Fury Road ?
« The fat of the land », c’est un cas d’école. Celui d’une surenchère appliquée à un genre musical. Aujourd’hui, les genres musicaux sont marioupolisés. Détruits jusqu’au trognon par la dématérialisation (le peer to peer), et pire encore par le streaming musical (les ignobles Deezer, Spotify et leur semblables), les tarifs exorbitants de la musique live d’après Covid, et j’en passe …
Au premier plan, Howlett, Flint & Maxim |
Dans les années 90, c’était très différent. L’offre
était pléthorique, les genres, sous-genres et chapelles diverses se
multipliaient, chacun voulant sa part du (gros) gâteau. Et contre toute
attente, au sortir d’années 80 dominées par les synthés (techno-pop puis
electro pour schématiser), les années nonante voyaient le retour de ces machins
en bois avec six cordes, comment on appelait ça, déjà … ça me revient, … les
guitares. Les groupes à guitare cartonnaient (ventes de disques à a tonne,
têtes d’affiche et cachets qui vont avec dans les festivals) dans le sillage de
Nirvana d’abord (le grunge) et au mitan de la décennie dans celui d’Oasis (la
britpop). Les joueurs de disquette en avaient pris un gros coup derrière le
casque. Mais ils lâchaient pas l’affaire pour autant (les labels pullulaient,
les raves étaient la version péquenot-punk à chiens des gros festivals
bourgeois) … Mais les free parties, comme leur nom l’indique, ça rapporte à
quelque dealer chelou, mais pas à ceux qui font de la musique … et les ventes
de disques, chez ces gens-là, c’était misère … Même si quelques-uns venus de la
mouvance electro, avaient su « commercialiser » leur truc (Massive
Attack, Portishead, …). Dès lors, la porte de sortie de la précarité
underground était grande ouverte : la musique électronique s’approprierait
les codes du rock pour être « visible » … et tant qu’à faire, aller
voir du côté du rock à guitares qui avait le vent en poupe. Et tant pis s’il
n’y avait pas de guitares ou de batterie, on récupérerait les codes, on ferait
de gros riffs avec des synthés et des breaks de batterie avec des boîtes à rythmes
… Au grand dam des autoproclamés puristes de la chose electro, des gens comme
Fatboy Slim, Chemical Brothers ou Prodigy allaient se ruer dans la brèche, et
écouler du Cd par millions.
Prodigy donc. Qui présentait jusque-là parfois une version electro « musclée » (le très hendrixien « Voodoo people » sur « Music for the jilted generation »), commençait à vendre du disque, était invité dans les festivals « rock ». Le trio de base Liam Howlett (cerveau, synthés et compos), Keith Flint (chant, arpenteur de scène), Maxim (bouche-trou) s’adjoint un guitariste (siège éjectable, plusieurs seront utilisés), et veut mettre en avant ses influences punk, indus, hard, … en gros toute la partie « violente » du rock. Et pour se faire une nouvelle place au soleil, durcit outrageusement son propos. Tous les potards sur onze, des tenues très Mad Max – Fury Road, et la recherche du buzz, sinon de la polémique (Victor) …
A cet égard, le titre inaugural de cette période
sorti en single éclaireur sera « Smack my bitch up » (tabasse ta
salope de meuf en gros), accompagné d’un clip Rated R comme disent les
anglo-saxons. Scandales, mini bataille d’Hernani, le tour est joué, Prodigy devient
incontournable. Bizarrement, ce titre controversé qui ouvre « The fat of
the land » est contrebalancé par le dernier du disque, une reprise avec
synthés à la place des guitares du « Fuel my fire » des L7. En gros
le manifeste beauf cogneur opposé au groupe féministe leader du mouvement
« riot grrl ». La boucle est bouclée, tout le monde (?) est content (?).
La provo de mauvais goût ne s’arrête pas à « Smack … ». Eparpillée
tout au long du livret, on trouve une citation (non créditée) de Hermann Goering
(cette fascination glauque de quelques musiciens Anglais pour la symbolique
nazie, de Sid Vicious à Lemmy, en passant par Siouxsie et Bowie, beaucoup plus
coupables de mauvais goût provocateur que d’approbation idéologique).
« The fat … » enverra deux autres singles en haut des charts. « Breathe », rythmique très rock, cousin du metal rap de Rage Against The Machine, avec break central anxiogène, ouais bof ... ; et l’excellent « Firestarter », le plus « classique » du lot et accessoirement meilleur titre de la rondelle … Et le reste ? Ben, du bruit et de la fureur sur disque. Et de la surenchère sonore, sur des choses qui rappellent furieusement … les riffs du « Andy » de Rita Mitsouko sur « Diesel power », la rythmique du « The Rover » de Led Zep sur « Serial thrilla », la folie fusionnelle de Magma sur « Narayan » (près de dix minutes, pas toujours passionnantes), Massive Attack sur l’intro de « Climbatize » (instrumental plutôt intéressant, contrairement à « Funky shit » au titre trop long, bon, ça c’est fait …). Sans compter tous le samples recensés dans le livret …
Sur scène aussi, les Prodigy envoyaient
(déraisonnablement ?) le bois, les types partaient de temps en temps se
foutre un masque à oxygène sur le museau pour éviter la syncope … comme à peu
près au même moment les Leatherface de carnaval de Slipknot …
« The fat of the land » est tellement too much que
ça n’a finalement pas tant vieilli que ce que l’on pourrait croire, et ça tient
par exemple plus la route que le troisième Oasis (« Be here now »)
paru simultanément et lui aussi porté sur la démesure à tous les étages …
« The fat of the land » sera en tout cas l’apogée
commerciale de Prodigy. Depuis, le groupe a essayé un temps de faire aussi bien
(ou aussi fort) sans vraiment y parvenir, avant de disparaître peu à peu des
radars, et la mort il y a quelques années de Keith Flint devrait mettre un
point final à leur carrière …
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