsbourg, dans le monde des maltraiteurs de gamme, c’est un nom bankable, et il n’a échappé à personne que le monde de la musique, c’est aussi une industrie qui exige des résultats, des marges, des dividendes, etc … On prend moins de risques à sortir un disque étiqueté Gainsbourg que celui de gugusses peut-être extrêmement talentueux mais inconnus. Et puis, Charlotte Gainsbourg et la chansonnette, y’a peut-être quelque chose de freudien et d’œdipien à régler. On se souvient de son père la forçant à chanter toute gamine des mélodies difficiles, sur des textes (et un clip) pour le moins équivoques (l’assez douteux « Lemon Incest ») …

Comment on fait de la musique quand on s’appelle Charlotte Gainsbourg ? Et que certains prérequis pointent aux abonnés absents. Quand on ne compose pas qu’on n’écrit pas (ou si peu) de textes, et qu’on a une voix à faire passer Maman Jane pour la Callas, on fait quoi ? A mon humble avis, on ferait mieux de rester à la maison … Pas Charlotte, à qui on donne un disque « clés en mains », sur lequel elle n’a plus qu’à poser son petit filet de voix. Bon, des gens qui ne font quasi exclusivement que chanter sur leurs disques, on en connaît et des fameux (Frank Sinatra ou Elvis Presley pour n’en citer qu’une paire). Mais ils chantent mieux que Charlotte …

Cet « IRM » est beaucoup plus un disque de Beck (Hansen) que de Charlotte (Gainsbourg). Beck, au début, c’était un mixeur de genres assez étonnant, réussissant à faire des choses pas dégueus en marchant à rebrousse-poil des conventions (de l’électro, du rap et de la country avec « Loser », fallait y penser). Son étrange mayonnaise a fini à la longue par tourner vinaigre, et encore plus quand est venu se rajouter à la musique un malvenu prosélytisme scientologue. Mais on peut toujours compter sur lui pour bricoler des trucs bizarres.

Ici, il s’en donne à cœur-joie, réunissant une multitude de zozos programmant leurs Mac, lui-même étant crédité de plein de bidules électroniques. Même s’il y a aussi de vrais instruments (noyés sous les programmations), et un casting aussi long qu’un générique de dessin animé Pixar, c’est Beck qui écrit, compose et joue quasiment tout. A part deux types dont je préfère pas citer le nom pour les paroles d’une imbécilité rare de « Le chat du Café des Artistes » qui accumulent des trucs aussi forts que « Quand on est mort c’est qu’on est mort, quand on ne vit plus c’est qu’on ne vit plus », et un poème d’Apollinaire mis en musique (la tarte à la crème de la chanson française de « qualité », aller piocher chez Verlaine, Rimbaud, Apollinaire, ça fait littéraire et romantique …).

Charlotte G. & Beck H.

Musicalement, Beck oblige (ou se sent obligé ?), on passe du coq à l’âne, pauvres mélodies interchangeables sur fond d’innombrables programmations rythmiques envahissantes, on va butiner vers plein de genres (vers l’électro, la ballade acoustique, la pop 60’s).

Quelques rares compos tiennent à peu près la route. « Le chat du Café … » s’il avait un bon texte renverrait aux meilleurs trucs que composait Gainsbourg Père pour Jane B., « Heaven can wait » est un joli exercice rétro très influencé par le Beatles sound, « Time of the assassins » c’est pour moi le meilleur titre de la rondelle, belle mélodie pop-folk à la Duncan Browne. A noter aussi, mais pour d’autres raisons « Dandelion » (étonnant que Tony Visconti ou les héritiers de Marc Bolan n’aient pas dégainé les avocats, c’est un plagiat du T-Rex sound époque « Electric warrior »). Le reste, c’est du bruit pour after de bobos, furieusement (?) novateur (?) et étrange (?), manière d’accompagner le champagne rosé quand les lumières de l’aube viennent signifier la fin d’une nuit passée dans des endroits rupins des beaux quartiers de Paris…

La Charlotte « chante » pour l’essentiel en anglais, c’est-à-dire qu’elle murmure des textes en essayant de suivre la mélodie. Dans les meilleurs moments assez proche de la tessiture de sa Jane de mère, mais sans son feeling ingénu. Ici, c’est pour le moins laborieux …

Pour paraphraser le philosophe hélicoptérisé Balavoine, qui déclarait qu’il faudrait remplacer le besoin par l’envie, Charlotte G. aurait dû se poser la question essentielle : avait-elle besoin de faire un disque ou en avait-elle juste envie ?


TERRY ZWIGOFF - BAD SANTA (2003)

 

Le Père Noël est une ordure ...

Y aura-t-il de la neige à Noël ? Peut-être … ou peut-être pas. Ce qui est sûr c’est qu’ils vont nous ressortir la rengaine pourrie de Tino Rossi, et toute une ribambelle de films de circonstance, à base de dessins animés Disney et de ringardises avec De Funès. Mais ça m’étonnerait qu’on voit « Bad Santa » le soir de la dinde aux marrons et des pataugas dans la cheminée …

Terry Zwigoff

Parce que « Bad Santa » est un film pas vraiment dans l’esprit des soirs de réveillon, il pourrait y avoir avis de tempête traumatique chez les chères têtes blondes en cas de visionnage familial. Pourtant y’a tous les ingrédients du film de Noël, à commencer par le Père Noël himself, un lutin qui l’accompagne, un petit garçon qui va voir sa vie changée, une petite histoire d’amour et presque une happy end …

Derrière « Bad Santa » on trouve les frères Coen, officiellement uniquement producteurs exécutifs. En fait, les scénaristes du film (Glenn Ficarra et John Requa) reconnaissent que les frangins leur ont aussi refilé un scénario sur lequel il n’y avait pas grand-chose à retoucher. Derrière la caméra, Terry Zwigoff, qui avait obtenu une petite reconnaissance pour son documentaire sur les frères Crumb (dont bien sûr l’iconoclaste Robert, auteur de Bd – Fritz the Cat – et de pochettes de disques – « Cheap thrills » de Janis Joplin) et son premier film « Ghost world » (adaptation d’une BD avec notamment Scarlett Johannson et Steve Buscemi). Zwigoff ne fait pas partie des réalisateurs que l’Histoire retiendra comme grand manieur de caméra, c’est service minimum, il filme des acteurs.

Billy Bob Thornton & Tony Cox

Et parmi eux, Billy Bob Thornton se taille la part du lion. Il est Willie, le Bad Santa, ancien surdoué du perçage de coffres-forts, et déclassé à cause d’un éthylisme continuel. Il continue cependant d’exercer ses talents en période de fêtes de fin d’année, se faisant embaucher dans les grands centres commerciaux pour jouer le Père Noël avec un nain qui est son elfe accompagnateur, son complice Marcus qui l’a remis sur les rails (Tony Cox). Le soir du réveillon, ils se font enfermer dans le magasin et avec l’aide de la femme de Marcus, percent le coffre et s’en vont avec le fric et quelques babioles de luxe qui peuvent traîner dans les rayons.

Et comme en plus d’être bourré du matin au soir, Willie est un serial niqueur (gibier de prédilection les femmes à fort tonnage), Marcus a fort à faire pour que les deux associés fassent leur boulot d’animation et le braquage qui suit. Bien évidemment, le personnage du Père Noël ne serait pas complet sans quelques autres « handicaps » : il déteste, mais vraiment, les enfants et s’exprime toujours dans un langage obscène et ordurier à faire passer la feue bande de Charlie-Hebdo pour la Comtesse de Ségur …

Tout à fait logiquement, il va trouver sur sa route un gosse obèse et simplet dont il finira par squatter la luxueuse maison (maman est morte, papa est un escroc comptable en prison, ne reste que la grand-mère sénile), en compagnie de sa nouvelle conquête, une serveuse de bar (pas du tout enveloppée) qui fantasme sexuellement sur le Père Noël et ses attributs (non, bande de pervers, pas ceux auxquels vous pensez, juste son bonnet qu’il doit conserver pour l’honorer). Viendront se rajouter un directeur de magasin suspicieux, un chef de la sécurité qui voit rapidement arriver le coup qui se prépare, et une bande de gosses qui tyrannise le petit gros …


Billy Bob Thornton s’en donne à cœur-joie, mais ne surjoue pas, n’en fait pas trop comme c’est généralement le cas des ivrognes de comédie (il a l’air vraiment bourré quand il arrive en titubant, attend les enfants assis sur son fauteuil-trône clope au bec et bouteille de whisky à la main avant de les insulter, de se pisser dessus, de destroyer les animaux postiches de la crèche à coups de batte de base ball, …), au milieu d’une bordée d’insultes et d’insanités classées X (« On dit qu’il peut rentrer partout, même dans la chatte de Margaret Thatcher » celle-là me plaît bien, même s’il faut à peu près avoir l’âge de rentrer en hospice pour savoir qui était Margaret Thatcher). Ce curieux Père Noël est quand même un ignoble sympa (c’est pas lui qui fait les choix les plus pourris, ça revient à Marcus et sa femme), il finit même (conte de Noël oblige) par se prendre d’affection pour le petit obèse débile, et le final en plus ou moins happy end se place sous le signe de la rédemption. L’honneur et le bon goût sont (presque un petit peu) saufs.

Ce qui ne fait tout de même pas de « Bad Santa » un chef-d’œuvre de film comique. Des personnages auraient pu être développés dans le ressort comique (la femme de Marcus, la grand-mère), d’autres sont plus laborieux dans leurs rôles (le directeur du magasin, son chef de la sécurité).

Reste un Billy Bob Thornton rayonnant dans quelques grandes scènes comiques …

Evidemment, il y aura des suites (« Bad Santa 2 », « Bad Santa 3 »), pas vues mais qui ne bénéficient pas de beaucoup de louanges …

Joyeux Noël …


PACO DE LUCIA - COSITAS BUENAS (2003)

 

Band of Gypsys ?

A lui tout seul … Y’en a qui disent que Paco De Lucia c’est le Jimi Hendrix du flamenco …

Mais je sens poindre la perfide question : de quoi il nous cause le Lester ? Mea culpa, mea culpa … c’est quand mes TOC me reprennent, j’ai lu trois lignes quelque part sur le Net d’un type qui disait que Paco Machin, c’était ‘achement bien, j’ai pas cherché à voir si le mec (ou la nana, je suis pas zemmourcompatible) était fan de Gilbert Montagné ou pire, et trois clics plus loin, j’avais acheté ce bazar d’occase pour le prix d’un demi (il faisait pas chaud ce jour-là, j’avais des excuses).


Le flamenco, à peu près tout ce que j’en connais, c’est au gré de zappings forcenés sur les chaînes de « Grande Musique » du câble (Mezzo, Classica, Djazz TV, ce genre …). Quand y’a pas des Castafiore qui s’appellent Carmen, Aïda ou Tosca, des danseuses en turlututu chapeau pointu, ou des moustachus bedonnants en chemise hawaïenne en différé depuis Antibes, La Villette, Marciac ou Juan-les-Pins qui donnent dans le solo concerné de sax alto, on peut parfois tomber sur du flamenco … à savoir des mecs basanés qui jouent de la guitare sèche, et des nanas tout aussi basanées, plus très jeunes généralement, habillées en rouge et noir, cambrées comme des hippocampes, tapant du talon sur un parquet ciré et poussant des cris comme si on venait de leur piquer le sac à main ou arracher la culotte, le tout dans une semi-obscurité… généralement, je zappe au bout de deux secondes trois dixièmes …

Tout ça pour dire que le Paco, ben, j’aurais pas dû … parce que je suis pas aussi con et inculte que j’en ai l’air, j’avais moultes fois vu son nom au gaillard. Généralement accolé à celui d’Al Di Meola, parfois à ceux de Santana, Beck, ou Clapton … Le premier donnant dans le jazz fusion à plein temps, le second à temps non complet, le troisième à temps perdu, et le quatrième passant son temps à jouer avec n’importe qui … autrement dit, quand il faisait pas du flamenco le Paco, il faisait rien de bon, et vous connaissez l’adage, mauvais un jour, mauvais toujours … Même si c’est pas aussi mauvais que prévu.

Après trois cent quatre-vingt-deux mots pour rien dire, venons-en au fait. Le flamenco, c’est la musique des gitans (les gitans, on dit comme ça quand ils vivent pas trop loin de la Méditerranée, ailleurs on dit des roms si j’ai bien compris) espagnols. Plus précisément ceux d’Andalousie, Algesiras étant la capitale mondiale du flamenco. Or Paco De Lucia il est pas gitan, mais il est né à Algésiras, ça a dû compenser pour se faire accepter dans ce milieu ultra traditionnaliste. Et en plus d’être un peu une pièce rapportée du machin, De Lucia l’a paraît-il totalement dépoussiéré, rénové, réinventé …


C’est déjà un guitariste d’exception, ça je confirme. Un peu comme Robert Johnson, on dirait qu’ils sont plusieurs à jouer. Et De Lucia joue aussi des machins à cordes ressemblant à des guitares, genre ouds, bouzoukis, mandolines … Le résultat c’est du flamenco, mais pas celui pour beaufs en goguette (Gipsy Kings, Kenji Girac, cette sorte de daubes) ou chaînes du câble. La technique du Paco lui permet de s’éloigner du convenu et amener ses titres autre part. Tout en restant dans la ligne du parti, les stars du genre (la star vocale Camaron de la Isla, le guitariste Tomatito, les autres participants jamais entendu causer, ce sont peut-être des stars aussi …) se bousculent pour jouer les guests sur quelques titres.

Ça donne l’impression d’être improvisé autour d’un thème (les jazzeux seront en terrain connu) mais c’est pas sûr, De Lucia il joue des trucs tellement stratosphériques techniquement, ça m’étonnerait que tout soit fait en une prise, les parties vocales arrivent généralement sous forme d’onomatopées et pas forcément quand on les attend …

Sur les huit titres de la rondelle, y’en a deux ou trois que je supporte, « Patio custido » (bonne entrée en matière), « Que venga el alba » (All Flamenco Stars Band ?), et l’ultime et plus accessible du lot « Casa Bernardo » …

Voilà, voilà, j’ai un disque de Paco De Lucia sur mes étagères …

Et tel le proverbial corbeau, je jure, mais un peu tard, qu’on ne m’y reprendra plus …



ANDREA ARNOLD - FISH TANK (2009)

 

California dreaming ...

« California dreaming » est la plus belle chanson des 60’s (avis ferme, définitif et incontestable) et donc forcément aussi des décennies suivantes. Alors si elle est dans la B.O. d’un film, j’ai tout de suite un a priori très favorable, c’est comme ça … Dans « Fish tank », on l’entend trois fois. Bon, dans la version de Bobby Womack, qui vaut pas l’originale des Mamas & Papas, mais qui est très bien tout de même. Et si « California dreaming » était pas dans la B.O., « Fish tank » serait quand même un putain de grand film …

Un grand film … ouais, mais je sais même pas si « Fish tank » est ce que l’on a coutume d’appeler un film. C’est une tranche de vie. On sait pas vraiment ce qui s’est passé avant, et on n’a pas la moindre idée de ce qui va se passer après la dernière image. Peu importe …

Andrea Arnold & Katie Jarvis

On voit souvent cité à propos de « Fish tank » le nom de Ken Loach, le grandmaster du cinéma social anglais. Ce qui n’est pas stupide. Sauf que dans « Fish tank », y’a pas de message, ni directement, ni en filigrane … Plus rarement, on évoque le « Rosetta » des frangins Dardenne. Comparaison pertinente également, surtout si on n’oublie pas de mentionner Emilie Dequenne. Parce que Emilie Dequenne, pour son premier rôle, crevait l’écran et portait « Rosetta » à elle seule …

Dans « Fish tank » y’a encore plus fort. Une parfaite inconnue (repérée par une copine de la réalisatrice alors qu’elle se disputait avec son copain sur un quai de gare) est l’héroïne du film et présente dans toutes les scènes, et sur sa seule prestation fait de ce qui aurait été un film sympa mais un peu plombant un pur bijou. Elle s’appelle Katie Jarvis, et a totalement disparu des radars une fois le tournage terminé. Elle n’était pas au Festival de Cannes où « Fish tank » a récolté le Prix du Jury (elle avait une excuse, elle était enceinte jusqu’aux yeux) et n’est jamais réapparue devant une caméra. Un cas à peu près unique …

La réalisatrice de « Fish tank » c’est Andréa Arnold, adepte du cinéma vérité. Par les thèmes abordés, et la façon de filmer (en extérieurs, y compris dans des logements de 40 m², et caméra à l’épaule). Heureusement, c’est en couleurs, sinon plus austère tu peux pas … et c’est pas une tocade de réalisatrice à la recherche d’un coup d’esbroufe. Tout ce que je connais d’elle (des courts-métrages dont un oscarisé, présents en bonus du Dvd, et l’excellent « American honey ») font passer la rigueur technique aux oubliettes.


« Fish tank », c’est quelques semaines de la vie de Mia, une adolescente d’une quinzaine d’années des quartiers que pudiquement on appelle défavorisés (ici, ceux de l’Essex, banlieue Nord de Londres). Mia est une solitaire, ne va plus à l’école, et passe ses journées dans un logement abandonné à s’entraîner à danser du hip hop, au son de deux minuscules enceintes reliées à un discman, et vêtue de joggings à capuche Prisu informes. Elle a tout juste le sens du rythme, et pour ce qui est des figures acrobatiques, c’est la cata. Mais elle s’obstine, son but c’est de gagner sa vie en dansant … Que ceux qui s’imaginent voir quelque chose ressemblant à « Fame » ou « Dirty dancing » sachent qu’ils sont très loin du compte, les vilains petits canards ne deviennent pas des cygnes gracieux chez Arnold…

Mia a une mère, encore jeune, poivrote et fêtarde, qui peut se permettre de s’habiller moulant et sexy, et une jeune sœur. Ont-elles le même père, on en sait rien, y’a plus d’homme à la maison. La majorité des échanges de ce triangle féminin consiste généralement en une bordée d’insultes. Alors forcément, un tel milieu, ça t’endurcit, et Mia n’est pas vraiment une tendre. Quand elle rencontre d’anciennes copines qui la chambrent, c’est à coups de boule qu’elle met un terme final à l’embrouille … Mia est sauvage, rebelle. Alors quand elle passe à côté d’un terrain vague où campent des roms et qu’elle voit une jument à l’air malheureux enchaînée à un bloc de béton, elle essaie de la libérer. S’enfuit quand les jeunes roms la repèrent. Revient le lendemain, manque de se faire tabasser voire pire, se fait détrousser. Et revient encore récupérer son sac et son discman. Et là, elle sympathise (un tout petit peu) avec un jeune rom.

Jarvis & Fassbender

Ce ne sont pas les occasions de voir du monde qui lui manquent, à Mia. Mais c’est pas son truc, la vie sociale. Quand des amis et amies à sa mère viennent dans leur minuscule appart danser, flirter, fumer des joints et picoler, elle leur pique une bouteille et va se saouler toute seule dans sa chambre. Mia finit quand même par être intriguée par Connor, le nouveau mec de sa mère (un superbe Michael Fassbender débordant de sensualité animale, et seul acteur professionnel du film), commence par lui faire les poches et lui piquer un peu de fric, avant de l’« accepter ». C’est lors d’une balade familiale dominicale qu’elle se laissera un peu « apprivoiser », Connor lui faisant découvrir sur le lecteur Cd de sa bagnole la version de « California dreaming » de Bobby Womack. Mia laissera un peu tomber ses rythmiques rap pour s’entraîner à danser hip hop sur Bobby Womack. Elle s’inscrira à un casting de danseuses la tête pleine de rêves … A partir de là, ça pourrait, comme chez à peu près tout le monde, virer conte de fées dance ou love story à deux balles. Ben pas ici …

Famille dysfonctionnelle ?

Là où réside le talent d’Arnold et de son casting, c’est d’aller explorer la face dark de cette affaire. Parce que chez ces gens-là, tout peut partir en vrille à tout instant. Et tout partira en vrille (mais … normalement, raisonnablement, serait-on tenté de dire, on n’est pas avec « Fish tank » dans l’excès scénaristique aussi improbable qu’incroyable). Les personnages de « Fish tank » sont entiers, mais pas des psychopathes. Il y a toujours une immense justesse plutôt qu’une surenchère lorsque le film flirte avec le glauque ou le sordide. Mais une fois que beaucoup sont passés au bord de l’abîme, il n’y a pas non plus de happy end …

Tout juste si on assiste à la fin du film à une scène fabuleuse, lorsque les chemins de Mia et de sa mère vont se séparer, la mère et la fille ondulent lentement face à face au rythme de la musique sur fond de reggae, la seule façon que trouvent ces deux êtres qui semblent se détester de se montrer réciproquement leur affection, sans échanger le moindre mot…

Des films qui sont peu ou prou basés sur le même scénario que « Fish tank », il en sort trois par semaine. Mais des films aussi bons, il en sort pas trois par décennie … Claque monumentale …




JUAN CARLOS FRESNADILLO - 28 SEMAINES PLUS TARD (2007)

 

Variant Z ?

« 28 Semaines plus tard » est la suite de … « 28 Jours plus tard ». Déjà, au niveau du titre, y’a plus d’efforts que dans la série des « Fast & furious ». D’accord, guère plus …

Parce que rien qu’en lisant le nom du réalisateur (Juan Carlos Fresnadillo, un Espagnol plus ou moins inconnu au bataillon avant, et apparemment disparu de la circulation depuis une dizaine d’années), ça pue le film de zombies gore. Ben non, c’est pas des zombies, juste des vivants infectés par un virus tellement méchant qu’à côté le Covid c’est comme disait le ridicule Raoult une grippette …

Juan Carlos Fresnadillo

« 28 Jours … » avait été réalisé cinq ans plus tôt par Danny Boyle, un type qui avait à cette époque-là un film culte à son actif (« Trainspotting »). Comme je l’ai pas vu « 28 Jours … », je vais pas en causer, mais si j’en crois les bonus du Blu-ray, il expose les débuts du virus dans la vie de tous les jours. Fresnadillo situe donc son film 28 semaines plus tard, dans un Londres devenu un no-man’s land, avec comme seule bonne nouvelle l’éradication présumée définitive du virus depuis plusieurs mois …

L’OTAN (donc l’armée américaine) gère la décontamination et le repeuplement de la ville, des familles survivantes commencent à revenir y habiter dans un quartier hautement sécurisé. Vous le voyez venir le pitch : l’armée, un virus porté disparu, et la famille lambda colonisatrice … Ben oui, vous avez tout compris : on va assister au retour de la vengeance du virus qui va s’en prendre à la gentille famille, aux gentils militaires ricains et aux méchants soldats ricains qui vaccinent à coups de napalm … Donc de l’émotion, des effets spéciaux de destruction (mais pas seulement), du sang (et même du sacrément gore) … le genre de film qu’on a déjà vu avant même de le regarder …

Les poursuivants

Bon, y’a des moyens (Boyle qui avait fait le premier volet a mis des pépettes dans le tour de table pour financer la suite), des effets spéciaux, des acteurs qui font ce qu’ils peuvent … la véritable star du film, c’est Londres. Londres en version post-apocalyptique. Des rues désertes d’humains, seulement emplies de détritus, d’épaves de bagnoles, de cadavres … L’équipe a tourné très tôt le matin, les décors de carte postale sont les vrais endroits, pas de trucage numérique (juste les vrais avions « effacés » à l’aéroport, la ligne de métro aérien qui conduit au quartier de repeuplement rajoutée numériquement, et le Stade de Wembley où il n’y a pas eu l’autorisation de tourner remplacé par celui du Millénium Stadium de Cardiff « retouché »). Dommage que l’ami Fresnadillo (et son chef opérateur dont il n’arrête pas de parler en termes élogieux) utilise une caméra comme une Kalachnikov. Le truc de la caméra souvent portée à l’épaule n’est pas une excuse, c’est le montage qui est calamiteux. Frénétique pour le moins. Changer de plan toutes les deux secondes ne sert ici qu’à masquer un manque évident de vision pour le déroulement des scènes. A comparer avec les premières minutes du film (la scène dans la baraque barricadée, l’assaut des infectés, et la fuite du père en canot à moteur) filmée par Danny Boyle, et qui a beaucoup plus de consistance que le reste du film …

Les poursuivis

De quoi donc il est-il question dans « 28 semaines … » ? Dans une baraque à la campagne éclairée à la chandelle et avec toutes les ouvertures condamnées, un groupe de personnes réfugiées là se prépare à bouffer les dernières boîtes de conserve. Un couple sans nouvelles de ses enfants en fait partie. C’est plutôt anxiogène, on ne sait pas de quoi il retourne. Un gosse apeuré frappe à la porte, les occupants lui ouvrent, il dit qu’il a les zombies à ses trousses. Ils arrivent, avec leurs yeux injectés de sang, et commencent à mordre et donc contaminer tout ce qui est encore vivant à leur portée. Le père s’enfuit, se sauve en canot, sa femme n’a pas pu le suivre, il l’a laissée face aux zombies …

Quelques semaines plus tard (non, non pas 28, un peu moins), le père est devenu responsable de la logistique dans le quartier de Londres en reconstruction, gigantesque bunker gardé par une multitude de militaires, on ne peut pas en sortir, il y a des snipers de l’armée sur tous les toits. Les gosses (un garçon et une fille) du type reviennent d’Espagne et sont les premiers mineurs accueillis dans le quartier … ces deux cons de minots vont faire le mur, partir à la recherche de leur mère, dans leur maison du centre-ville de Londres. Et évidemment la trouver, sauf qu’elle est contaminée, porteuse saine on ne sait pas pourquoi, mais qu’elle peut infecter les autres. Une aubaine pour une jeune toubib de l’armée qui pense qu’il y a chez elle matière à trouver les origines de cette rage et donc son vaccin. Mais le corniaud de mari (il est concierge, donc il a des passes, y compris celui du labo ultra-sécurisé de l’armée, vous y croyez, vous ?) réussit à entrer en contact avec sa meuf, lui roule une pelle et cinq secondes plus tard devient enragé, yeux injectés de sang et commence à bousiller tout ce qui se trouve sur son passage (à commencer par sa femme) … Et les infectés commencent donc à se multiplier et à bagdadiser la zone sécurisée, pendant que les gosses, la toubib et un sniper qui en avait assez de tirer dans le tas (ordre donné de pas de tri sélectif, on tue tout ce qui bouge, puis en désespoir de cause, on balance du napalm sur la ville) tentent de s’enfuir vers des contrées meilleures, avec le père des gosses à leurs trousses, et occasionnellement quelques infectés …

Massacre à la pale d'hélicoptère

Les zombies-infectés n’ont aucun intérêt, ils sont là pour se faire dégommer (au fusil de précision, à la mitrailleuse lourde, au napalm, à la pale d’hélicoptère, au gaz, au lance-flammes, …). Les survivants qui croisent la route de la petite troupe non plus, pas besoin d’être grand devin pour deviner qu’ils vont se faire zigouiller la scène suivante …

Ce qui nous amène à un double triple à la fin : triple tap au fusil à infrarouge sur le papa infecté (dans « Zombieland » ils s’arrêtent à deux, c’est beaucoup plus marrant), et triple scène finale : dans un couloir sombre de métro, dans un hélico de Wembley vers la France, et à proximité de la Tour Eiffel. A noter que cette dernière scène a été rajoutée bien après le bouclage du tournage, ça laisse la possibilité d’une suite : « 28 mois plus tard », « 28 ans plus tard », « 28 années-lumière plus loin », …

Un mot sur les commentaires audio de Fresnadillo et Lopez Lavigne (co-scénariste). D’une rare prétention, je cite « des sommets d’horreur et de tension », « un boulot épatant, de bonnes idées » … Sans rire ? Et un quart d’heure à nous parler de scènes tournées en nuit américaine. A les écouter, on croirait qu’ils ont inventé le procédé … vieux de presque un siècle …

Robert Carlyle

Le casting se partage entre anglais et américains. Côté british, l’ado est interprétée par Imogen Poots (passable), le père par Robert Carlyle (pas crédible), la mère par Catherine McCormack (plutôt théâtre et télévision), le gosse a été recruté par casting dans une école (ça se voit, on n’y en demande pas trop), et Idris Elba (le chef d’Etat-Major). Côté ricains, on a Jeremy Renner (spécialisé dans les seconds rôles de films d’action, ici en sniper repenti), et moins présent Harold Perrineau (le pilote et son hélico arlésienne). La meilleure du lot est d’assez loin l’Australienne Rose Byrne (la toubib) malgré des invraisemblances fatales (les infectés courent aussi vite qu’Usain Bolt sans se servir des bras et en zigzaguant, elle arrive à leur échapper en courant à cloche pied parce qu’elle a pris une bastos dans la jambe et en faisant suivre le minot de douze ans …).

Un film pour une soirée Deliveroo, quand on a invité des potes un peu lourdauds, des pizzas et des bières, et qu’on a égaré son cerveau …


CLINT EASTWOOD - MILLION DOLLAR BABY (2004)

 

Victoire par K.O.

Fondamentalement, Clint Eastwood est un réac (par ses discours, ses prises de position, les personnages qu’il a le plus joués dans ses films qu’il soit metteur en scène ou pas) … Un réac comme il y en a des dizaines de millions aux USA… Mais aussi un réac humaniste, ce qui est quand même moins courant.

Et quand les cinéphiles des prochains siècles (à condition qu’il y ait encore des cinéphiles et des prochains siècles, ce qui n’est pas garanti) se pencheront sur son œuvre, je vous parie que deux films reviendront avec obstination comme faisant partie de ses tout meilleurs, à savoir « Sur la route de Madison » et « Million Dollar Baby ». Pas forcément représentatifs de sa très longue filmographie, mais deux œuvres qui te collent une balle entre les yeux et en plein cœur, beaucoup plus sûrement que si c’était Dirty Harry ou un cowboy taiseux à cigarillo qui tenait le flingue …


Je sais pas ce qu’il avait en tête Eastwood quand il a tourné « Million Dollar … », mais quelque part il voulait certainement faire une œuvre testamentaire sur la vie, l’amour, la passion, la mort, l’humanité, comme « Impitoyable » avait été son western testamentaire. Faire un testament ne veut pas dire qu’on va mourir à l’instant, ça veut juste dire qu’on définit ce qu’on va laisser à ceux qui resteront en vie une fois qu’on sera plus là …

« Million Dollar … » flirte pourtant avec tous les stéréotypes crispants d’Eastwood et du cinéma grand public (américain, pléonasme). On y voit l’accomplissement du rêve dans le pays où tous les rêves sont possibles (en théorie, la pratique est pas aussi simple), on y voit les cœurs de granit se fendre et saigner dans la plus pure tradition des mélos larmoyants, on y voit des tranches et des tronches de vie qui font retomber la pression (ou en rajoutent une couche, au choix). On y voit surtout les déclassés, les tricards, les sans-grades, tutoyer les étoiles, s’approcher du Soleil avec leurs rêves, … et retomber durement sur Terre, leurs rêves caramélisés par la vie, tels des Icare contemporains …

« Million Dollar … » dure quasiment deux heures et quart. Une heure trois quarts sont prévisibles (en gros, la lente ascension vers la success story), la dernière demi-heure est un grand coup de massue sur toutes les certitudes accumulées jusque-là (ben non, il n’y aura pas de happy end, et il n’y a même pas de end pour deux des trois protagonistes principaux, on sait pas ce qu’ils vont vraiment devenir).

Freddie & Maggie : de l'ombre ...

La success story du film, Eastwood la construit sur la boxe. Un bon point, c’est beaucoup mieux que s’il avait choisi le base ball, le foot américain ou le hockey sur glace, sports très populaires aux States mais totalement incompréhensibles pour qui n’a pas passé des centaines d’heures au stade, à la patinoire, ou affalé sur son canapé devant la télé, pack de Bud à portée de main … la boxe, je sais pas si c’est un noble art, mais les règles du jeu sont pas très compliquées, c’est celui qui prend sur la gueule qui a perdu, c’est un concept universel …

Question que l’on peut se poser, « Million Dollar … » est-il (entre autres) une forme de réponse à la série des Rocky, une réponse d’Eastwood à Stallone, et l’image qu’ils ont souvent donnée dans leurs filmographies respectives, celles de castagneurs machos et asociaux invincibles … « Million Dollar … » ne met pas en scène un boxeur, mais une boxeuse.

Cette boxeuse, Maggie Fitzgerald, est joué par Hilary Swank, certes oscarisée en 2000 pour « Boys don’t cry », mais relativement peu connue du « grand public ». Sous la direction d’Eastwood, elle trouvera là le rôle de sa vie. Maggie est issue d’une famille de cas sociaux rednecks du Missouri. Elle les a laissé tomber pour accomplir son rêve et son obsession à Los Angeles, devenir boxeuse professionnelle, alors qu’elle a déjà la trentaine. Elle est serveuse dans un boui-boui, cherche un entraîneur. Elle a choisi un vieux de la vieille, Frankie Dunn (Clint Eastwood), propriétaire d’une salle de boxe miteuse, un solitaire asocial et intransigeant, aux méthodes à l’ancienne. La seule personne avec qui Dunn se montre à peu près humain, et qui l’assiste dans sa salle, c’est un vieux boxeur noir amoché (aveugle d’un œil), Eddie (Morgan Freeman). Dunn n’est pas un cador de la profession, ni un homme d’affaires (son meilleur boxeur le quitte pour un manager ambitieux). Par contre, c’est un génie du rafistolage de museau, qui sait entre deux rounds comment on arrête une hémorragie, comment on remet en place un nez pulvérisé, comment on cautérise une plaie ouverte … on apprendra dans le film comment ses talents lui ont fait « adopter » Eddie dans sa salle de boxe.

... à la lumière ...

Evidemment, il fout à dix mètres Maggie quand elle lui demande de devenir son entraîneur. Son définitif et lapidaire « J’entraîne pas les filles » avec le regard hautain et méprisant qui l’accompagne suffit à ce moment-là à camper le personnage. Tout aussi évidemment, comme « Million Dollar Baby » est au début une succes story, la Maggie va venir au club (aidée par Eddie), s’entraîner seule dans son coin, pour finalement retenir l’attention du boss et entamer avec lui une fulgurante ascension vers le Championnat du Monde. Coïncidence certainement voulue, il y a un parallèle sportif entre la Maggie du film et Mike Tyson. Tous deux détruisent leurs adversaires au bout de quelques secondes, ont l’instinct et la mentalité d’un tueur sur un ring. Pour les deux, même si elle ne se produit pas de la même façon, la chute sera encore plus brutale que l’ascension … ça c’est pour le film sur la boxe.

« Million Dollar Baby » ne s’arrête pas là. Les personnages et leurs relations sont fouillées dans ce triangle (enfin, un triangle à deux et demi, Morgan Freeman, bien qu’excellent, n’a qu’un second rôle).

Maggie, c’est la bonne fille de la cambrousse. Capable de réactions exubérantes enfantines (elle ne cache pas sa joie, fait parfois des caprices genre aller à Las Vegas en avion et en revenir en voiture), totalement obnubilée par la boxe (elle travaille son jeu de jambes même quand elle sert au resto), et souhaitant faire le bonheur de sa famille de bras cassés une fois les dollars arrivés. Voir son obèse abrutie de mère lui faire une scène parce que la maison qu’elle vient de lui offrir (la plus belle du quartier) n’est pas meublée. Voir cette galerie de tronches de rednecks dégénérés se pointer avec un avocat à l’hosto pour tenter de récupérer tout le pognon de Maggie au cas où elle ne s’en tirerait pas …

Premier passage à l'hosto ...

Frankie, lui aussi, vit pour la boxe et peu de la boxe. Son club est assez pourri, sale, mal éclairé (à ce sujet, superbe photo, tous les personnages évoluent le plus souvent dans la pénombre, même quand ils sont dans une immense arena de boxe de Las Vegas). C’est un type qui une morale (parfois élastique, il achète des sparring partners pour Maggie, à un moment où plus personne ne veut boxer contre cette killeuse expéditive des rings), et une stratégie sportive simple : laisser longtemps mariner les boxeurs dans leurs rêves de titres, pour en faire des frustrés avec des envies de se surpasser chaque fois qu’ils montent sur le ring. Et puis Frankie n’est pas qu’un entraîneur de boxe. Il a eu une vie à côté. Il a été marié (il me semble que sa femme est morte) et il a une fille à laquelle il écrit chaque semaine avant de voir revenir quelques jours plus tard ses lettres non distribuées. Frankie a aussi de la religion, mais les épreuves de sa vie l’en ont un peu éloigné, il se contente de harceler le jeune pasteur du coin de questions embarrassantes (« et si on parlait de l’Immaculée Conception », ce genre). La religion, il y reviendra, les larmes aux yeux, pour rencontrer son petit pasteur, au moment où il sera question de vie et/ou de mort. Et Frankie a un péché mignon, il adore les tartes au citron. Et c’est (peut-être) dans une petite bicoque qui en fabrique d’excellentes et que lui a enseigné Maggie qu’il finira … Maggie profitera de l’absence de la fille de Frankie pour la remplacer, elle bénéficiera de ce que les psychologues du dimanche appellent un transfert. Transfert ambigu, on sent fugacement le vieux Frankie hésiter entre amour platonique filial et amour tout court. Et ce Frankie bourru et asocial (le prototype du gars qu’Eastwood incarnera de façon exacerbée dans le ridicule « Gran Torino ») va se muer en chien fidèle de Maggie une fois que les choses auront très mal tourné pour elle … Et pas du tout innocemment, Frankie (à ce moment-là, il ne faire guère de doute que l’acteur et son double derrière la caméra se confondent) va se retrouver face à la problématique de l’euthanasie (la mort est une thématique récurrente de la carrière d’Eastwood, parce que ses personnages la donnent ou y sont confrontés), et ne va pas traiter la chose de façon elliptique, tout sera clair …

« Million Dollar Baby » est adapté d’une nouvelle du même titre, et le scénario est l’œuvre de Paul Haggis, un type qui sait donner de l’épaisseur à ses personnages (voir son très bon « Collision » en tant que réalisateur). Les récompenses vont pleuvoir sur « Million Dollar Baby ». Quatre Oscars (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure actrice, meilleur second rôle pour Morgan Freeman). Et un César (meilleur film étranger) alors que notre institution franchouillarde du cinéma n’est pas réputée briller par son bon goût.

Film évidemment incontournable.


Du même sur ce blog :

Josey Wales Hors-La Loi