Le calme après la tempête ...
Après le déluge sonique de « White light /
White heat », le Velvet ne pouvait pas aller plus loin dans l’agression
bruitiste et prend avec ce disque, le plus calme et le plus apaisé de sa
discographie, le contre-pied total. D’ailleurs, comment aurait-il pu en être
autrement ? Le Velvet n’a jamais eu de plan de carrière, même à ses débuts
sous la tutelle de Warhol (qui depuis s’en est désintéressé totalement), n’a
jamais été à la mode ou dans l’air du temps … et n’a jamais cherché à l’être.
Pire, le Velvet est un groupe peau de chagrin. Après le premier disque, exit Nico (« l’emmerdeuse » comme aimait à la qualifier Lou Reed), et après « White light … » exit John Cale. Trop peu américain (il est Gallois), trop bon musicien, et prié de laisser toute velléité d’écriture ou de direction musicale au vestiaire ? Cale préfèrera suivre et produire sa copine Nico et entamer une carrière solo certes captivante, mais aussi très euh … étrange …
Yule, Reed, Morrison & Tucker |
« The Velvet Underground » est donc le troisième
disque du groupe. Ne restent de la formation initiale que Mo Tucker, Sterling
Morrison et Lou Reed. Un quatrième larron, Doug Yule, est embauché avec la
bénédiction de Lou Reed (le Doug est plutôt beau gosse, joue de plein
d’instruments et est capable de chanter convenablement, et deviendra assez vite
calife à la place du calife, mais c’est une autre histoire …).
Lou Reed écrit tous les titres. Il produit et arrange, même si très généreusement (ou diplomatiquement), c’est le groupe en entier qui est crédité. Et si l’on se base sur les titres les plus connus de Lou Reed, c’est « The Velvet Underground » qui de toute sa discographie en compte le plus. Cinq de ses incontournables sont ici : « Candy says », « What goes on », « Pale blue eyes », « Beginning to see the light » et « After hours ». Excusez du peu …
Côté pull de Morrison, la couleur n'arrange rien |
Le disque débute avec « Candy says »,
premier et pas dernier d’une série de « … says » (Stephanie, Caroline,
Lisa), et premier et pas dernier de titres faisant allusion à Candy Darling, l’égérie
transgenre de la Factory, celle qui « never lost her head even when she
was giving head » sur « Walk on the wild side ». « Candy
says » est chanté tout en douceur par Doug Yule, sur l’insistance expresse
de Lou Reed, et donne la direction, musicalement acoustique et apaisée de
l’ensemble du disque.
« What
goes on », c’est The Velvet Underground playing boogie-woogie. Dans la tradition Velvet du
genre (« I’m waiting for my man », « Run run run » sur leur premier
disque), c’est-à-dire assez loin de Canned Heat et consorts. On ne garde qu’un
accord mouliné ad lib, et on remplace les solos de guitare par de la recherche
sur la structure sonore (toutes les guitares de Television sont
dans « What goes on »).
« Pale blue eyes », c’est la chanson
d’amour romantique, ultra dépouillée (Mo Tucker, qu’on ne risque déjà pas de
confondre avec Ginger Baker, laisse même tomber ses trois toms pour agiter un
tambourin). Les spécialistes es-Reed assurent que le titre est adressé à une fille,
premier grand amour d’adolescence du Lou …
« Beginning
to see the light », c’est du classic Velvet. Trame boogie tranquille, paroles
introspectives laissant plusieurs portes ouvertes : rédemption ?
« vraie vie » ? émancipation ? Elle succède sur le disque à
« Jesus », chanson mystique désabusée, le recours à la religion quand
tout part en vrille (« Help me in my weakness, ‘cos I’m falling out of
grace »).
Dernier classique du disque et qui le clôture, une
courte bluette de deux minutes (brouillon mélodique du « Goodnight
ladies » de « Transformer » ?), comptine chantée-murmurée
par Mo Tucker …
Et le reste ? Rien de renversant, entendez par là rien qui n’ait déjà mis en chantier par le Velvet. « Some kinda love » aurait pu se retrouver sur n’importe quel autre disque, le phrasé de Lou Reed, le minimalisme, la façon d’aborder parties de guitares et de batterie, … sont reconnaissables immédiatement. « I’m set free » et « That’s the story of my life » se répondent d’une certaine manière. La première est la plus « travaillée » (enfin, la moins monolithique, on est tout de même assez loin de Spector), et la seconde est la plus « légère » (la plus facile ?) du disque.
Velvet live in Chicago, 1969 |
Enfin, un mot sur « The murder mystery »
(presque neuf minutes), sorte de mix entre les deux sommets abrasifs de
« White light / White heat ») qu’étaient « The gift » (les
parties parlées-scandées à quatre voix Yule – Reed d’un côté de la stéréo, Tucker
– Morrison de l’autre) et « Sister Ray » (en guitares nettement moins
abrasives et par force sans le violon alto de Cale).
Le succès de « The Velvet Underground »
sera colossal … euh, non, pas du tout, en fait, il s’en vendra autant que des
deux précédents, c’est-à-dire quelques centaines all over the world. Sera-ce le
déclencheur de la retraite de Lou Reed, qui retournera se
« ressourcer » chez ses parents, ou juste la fin d’un cycle (le Lou
sera quand même coutumier de virages artistiques en épingles à cheveux durant
toute sa vie) ? En tout cas, une fois le disque paru, Reed annoncera qu’il
quitte le groupe, non sans lui avoir laissé de quoi remplir un nouveau disque
du Velvet (« Loaded »), avec notamment celles qui sont pour moi les
deux meilleures chansons du groupe (« Sweet Jane » et
« Rock’n’roll ») …
Mais c’est encore une autre histoire …