Vague de froid sur un couple ...
Nuri Bilge Ceylan, c’est pas compliqué, ses six
derniers films ont été sélectionnés au Festival de Cannes. Ce qui ne veut rien
dire … ou beaucoup de choses. Bon, Ceylan il est Turc, et la Turquie, c’est un
pays de cinéma, comme ses plus ou moins voisins l’Iran ou l’Inde. La Turquie
produit essentiellement pour son marché intérieur (on ricane pas, c’est un peu
le cas de la France aussi …). Le pays s’est fait situer sur les mappemondes du
septième art par son premier réalisateur star, Ylmaz Güney, avec « Yol »
au début des années 80, Palme d’Or à … Cannes, forcément Cannes, et qui a bénéficié
d’une diffusion internationale. Aujourd’hui, concernant les réalisateurs turcs
exportables, le compte reste vite fait : Fatih Akin (expatrié en Allemagne
mais qui retourne parfois tourner au pays) et Nuri Bilge Ceylan (expatrié un
peu partout mais revenu au pays pour tourner).Ceylan & Ceylan
Ceylan, il est venu au cinéma un peu par hasard, il
était beaucoup plus bibliothèques que salles obscures. Même s’il avoue avoir
été fortement impressionné dans sa jeunesse par « L’Avventura » et « La
Notte » d’Antonioni, et « Le silence » de Bergman. Il a vécu de
petits boulots à l’étranger (barman à Londres), et suivi un parcours
universitaire aux States, section photographie. Son rêve, c’était d’être embauché
par National Geographic (le magazine, la chaîne TV dérivée n’existait pas encore).
Sauf que la réalité le rattrape, sous la forme d’un appel à effectuer son
service militaire en Turquie (parenthèse, dans une discussion avec Laure Adler de
2006 en bonus du Dvd, Ceylan estime avoir des devoirs – dont le service
militaire – envers son pays, mais reste très elliptique, pour ne pas dire muet,
sur la situation politique turque de l’époque ; actuellement, il ne porte visiblement
pas Erdogan dans son cœur, fin de la parenthèse). Il revient au pays et là s’inscrit
à la fac de cinéma d’Istanbul.
Tout ça a laissé des traces, notamment ses études en photographie. Les images de films de Ceylan sont somptueuses, ce qui prouve qu’il y a de superbes paysages en Turquie, que Ceylan sait les trouver, et surtout les mettre en valeur par un sens aigu du cadrage. On passe de superbes panoramiques à de très gros plans sur les acteurs. Ceci étant, le cinéma turc n’a pas les moyens d’Hollywood. Ceylan, peu connu à l’époque, n’échappe pas aux contraintes financières. « Les climats » est fait avec les moyens du bord, tout est fait avec le cercle des amis et le cercle familial. Ceylan joue le personnage principal, sa femme Ebru a le premier rôle féminin (mais elle était déjà actrice), ses parents ont même droit à une scène avec lui, dans leur propre rôle …
Ne surtout pas déduire qu’on a un machin genre potes
de lycée à qui on a filé une caméra et qui présentent leur film à la classe à
la fin de l’année. « Les climats », c’est un gros travail sur l’image,
mais pas que. Le son est également exploité d’une manière peu conventionnelle,
pour pallier de longues séquences sans dialogues. Ceylan a horreur du silence,
tous les sons sont généralement suramplifiés (exemple le plus frappant, les
cigarettes quand on tire une bouffée, mais pas seulement, aussi les bruits
extérieurs comme les oiseaux, les insectes, le vent, la mer, les objets qu’on
utilise …). Et puis, alors qu’on croirait que la proximité familiale ou amicale
du casting aiderait à la spontanéité, sans cesse sur le métier les scènes sont remises.
Exemple assez édifiant, après « l’accident » de scooter, une voiture
s’arrête, le conducteur en descend pour porter assistance (il va se faire méchamment
rabrouer). Ça dure dix secondes à l’écran, plusieurs « acteurs » ont
été testés, avec plusieurs dialogues et plusieurs réactions. Mais, roulements
de tambours, j’ai vu un pain : vers la fin, la scène est située au petit
matin dans une chambre d’hôtel, le jour se lève, mais sur une montre on peut
voir qu’elle indique quatre heures vingt-cinq, c’est le problème des gros plans
quand on a pas de budget pour les retouches numériques derrière …
« Les climats » est un film taiseux. Comme
à peu près tous les films de Ceylan que je connais … sauf qu’ici ça s’y prête
encore plus. Le film raconte l’histoire d’un couple, Isa et Bahar (Ceylan et sa
femme) qui part en vrille. Il est bien plus âgé, intellectuel (universitaire en
archéologie), elle est jeune et dans l’artistique (scénariste). Il est calme,
égoïste, un brin machiste et paternaliste, elle est beaucoup plus spontanée et « vivante ».
On les voit déjà loin l’un de l’autre alors qu’ils visitent, pour son boulot à
lui, les ruines de la cité de Kaz, dix minutes sans un mot, puis une engueulade
pour des futilités lors d’une soirée chez des amis, le lendemain, elle lui
masque les yeux alors qu’ils se baladent en scooter d’où gamelle et chacun se
démerde de son côté et une séparation prononcée lors de trois magnifiques
scènes à la plage (une rêvée, une ou ils se séparent physiquement - elle va se
baigner, il reste sur le sable - et la
dernière où la séparation est prononcée et actée en paroles). Cette première partie
se passe en été.
Une seconde partie se passe en automne. On suit Isa de retour à sa fac à Istanbul, avec son pote enseignant comme lui, ses parents, et puis une ex qu’il retrouve, d’abord dans une librairie avec son mec, puis seule chez elle, pour une longue scène controversée. Ceux qui avaient oublié leurs lunettes ont parlé de viol, sauf qu’elle l’aperçoit en rentrant chez elle, reste pensive et souriante, lui ouvre ensuite la porte sans problème, et fait semblant de résister lorsqu’il devient entreprenant … on dira qu’elle aime bien les rapports physiques musclés … et d’ailleurs, c’est elle qui le recontacte et l’allume ensuite … escapade amoureuse sans lendemain, un ‘tit coup en passant pendant que le mari est en déplacement … ce qui fait que notre Isa se retrouve seul, ce qu’il n’aime pas …
Troisième partie, en hiver. Isa a facilement
retrouvé la trace de Bahar qui bosse sur un film dans les neiges de l’Anatolie.
Prétexte professionnel futile (y’a un tas de cailloux en ruines à côté, c’est
pour son boulot), il va essayer de recoller les morceaux avec son ex …
Valse-hésitation entre les deux, conclue par une dernière scène magnifique …
Bon, « Les climats » a les qualités de ses
défauts, et inversement … ces personnages mutiques ne dégagent aucune
sympathie, ni même empathie. Le rythme est lent comme un cortège funèbre,
contemplatif, méditatif. En clair, ça manque de vie pour être prenant. Mais c’est
bien filmé, bien interprété, un gros travail sur le son et l’image réussis … ce
qui fait pencher la balance du bon côté, c’est que la durée du film reste dans
le domaine syndical, à peine un peu plus d’une heure et demie …
Les derniers films de Ceylan, les célébrés « Winter
sleep » et « Le poirier sauvage » flirtent voire dépassent les
trois heures, sont esthétiquement magnifiques mais aussi plutôt chiants, et il
y a évidemment nettement moins d’action que dans un épisode des Avengers …
Alors peut-être que « Les climats » est
une bonne porte d’entrée pour aborder l’œuvre de Ceylan …
Je connais le bonhomme, mais je n'ai jamais vu ses films.
RépondreSupprimerTiens, je viens de voir que son dernier film "Les herbes sèches" est en compète à Cannes. Son film dure 3h15...
RépondreSupprimerOn dirait un running gag, ces sélections systématiques ...
SupprimerIl va finir par l'avoir, sa Palme d'Or ... étonnant d'ailleurs que son précédent, "Le poirier sauvage" l'ait pas eue. Il cochait plein de cases, cinéaste "exotique", film sur la création artistique, fresque sociétale ... Bon film sauf qu'au bout d'un moment, tu regardes l'heure et tu te dis "ah ouais, y'en a encore pour une heure" ... le gars a quand même un problème de rythme avec ses films, ça se traîne et ça finit par devenir ianch ...