ANDREA ARNOLD - FISH TANK (2009)

 

California dreaming ...

« California dreaming » est la plus belle chanson des 60’s (avis ferme, définitif et incontestable) et donc forcément aussi des décennies suivantes. Alors si elle est dans la B.O. d’un film, j’ai tout de suite un a priori très favorable, c’est comme ça … Dans « Fish tank », on l’entend trois fois. Bon, dans la version de Bobby Womack, qui vaut pas l’originale des Mamas & Papas, mais qui est très bien tout de même. Et si « California dreaming » était pas dans la B.O., « Fish tank » serait quand même un putain de grand film …

Un grand film … ouais, mais je sais même pas si « Fish tank » est ce que l’on a coutume d’appeler un film. C’est une tranche de vie. On sait pas vraiment ce qui s’est passé avant, et on n’a pas la moindre idée de ce qui va se passer après la dernière image. Peu importe …

Andrea Arnold & Katie Jarvis

On voit souvent cité à propos de « Fish tank » le nom de Ken Loach, le grandmaster du cinéma social anglais. Ce qui n’est pas stupide. Sauf que dans « Fish tank », y’a pas de message, ni directement, ni en filigrane … Plus rarement, on évoque le « Rosetta » des frangins Dardenne. Comparaison pertinente également, surtout si on n’oublie pas de mentionner Emilie Dequenne. Parce que Emilie Dequenne, pour son premier rôle, crevait l’écran et portait « Rosetta » à elle seule …

Dans « Fish tank » y’a encore plus fort. Une parfaite inconnue (repérée par une copine de la réalisatrice alors qu’elle se disputait avec son copain sur un quai de gare) est l’héroïne du film et présente dans toutes les scènes, et sur sa seule prestation fait de ce qui aurait été un film sympa mais un peu plombant un pur bijou. Elle s’appelle Katie Jarvis, et a totalement disparu des radars une fois le tournage terminé. Elle n’était pas au Festival de Cannes où « Fish tank » a récolté le Prix du Jury (elle avait une excuse, elle était enceinte jusqu’aux yeux) et n’est jamais réapparue devant une caméra. Un cas à peu près unique …

La réalisatrice de « Fish tank » c’est Andréa Arnold, adepte du cinéma vérité. Par les thèmes abordés, et la façon de filmer (en extérieurs, y compris dans des logements de 40 m², et caméra à l’épaule). Heureusement, c’est en couleurs, sinon plus austère tu peux pas … et c’est pas une tocade de réalisatrice à la recherche d’un coup d’esbroufe. Tout ce que je connais d’elle (des courts-métrages dont un oscarisé, présents en bonus du Dvd, et l’excellent « American honey ») font passer la rigueur technique aux oubliettes.


« Fish tank », c’est quelques semaines de la vie de Mia, une adolescente d’une quinzaine d’années des quartiers que pudiquement on appelle défavorisés (ici, ceux de l’Essex, banlieue Nord de Londres). Mia est une solitaire, ne va plus à l’école, et passe ses journées dans un logement abandonné à s’entraîner à danser du hip hop, au son de deux minuscules enceintes reliées à un discman, et vêtue de joggings à capuche Prisu informes. Elle a tout juste le sens du rythme, et pour ce qui est des figures acrobatiques, c’est la cata. Mais elle s’obstine, son but c’est de gagner sa vie en dansant … Que ceux qui s’imaginent voir quelque chose ressemblant à « Fame » ou « Dirty dancing » sachent qu’ils sont très loin du compte, les vilains petits canards ne deviennent pas des cygnes gracieux chez Arnold…

Mia a une mère, encore jeune, poivrote et fêtarde, qui peut se permettre de s’habiller moulant et sexy, et une jeune sœur. Ont-elles le même père, on en sait rien, y’a plus d’homme à la maison. La majorité des échanges de ce triangle féminin consiste généralement en une bordée d’insultes. Alors forcément, un tel milieu, ça t’endurcit, et Mia n’est pas vraiment une tendre. Quand elle rencontre d’anciennes copines qui la chambrent, c’est à coups de boule qu’elle met un terme final à l’embrouille … Mia est sauvage, rebelle. Alors quand elle passe à côté d’un terrain vague où campent des roms et qu’elle voit une jument à l’air malheureux enchaînée à un bloc de béton, elle essaie de la libérer. S’enfuit quand les jeunes roms la repèrent. Revient le lendemain, manque de se faire tabasser voire pire, se fait détrousser. Et revient encore récupérer son sac et son discman. Et là, elle sympathise (un tout petit peu) avec un jeune rom.

Jarvis & Fassbender

Ce ne sont pas les occasions de voir du monde qui lui manquent, à Mia. Mais c’est pas son truc, la vie sociale. Quand des amis et amies à sa mère viennent dans leur minuscule appart danser, flirter, fumer des joints et picoler, elle leur pique une bouteille et va se saouler toute seule dans sa chambre. Mia finit quand même par être intriguée par Connor, le nouveau mec de sa mère (un superbe Michael Fassbender débordant de sensualité animale, et seul acteur professionnel du film), commence par lui faire les poches et lui piquer un peu de fric, avant de l’« accepter ». C’est lors d’une balade familiale dominicale qu’elle se laissera un peu « apprivoiser », Connor lui faisant découvrir sur le lecteur Cd de sa bagnole la version de « California dreaming » de Bobby Womack. Mia laissera un peu tomber ses rythmiques rap pour s’entraîner à danser hip hop sur Bobby Womack. Elle s’inscrira à un casting de danseuses la tête pleine de rêves … A partir de là, ça pourrait, comme chez à peu près tout le monde, virer conte de fées dance ou love story à deux balles. Ben pas ici …

Famille dysfonctionnelle ?

Là où réside le talent d’Arnold et de son casting, c’est d’aller explorer la face dark de cette affaire. Parce que chez ces gens-là, tout peut partir en vrille à tout instant. Et tout partira en vrille (mais … normalement, raisonnablement, serait-on tenté de dire, on n’est pas avec « Fish tank » dans l’excès scénaristique aussi improbable qu’incroyable). Les personnages de « Fish tank » sont entiers, mais pas des psychopathes. Il y a toujours une immense justesse plutôt qu’une surenchère lorsque le film flirte avec le glauque ou le sordide. Mais une fois que beaucoup sont passés au bord de l’abîme, il n’y a pas non plus de happy end …

Tout juste si on assiste à la fin du film à une scène fabuleuse, lorsque les chemins de Mia et de sa mère vont se séparer, la mère et la fille ondulent lentement face à face au rythme de la musique sur fond de reggae, la seule façon que trouvent ces deux êtres qui semblent se détester de se montrer réciproquement leur affection, sans échanger le moindre mot…

Des films qui sont peu ou prou basés sur le même scénario que « Fish tank », il en sort trois par semaine. Mais des films aussi bons, il en sort pas trois par décennie … Claque monumentale …




MEL BROOKS - LE SHERIF EST EN PRISON (1974)

 

Il était une fois à l'Ouest ...

Mel Brooks a toujours donné dans la comédie. Pas toujours très finaudes, ses comédies. Metteur en scène (entre autres) assez peu prolixe (il y a des décennies qu’il a arrêté de tourner, et c’est pas maintenant, à pas loin de cent ans, qu’il va s’y remettre …), il a quand même réussi à obtenir quelques petits succès critiques et publics avec trois de ses films. Avec son premier « Les producteurs », satire de l’envers du décor des musicals de Broadway, avant son coup de maître « Frankenstein Jr », pastiche du chef-d’œuvre de James Whale. Et sauvé miraculeusement des oubliettes, ce « Blazing saddles » (titre en V.O.).

Parce que le film était sorti début 74, avait été un bide total, et avait été remis à l’affiche à la fin de l’année, profitant du succès des premières séances de « Frankenstein Jr ». L’espace d’un éclair, Mel Brooks allait devenir la figure de proue du sous-genre humour juif newyorkais, avant l’arrivée de Woody Allen qui allait lui rafler son titre sans contestation …

Le Gouverneur Mel Brooks et sa secrétaire

Comme l’indique son titre en français, « Le shérif est en prison » est une parodie de western. Pas vraiment un film, plutôt une suite de sketches loufoques plus ou moins heureux. La trame de départ (vite perdue en route) est la même que dans « Il était une fois dans l’Ouest », des magouilleurs qui veulent exproprier pour faire passer une voie ferrée. Tous les ingrédients du western sont là (les gentils très gentils, les méchants très méchants et très cons, les peureux très peureux, les brutes, les Indiens, les bastons, les grandes rasades de whisky, les pin-ups chanteuses de saloon). Seul point remarquable, dans ce Texas « pour hommes », le shérif du patelin est un nègre (Mel Brooks a dû batailler avec la Warner pour que tous les « niggar(s) » des dialogues soient conservés), semi-esclave travaillant sur le chantier de la voie ferrée, qui s’est rebellé, a été condamné à la pendaison, et grâce (?) à un plan fumeux des méchants, se retrouve avec l’étoile sur le gilet …

Gene Wilder & Cleavon Little

Pour faire triompher la loi, l’ordre et la justice, il sera aidé par un prisonnier repenti, le Waco Kid, ancienne plus rapide gâchette de l’Ouest, devenu alcoolo tremblotant (mais vraiment alcoolo et vraiment tremblotant). N’ayant peur de rien, Mel Brooks proposera le rôle de ce gentil pistolero à rien moins que John Wayne, qui déclinera diplomatiquement (il a une image qui ne correspond pas vraiment au rôle). C’est finalement le complice habituel Gene Wilder qui reprendra le rôle au dernier moment, et qui est le seul du casting à faire bonne figure devant la caméra. Parce que le shérif héros du film est interprété par un certain Cleavon Little, acteur de théâtre de Broadway, assez loin, pour être gentil, de rendre une prestation oscarisable. A noter que Brooks avait suggéré le nom de son pote Richard Pryor, qui avait participé à l’écriture du scénario, rejeté par la Warner parce que pas assez connu à l’époque… Quelques troisièmes couteaux des castings (géniaux, assure Mel Brooks, hum …) complèteront la distribution. Mel Brooks jouera deux courts rôles, le Gouverneur Lepétomane (si, si, …) et un magnanime chef Indien.

Mel Brooks fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Il avoue dans une interview qui accompagne le Dvd, que lui et sa femme (Anne Bancroft) vivaient dans le dénuement lorsqu’il essayait de monter le film. Le manque de moyens est évident, et est parfois utilisé comme base de gags (la baston finale qui déborde du plateau de tournage, se continue sur les plateaux voisins, avant de gagner les rues de Burbank au milieu des voitures et des bus scolaires, le tout s’achevant dans une salle de cinéma qui projette … « Le shérif est en prison ») ...

Un ange (bleu) passe ...

« Le shérif … » pastiche parfois d’autres films, les plus évidents emprunts sont à chercher du côté du récent « L’homme des hautes plaines » de Clint Eastwood (le village-leurre reconstruit qu’on fait exploser), et du beaucoup plus ancien « L’Ange bleu » (la chanteuse de cabaret, la chanson avec la chaise). Mel Brooks ne recule devant rien, c’est aussi le problème, l’humour est une denrée rare et précieuse à manier avec précaution. On peut rester réservé devant la multiplication des blagues racistes, les concours de pets après repas aux fayots, les tabassages de mémés, … Pas de blagues sur les Juifs, mais par contre l’obsession de Brooks pour les nazis avec les Sioux très organisés qui parlent allemand, la présence d’une patrouille de SS dans des mercenaires recrutés (en compagnie de types du Ku Klux Klan et de prémonitoires Touaregs armés de Kalachnikov) tient plus de l’obsessionnel que du comique …

Il faut tout de même reconnaître que certains gags nonsensiques sont bien foutus, et que Mel Brooks, en total control freak touche-à-tout, a participé à l’écriture et la composition de certains titres de la B.O. Petite anecdote : avec son budget de misère, Mel Brooks s’est quand même payé l’orchestre au grand complet (avec pupitres et tenues de gala) de Count Basie qui joue vraiment live en plein désert (pour d’évidentes raisons techniques, c’est la piste son d’un disque du Count qui a été utilisée dans le montage).

La doublette « Le shérif … » et le bien meilleur « Frankenstein Jr » seront les deux jalons de la très courte période sinon de gloire, du moins de reconnaissance populaire de Mel Brooks. Il se prendra ensuite à lui tout seul pour les Monty Python le temps de quelques risibles navets avant de ranger définitivement ses caméras au début des années 80.

Fans de Bigard et Dubosc, « Le shérif est en prison » est pour vous …


Du même sur ce blog :

Les Producteurs

Frankenstein Jr





ROXY MUSIC - FOR YOUR PLEASURE (1973)

 

Crossroads ...

Comme indiqué en sous-titre, « For your pleasure » est « the second Roxy Music album ». Et même si une demi-douzaine suivra, « For your pleasure » sera le dernier de la formation d’origine. Avec Brian Eno s’entend. Autant commencer par lui … ce type me laisse assez circonspect avec ses théories (les stratégies obliques, comme si dans le rock il fallait être un stratège, ceux qui l’ont inventé ne connaissaient même pas l’existence de ce mot), sa litanie de disques ambient, pour les aéroports, … qui remplacent avantageusement les somnifères … Tout ça pour le côté obscur de la farce … Parce qu’en face, on le retrouve très impliqué (souvent comme producteur, ou metteur en sons, comme on veut) de quelques rondelles pas dégueulasses, genre les Bowie période Berlin, les meilleurs Talking Heads ou U2, et … « For your pleasure » sans oublier une poignée de disques à lui superbes dans les 70’s … Difficile de dire avec précision la part d’Eno sur « For your pleasure », parce que Roxy a un sacré leader maximo, en la personne de Bryan Ferry, qui signe, ce qui n’est pas rien, la quasi-totalité des musiques et des textes. Mais ces chansons sonnent toutes d’une façon étrange, inédite, inouïe, quand Eno les a tripatouillées (tout un tas de bruitages, de sons passés à travers des ordis ou des synthés), que ce soit en studio ou sur scène (lors des concerts, il est à la table de mixage, pas sur les planches).


Roxy est un groupe étrange, dans ce début des seventies où la bizarrerie la plus extravagante est la norme. Cité juste après Bolan et Bowie lorsqu’il s’agit de définir le glam-rock, on le retrouve en bonne place sur toutes les compilations prog seventies. Vous me direz, c’est en ratissant large qu’on trouve le plus de fidèles. A mon sens, Roxy penche beaucoup plus vers le glam que vers le prog (cette funeste engeance a tendance à vouloir rattacher à sa chapelle plein de choses et de gens qui n’ont rien à voir avec Genesis, Yes, les types de Canterbury and so on …). Même si on retrouve chez Roxy Music, l’espace de quelques mesures les sonorités alambiquées et les arrangements tarabiscotés qui font tout le charme (?) des progueux … Et de toutes façons, niveau glam, les Roxy écrasent toute la concurrence au moins visuellement (voir leurs tenues sur la pochette intérieure), à faire passer Bowie pour un attaché parlementaire du Modem …


Tiens, et puisqu’on parle pochette, autant causer de celle-ci, une des plus connues du rock. Parce que d’emblée Roxy Music s’est plus fait remarquer par ses pochettes que par sa musique. La légende prétend que le groupe a été signé par Chris Blackwell sur Island au vu du projet de maquette pour la pochette de son premier album, une mannequin allemande façon playmate Playboy sur une pochette en recto et verso (gatefold). Pour « For your pleasure », le principe est le même. Pochette gatefold, même photographe (Karl Stoecker). Autant la précédente était lumineuse, autant celle-ci est sombre. Elle est captée dans un grand studio (pour y faire rentrer une limousine), vinyle noir sur le sol, décor Las Vegas by night. Le modèle choisi est Amanda Lear. Bustier, robe fourreau et longs gants de cuir noir, talons aiguille vertigineux, cambrure de gymnaste des pays de l’Est, panthère noire tenue en laisse. Un peu au second plan, Bryan Ferry (chauffeur ?, compagnon ?) semble l’attendre à la portière d’une limousine. Amanda Lear n’est pas vraiment une inconnue. Muse-amante de Salvador Dali dans un improbable triangle amoureux (l’autre sommet du triangle est Gala, épouse légitime de Dali), ancienne compagne de Brian Jones (la chanson « Miss Amanda Jones » sur « Between the buttons »), et à l’époque de la photo, compagne (en pointillés) de Bryan Ferry. Cette pochette marquera bon nombre de personnes. Dont particulièrement un chanteur anglais, qui se renseignera sur cette blonde longiligne, la contactera et se mettra en couple avec elle pendant quelques années. Que ceux qui ne savent pas qu’il s’agit de David Bowie se fassent connaître, il n’y a rien à gagner …


Et la musique, au fait, dans ce disque ? bonne question, garçon, j’y viens … « For your pleasure » débute par une cavalcade glam, « Do the strand », avec un sax façon corne de brume (dans la lignée « Fun house » des Stooges, ou de Bowie) et un piano annonciateur du style Mike Garson (bientôt chez Bowie). « Beauty queen » est la ballade épique très 70’s, « Strictly confidential » est le titre qui fait que parfois Roxy est associé au courant prog (on dirait du Genesis supportable, donc à peu près du Van der Graaf Generator). « Editions of you » est le titre le plus méchamment rock, avec un solo de sax traité par Eno qui le fait ressembler à un solo de guitare. Ce titre fait penser au « Suffragette City » de … Bowie (décidément) et le malin Damon Albarn devait bien l’avoir en tête quand il a composé « Song 2 ». La première face du vinyle se terminait par « In every dream home a heartache », ballade reposant au début sur des sonorités électroniques avant un grand final d'électricité rugissante, et chanson d’amour adressée à … une poupée gonflable « I blew up your body, but you blew my mind ».

La seconde face est plus expérimentale, entamée par « The Bogus man » longue (presque dix minutes) mélopée lancinante, pas très éloignée du krautrock de Can. « Grey lagoons » revisite la face glam avec sax et guitares saturées en avant, dans la lignée de ce faisait Elton John à la même époque (l’album « Goodbye yellow brick road »). Fin des hostilités avec le morceau-titre, ballade malade (traitement des sons de sax et de batterie) sur fonds de synthés inquiétants, anxiogènes.


Il ressort de tout ça que Ferry est un grand auteur-compositeur (le format chansonnette de trois minutes est pulvérisé, mais ça reste facile d’accès) doublé d’un grand chanteur, à la palette vocale étendue, comme une sorte de Sinatra glam. Que le band derrière tient la route (Phil Manzanera est un grand guitariste et sera par la suite un sessionman très recherché, la rythmique est efficace dans des schémas pourtant parfois compliqués, le sax de MacKay se démarque des plans archi-rebattus du rhythm’n’blues). Et que Eno confère une étrangeté sonore (ça sonne bizarre, sans être expérimental – prise de tête).

Cette formation et ce disque seront l’apogée de Roxy Music. Certes le groupe sera populaire, reconnu commercialement, les disques suivants se vendront bien mieux que ce « For your pleasure », mais aucun n’atteindra sa beauté étrange et vénéneuse  …



Des mêmes sur ce blog :

Country Life
Siren


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BENOÎT DELEPINE & GUSTAVE KERVERN - MAMMUTH (2010)

 

A la recherche du temps perdu ...

« Mammuth » est le genre de films à faire fuir tous les geeks qui commentent sur les sites et forums spécialisés la qualité technique des Blu-ray 4K, en balançant à la face des internautes passant là par hasard un jargon incompréhensible où reviennent des mots aussi abscons que grain, piqué, colorimétrie, et j’en passe …D’ailleurs, à ma connaissance, « Mammuth » n’existe qu’en Dvd.

« Mammuth » il a été tourné en 8 mm (et le making of en super 8), autrement dit un truc en total décalage avec les standards visuels du XXIème siècle. Bon, les deux types derrière cette affaire, Delépine et Kervern, ils ont pas une étoile à leur nom sur Hollywood Boulevard, on est d’accord. Mais tapie dans l’ombre, la galaxie Canal+ - Vivendi – Universal (le World Company chère à Delépine). Qui s’est pas trop mouillée pour financer « Mammuth », à tel point que la multinationale n’est pas citée au générique et ne distribue pas les supports physiques.

Delépine & Kervern

Faut dire que Delépine est l’auteur le plus caustique des Guignols, ce qui n’est pas rien au milieu de la bande de plumes venimeuses et hilarantes de l’émission phare de Canal+. Et Kervern est un des déjantés (avec Delépine of course du Journal de Jules Edouard Moustic).

Et le tandem Delépine-Kervern réalise des films, plutôt assez éloignés du cinéma méditatif de (au hasard) Ozu. Dans l’esprit, leurs films sont plus proches de Ken Loach et encore plus d’Aki Kaurismaki (et j’espère que vous savez qui sont ces gens …). « Mammuth » c’est une tranche de vie façon road movie des petites gens, de ceux de la France d’en bas. Evidemment, ils sont tous un peu largués, un peu cons. Mais l’humour (toujours présent) n’est pas là pour montrer leur bêtise, on sent au contraire toute l’empathie de Delépine et Kervern pour ces déclassés, ces asociaux, ces mecs et ces nanas cabossés par la vie.

M et Mme Pilardosse

Le personnage central du film, c’est Serge Pilardosse, un type massif, taciturne et bas du front. Il bosse dans un abattoir, c’est sa dernière journée, il part à la retraite et a droit à un minable pot d’adieu et un cadeau tout aussi surréaliste (un puzzle de 2000 pièces). Il se retrouve donc à tourner en rond autour de la table de la salle à manger chez lui, au grand dam de Catherine sa femme, caissière dans un supermarché. Comme c’est elle qui porte la culotte et prend les décisions du ménage, elle lui enjoint de partir récupérer des justificatifs de salaire pour tous les petits boulots qu’il a fait dans sa jeunesse afin de booster sa maigre retraite. L’occasion pour Pilardosse de parcourir la cambrousse (celle des Charentes) a bord de sa moto pour récupérer ses papelards. La bécane, qui donne son titre au film, c’est une Münch 1200 Mammuth (une grosse cylindrée autrichienne des 70’s, un modèle peu courant, collector).

Pilardosse, c’est Depardieu, carrure à la Obélix, cheveux longs genre biker de temps révolus. Comme souvent, dès qu’il est dans un casting, il écrase tout de sa présence, il ne joue pas Pilardosse, il est Pilardosse …Et « Mammuth » repose sur lui, sur son Odyssée dans le plein sens homérique du terme. Et les coréalisateurs ne se cachent pas pour dire que sans lui, pas de film. Il était réticent au début, avant d’être prêt à renoncer à son cachet (déjà quasiment un cadeau quand on connaît son tarif) pour que le film se fasse.

Poelvoorde & Depardieu

C’est l’occasion pour Delépine et Kervern de le confronter à une galerie de portraits, des imbéciles heureux de l’administration qui se servent de leur ordinateur, des règlements, et des répondeurs téléphoniques comme autant d’outils de torture, aux pauvres types un peu à la ramasse comme lui …

Plus qu’une reconstitution de carrière, cette quête des bulletins de salaire sera pour Pilardosse l’occasion d’un voyage à rebours dans sa vie, parce qu’il en profitera pour visiter sa famille, des oncles, des cousins, des nièces, perdus de vue depuis des années. Il a vécu de petits boulots éphémères (fossoyeur, videur dans une boîte de nuit, forain, serveur dans une buvette, saisonnier dans un domaine viticole, …). Et dans sa famille, ils sont tous aussi désaxés et décalés que lui.

Pilardosse n’est pas parti sans rien sur sa moto. Sa femme (Yolande Moreau, excellente comme toujours, leurs scènes en commun sont superbes) lui a confié le seul téléphone portable du couple, dont il a grand peine à se servir (« Je te rappelle pour savoir si tu as bien reçu mon message », ce genre). Et Pilardosse est parti avec son détecteur de métaux avec lequel il arpente les plages à la recherche de piécettes ou de breloques perdues par les touristes (rencontres extraordinaires avec Benoît Poelvoorde, chercheur « concurrent », qui les réalisateurs le soulignent, a fait l’aller-retour Belgique – La Rochelle avec sa propre voiture pour une seule demi-journée de tournage).

Adjani & Depardieu

Outre ses anciens employeurs qui l’accueillent diversement (mentions particulières à Dick Annegarn, en barde fossoyeur et Siné en viticulteur psychologue), Pilardosse va rencontrer des femmes. Sa nièce (la performeuse Miss Ming), simplette (« Je peux te vouvoyer ? ») et forcément inadaptée au monde actuel, qui a enterré son père sans déclarer sa mort pour continuer à toucher sa retraite entre autres loufoqueries. Une arnaqueuse fausse infirme (Anna Mouglalis) qui le vampe avant de lui faucher tout ce qu’il a (ce qui donnera lieu à une équipée revancharde de Catherine et d’une copine caissière à bord d’une vieille Datsun sans pare-brise pour retrouver le précieux portable dérobé). Et surtout Pilardosse croisera à plusieurs reprises le fantôme de son ancienne petite amie, morte lors d’un accident, alors qu’ils étaient tous les deux en balade sur la Mammuth. Cet ectoplasme troublant et sanguinolent est interprété par Isabelle Adjani qui s’est éclatée pendant ses trois jours de tournage, piquant la caméra Super 8 de Fred Poulet, le réalisateur du « Making fuck off », pour une interview-vérité exceptionnelle de Depardieu sur ses relations avec son fils Guillaume, récemment décédé.

« Mammuth » n’atteint pas l’heure et demie et pourtant que de choses il nous montre … Selon une citation elliptique de Delépine et Kervern (toujours et partout en lunettes noires, genre Blues Brothers charentais) « Mammuth » est une odyssée sur la décroissance, Pilardosse partant sur une moto collector et revenant sur une mobylette en djellabah pour aller passer le Bac. Plus qu’une succession de situations drôles, ubuesques, « Mammuth » est un film profondément humain, rendant le dérisoire et le futile immensément importants. Un film à l’arrache, sans moyens (la boîte de prod de Delépine s’appelle « No Money Productions »), avec une image et un son minables …

Qu’il me soit permis de le préférer à l’intégrale des productions Marvel …


TRAFFIC - Mr FANTASY (1968)

 

Explosés avant d'exploser ...

Philippe Manœuvre, dans une de ses « Discothèques » (idéale, secrète, je sais plus …) développe une théorie intéressante sur cette rondelle de Traffic : c’est la première de la « musique des cottages », qui partira du Berkshire, dans les Midlands anglais, pour finir avec les premiers Black Crowes, en passant par toute la scène psychédélique anglaise (Pink Floyd entre autres), californienne (la clique de Laurel Canyon), avec des escapades métalliques dans les 70’s (Led Zeppelin) … A savoir un groupe claquemuré dans un cottage cossu à la campagne, se nourrissant de jams bluesy et de toutes les drogues qui passent à sa portée … Et ma foi, c’est une vision d’une certaine forme de création musicale qui se tient … et j’ai pas la culture musicale suffisante pour contredire Manœuvre …

J’ai quand même une autre théorie qui concerne ce disque. On y trouve le musicien le plus honteusement oublié par la Grande Histoire et les petites histoires du rock, j’ai nommé Steve Winwood. Ce type est numéro un des charts des deux côtés de l’Atlantique à 17 ans avec le Spencer Davis Group avec « Keep on running », un succès qu’a bien failli imiter « Gimme some lovin’ ». Et en cette fin des années 60, on retrouvera le nom de Steve Winwood sur plein de groupes et de disques qui comptent (dans Blindfaith, Ginger Baker’s Airforce, sur « Electric Ladyland », pour ne citer que ses faits d’armes les plus marquants …).

Mason, Winwood, Capaldi, Wood : Traffic 1968

C’est Winwood (ou plutôt son départ du Spencer Davis Group) qui va déclencher la formation de Traffic. Un groupe de potes, Winwood donc (multi-instrumentiste avec prédisposition pour tout ce qui a des touches d’ivoire), Jim Capaldi (batterie), Chris Wood (flûte et sax essentiellement), et Dave Mason, le meilleur pote de Winwood (multi-instrumentiste lui aussi, très porté sur le sitar, période oblige …). Tous les quatre chantent, mais en laissant pour l’essentiel la voix lead à Winwood. Heureusement, ce type a une voix « noire » (le genre de voix qui fera la fortune de Joe Cocker ou Rod Stewart, même si Winwood n’est pas autant dans les graves et la raucité), à tel point que de nombreux DJ’s des stations noires des USA le prenaient pour un Black (carrément pour Ray Charles), ce qui avait largement contribué au succès du Spencer Davis Group. Les Traffic sont jeunes, très (vingt et un ans de moyenne d’âge).

Deux autres types vont être essentiels dans les débuts de l’aventure Traffic. Le Jamaïcain Chris Blackwell qui a monté un petit label dans son pays pour promouvoir les débuts du rocksteady, du ska et du reggae, sans trop de succès. Mais le gars a du pognon, ouvre une succursale de son label à Londres, tombe sous le charme de la voix et du talent d’auteur de Winwood, signe Traffic et paye au groupe son fameux séjour dans le cottage de Berkshire. L’autre gars qui va compter est un jeune producteur américain, qui a fait ses premières armes derrière la console avec le Spencer Davis Group et va suivre Winwood et Traffic dans leur virée campagnarde. Il se nomme Jimmy Miller, un nom que les fans des Stones vont rapidement apprendre à connaître …

Tout ce beau monde improvise, jamme (et se défonce) dans la riante campagne anglaise. Les titres issus de ces rustiques séances seront finalisés aux Olympic Sound Studios, dans la banlieue de Londres. C’est là que tout va se compliquer. Mason est soit absent soit ailleurs, les tensions vont s’accumuler avec les autres (notamment Winwood). Mason quittera le groupe avant la fin des séances, et de fait Traffic n’existe plus lorsque paraît « Mr Fantasy » …


Encore faut-il savoir de que « Mr Fantasy » on parle … celui avec la pochette rougeâtre très psychédélique, ou celui avec le visuel beaucoup plus sobre du groupe (les trois moins Mason) ? Le premier est en vaillante stéréo, compte dix titres, et est sorti en Angleterre (et en Europe). Le second a douze titres en stricte mono, est paru quelques semaines plus tard aux States (entre temps Mason a définitivement quitté le groupe, c’est pour cela qu’il n’est plus sur la pochette). Les deux ont sept titres en commun, l’ordre du tracklisting est totalement différent. Une fois n’est pas coutume, rendons grâce aux industriels de la musique qui ont mis les deux vinyles originaux sur la même réédition Cd (dans la série des Island remasters) …

Vu ses conditions d’élaboration, il y a de tout sur ce « Mr Fantasy », les fulgurances géniales côtoient les pochades datées de défoncés. Quand c’est bon, c’est stratosphérique. Deux titres fabuleux ne se trouvent que sur l’édition américaine, « Paper sun » le 1er single du groupe (pop soul psychédélique avec arrangements de sitar) et « Smiling Phases » (une face B de 45T, merveille de soul blanche avec un chant sublime de Winwood, ce titre sera repris et fera le bonheur et le succès de la troupe Blood, Sweat & Tears). Commun aux deux disques, on a « Heaven is in your mind » (pop soul, conclu par un homérique solo de guitare), « No face, no name, no number » (ballade frissonnante cousine de « Whiter shade of pale ») et « Dear Mr Fantasy » (mélodie slow blues avec harmonica et tout le tremblement, au service de la voix magique de Winwood).


Le reste n’est pas toujours à négliger, on sent l’influence de l’époque (le psychédélisme à fond les manettes), que ce soit dans les bluettes très floydiennes époque Barrett (la comptine « Berkshire poppies », « House for everyone », ces deux titres très corrects) voire dans le trip vers Katmandou (« Utterly simple » tout sitar en avant, très harrissonien et aussi pénible que le « Whitin you whitout you » du George sur « Sgt Peppers … »). Quand la fumée dans le manoir devenait trop épaisse, ça pouvait partir dans des directions étranges (« Coloured rain » entre jazz, prog, blues, psyché, « Dealer », son sitar et sa saugrenue guitare flamenco sur le final, ou « Giving to you » avec son Hammond traité façon Lord dans le Deep Purple de la grande époque quelques années plus tard) …

La référence évidente de l’inspiration générale est Jimi Hendrix (la façon d’utiliser la guitare, la technique extra-terrestre en moins), comme toute la scène anglaise plus ou moins bluesy de l’époque, traumatisée par les prestations scotchantes du gaucher de Seattle, le son de Jimmy Miller risquant quant à lui de surprendre ceux qui ne le connaissent que par le cafouillis bordélique des Stones à venir. Certes, quelquefois ça sonne bizarre (pourquoi foutre au fond du mix sur certains titres la voix unique de Winwood), mais globalement c’est assez clair, bien en place, avec un gros travail sur la batterie (rappelons que Jimmy Miller sera à la batterie sur « You can’t always get what you want », ceci expliquant sans doute cela …).

Traffic n’aura jamais le succès escompté par Blackwell (qui ne laissera pas tomber Winwood pour autant, il le signera pour sa carrière solo dont les débuts fin 70’s seront très lucratifs aux States), et entamera dès ce disque inaugural un parcours en dents de scie entre brouilles, splits, réconciliations, reformations, changements de line-up, d’où réussiront quand même à surnager quelques perles méconnues ou oubliées (« John Barleycon must die ») …


SAMUEL FULLER - LE PORT DE LA DROGUE (1953)

 

France, pays des libertés ...

Commençons d’abord par ce qui souvent n’est décrit que comme une anecdote concernant ce film … En version originale, il s’appelle « Pickup on South Street », ce qui, de quelque façon qu’on l’envisage, est pour le moins assez éloigné niveau traduction du titre français. L’intrigue tourne autour du vol d’un microfilm contenant des secrets (lesquels, on ne sait pas et on s’en fout un peu) qu’une cellule de communistes américains veut transmettre aux Russes … en France, comme le Parti Communiste fait un paquet de voix aux élections et afin de ne pas fâcher ses sympathisants, d’aimables pressions ont été faites sur la Twentieth Century Fox pour que le film soit présentable. Solution : garder exactement les mêmes images et le même minutage, supprimer la version en anglais, et la remplacer par une version française dans laquelle tout ce qui faisait allusion au communisme sera remplacé par des allusions à la drogue … Je sais pas ce que Fulller a pensé de tout ça. Peut-être qu’on lui a pas demandé son avis ou qu’on a jugé en haut qu’il avait rien à dire … Parce que quand il tourne « Le Port … », Fuller est une recrue de la Twentieth qui ne remplit guère les coffres de la compagnie.

Samuel Fuller

Fuller, c’est d’abord une grande gueule. Journaliste et reporter de guerre, il a même servi dans la 1ère Division d’Infanterie, la fameuse Big Red One qui sera plus tard le sujet et le titre de son film le plus populaire. Dans un début des années cinquante qui voit les Etats-Unis se méfier de plus en plus de l’ancien allié Russe, Fuller fait figure par ses prises de position d’anticommuniste que pour faire simple on qualifiera de primaire… en fait, ce serait plutôt un anar de droite réactionnaire, rien à foutre de rien et mort aux Rouges. Finalement pas très éloigné de Godard qui en fera un acteur dans son propre rôle au début de « Pierrot le Fou » …

Là, pour le moment, quand il envisage le tournage de « Pickup … », il a tout à prouver à Hollywood. Bizarrement, ce film au scénario un peu bas du front, est très réussi. Jouant sur des genres voisins (polar, film noir, espionnage), il est sauvé par un rythme d’enfer (tout est dit en 77 minutes), des performances d’acteurs de haut vol, et quelques scènes marquantes …

D’entrée la caméra se fixe dans un métro archibondé sur une belle brune Candy (Jean Peters) en gros plan. Deux autres types ne la quittent pas des yeux. Un troisième survient, s’approche de Candy, se colle à elle et commence à déplier son journal. Tout le monde a l’air tendu, l’atmosphère est oppressante et étouffante dans la rame, la sueur perle sur les tempes de la fille. Et puis la caméra nous montre en gros plan les mains du liseur de journal. L’une des mains est libre, ouvre le sac à main de Candy, tâtonne à l’intérieur, et finit par se saisir du portefeuille. Le métro arrive à la station, la porte s’ouvre, le pickpocket disparaît, les deux gars qui surveillaient la fille échangent des regards, hésitent à le poursuivre, la rame repart.

Jean Peters & Richard Widmark

On apprend très vite que Candy est une « mule » (le terme n’existe pas à l’époque), son amant lui a confié des microfilms qu’elle doit remettre à une personne dans un hôtel, les deux gars qui la surveillaient sont des flics qui voulaient coincer le destinataire du microfilm, et le pickpocket, qui n’était au courant de rien, s’aperçoit rentré chez lui (une cabane sur pilotis au bord du fleuve) qu’il a mis la main sur quelque chose qui peut s’avérer rentable …

Dès lors, tout le monde va se mettre à chasser tout le monde, tout le monde va chercher à faire basculer quelqu’un dans son camp. Le scénario est d’une fluidité remarquable, ce qui est loin d’être toujours le cas pour ce genre de films. Candy retrouve assez vite son voleur, interprété par un superbe Richard Widmark, qui quitte ses seconds rôles dans les westerns pour trouver là le personnage de sa vie … frimeur, arrogant, grande gueule, il est le centre de toutes les attentions (c’est lui qui a le Précieux, comme on dit dans le Seigneur des Anneaux). Les trois ou quatre personnages de flics les plus présents sont des flics typiques du cinéma américain de l’époque (maniant alternativement bluff, coups de pression, chantage, arrangements douteux, et évidemment souvent en retard et blousés …). Le petit ami (au début, la situation s’envenimera ensuite entre eux) de Candy est aussi une petite frappe typique (pétage de plombs, torgnoles, coups tordus et flingue sorti plus souvent que de raison).

Ritter & Widmark

Le haut de l’affiche (en plus de Peters et Widmark) est tenu par l’excellente Thelma Ritter, spécialiste des seconds rôles (six nominations aux Oscars dans cette catégorie). C’est elle l’annuaire des quartiers mal famés de la ville, elle connaît tout sur tout le monde dans cette faune interlope. Son job dans cette sorte de Cour des Miracles, c’est de vendre des cravates et de monnayer des infos. Elle vit seule dans une chambre minable, et économise de l’argent pour atteindre le but de sa vie, se payer une concession dans une cimetière pour ne pas finir à la fosse commune … Son face-à-face avec les policiers alors que ceux-ci n’arrivent pas à identifier le pickpocket et ont recours à ses « services » est une merveille d’enquête sommaire (était-il blond, brun, droitier, gaucher, comment tenait-il le journal, était-il très près de sa victime, …) et efficace. L’autre face-à-face de Thelma Ritter avec le petit ami de Candy est au cœur du film, lorsqu’elle comprend que quoi qu’elle dise (ou ne dise pas) elle a toutes les chances de se faire descendre. Un quasi monologue avec un antique blues qui passe sur un électrophone, le retour du bras à la fin du morceau est synchro avec le coup de feu qui lui est destiné …

La bicoque de Widmark ...

L’intrigue évolue sur le même tempo que la relation Peters – Widmark (je t’aime moi non plus, j’essaie de t’arnaquer, je ne t’aime plus, je suis amoureux, …), deux marginaux (on apprend qu’elle a eu fait le trottoir), prêts à tout au début pour de l’argent, puis après pour sauver l’être aimé.

Fuller met aussi au centre des retournements de situation le drapeau (rouge, forcément rouge) que constitue l’anticommunisme. Point remarquable du film, le traitement réservé aux femmes : menacées, tabassées (la première rencontre de Peters et Widmark après la subtilisation du microfilm est plutôt musclée, il l’aligne pour le compte d’une bonne droite), Ritter et Peters finiront révolvérisées. Même si à l’époque dans ce genre de film les femmes n’ont pas le beau rôle, victimes du machisme ambient (dans les scénarii et la vraie vie), dans « Le port de l’angoisse », elles dérouillent salement …Fuller n’est pas exactement un tendre romantique derrière la caméra …

Ce film, passé quasiment inaperçu lors de sa sortie, a depuis été réévalué. Il est maintenant reconnu comme un petit classique du film noir, et c’est mérité …


A noter une excellente édition Dvd (série Hollywood Llassics) qui donne les deux versions du film, l’originale sous-titrée et la piteuse version française …