Affichage des articles dont le libellé est Oldies. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Oldies. Afficher tous les articles

CHARLES LAUGHTON - LA NUIT DU CHASSEUR (1955)

 

Love and Hate ...

« La nuit du Chasseur » (idem en anglais, « Night of the Hunter »), ce serait trop facile (mais je vais pas m’en priver) de dire que des films comme ça, on n’en tourne qu’un dans sa vie …

Charles Laughton & Lilian Gish

Et effectivement, ce sera le seul passage de Charles Laughton derrière la caméra. Laughton, c’est un Anglais qui a surtout travaillé aux Etats-Unis (il sera naturalisé américain en 1950). Et c’est surtout un acteur de théâtre. Un genre exigeant, où on peut pas tricher, refaire la prise. Faut enchaîner et être juste. Son physique « particulier » (sur lequel il a beaucoup ironisé), lui vaudront au cinéma des rôles de méchants (l’inoubliable Capitaine Blight dans « Les révoltés du Bounty » de Frank Lloyd) ou de sournois (Gracchus dans « Spartacus », où à mon sens il enterre les Kirk Douglas, Laurence Olivier et autres Peter Ustinov, pourtant pas des débutants). Laughton est exigeant pour lui, et va devenir un maniaque derrière la caméra.

Enfin, derrière la caméra, c’est aller un peu vite en besogne. La technique de l’image, de l’éclairage, de la prise de vue, il n’y comprend rien. Pour « La nuit du Chasseur », Laughton est au sens le plus strict du terme, un metteur en scène. La caméra, elle est confiée à Stanley Cortez, un chef opérateur de l’A.S.C. déjà remarqué sur « La splendeur des Amberson » d’Orson Welles. Et pendant que Laughton peaufinera son scénario avec David Grubb (l’auteur du roman « La nuit du Chasseur »), Cortez placera ses caméras et va concevoir un éclairage fabuleux, un noir et blanc hyper contrasté, jeux d’ombres gigantesques et de pénombres.

Parenthèse. En 2019 est sortie par Wild Side une version restaurée en HD du film. Des Blu-ray de vieux films, j’en ai. Qui au niveau du film lui-même, ne présentent généralement aucun intérêt, la haute définition ayant même tendance à amplifier les défauts techniques de l’image d’origine. Si vous ne devez avoir qu’un vieux film en Blu-ray, c’est « La nuit du Chasseur » qu’il vous faut. Un travail tout bonnement extraordinaire, qui montre que Cortez avait dépassé toutes les contingences techniques de l’époque. Et tout ça avec des moyens certainement pas pharaoniques.

D’ailleurs, pas de noms flamboyants en haut de l’affiche au générique. Mitchum en est la star (mais pas le premier choix de la production). Mitchum est en 1954 lors du tournage (trente-six jours en tout et pour tout, quasiment tout en studio, y compris la descente de la rivière) au mieux un bon second rôle avec deux défauts majeurs, éthylique forcené à faire passer les soirées du Rat Pack pour des séances de yoga, et pire, plus ou moins « socialiste », ce qui aux U.S.A. à l’époque était comparé à de la haute trahison. En gros, Mitchum est ingérable. Laughton l’a vite compris, il organise tous les autres personnages par rapport au sien.

Robert Mitchum

Autre parenthèse. Dans le Blu-ray dont au sujet duquel je causais plus haut, il y a parmi les bonus plus de deux heures et demie (soit quasiment deux fois la durée du film) de rushes qui montrent la répétition des scènes. Avec un Laughton (à peu près toujours hors champ) omniprésent, qui donne la réplique à tous les acteurs, jouant tous les personnages. On voit qu’il vient du théâtre et que c’est un maniaque. Il fait refaire d’innombrables prises parce que l’intonation d’une seule syllabe, un clignement de paupières, un geste esquissé, un sourire trop ou pas assez prononcé ne lui conviennent pas. Passe encore pour quelqu’un qui a fait l’Actor’s Studio (comme Shelley Winters) mais Laughton tyrannise tout le monde (les deux gosses - la gamine a vraiment cinq ans et craque parfois – et le moindre figurant ou second rôle, témoin celui qui joue le vieux pote pêcheur du gamin, qui sera éjecté au premier jour de tournage et remplacé). N’est guère épargnée Lilian Gish (qui fut quand même dans sa jeunesse l’égérie de Griffith et la première star féminine mondiale, avant Louise Brooks ou Marlene Dietrich), dont on sent que derrière sa bonhommie placide, elle n’en pense pas moins lorsqu’elle doit multiplier les prises. Il n’y a que Mitchum qui a un traitement de faveur. Il tient même parfois tête à Laughton parce qu’il ne joue pas, il est le Révérend Powell et tout s’organise autour de lui …

Powell, c’est le personnage qui a fait rentrer Mitchum dans la légende du cinéma. Parce que Mitchum en fait tellement, que ce faux curé devient tout bonnement extraordinaire. Powell joué par Mitchum n’est plus humain, il est inhumain. La scène où Mitchum mime le combat du Bien et du Mal avec la bataille entre ses deux mains où sont tatouées sur les phalanges « love » et « hate » (ça, c’est de l’idée scénaristique géniale !) repousse les limites du raisonnable, de l’entendement et même de la folie. Et à la fin, alors qu’il vient de se faire plomber par Lilian Gish, sa fuite à travers l’appartement, le jardin, les clôtures, pour aller se réfugier dans la grange se fait en poussant des cris qui n’ont rien d’humain. Le jeu de Mitchum est totalement hanté, irréel, bestial … Pas sûr qu’au moment du tournage il ait été au mieux physiquement et mentalement, mais le résultat est époustouflant, une performance à la Daniel Day-Lewis, sa seule présence aux dires des témoins électrisait le plateau de tournage avant qu’il commence à jouer ses scènes … Il y a une anecdote avec Shelley Winters. Mitchum, sans qu’on sache très bien pourquoi, la détestait, à la limite de la haine. Quand le pêcheur la retrouve noyée attachée à sa voiture au fond de l’eau, c’est une prise sous-marine avec un mannequin au visage moulé sur celui de Winters. Mitchum a fait tout un foin, exigeant de Laughton que ce soit elle qui soit vraiment attachée à la bagnole au fond de la rivière, sinon le film allait perdre toute sa crédibilité … Ceci explique que des années plus tard, lors d’une interview où il revenait sur sa carrière, Mitchum tout en faisant son Mitchum (air goguenard, énormes lunettes fumées, cigare de la taille d’un tronc d’arbre), ait décrété que Laughton était de loin le meilleur metteur en scène avec qui il avait travaillé (sympa pour tous les autres, il a tourné avec le gotha des réalisateurs américains pendant quatre décennies).

Shelley Winters & Robert Mitchum

« La nuit du Chasseur » se passe dans l’Amérique rurale (un petit bled au bord du fleuve Ohio) post Grande Dépression. La crise économique, le chômage, la lutte quotidienne juste pour avoir quelque chose à mettre dans l’assiette, ont profondément transformé les gens. Ainsi, un père de famille, Ben Harper (parenthèse, c’est le vrai nom du guitariste baba cool soporifique, donc pas un pseudo en rapport avec le film), devient un braqueur de banques pour faire bouillir la marmite à la maison où l’attendent sa femme Willa (Shelley Winters) et ses deux gosses John (la douzaine), et Pearl (cinq ans). Un jour son braquage tourne mal, il tue deux types, est serré de près par la police, et a juste le temps de remettre le butin du casse (dix mille dollars) à ses enfants (surtout John), exigeant d’eux qu’ils le planquent et ne révèlent la cachette à personne, même pas à leur mère.

Parenthèse (pff, encore, tu commences à nous gonfler avec tes parenthèses). Le Ben Harper du film, qui n’a droit qu’à quelques scènes, est joué par un second couteau, Peter Graves, qui accèdera à la gloire mondiale en devenant des années plus tard, Jim Phelps, le chef des agents de la cultissime série télé « Mission Impossible ».

Avant d’être pendu, Harper se retrouve dans le même cachot que le (faux) révérend Harry Powell et manque lui révéler en parlant dans son sommeil (fabuleuse scène lorsque Harper marmonne son histoire et que la tête de Powell apparaît à l’envers - il est dans le lit au-dessus -, avant que Harper se réveille, l’aperçoive, lui colle une magistrale torgnole, avant de se mettre un mouchoir dans la bouche pour ne plus pouvoir parler en dormant).

Powell, on l’a déjà vu au tout début, roulant dans une voiture, ses tatouages LOVE-HATE sur les doigts, en train de s’adresser au Seigneur, avant de se tétaniser avec un regard d’assassin à un spectacle de strip-tease. Powell, c’est une extrapolation de tous ces évangélistes qui dans les années 30 parcouraient le Midwest sinistré par la crise pour ramener les âmes dans le « bon » chemin (et qui aujourd’hui sont les farouches partisans de Trump, la loi et l’ordre, et par-dessus tout le Seigneur qui nous guide tous). Son truc, à Powell, c’est pas de sauver les brebis égarées, c’est de séduire les veuves qui ont un petit magot, les buter et partir avec l’argent.

Il va donc arriver chez Willa Harper. Autre scène fabuleuse, le petit John raconte à sa sœur une histoire de croquemitaine, c’est la nuit, ils sont dans leur chambre à peine éclairée par la lumière de la rue, et se dessine sur le mur l’ombre gigantesque du chapeau que porte Powell (ces ombres démesurés, que l’on verra souvent dans le film, me semblent être un hommage de Laughton et plus encore de Cortez au cinéma expressionniste allemand des années 1920-1930, genre « Le cabinet du Docteur Caligari », « M le Maudit », etc …). Le plan suivant nous montrera sa silhouette devant la clôture de la maison, dans la lueur blafarde des réverbères. Ça vous dit rien cette image ? Ce sera copié-collé par Friedkin dans « L’exorciste » quand Max Von Sydow arrivera devant la maison de Linda Blair, elle servira d’ailleurs souvent d’affiche au film, au Blu-ray, Dvds, etc …

L'exorciste ?

Powell va courtiser la fragile Willa, poser son emprise sur elle (autre scène folle, celle de l’expiation, où la pauvre veuve avoue ses péchés devant les voisins, au milieu d’un cercle de torches enflammées, sous le regard impassible du pasteur en arrière-plan), l’épouser (autre scène énorme, celle de la nuit de noces), avant de la tuer (encore une scène démente ponctuée d’engueulades homériques où Powell expose sa vision du monde et des femmes, qui ne pensent qu’à la luxure alors que le Seigneur ne les a mises sur Terre que pour procréer, ‘tain, on croirait entendre l’agité du bocage de Villiers). Ne lui reste dès lors plus qu’à faire avouer aux gosses où est le magot (nous, on le sait, il est dans la poupée de chiffons que ne quitte pas la petite fille).

La gamine se laisserait embobiner, son frangin est beaucoup plus méfiant, et les deux s’enfuient en barque sur le fleuve, chassés par Powell (un autre plan à montrer dans les écoles de cinéma, les deux gosses réfugiés dans une grange, avec au loin au soleil levant, la silhouette menaçante de Powell sur son cheval au pas qui se détache sur l’horizon). C’est à ce moment-là, le moment de la chasse, qu’on passe du thriller haut de gamme à autre chose. Finies pour un temps les confrontations et les dialogues chiadés, on suit la barque qui descend le fleuve filmée depuis la rive avec au premier plan des lapins, des toiles d’araignée, des hiboux, des tortues, des crapauds. Comme une relaxation alanguie qui remplace la tension. Un procédé qui sera repris et sublimé par Malick au point de devenir sa trademark (je sais pas s’il s’est inspiré de Laughton) qui interrompt l’action pour nous montrer des rochers moussus, un petit ruisseau, des animaux, du vent qui agite des champs de blé ou des feuilles dans les branches, …


Le final de « La nuit du Chasseur » n’est pas celui d’un thriller. Ou si peu. Les enfants échouent (dans tous les sens du terme) chez une vieille dame, Mme Cooper (extraordinaire Lilian Gish) qui recueille des enfants abandonnés. Et plutôt que l’action (quasi inexistante), Laughton choisit de nous nous montrer le combat de deux esprits qui se revendiquent du même Seigneur. Parce que Powell n’a pas inventé son personnage de pasteur, il se croit réellement investi d’une mission, sauver le monde de la perdition, même si ça doit passer par quelques meurtres et en récupérant du fric au passage. Mme Cooper, elle, veut faire le bien de ses prochains tout en respectant scrupuleusement les Saintes Ecritures. La scène clé du film (et une des plus extraordinaires qu’il soit donné à voir sur un écran), c’est ce face-à-face nocturne devant la maison de Mme Cooper où Powell et elle se livrent un combat qui se veut définitif par chants religieux interposés, chacun chantant le sien pour couvrir la voix de l’autre.

« La nuit du Chasseur » est une œuvre unique, inclassable, où se mélangent poésie, mysticisme, polar, suspense, humour (noir). En fait la vraie direction du film nous est donnée dès la première scène, où Lilian Gish récite, façon lecture d’une page des Evangiles, ce qu’est l’histoire que nous allons voir et sa morale. « La nuit du Chasseur », c’est une fable biblique …

« La nuit du Chasseur » a été un bide lors de sa sortie, et Laughton (mort en 62) n’aura plus jamais les moyens (si tant est qu’il en ait eu l’envie) d’en tourner un autre. Chef-d’œuvre définitif, il est aujourd’hui très justement toujours cité comme un des plus grands films de tous les temps …




ANTHONY MANN - L'HOMME DE LA PLAINE (1955)

 

Morne plaine ?

« L’homme de la plaine » (« The man from Laramie » en V.O.), c’est le cinquième et dernier film de la collaboration Anthony Mann / James Stewart. Qui ensemble ou séparément, n’ont plus rien à prouver. Et qui « pèsent » suffisamment pour ne pas avoir à faire la moindre compromission. C’est peut-être le cœur du problème. Mann et Stewart sont devenus de vrais potes, une amitié que leurs succès communs semblaient avoir cimentée.

Stewart & Mann

Mais pour ce film, leurs « visions » vont sinon s’affronter, du moins être parfois contradictoires. Mann veut en foutre plein les mirettes du spectateur. La Columbia lui assure Technicolor et Cinémascope. Visuellement, parce que Mann sait tenir une caméra, le résultat sera grandiose. Une bonne moitié du film est tournée en extérieurs, et les paysages du Nouveau Mexique offriront un décor magnifique. Mann, comme tous les « amuseurs » du cinéma, a envie de « sérieux ». L’intrigue fournie par le scénariste Philip Yordan (est-elle de lui, rien n’est moins sûr, on est en plein Maccarthysme et Yordan a la réputation de faire siens des scénarios écrits par des blacklistés, un genre de gagnant-gagnant - surtout pour lui) fait entrevoir à Mann qu’on peut en faire une version western du « Roi Lear », classique du drame shakespearien. Cette vision shakespearienne est basée sur les dissensions qui vont aller crescendo dans la famille Waggoman sur fond de succession du patriarche, famille qui fait la pluie et le beau temps dans une petite bourgade (Coronado, imaginaire, alors que Laramie, existe bel et bien, au Sud du Wyoming) paumée aux limites du territoire apache.

Les chariots de feu ?

Face à Mann et ses envies de « grande » tragédie en Scope, Stewart. Qui examine méticuleusement tout ce qui le concerne dans le film. Il ne veut pas faire et dire n’importe quoi. Il affirme de plus en plus ses penchants républicains, et ne veut pas que les valeurs des personnages qu’il interprète soient contraires aux siennes. Et ce d’autant plus que dans le film, son personnage, Will Lockhart, est un capitaine de l’armée (on ne le saura qu’à la fin, et de manière fugace, au hasard d’une réplique plutôt anodine). Or Stewart a servi dans l’armée pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ses valeurs morales d’ancien militaire et de Républicain entraîneront des ratiocinations interminables avec Mann pendant le tournage et ils finiront sinon par se brouiller, du moins par distendre les liens d’amitié qui les unissaient.

« L’homme de la plaine » est un western, considéré comme majeur, de cette période (le milieu des années 50), où ce genre typiquement américain est à son apogée (les studios en sortent une dizaine par an, la moitié des films qui paraissent sont des westerns. « L’homme de la plaine » est aussi un polar. Lockhart s’est « défroqué », se faisant passer pour un patron convoyeur, afin de trouver et les causes et les responsables du massacre aux environs de Coronado d’une patrouille de soldats, dont on apprendra au cours du film que son jeune frère faisait partie.

Baston en vue ...

Un western, un polar, une revisitation du Roi Lear, quelques caprices de diva de sa star, un gros budget permettant au casting quelques personnages secondaires auxquels on ne comprend rien (voir plus bas), c’était peut-être un chantier trop compliqué à gérer et à mener à terme en à peine plus d’une heure et demie.

L’aspect visuel irréprochable du film n’arrive pas à cacher les lacunes et carences d’un scénario mal foutu. Incohérences et points d’interrogation se multiplient. Qui est le vieux compagnon de Lockhart, qui reste dans le coin quand ça commence à mal tourner, qui réapparaît quasi miraculeusement porteur de précieuses infos, et disparaît totalement dans la seconde partie du film ? Quel est l’intérêt dans l’histoire de l’épicière nièce du patriarche Waggoman, de cette romance qui semble s’installer entre elle et Lockhart, flirt qui s’estompe pour disparaitre sans qu’on sache pourquoi ? A quoi sert le commis indien de l’épicerie, ses regards suspicieux sur Lockhart, sa présence lors de la tentative d’assassinat, et que devient-il ? Idem pour le poivrot qui croise souvent la route de Lockhart avant d’essayer de le tuer, et d’être retrouvé mort, sans qu’on sache vraiment qui avait commandité l’assassinat (le fils, le régisseur ?) et qui l’a dessoudé …

L’histoire est labyrinthique. On sait, je dirais presque par définition, que le gentil c’est Lockhart. Même si ses motivations restent floues. Veut-il juste savoir pourquoi son jeune frère est mort et à cause de qui ou de quoi, ou vient-il pour se venger ? On pourrait pencher pour la seconde version, sauf que « L’homme de la plaine » est le seul film avec Mann où Stewart ne tue personne. Des gentils, on en trouve une paire d’autres. La nièce épicière Waggoman, même si son personnage apporte très peu au scénario. Et la vieille rivale et ex-fiancée du patriarche dont la contribution sera de soigner les éclopés du scénario.

Crisp & Stewart

Côté méchants, on en a trois de principaux (faut zapper l’Indien et le poivrot qui veut poignarder Lockhart, dont les personnages sont deux points d’interrogation, voir plus haut). Le patriarche Alec Waggoman (belle prestation du vétéran Donald Crisp, des dizaines de seconds rôles à son actif), son fils, brutasse dégénérée au point qu’il laisse perplexe son paternel sur la façon d’organiser la succession, et le régisseur du domaine, qui voyant ce foutoir familial, espère tirer profit de la situation et les marrons du feu. Le seul intérêt de l’intrigue étant de révéler que le plus terrible des trois n’est pas celui que l’on croit au départ.

Et si Stewart ne tue finalement personne (« il n’est pas acteur des meurtres, il en est le catalyseur » dixit Bertrand Tavernier), « L’homme de la plaine » est le film le plus violent de sa collaboration avec Mann. Même si elle n’est pas toujours montrée plein cadre, la violence, à la limite du sadisme, est partout présente. La première rencontre entre Lockhart et le fils brutal Waggoman verra ce dernier foutre le feu aux chariots de Lockhart, le traîner attaché à un cheval, et dézinguer les mules du convoi … pas mal pour une première approche. Après une bagarre homérique et bestiale en ville (ça finit en corps en corps au milieu des chevaux), la troisième rencontre verra Lockhart maintenu par les hommes de Waggoman se faire tirer une balle dans la main à bout portant (hors champ, ce qui nécessite du jeu d’acteur, plutôt qu’un effet spécial sanguinolent, et comptez sur Stewart pour rendre à l’écran la douleur).

En résumé, l’immense James Stewart peut-il à lui seul sauver une histoire bancale ? Le Scope en technicolor de Mann peut-il faire oublier un scénario mal ficelé ? La réponse est oui dans les deux cas (« L’homme de la plaine » est considéré comme un grand classique de la grande époque du western).

Mais perso, je préfère nettement « Winchester 73 » et « L’appât » (je dirai rien sur « Les affameurs » que je crois bien ne jamais avoir vu, ni sur « Je suis un aventurier » pas vu non plus et qui n’a pas bonne presse), même si beaucoup auraient bouffé les varices de leur grand-mère pour être au casting d’un film de Mann avec Stewart …


Du même sur ce blog :

Winchester 73
L'Appât
L'Homme de l'Ouest




JOHN HUSTON - QUAND LA VILLE DORT (1950)

 

Le crime était presque parfait ...

Le Dvd que j’ai fait partie d’une collection Warner « L’âge d’or du cinéma américain – Les grands classiques du film noir ». J’ai aucune idée des autres titres (vu le lettrage sur la tranche et le numéro de celui-ci – 12 – il doit y en avoir une quinzaine sous cet intitulé) mais en ce qui concerne « Quand la ville dort » je valide tout à fait le titre ronflant de la série. C’est un film à voir et revoir, on ne s’en lasse pas.

A priori, rien de révolutionnaire dans « Quand la ville dort ». L’histoire d’un casse qui tourne mal. Et au cœur de l’histoire, une poignée de petits malfrats dans une petit bled du Midwest jamais nommé pendant la prohibition (Angelica Huston, dans une courte présentation du film de son père, situe l’action en 1929).

John Huston & Marilyn Monroe

A la réalisation, John Huston donc. Pas vraiment un débutant, et pas un manchot derrière une caméra, en plus d’être scénariste, producteur, et de se lancer à partir des années 50 dans une carrière d’acteur. Quand il s’attelle à « Quand la ville dort » (« The asphalt jungle » en V.O., pour une fois un titre qui claque, que ce soit en français ou en anglais), il a remporté deux ans plus tôt une statuette pour un film monumental, « Le trésor de la Sierra Madre », et il avait commencé sa carrière de réalisateur avec « Le faucon maltais », classique de chez classique, malgré une intrigue aussi claire que celle de « Mulholland Drive » du regretté David Lynch.

 « Quand la ville dort » est tiré d’une nouvelle de l’écrivain W.R. Burnett et grave dans le marbre les codes du film noir, comme « Little Caesar » du même Burnett avait « inventé » par son adaptation au cinéma le film de gangsters. « Quand la ville dort », c’est l’histoire d’une bande de petites frappes, avec cinquante nuances de loose. Tout se passe la nuit, sauf la scène finale. Le pitch est simple, un prétendu as du braquage « Doc » Riedenschneider (un immigré allemand ou autrichien, voir ou plutôt écouter son accent teuton en VO) sort de cabane et tente illico de monter « le coup » de sa vie (le braquage d’une bijouterie) grâce à des infos recueillies auprès d’un autre taulard. Il se rend chez Cobby, le gérant d’un tripot clandestin spécialisé dans les paris sur les canassons pour lui expliquer ses besoins en logistique et en personnel. Une fine équipe locale est recrutée (un chauffeur barman et bossu, une brute locale qui fera le ménage si besoin, un as du perçage de coffres), et l’avocat Emmerich (Louis Calhern), patron de fait du tripot, s’occupera du recel et de la vente du butin. Entre « imprévus » pendant le casse (une alarme qui se déclenche dans un immeuble voisin et va faire se rappliquer tous les flics du bled, et un vigile qui anticipe l’heure de sa ronde) et l’avocat véreux, forcément véreux, qui va essayer de doubler tout le monde, l’aventure se terminera mal et le plus souvent très mal pour tous les protagonistes de l’affaire. Des films avec ce genre de scénario, il doit en sortir trois douzaines par mois, aussitôt vus, aussitôt oubliés. Sauf qu’avec « Quand la ville dort », on a une œuvre majeure.

Jaffe, Hagen & Hayden

Dans le film noir, y’a toujours une ou des nanas qui entraînent les héros vers leur perte. Ici, il y en a deux. La première c’est la cocotte entretenue par Emmerich, jouée par la quasi débutante devant les caméras, une certaine Marilyn Monroe (Angela). Ecervelée pas méchante pour deux sous, mais d’une frivolité emplie de rêves qui coûtent cher (un voyage sentimental à Cuba, en ces temps-là villégiature de vacances des riches américains), elle provoquera l’irréparable chez Emmerich. Monroe n’est présente que pour deux scènes, la première vêtue d’un ensemble écossais informe à gros carreaux mais qui laisse apercevoir quand elle fait demi-tour une silhouette callipyge promise à un bel avenir. Dans la seconde scène elle minaude en longue robe bustier et laisse apercevoir son nucléaire potentiel érotique. L’autre femme « tragique », c’est une jeunette qui se trémousse sur du jazz endiablé craché par un juke-box, tout Playtex en avant devant le Doc qui ne peut s’arracher à ce spectacle, a même remis une pièce dans la machine, et les trois minutes que durent le titre lui seront fatales. Dans le casting, il y a aussi deux autres femmes. May, l’épouse d’Emmerich (malade ? infirme ?) toujours alitée, qui malgré son état de dépendance physique, garde une emprise sur son mari, démontrant que derrière le vieux beau affairiste et malhonnête, il n’y a qu’une lopette sans caractère. Doll (Jean Hagen), qui semble davantage tirer ses revenus de son corps que d’un travail « honnête », en pince pour Dix (grandiose Sterling Hayden), voit bien qu’il file un mauvais coton, et fera tout pour l’aider à s’en sortir.

Calhern & Monroe

Ce sont les hommes (ceux qui n’agissent que la nuit, quand la ville dort) et leurs interactions qui sont le cœur de l’intrigue. Huston prend du temps (indispensable, pour nous préparer à la tragédie inéluctable qui les guide) pour nous les présenter. Un peu comme dans « Seven », il nous les décrit avec en filigrane leurs péchés capitaux. Le Doc (Sam Jaffe, grand pote à Huston), c’est le besoin de luxure. Il suffit de le voir feuilleter d’un œil gourmand, un calendrier de pinups, pour comprendre que ce besoin de chair jeune et fraîche va être un sacré grain de sable dans sa trajectoire. Dix, c’est le jeu. Il est redevable à Cobby (et donc Emmerich) d’un gros paquet de dollars parce qu’il est fou de courses hippiques sur lesquelles il joue gros. Il avouera à Doll que son rêve c’est de revenir plein aux as au pays (le Kentucky) pour racheter la ferme de son paternel éleveur de chevaux. Un rêve qu’il exaucera très fugacement (magnifique dernière scène, pour une fois en plein jour, qui le verra s’effondrer au milieu de chevaux dans un enclos). Emmerich, lui, est cupide. Il a installé Angela comme une princesse, a toujours besoin de grosses sommes pour l’entretenir, se retrouve en faillite quand tout le monde le croit très riche, et en vient donc à essayer de doubler les braqueurs qu’il « sponsorise ». Cobby, c’est la lâcheté qui le perdra. Quand Dix lui demande un délai pour rembourser, il s’écrase, et quand un flic, pourtant véreux et corrompu jusqu’à la moelle lui file une paire de baffes, il se met à chialer comme un gosse et balance les braqueurs. Effet domino, tomberont avec lui le chauffeur (un barman solitaire qui préfère la compagnie des chats à celle des hommes), le perceur de coffres (rangé des voitures, mais qui fait ce dernier coup pour pouvoir soigner son gosse malade), Emmerich, Dix, le Doc, le flic ripou …

Ripoux contre ripoux ?

La présentation des personnages pourrait paraître longue (le braquage intervient peu ou prou au milieu du film) mais est essentielle pour comprendre la mécanique infernale guidée par leurs pulsions qui va s’enclencher et les perdre. Chef-d’œuvre de mise en scène d’entrée, la présentation de Dix. La pénombre, de grandes avenues miséreuses et désertes, une voiture de police qui patrouille, et Dix qui se cache dans des encoignures obscures, derrière des piliers pour ne pas se faire repérer. Sans la moindre parole prononcée, on voit tout de suite à qui l’on va voir affaire. Cette nuit, c’est le décor intangible du film. C’est le biotope des malfrats, alors que le jour appartient aux honnêtes gens.

D’une certaine façon, « Quand la ville dort » est un film moral. Les mal intentionnés finissent mal, la loi et l’ordre peuvent triompher (voir le chef de la police qui plastronne devant une meute de journalistes). « Quand la ville dort », j’en ai causé au-dessus, est un film psychologique, qui dissèque ces mécaniques de l’âme compliquées qui font dérailler les entreprises méticuleusement élaborées. Mais c’est aussi (surtout) un vrai polar tragique, avec ses scènes pleines de suspens (les braqueurs vont-ils s’en sortir quand les sirènes des alarmes mugissent ? comment va se terminer le face-à-face à quatre entre Emmerich, son homme de main d’un côté, Dix et le Doc de l’autre, et un sac plein de bijoux entre eux ? Doll réussira t-elle à sauver Dix ? le Doc échappera t-il aux flics et atteindra-t-il Cleveland ? …)

Chef-d’œuvre essentiel …





WALT DISNEY - FANTASIA (1940)

 

The Walt Disney Experience ... 

« Fantasia » est un projet totalement fou de la société Walt Disney Productions. Une société partagée entre deux frères, Walt Disney pour la partie artistique et Roy pour le business et la compta. Cette société est exclusivement basée sur l’animation. En 1937, son premier long métrage, « Blanche Neige et les sept nains » a été un gros succès populaire. Et un film d’animation révolutionnaire par sa qualité d’image (Technicolor) et sa durée (une heure vingt).

Ce qui ne va pas empêcher Walt Disney de s’entêter sur les « Silly Symphonies » ces courts-métrages d’animation d’une poignée de minutes sur fond musical, qui ont permis l’émergence des personnages historiques de Disney, Pluto, Dingo, Donald, Mickey, … mais ne sont plus rentables et mettent en péril la situation financière de l’affaire familiale.

Walt & Roy Disney

Entre-temps, Walt Disney Productions est devenue une fourmilière de talents (tous les spécialistes de l’animation viennent se faire engager, avec dans le lot quelques bricoleurs-inventeurs azimutés dont les trouvailles vont stupéfier le petit monde de l’animation). Tout ceci fait que les frangins Disney, qui envisageaient une autonomie totale, doivent se rapprocher des grosses firmes de distribution, la RKO en l’occurrence.

En 1938, deux projets de long-métrage sont mis en chantier : « Pinocchio » et « Fantasia ». Le premier sortira début 1940, et bien qu’il soit depuis devenu un incontournable emblématique des studios Walt Disney, ne sera pas une réussite financière. « Fantasia », c’est autre chose, une sorte de délire qui devient réalité.

Walt Disney rêve d’un concept, calqué sur ses « Silly Symphonies », animer avec les dernières techniques disponibles des pièces majeures de la musique classique. Une rencontre plus ou moins due au hasard avec un chef d’orchestre star controversé, Leopold Stokowski (critiqué pour sa morgue et jalousé pour ses conquêtes féminines, dont Greta Garbo) fera avancer de façon décisive le projet. Il va falloir choisir, comment dire, des classiques du classique et mettre de l’animation haut de gamme derrière. Le personnel de Walt Disney Productions est sur le coup, et comme la réalisation prendra quasiment deux ans, des renforts de première bourre affluent encore.


Si tout semble paré côté images (un contrat exclusif pour l’utilisation du technicolor a été signé), c’est la partition musicale qui va poser problème. L’Orchestre de Philadelphie est réquisitionné sous la conduite de Stokowski. Qui ne fera pas qu’agiter les bras (il présente l’assez rare particularité de ne pas utiliser la fameuse baguette de chef d’orchestre), il va réarranger un certain nombre de titres, en supprimant des mouvements, voire en réécrivant certaines partitions qui n’étaient pas prévues pour un grand orchestre (la Toccata de Bach qui débute le film n’était écrite que pour l’orgue). Stokie, comme on le surnommait, va aussi jeter les oreilles sur la dernière trouvaille des studios Disney, un système de sonorisation novateur baptisé Fantasound, duquel découlera en ligne directe le Dolby Surround des décennies plus tard. Walt Disney envisage même de doubler la taille de l’écran (esprit d’Abel Gance, es-tu là ?), mais y renoncera au dernier moment et « Fantasia » sortira dans un classique 1,37 :1.

Ce dont pas grand-monde (personne ?) ne s’était rendu compte, c’est que « Fantasia » était un projet pharaonique, un peu trop pour les moyens techniques de l’époque (les dernières bobines, retournées nuit et jour pendant une semaine, arriveront au Broadway Theatre de New York où a lieu la première, quatre heures avant le début de la projection). Contre l’avis de son frangin, Walt Disney veut faire de « Fantasia » autre chose et beaucoup plus qu’un film. Pour lui, « Fantasia » est un évènement et ne sera pas visible dans un premier temps dans les cinémas jugés trop « populaires », sera juste mis sur pied une tournée de salles de théâtre.


Les premières réactions seront glaciales, les amateurs de musique classique n’ayant pas de mots assez durs pour qualifier les libertés sonores prises avec leurs œuvres chéries, et ne parlons même pas des caricatures animées grotesques qui étaient leur pendant visuel. Le grand-œuvre des studios Disney prenait des allures de naufrage, les huissiers préparaient leurs sommations. Quand on parle fric, on parle comptabilité. C’est le frangin Roy, au grand dam de Walt, qui va trouver la solution : un deal de distribution avec la RKO pour que le film soit présenté partout en salles. Avec juste un bémol : d’une durée initiale de deux heures dix, il sera ramené à une heure vingt. Autrement dit, un sacré charcutage. Quelques jours après sa sortie, « Fantasia » et peut-être même Disney Studios avec, semblent bon pour un enterrement first class.

C’est une petite souris qui va sauver l’affaire. Mickey de son nom. Personnage secondaire de l’univers Disney, maintes fois retouché les années précédentes, il est au centre du segment le plus accessible du film, celui consacré à « L’apprenti sorcier » de l’à peu près oublié Paul Dukas. La séquence des balais porteurs de seaux d’eau est devenue mythique dans le cinéma d’animation et le cinéma tout court. Et petit à petit, les autres séquences seront appréciées à leur juste valeur, à savoir des prouesses visuelles, techniques, humoristiques, poétiques. Les partitions musicales de « Fantasia » deviendront plus célèbres que celles d’origine quand elles ont été modifiées.

Le film ressortira un nombre impressionnant de fois, jusqu’à sa version définitive (?) restaurée de 2010. Chaque fois dans sa version originale de plus de deux heures (le générique de fin a maintenant disparu, mais a subsisté l’annonce de l’entracte au milieu du film). A noter que dans les années 60, un personnage « discriminant » pour ne pas dire aux relents racistes a disparu. Il s’agit d’une « centaurette » noire qui lustrait les sabots de ses copines (blanches) et déroulait le tapis rouge lors de l’arrivée de Bacchus pour le segment consacré à la « Symphonie pastorale » de Ludwig von Beethoven. Elle faisait quand même un peu beaucoup « mauvais genre » au moment des luttes de la communauté noire pour les droits civiques …


Il faut reconnaître que le projet « Fantasia » n’a rien de facile malgré un sentiment de premier degré lié à l’animation. La musique classique (la Grande Musique comme disent les trois pelés qui en écoutent) n’a jamais été un genre populaire, et les parties animées nécessitaient une certaine culture de base (sur l’art abstrait, la mythologie gréco-romaine, la danse classique, les théories de l’évolution des espèces, …) peu répandue dans les classes populaires qui remplissaient les salles obscures des années 40. Et de toutes façons, les classes populaires des années 40, avec les bruits de bottes et de canons qui arrivaient d’Europe avaient largement de quoi s’occuper l’esprit ailleurs.

« Fantasia » reste un projet unique. Les spécialistes qu’on peut entendre dans les différents bonus des dernières éditions Dvd ou Blu-ray estiment que « Fantasia » est resté d’un niveau inaccessible en termes d’animation jusqu’à l’arrivée de la conception assistée par ordinateur dans les années 90. Les savants fous de chez Disney ont fabriqué de toutes pièces (souvent avec trois bouts de bois ou de ficelle) les supports visuels (à base d’engrenages, de surfaces concaves ou convexes, de cylindres) et le matériel pour filmer tout ça (les caméras multiplanes avec plusieurs filtres superposés). Le résultat est souvent magique (les flocons de neige, les coulées de lave, la rosée sur la toile d’araignée, les spectres qui sortent du cimetière, …). « Fantasia » est généralement attribué à Walt Disney. Il a certes conçu et supervisé le projet mais n’a pas touché un crayon ou une caméra (tout juste est-il la voix de Mickey dans la V.O.). Une dizaine de réalisateurs (la plupart restés anonymes) ont tourné « Fantasia ».

Rien n’a été laissé au hasard. Des acteurs de Hollywood sont venus jouer des scènes devant les dessinateurs, un corps de ballet est venu danser sur la « Danse des heures » afin que puissent être reproduits leurs entrechats à l’écran par des autruches, des hippopotames, des éléphants et des alligators, sur ce qui qui est la séquence la plus drôle du film. Parmi les huit séquences musicales (dont les deux dernières « Une nuit sur le Mont Chauve » de Moussorgski et l’« Ave Maria » de Schubert ont été mixées ensemble), certaines ont servi de support à des animations qui ont même dépassé les imaginations de leurs créateurs. La doublette « Mont Chauve – Ave Maria » a inventé l’univers gothique en général et celui de Tim Burton en particulier. Le plus étonnant sera le sort réservé à l’animation abstraite qui ouvre le film sur la « Toccata … » de Bach. Il paraît que tous les freaks du flower power gobaient quelques acides avant d’aller voir « Fantasia » au ciné et se projetaient dans son univers psychédélique digne des soirées du Club UFO à Londres quand les jeunes Pink Floyd s’y produisaient …


Des personnages, anonymes au départ, se sont même vus « baptisés », comme le vieux magicien de « L’apprenti sorcier » qui deviendra Yen Sid (anagramme transparente, à cause d’une facétie des dessinateurs qui ont intégré à son personnage le jeu de sourcils de Walt Disney), le chef-danseur étoile des alligators (Ben Ali Gator), le démon du Mont Chauve Chernobog, sans compter les prénoms donnés aux couples de centaures, …

Des décennies plus tard, certaines choses ont mal traversé le temps. Le plus pénible, c’est le présentateur des séquences, un certain Deems Taylor (compositeur raté, et animateur d’une émission télé sur la musique classique), guindé, hautain, et qui explique genre professeur qui s’adresse à un public d’abrutis ce qui va suivre à l’écran.

Pour finir, une anecdote (assez connue) concernant Stravinski, seul musicien vivant à l’époque du film et dont le « Sacre du printemps » est utilisé. Invité par Walt Disney à venir voir son équipe travailler en studio, il n’a pas sur le moment tari d’éloges sur le travail accompli. Las, le temps passant, il a fini par ne pas avoir de mots assez durs pour qualifier l’insulte faite à son œuvre. L’éternelle querelle arts (prétendus) majeurs – arts (supposés) mineurs …

L’insuccès initial de « Fantasia » aurait pu être fatal pour les Disney Brothers et leur studio. Heureusement pour eux (et pour nous) les deux films suivants seront « Dumbo » et « Bambi », et les dollars vont affluer par millions.

Reste que « Fantasia » est le plus beau, le plus novateur, le plus fou de la centaine (série en cours) de productions sorties des studios Disney.

P.S. Il y a eu une « suite » décevante soixante ans plus tard (« Fantasia 2000 » of course), piètre copie sans imagination (et bien plus courte), à tel point qu’elle incluait en intégralité la fameuse séquence de « L’Apprenti sorcier » du « Fantasia » original …




WILLIAM DIETERLE - LA VIE D'EMILE ZOLA (1937)

 

La débâcle ?

Oui, c’est facile, citer en gros le titre du bouquin le plus polémique et politique de Mimile Zola pour ouvrir cette notule. Et en plus c’est pas vrai, « La vie d’Emile Zola » n’est pas une purge. Encensé et oscarisé à sa sortie, c’est peu de dire qu’il est quelque peu oublié aujourd’hui. Et pas seulement le film lui-même, mais aussi la plupart de ceux qui y ont contribué.

William Dieterle

« La vie d’Emile Zola » est un film historique hollywoodien. Avec tout ce que cela suppose comme prérequis. Les Etats-Unis dans les années 30 ont une Histoire d’un peu plus d’un siècle et demi. Ce qui est peu par rapport à tous les autres pays où l’industrie cinématographique est présente. Et quand les cinéastes américains s’intéressent à l’Histoire ou du moins des éléments historiques qui ne leur appartiennent pas, ils le font avec leur point de vue, non sans tenir compte de l’aspect financier et du tout-puissant code Hays.

Bon, il y a bien un carton au tout début du film qui précise que tout ce qui est montré dans « La vie d’Emile Zola » n’est peut-être pas rigoureusement exact, et que certains personnages, certaines situations ont pu être « arrangées » pour coller à la dramaturgie de l’œuvre. Mais faute avouée n’est pas forcément à pardonner. D’autant que « La vie … » n’est pas un biopic « traditionnel », une heure et demie sur les deux heures du film étant consacrés à l’affaire Dreyfus. Sujet sensible et encore dans les années 30 hautement inflammable, surtout en France mais pas que …

Cézanne, Zola & "Nana"

Mais pourquoi pas. Dieterle a bien le droit de montrer ce qu’il veut. Dieterle … citoyen allemand de son propre aveu exilé « économique » aux States (no comment de sa part sur Tonton Adolf et le nazisme). Dieterle est là pour faire du cinéma, rien que du cinéma. Mais pourquoi ne jamais évoquer dans « La vie … » que Dreyfus était Juif, et que ce qui lui est arrivé avait (certes entre autres choses) à voir avec l’antisémitisme de certains de ses accusateurs. Du coup l’affaire Dreyfus traitée par Dieterle est une simagrée historique (plus grosse bavure : faire coïncider au jour près la réintégration de Dreyfus dans l’armée avec la mort de Zola, il y a quatre ans d’écart entre les deux événements). On pourra toujours objecter que si on veut du fait historique indiscutable (quoi que), au lieu de regarder des films en noir et blanc de 1937, on n’a qu’à mater les chaînes Histoire du câble. Mais voilà, je regarde ce que je veux et je dis ce que j’en pense.

Zola est joué par Paul Muni. Acteur star de la première décennie du parlant, révélé par des rôles de truands (le « Scarface » de Hawks, « Je suis un évadé » de Mervyn LeRoy, deux films où il est excellent), et oscarisé pour un biopic (déjà) sur Louis Pasteur réalisé par (déjà) Dieterle. Muni en Zola en fait des caisses, entend montrer à chaque plan quel grand acteur il est. Perso, je suis pas fan de ces interprétations cabotines où le jeu de l’acteur prend le pas sur tout le reste, tire en permanence la couverture à soi (sa lecture emphatique de son « J’accuse » au siège du journal l’Aurore, sa plaidoirie lors de son procès, …). Cherchait-il une nouvelle statuette ? De ce côté-là c’est raté, c’est le très oublié Joseph Schildkraut qui l’aura pour son second rôle de Dreyfus. Un des trois Oscars de « La vie … », meilleur film (?) et meilleur scénario (??).

La dégradation de Dreyfus

Tout est caricatural dans ce film. On commence par montrer un Zola limite SDF partageant un taudis sous les toits avec Cézanne pour à la fin nous le montrer grand bourgeois (il n’était certes pas très riche aux débuts, mais n’a pas fini non plus milliardaire). Autre exemple : sa « découverte » de la prostitution lorsque par hasard il soustrait à une rafle une fille, Nana, va lui donner le titre et le scénario de son premier best-seller. Totalement faux, Zola préparait ses bouquins en multipliant les fiches sur les lieux et les gens qu’il comptait mettre en scène par écrit, et le personnage de Nana est une compilation de plusieurs femmes « mondaines », dont aucune ne se prénommait Nana… et on pourrait égrener jusqu’à plus soif les demi-vérités ou pire les contre-vérités qui se succèdent dans « La vie … »

En fait, celui qui pour moi sauve le film de la débâcle, c’est Dieterle. Qu’il ne viendrait à l’idée de personne de citer comme un réalisateur majeur. La plupart du temps, il se contente du service minimum mais lors des scènes « de foule », dans la (fausse, très peu d’extérieurs) rue, dans les cours de caserne, dans les séances au tribunal, lors de la scène finale de l’hommage mortuaire à Zola rendu par son disciple-élève-ami Anatole France, ses plans larges avec beaucoup de figurants sont réussis. Rajoutez la partition lyrique de Max Steiner pour les séquences émotion, et nul doute qu’à l’époque, les spectateurs devaient faire comme les acteurs du film, essuyer la larmichette au coin de l’œil.

Le procès de Zola

Evidemment, ce film qui critique l’armée française, est resté interdit par ici une quinzaine d’années (même sort que « Les sentiers de la gloire », « La bataille d’Alger », etc …). Dans le pays des libertés, faut pas prendre celle de critiquer nos institutions et nos faits d’armes peu glorieux, axiome qui n’a pas oublié de traverser les décennies.

Zola et l’affaire Dreyfus sont des personnages ou des faits plutôt franco-français. J’imagine la perplexité du public américain (et d’ailleurs) des années 30, devant les noms de Cézanne, Anatole France, Charpentier, Labori, Clémenceau, Dreyfus, Picquart, Esterhazy, les hauts gradés militaires, tous partie prenante du scénario …

Pas sûr que ce film ait fait grimper les ventes des bouquins de Zola …

Dernière remarque. Le « Napoléon » d’Abel Gance, et « La vie d’Emile Zola », biopics sur deux figures majeures françaises sont disponibles (en cherchant bien) en vieilles versions Dvd (ils existent pas en Blu-ray il me semble) mais pas en version française … allez Rachida, démissionnaire chargée d'expédier les affaires courantes, au boulot, ça te changera …





MARK SANDRICH - LE DANSEUR DU DESSUS (1935)

 

Danse avec les stars ...

« Le chanteur de jazz » en 1927 est un film qui n’a guère d’intérêt artistique. Dans l’histoire du cinéma, c’est un film majeur. C’est la première fois que les spectateurs (américains d’abord) voient et surtout entendent des gens parler dans un film. Et accessoirement chanter. Dès lors, un monde va s’effondrer, celui du cinéma muet. Et le cinéma va exploiter toutes les possibilités offertes par le parlant. Une des premières « modes » qui déplacera les foules dans les salles sera le film musical, qui permet de diffuser dans tout le pays ce qui juste-là n’était visible que dans les salles de music-hall en général et à Broadway en particulier. Tout un pan culturel va s’inventer au début des années 30, de nouveaux métiers apparaissent.

Sandrich, Rogers, Astaire & Berlin

Le métier de scénariste se réinvente, tout comme celui de metteur en scène. Les chorégraphes, les compositeurs de musique, les chanteurs et les danseurs deviennent très demandés, de jeunes anonymes du 7ème art prennent d’assaut les majors avec leurs projets. Comme toujours, beaucoup de prétendants, peu d’élus.

Un gars va rapidement se faire un nom. Mark Sandrich il s’appelle. Employé subalterne des plateaux, il observe comment on y travaille et en 1933 remporte l’Oscar du meilleur court-métrage. Il peut dès lors se présenter aux studios avec des projets plus ambitieux. Son truc, ce sera la comédie musicale. D’autres y ont pensé avant lui, et parfois avec des gros succès (Lloyd Bacon et Mervin LeRoy, tous deux chez Warner avec « 42ème Rue », « Prologues » « Gold diggers 1933 », …).

Sandrich va faire le siège de RKO. Avec sa trouvaille, un chorégraphe metteur en scène de spectacles musicaux à Broadway, un certain Fred Astaire. L’accueil des pontes de la RKO est devenu légendaire, en gros ce type ne sait pas chanter, ne sait pas jouer la comédie, il est à moitié chauve, il danse à peu près correctement. Ce qui forcera la décision, c’est que Sandrich et Astaire ont avec eux Ginger Rogers, qui commence à être connue dans le métier.


Le premier film de Sandrich avec le duo Fred Astaire – Ginger Rogers, une reprise à l’écran d’un spectacle de Broadway dont Astaire était le personnage principal « La joyeuse divorcée » en V.F. sera un énorme succès. La formule gagnante sera reproduite à l’identique pour « Le danseur du dessus » (même réalisateur, même équipe technique, les mêmes cinq acteurs principaux reconduits). Seule la partition musicale changera de signature, on passe de Cole Porter à Irving Berlin, avec Max Steiner comme chef d’orchestre ; on reste dans le très haut niveau ce côté-là …

« Le danseur du dessus », en V.O. il s’appelle « Top Hat » (haut-de-forme en français, ce qui n’est pas exactement la même chose), même si les deux titres font sens (les personnages principaux sont coiffés de hauts-de-forme, un des morceaux chantés s’appelle « Top Hat », mais d’un autre côté, Fred Astaire et Ginger Rogers se rencontrent quand le premier fait un numéro de claquettes dans une chambre d’hôtel, empêchant la seconde de dormir dans sa chambre à l’étage au-dessous).

« Top Hat » est une comédie musicale. Dans le sens strict des deux termes accolés. Un scénario de théâtre de boulevard avec gags et quiproquos qui s’enchaînent sans temps mort, entrecoupés de chansons et de parties de danse du couple Astaire-Rogers. Force est de reconnaître que le résultat est bien foutu, avec son casting composé de « gueules » et leur jeu tout en grimaces et roulements d’yeux hérités de l’expressionnisme du muet, Astaire et Rogers s’en sortent plutôt honorablement tant par leur jeu d’acteur (même s’ils ont souvent tendance à en faire des caisses) qu’au chant. En quand ils dansent, là ils crèvent l’écran, en parfaite osmose. Et sans trop tricher, filmés de pied (donc pas de doublures), et avec très peu de raccords (on est en 1935, quand il y a des raccords, ils se voient). On voit la troupe déambuler dans un décor d’hôtels londoniens luxueux au début, et dans un gigantesque décor de Venise en carton dans la seconde partie. Une seule scène est filmée en extérieurs, dans un kiosque à musique sous la pluie (fausse, la pluie), pour la séquence certainement la plus connue du film. A noter que si le nom de Sandrich est peu souvent cité de nos jours, il n’en reste pas moins un technicien remarquable, avec des cadrages au cordeau.

« Top Hat » a été un immense succès aux Etats-Unis pour le duo Astaire-Rogers. Et pour Sandrich, qui en tournera encore deux ou trois avec son couple vedette. Le film sera exporté en Europe. D’une façon bizarre, notamment en France. La version américaine dure 92 minutes. « Le chanteur du dessus » sera réduit de vingt minutes, ce qui n’est pas rien. Des personnages secondaires, des scènes entières sont supprimées ou grandement amputées, certaines situations deviennent quasiment incompréhensibles. Seules n’ont pas été touchées les parties chantées ou dansées. C’est plus un film qu’on a vu en France, c’est un spectacle de music-hall.

Top hats ...

Aujourd’hui, la plupart des éditions Dvd françaises proposent les deux versions, l’américaine restaurée en anglais et/ou sous-titrée, et la version française d’époque, donc techniquement tout juste passable …

Fred Astaire et Ginger Rogers seront les premières superstars de la comédie musicale, avant que le genre s’essouffle, remplacé par les films d’aventures ou les westerns en décors naturels (et souvent en couleurs). Le genre renaîtra plusieurs fois. Dans les années cinquante avec un second âge d’or sous l’impulsion de Sinatra (« Un jour à New York ») et Gene Kelly (« Un américain à Paris » et le chef-d’œuvre absolu « Singin’ in the rain »), le best-seller de Wise « West Side story », en France avec Demy dans les 60’s, aux Etats-Unis dans les seventies (« Phantom of the paradise », « Rocky horror picture show », « Saturday night fever », « Grease », …). Jusqu’à nos jours avec les gros succès des « La La Land » est autres remakes de « West Side story ». La comédie musicale règne depuis des décennies en Inde où Bollywood en produit des dizaines chaque année …

Tout cela sans égaler la magique naïveté des pionniers des années 30, dont « Top Hat » constitue un excellent exemple …

ROBERT BRESSON - PICKPOCKET (1959)

 

Le Dogme ?

Celui-là, Robert Bresson, c’est un cas. Très particulier. Un des très rares à avoir une théorie complète sur l’art qui est le sien. Parce qu’on peut trouver quantité de types devant, à côté, ou derrière une caméra, qui définissent une méthodologie de travail à laquelle ils obéissent (plus ou moins longtemps). Ça peut concerner la façon de tourner, de préparer un film, un rôle, des thématiques de scénarii, de son, d’éclairage, que sais-je …

Robert Bresson

Bresson, il a passé sa vie à ruminer sur le cinéma (oups, le cinématographe), et de ses ruminations est même sorti un bouquin, ses Tables de la Loi à lui. Le bouquin s’appelle « Notes sur le cinématographe », est farci d’aphorismes parfois remarquables mais le plus souvent hermétiques et d’explications et de démonstrations aussi oiseuses que pénibles. Ce fascicule vite lu est une purge aussi illisible que du Kant ou du Saint-Simon, mais une référence incontournable de tout le milieu universitaire du cinéma. En gros, le cinéma, c’est pas ce que vous croyez, c’est juste une activité artistique de seconde zone qui consiste à mettre une caméra devant des acteurs qui par définition font semblant. Bresson, lui, il fait du cinématographe, qui est un vrai art et il utilise pas d’acteurs, mais des modèles. Et il filme la réalité, avec lumières et sons naturels. Quelques années après la parution de son bouquin, Lars Von trier et ses potes nordiques dépressifs tenteront avec le Dogme de redéfinir assez semblablement le cinéma …

Et le cinéma de Bresson, ça donne quoi ? Une palanquée de classiques pour listes des meilleurs films (« Journal d’un curé de campagne », « Un condamné à mort s’est échappé », « Au hasard Balthazar », « Mouchette », « L’argent »), dont ce « Pickpocket » fait aussi partie. Souvent en haut de la liste, ce doit être le plus austère, le plus glacial. Déjà que le mec Bresson est catho à peu près intégriste, quand il a décidé de faire un film tristos, ça donne forcément des envies de meurtre (ou de suicide …).

A l'Hippodrome de Longchamp

« Pickpocket », ça passera jamais en prime time sur TF1. Ni plus tard d’ailleurs. Avant même la première image, il faut se farcir un texte qui défile « ce film n’est pas du genre policier, l’auteur s’efforce d’exprimer, par des images et des sons … », et déjà là tu te dis que ça va être moins marrant que « Camping 23 ». « Pickpocket », c’est une tranche de la vie de Michel, jeune parigot qui vit dans un taudis sous les toits, qui refuse toute forme de travail et décide de gagner sa vie en piquant le portefeuille des autres. Comme il débute dans le métier, il se fait assez vite gauler à l’hippodrome de Longchamp, est relâché faute de preuves (personne a porté plainte), mais se retrouve confronté à un flic qui n’aura de cesse de vouloir le coincer durant tout le film. Michel a un pote « normal », Jacques, qui fait tout pour lui dénicher un travail respectable. Il a aussi une mère grabataire qu’il détrousse sans vergogne de ses économies et qu’il laissera crever toute seule, avec juste la compagnie épisodique de Jeanne, une voisine de palier qui a les yeux de Chimène pour lui, ce dont il semble se foutre royalement. Michel est aussi un théoricien qui expose un jour dans un troquet à son pote et au flic une vision assez nietzschéenne de la vie (il fait partie des hommes supérieurs qui peuvent s’affranchir des lois, parce qu’un grand voleur n’est pas un délinquant, mais un artiste). Michel n’aura de cesse de muscler son jeu, prendra des cours auprès d’un maître pickpocket, fera équipe avec lui, partira deux ans à l’étranger parce que ça sent le roussi pour lui, reviendra avec des velléités de rédemption, trouvera un vrai boulot, donnera son salaire à Jeanne pour qu’elle puisse élever le gosse que Jacques (le mec bien) lui a fait avant de l’abandonner. Pour subsister Michel retournera à Longchamp exercer ses talents de pickpocket, se fera menotter la main dans le sac, pour finir en taule où il s’apercevra un peu tard que si Jeanne vient le visiter, c’est par amour et non par charité … Voilà, moins d’une heure et quart et « fin » s’incruste sur l’écran.

Michel et Marie au bistrot

Le scénario en soi n’est pas inintéressant, pour faire simple on dira que c’est du cinéma social (beaucoup plus qu’un polar), sauf qu’il n’y a là-dedans aucune forme de sensibilité, d’émotion, de sentiment. Les acteurs (pardon, les modèles) sont le plus souvent immobiles, inexpressifs, et débitent leur texte d’une façon monocorde et nonchalante. Et pas parce que ce sont des amateurs. Bresson est un maniaque, limite tortionnaire, qui multiplie les prises pour avoir le résultat qu’il souhaite (l’histoire – ou la légende – prétendent que certains plans ont nécessité une centaine de prises). Le rendu, c’est une succession de plans serrés, de gros plans, de champs – contrechamps (jamais de panoramiques ou de mouvements de caméra) sur des acteurs le plus souvent statiques récitant des textes inexpressifs. Si on veut être méchant on dirait que c’est du « théâtre filmé » (ce contre quoi Becker se bat) mal joué …

Sauf qu’on finit par se laisser embarquer par cette histoire et que les « modèles » limite zombies de Becker évoluent dans un monde réel (suffit de voir les figurants à qui on n’a certainement pas demandé leur avis, regarder curieusement en coin (ou carrément de face) l’objectif, au milieu du brouhaha d’un bistrot, d’une station ou d’une rame de métro, d’un champ de courses) … Et dans cette histoire qui n’en est pas une, Becker rajoute une touche de réalisme et une de ses obsessions de grenouille de bénitier, la rédemption.

Michel et Marie à la prison

Le réalisme, c’est la présence dans le rôle du maître pickpocket, d’un vrai prestidigitateur (un certain Kassagi) qui utilise toute sa dextérité pour faucher larfeuilles, montres, et autres paquets de billets. Une leçon qui sera retenue par Jean Becker (au style épuré et glacial assez proche de Bresson), lorsqu’il confiera dans le fantastique « Le trou » le rôle du chef de la tentative d’évasion à un vrai taulard multirécidiviste et multi évadé.

La rédemption, c’est lors de son retour au pays quand Michel, qui contre toutes ses convictions jusque là affichées, travaille et file tout son salaire à la fille-mère de façon toute désintéressée.

Ça va sans dire, mais ça va pas plus mal en le disant, je suis pas exactement fan du travail de Bresson. Mais force est de constater que sa rigueur limite paranoïaque, finit par donner à ses films une patine toute particulière. En gros, il fait de la cold wave avant la Nouvelle Vague, et ni ses disciples désignés ou revendiqués (Becker, Rohmer, Duras, voire Melville) n’iront jamais aussi loin dans sa démarche jusqu’au-boutiste. Et les nordiques du Dogme ne reprendront que ses contingences techniques, leurs acteurs, bien qu’amateurs, étant beaucoup plus dans le pétage de plombs hystérique que dans l’immobilisme déshumanisé.

Une anecdote pour finir. Tous les acteurs de Bresson sont des amateurs, et quasiment aucun ne retournera ou ne fera carrière dans le cinéma(tographe). Sauf celle qui ici interprète Jeanne, Marika Green. Qui se fera méconnaître en enchaînant des seconds rôles oubliables dans des films oubliés, avant de devenir belle-sœur de Marlène Jobert et tante d’Eva Green, et d’obtenir un « grand » second rôle dans « Emmanuelle » (oui, oui, bande de pervers, on parle bien du même, Marika Green c’est l’archéologue en Jeep qui va initier Sylvia Kristel à l’amour entre femmes …).

Et pour faire mon Wes Craven, un grand non-remerciement à la maison MK2, qui a sorti ce film en Dvd, d’une qualité tout juste passable, et qui malgré sa courte durée (72 minutes), n’a pas trouvé de place sur la rondelle argentée pour glisser le moindre bonus, commentaire, bande-annonce,