1001 nuits marseillaises ...
« Shéhérazade » est un premier film, fait
avec un casting d’amateurs, tourné en extérieurs à Marseille avec trois bouts
de ficelle. Sélectionné à la quinzaine des réalisateurs à Cannes, il y a été
très bien accueilli. Plutôt rare, le film a réussi à mettre d’accord Le Figaro
et Libération qui l’ont encensé. Et les César de l’année suivante ont consacré
son réalisateur et ses deux acteurs principaux (meilleur premier film, meilleur
espoir masculin et féminin).Jean-Bernard Marlin, Kenza Fortas & Dylan Robert
Derrière la caméra, c’est Jean-Bernard Marlin, vivant
depuis son enfance à Marseille, parcours classique pour un réalisateur (études
de cinéma), auteur d’une paire de court-métrages remarqués, dont notamment
« La fugue » mettant en scène une jeune délinquante qui se barre du
tribunal qui doit rendre son jugement sur des faits graves qui lui sont
reprochés. Première immersion dans la jeunesse délinquante marseillaise, et en
quelque sorte matrice et brouillon de « Shéhérazade ». Le projet de
Marlin pour son premier film est de mettre à l’écran une histoire inspirée d’un
faits divers, l’arrestation et la condamnation d’un jeune proxénète de quinze
ans qui faisait tapiner deux filles (dont sa copine) encore plus jeunes.
Par la force des choses (no money found), le film se
fera avec les moyens du bord, et le casting se fera de façon
« sauvage », c’est-à-dire sur le terrain. L’histoire est maintenant
connue, l’acteur principal, Dylan Robert, dix-sept ans est recruté juste après
sa sortie d’une prison pour mineurs où il vient de passer trois mois. Pour la
petite histoire, dans la vraie vie, il y retournera en zonzon, est cité dans
plusieurs affaires plutôt lourdes (assassinat et tentative d’assassinat). No
comment, mais il semble que sa carrière d’acteur soit plutôt compromise.
L’autre premier rôle du film, Kenza Fortas, seize ans, est
« normale », elle aime bien tirer sur les cigarettes qui font rire et
a oublié depuis quelques temps d’aller au collège ou au lycée. Heureux hasard,
c’est sa mère qui avait été sollicitée pour un autre rôle du film, qui s’est
dégonflée et a envoyé sa fille … Depuis « Shéhérazade », Kenza Fortas
enchaîne les tournages …Zac & Shéhérazade
« Shéhérazade », c’est l’histoire de la
rencontre entre Zac(hary) et Shéhérazade. Zac (Dylan Robert) sort d’un CEF
(Centre Educatif Fermé, sorte de pensionnat ultra rigide, dernière alternative
à la prison pour mineurs). Première déception devant la porte, il croyait y
retrouver sa mère, et au lieu de cela, c’est une éducatrice qui le prend en
charge pour l’amener dans un autre centre, en attendant de lui trouver une
place dans un établissement « de réinsertion » loin de Marseille.
Quelques minutes plus tard, Zac fait le mur et retrouve vite ses potes, qui
pour fêter son retour vont l’amener dans un quartier isolé rendre visiter aux
prostituées mineures qui y bossent. Zac choisit Shéhérazade, et comme il a pas
de fric, entend régler sa passe avec une barrette de shit. Prétextant d’aller
chercher un préservatif, la gamine se casse avec le shit, Zac la course, finit
par la retrouver, elle a déjà vendu l’herbe à un type qui bosse dans un magasin
d’articles de sport, Zac s’y pointe avec elle, fout la zone, et les deux se
cassent au plus vite non sans avoir emporté une paire de survêts (évidemment
aux couleurs de l’OM). Zac revient chez sa mère à laquelle il est profondément
attaché, elle s’est mise à la colle avec un beauf qui squatte le canapé en
matant la télé, et même si elle essaie d’y mettre les manières, elle dit à Zac
de dégager.
A la rue, le gamin atterrit dans la piaule sordide que Shéhérazade partage avec une fille plus âgée, en permanence défoncée au crack entre deux passes. On comprend que Zac en pince pour Shéhérazade, mais hey, c’est un dur, il va pas tomber amoureux d’une pute, ou du moins le montrer. Il va s’improviser « protecteur » de la bande de gamines qui tapinent, monter sa petite entreprise de proxénétisme, la petite bande va finir par quitter le quartier perdu pour un bout de trottoir sur les grandes artères de Marseille gagné de haute lutte à des Bulgares, avec l’aide du frère d’un pote à Zac, « grand frère » et accessoirement petit caïd (c’est pas un « parrain » mais on devine qu’il dirige pas de mal de petits business pas très légaux). Zac commence à avoir du fric, frime avec son scooter de grosse cylindrée, Shéhérazade s’habille chic et sexy, « bosse » bien. Sauf qu’évidemment, tout va assez vite déraper, et comme dans ce milieu, on est toujours dans la modèle action-réaction et que Zac est un impulsif bien bourrin, ça va plutôt mal finir pour lui et sa copine. « Shéhérazade » n’est cependant pas un film noir et sordide sur la petite délinquance dans une grande ville, la dernière (belle) scène, malgré les deux protagonistes principaux plutôt cabossés et amochés (au sens propre comme au figuré), montre une jolie note d’espoir.
L’histoire de « Shéhérazade » n’est
pas d’une originalité folle, ce serait plutôt le contraire, c’est filmé en
extérieurs, caméra à l’épaule, à l’arrache sans moyens, il est évident que les
acteurs n’ont pas passé des années à l’Actor’s Studio, et pourtant ce film est
superbe. C’est la gaucherie des personnages, leurs approximations qui les
rendent « vrais ». Ces attitudes forcées de matamore de banlieue, ces
mimiques de poupée Barbie qui tapine, ces non-dits ou ces mots dits
maladroitement, ces ados qui n’arrivent pas être à être adultes et ont gardé
leurs réflexes d’enfants (Shéhérazade suce encore son pouce en dormant, avec
ses premiers billets gagnés, Zac offre à sa mère une paire de darkshades Cardin
à trois cents balles), leurs personnages sont d’attachantes têtes à claques …
Et cette amourette adolescente qu’il faut cacher, voire
nier, est le cœur du film. C’est montré sans voyeurisme, sans utiliser de
grosses ficelles racoleuses (même s’ils dorment dans le même lit, Zac et
Shéhérazade sont-ils passés à l’acte ? on suppose, mais rien ne permet de
l’affirmer), ça a l’odeur du reportage sensationnaliste, le goût du reportage
sensationnaliste, mais ça reste un film, où les sentiments, les émotions de
deux gamins qu’on pourrait penser sans foi ni loi ni « conscience »
affleurent en permanence.
On peut trouver des parallèles de cette histoire
d’amour adolescente avec « L’Esquive » de Kéchiche. Mais aussi avec l’extraordinaire
« In the mood for love » de Wong Kar-waï, où tout repose sur le non-dit …
Grand premier film …
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