En roue libre ?
Les Dardenne, on le sait, en plus d’être belges, ont une résidence secondaire à Cannes, du côté du Palais des Festivals. On ne compte plus leurs films sélectionnés, ni leurs récompenses sur la Croisette, deux Palmes d’Or (pour « Rosetta » et « L’enfant »), et une palanquée de récompenses, dont un Grand Prix du festival pour « Le gamin au vélo ».
Dardenne, Doret, de France & Dardenne Cannes 2011 |
Ce minot et sa bécane, on s’en doute, n’est pas une
comédie ou un thriller haletant. Les Dardenne font du Dardenne, comme si t’avais
refilé une caméra à Mimile Zola, ou comme une version wallonne de Ken Loach. Du
cinéma social pour faire simple. Avec des constantes, des petits budgets, des
tournages en extérieurs, un personnage principal de toutes les scènes, une
histoire qu’on prend en route, une fin « ouverte », …
« Le gamin au vélo » présente deux particularités. Le personnage principal, Cyril, est un gosse d’une douzaine d’années joué par un débutant (Thomas Doret, qui deviendra un acteur récurent des frangins). L’autre personnage principal, Samantha, est joué par la « star » féminine du Plat Pays, Cécile de France. Pour la première fois de leur déjà longue litanie de films, les Dardenne Bros font appel à quelqu’un de connu et de reconnu, « bankable ». Pour le reste, on change pas trop le casting gagnant des films précédents (Fabrizio Rongione, Jérémie Rénier, Olivier Gourmet), même si ces trois-là sont assez incompréhensiblement sous-employés (une apparition fugace de Gourmet en patron de bar, trois scènes pour Rénier et Rongione).
La bonne rencontre ... |
Bon, je suis plutôt preneur du cinéma des frangins.
Mais « Le gamin … », il m’a toujours laissé une impression mitigée,
bien que beaucoup le considèrent comme la masterpiece des Dardenne. Ce gamin,
on a envie de le gaver de torgnoles tout du long du film, parce que c’est une
sacrée tête à claques. Et par réaction, on comprend pas pourquoi la Samantha s’en
entiche, alors qu’il lui balance des beignes, fout sa vie de couple en l’air,
la plante avec des ciseaux, lui coûte cher parce qu’il faut payer pour les
conneries qu’il fait …
Dès le départ, on voit que le Cyril, c’est pas un gosse facile. Il est dans un centre spécialisé, limite carcéral pour cas « difficiles ». Son idée fixe, c’est d’en partir pour retrouver son père et surtout le vélo (de cross ou tout-terrain, j’y connais rien en bécanes et entend bien continuer ainsi) que ce dernier lui a offert. Comme son père répond jamais au téléphone, les tentatives « d’évasion » se multiplient. On voit que le gamin est pas du genre commode, taciturne et replié sur lui, mais capable de monter très vite et très haut dans les tours … jusqu’au jour où il réussit à se faire la belle de sa taule éducative, s’en va dans une cité pas folichonne de Seraing, sinistre patelin déjà mis à l’honneur (?) dans « Rosetta », à l’appart de son paternel, mais le vieux est plus là, et le vélo non plus. Les éducateurs qui le traquent sont sur ses traces pour le ramener au centre éducatif, Cyril rentre dans un cabinet médical et s’agrippe à une nana dans la salle d’attente pour pas suivre les éducs. Peine perdue, ils l’embarquent, sauf que cette séquence va s’avérer déterminante.
La mauvaise rencontre ... |
La femme à laquelle il s’est accroché, c’est of
course Samantha – Cécile de France, coiffeuse à son compte de son état dans ce
quartier plus ou moins difficile. Elle va lui racheter son vélo, devenir sa famille
d’accueil le weekend, l’aider à retrouver son paternel, et le sortir de toutes
les situations glauques où il s’enferme. Sans rien recevoir en retour, hormis
insultes, beignes, coup de ciseaux façon couteau, et emmerdes à tous les étages
car le Cyril il dérape. Souvent. Et finira même, sous l’influence néfaste du
dealer du coin, par braquer à coups de batte de baseball un libraire et son
gosse …
Moi, c’est là que ça coince … Le gamin caractériel et pas reconnaissant, je veux bien … mais la Samantha qui envers et contre tout (et tous) s’obstine à aider et pardonner à ce sale morveux, désolé, je comprends pas … J’ai bien saisi que les Dardenne ne voulaient rien dire sur elle, mais le personnage n’est pas crédible (une femme en manque d’enfant, une mère refoulée, le souvenir d’un parent, d’un ami, d’une connaissance, que sais-je …). Plus le gamin lui pourrit la vie (son mec qu’elle voyait occasionnellement, elle finit par le larguer, parce qu’il en a plein les bottes du gamin), plus la situation semble sans issue (le paternel, joué par Jérémie Renier, qu’elle finit par retrouver est cuistot d’un petit restau, ne veut pas assumer sa paternité pour plein de raisons qu’il croit bonnes, et ne veut plus revoir son fils), plus la Samantha tente de multiplier les signes d’affection au chenapan qui n’en a rien à secouer … Et quand le Cyril semble sur la voie de la rédemption et du « droit chemin », ce sont les conneries qu’il a faites auparavant qui le rattrapent …
A la recherche du père... |
Pour moi, avec « Le gamin au vélo », les
Dardenne ont poussé trop loin tous les curseurs qui définissent leurs films. On
est en terrain connu. Il y a un style Dardenne Bros … Ils nous montrent le
parcours d’un « déclassé », on est dans le milieu « populaire »,
il y a cette fascination pour le bitume (on marche beaucoup sur les trottoirs,
on traverse beaucoup les routes ou les rues), il y a cette mise en scène
caractéristique (les gros plans, les petits espaces, ces scènes très répétées
en tout petit comité parce qu’il faut pas gâcher de la pellicule et mobiliser
toute l’équipe technique, on ne place la caméra que quand on est sûr du coup, cinéma
à « petit budget » oblige …). Sauf que l’on sent trop que ce gamin d’une
douzaine d’années, il joue un truc écrit pour lui par deux types qui ont cinq
fois son âge … je suis peut-être passé à côté, mais j’ai l’impression que l’empathie
va aller beaucoup plus sur Samantha que sur Cyril, ce qui me semble à l’opposé
du but recherché …
Bon, le film est pas ignoble, parce que les Dardenne,
ils montrent des choses, et posent en filigrane les bonnes questions, beaucoup
mieux qu’une litanie de discours prétendus sociaux ou résolument populistes,
ils nous mettent face à la dark side du monde merveilleux dans lequel on est
censé vivre.
Et puis, un film qui pastiche à une paire de reprises
« Le voleur de bicyclette » (parce que dans ces quartiers-là, si tu surveilles
pas ta bécane comme le lait sur le feu, tu te la fais piquer et t’es obligé de
courser celui qui te la chourave) ne peut pas être foncièrement mauvais. Même si
les frangins ont à mon sens fait mieux …
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