Rarement disque aura été glissé aussi fébrilement dans
le lecteur Cd. Putain, Jimmy Page et Robert Plant … Qui plus est ensemble … Les
deux frontmen de Led Zep, paraît-il pas vraiment les meilleurs amis du monde.
Mais Led Zep, enfin, Led Zep, merde quoi …
Led Zep, la plus sacrée des Vaches Sacrées, LE groupe des années 70. Celui qui les
symbolise le mieux. Celui qui a poussé au paroxysme le rock’n’roll circus et
tous les excès musicaux et extra-musicaux qui vont avec. Led Zep … le dernier
groupe mythique de rock, tout simplement (et si quelqu’un me sort Mumuse ou
Radiomachin, putain je lui arrache les yeux avec les doigts de pied …). Led
Zep, disparu des écrans de contrôle à la fin des seventies, en pleine gloire et
avant d’avoir été ridicule …
Alors pensez-donc tout ce qui peut passer dans la
tête d’un mec dont le tout premier disque acheté est justement le 1er
de Led Zep (non, pas quand il était sorti, mais trois-quatre ans plus tard, je
ne suis pas aussi grabataire que çà, faut pas déconner quand même …) au moment
où va commencer la lecture de la rondelle argentée …
Imaginez aussi sa tronche au bout d’une heure vingt
… Putain mais c’est quoi ce bidule ? Ils se foutent de la gueule du monde
les deux vieux chevelus avec leurs orchestres à cordes égyptiens, marocains, et
le London Philarmonic Machin ou un truc de ce genre. Mais qu’est-ce qu’on en a
à foutre, de ces métèques gardiens de troupeaux de chèvres dans le désert et de
leurs ouds, bendirs et je sais plus quoi ? ou des concertistes de
violoncelle pour noblesse anglaise consanguine ?
Bon, il aurait convenu de raison garder, se méfier,
parce que Plant se prenait depuis quelque temps pour le sosie de Peter
Gabriel et de sa world music, et que
Page, empâté et embouffi tel un Elvis à Gibson ne faisait plus rêver avec ses
derniers skeuds les apprentis branleurs de manche … Mais de là à revisiter le
patrimoine sacré en mode bouzouki, y’avait des limites. Ce « No quarter
… », c’est un peu un « Songs remains the same » bis, un truc que
t’attends comme le Messi, et puis tu te retrouves avec Gignac … « No
quarter … », il a été enregistré live … enfin, j’en sais rien, on dirait,
en tout cas on entend des gens applaudir et …
Bon, faut quand même préciser avant que les
torgnoles tombent de tous les côtés, qu’il est pas si mauvais que ce que ma
prose agile pourrait faire croire. Assez digne même, et dans l’ensemble moins
risible que ceux des contemporains de Page et Plant (Paulo, Mick, Keith, Roger
et Pete, pourquoi vous toussez ?). Mais de là à me joindre à la secte des adorateurs
béats qui ont tressé des couronnes à cette rondelle, faut pas pousser …
Plant, il a perdu au moins cinquante octaves,
incapable de monter dans les aigus. Même Mylène Farmer ou Daho n’en voudraient
pas comme choriste. Et Page, il est où, le guitar hero ultime des années 70 ?
Quand il est le meilleur, c’est quand il joue de la mandoline sur « The
battle of evermore », comme par hasard aussi le meilleur titre du Cd. Et
même s’ils ont remplacé Sandy Denny (bon, ils ont quelques excuses, vu qu’elle
était morte depuis bien vingt cinq ans) par une certaine Najma Akhtar qui s’en
sort pas si mal que çà, dans cette ambiance nord-africaine qui se superpose et
remplace à la fois l’atmosphère celtique originale.
Page & Plant 1994 : ils ne vont même pas saccager cette chambre d'hôtel ... |
Evidemment, Page et Plant, c’est que la moitié la
plus voyante du Zeppelin. Ils ont oublié d’inviter John Paul Jones, qui aurait
quand même pu les aider pour les arrangements (quand on lit que « No
quarter … » est produit par Page et Plant, dans une formule qui sent
la diplomatie juridique, tant le dernier nommé s’était toujours par le passé
prudemment éloigné des consoles). Et puis, fallait pas compter sur Bonzo
Bonham, toujours aussi mort, et remplacé ( ??? ) par le dénommé Michael
Lee, sessionman certes connu, mais d’un académisme mortifère. Signe ultime du malaise
musical, Page est secondé (comme si quand on s’appelle Jimmy Page on a besoin
d’un clampin à la guitare rythmique) par le sieur Porl Thompson, dont la seule
ligne de gloire sur le CV était d’avoir été un temps dans l’ombre gothique du
Cure de Robert Smith … Tout ça pour dire que la moitié de Led Zep, ça peut pas
faire Led Zep … alors pourquoi diable sur quatorze titres, en reprendre dix du
Dirigeable ? La relecture world ? Ouais, si on veut, même s’il y a
des blasphèmes qu’il ne faut pas proférer …
Quand cette pléthorique bande de zicos s’attaque à
« Kashmir » (LE titre majeur du Zep, avec un Bonham stratosphérique
en VO), ils ont beau l’étirer sur plus de douze minutes, multiplier les arrangements
tarabiscotés, rien n’y fait, il manque le drive infernal de Bonzo, et là l’hymne himalayen accouche d’un volcan érodé auvergnat …
Les quatre inédits sont des titres à la gomme
(forcément arabique) perclus de sonorités nord-africaines, comme quoi quand tu
choisis un fil rouge un peu lourdingue, il te plombe tout un skeud. Parfois ça
marche, notamment sur « City don’t cry », où Plant n’essaie pas
d’atteindre des aigus de toutes façon maintenant inaccessibles, et où le chœur
de voix arabes donne une impression de gospel musulman. Quant aux reprises de quelques
classiques (ou pas) zeppeliniens, deux pistes semblent suivies. Soit on se
colle au plus près de l’original avec les moyens du bord (exemple type
« Since I’ve been loving you », avec un Page quelconque pour un titre
totalement dénué de feeling, un comble pour l’épitomé du blues frotti-frotta
70’s), soit un déconstruit « world » (« Nobody’s fault … »
avec un Plant à la ramasse vocalement).
Alors, Page et Plant, c’est pas honteux, c’est juste
deux (déjà) veilles gloires qui venaient faire le buzz au milieu des mortelles
années 90, avec une rondelle certes pas indigne, mais tellement loin de leurs
fulgurances passées … Etre et avoir été …