PAUL HAGGIS - COLLISION (2004)

Tôles et vies froissées ...

En 2004, Paul Haggis est plutôt connu des initiés comme scénariste (du « Million dollar baby » d’Eastwood notamment). C’est un cauchemar récurrent qui va le lancer dans l’écriture, la production et la réalisation de « Collision ». Une dizaine d’années plus tôt, il fut avec sa femme victime d’un car jacking. Episode traumatisant et questions sans réponses : qui étaient ces jeunes braqueurs, depuis combien de temps se connaissaient-ils, que sont-ils devenus … autant d’interrogations qui lui valent des nuits blanches.
Bullock, Haggis & Fraser
Et au cours d’une de ses insomnies, il prend ce point de départ de braquage de bagnole pour écrire un scénario. Basé en gros sur l’effet papillon ou la théorie des dominos, qui fait que le hasard fait se rencontrer ou s’opposer des gens qui ne se connaissent pas mais dont la rencontre va modifier l’existence des protagonistes. En gros, un film conçu comme un mix de « Les américains » de Altman et des premiers Iñarritu.
Haggis n’a rien d’un type bankable, il y sera de sa poche pour produire, assisté d’un tas d’autres financeurs, dont le premier intéressé est l’acteur (de seconde zone) Don Cheadle qui se verra attribué un des rôles principaux. Résultat de cette sorte de crowdfunding : six millions et demi de dollars, et donc un film à petit budget où il faudra déployer des merveilles d’ingéniosité pour faire des économies et rogner sur toutes les dépenses (des scènes seront tournées dans la propre maison de Haggis).
Don Cheadle
Malgré tout, Haggis attire deux stars sur son projet : Sandra Bullock et Matt Dillon qui se contenteront de cachets dérisoires emballés qu’ils sont par le scénario (version officielle …, mais rien ne dit que leurs avocats n’ont pas négocié un gros pourcentage sur recettes et bénéfices, allez savoir …).
Le film est prenant. En même pas deux heures, on voit se croiser les destins d’une multitude de protagonistes. D’abord présentés de façon caricaturale, de stéréotypes. Et puis, les situations auxquelles ils vont se trouver confrontés va casser tous leurs codes et on va les voir évoluer tout au long du film. Qui commence une nuit et s’achève à la fin de la nuit suivante, dans la froidure d’un Los Angeles hivernal. D’après Haggis, le choix de Los Angeles est crucial, c’est une ville où il n’y a aucun contact direct entre les personnes, tous les contacts se font par le métal (les flingues devant le museau, les bagnoles qui se rentrent dedans).
Le manteau magique invisible sera t-il suffisant ?
On suit donc trente-six heures de la vie des protagonistes qui symbolisent toute la population de L.A. Le couple d’enquêteurs de police (le Black Cheadle et sa collègue Hispano, ils sont vaguement amants, lui s’occupe de sa mère impotente et il a un jeune frère en train de mal tourner), le duo de jeunes braqueurs Blacks (dont le rappeur Ludacris), le district attorney et sa femme (Sandra Bullock), la patrouille de flics (les excellents Matt Dillon et Ryan Philippe), le producteur de sitcoms Noir et sa femme, le serrurier mexicain, sa femme et sa fille, le couple de Sud-Coréens, l’épicier iranien et sa famille, …
Il faut d’abord souligner le gros travail d’écriture. Malgré la multiplicité des personnages, et donc des mini-intrigues (et certains se retrouvent dans plusieurs), le film est très fluide, facile à suivre (à la différence de ceux d’Iñarritu, où il faut s’accrocher, même si ça vaut plus que le coup). Certains personnages sont fouillés (ceux de Sandra Bullock, de Matt Dillon, de Don Cheadle, de Michael Peña qui joue le serrurier mexicain). Et puis ce sont des tranches de vie qui sont montrées, et la vie à L.A. elle est pas forcément comme sur les cartes postales. Le racisme est au cœur du film, même si c’est pas un film sur le racisme. Tous les protagonistes à un moment ou à un autre sont quasiment dépendants de leur couleur de peau, de leurs origines.
L'un des deux est la fille de Marvin Gaye. Sauras-tu la trouver ?
Il y a des scènes fortes, avec comme sommet un contrôle au faciès de Matt Dillon sur un couple noir aisé, avec fouille au corps humiliante de la femme. Mais d’autres ne laissent pas indifférent, soient qu’elles jouent sur la tension ou l’émotion (la scène du serrurier mexicain avec sa fille quand il lui offre un manteau magique invisible, et plus tard quand la gamine s’interpose entre son père et l’épicier iranien qui le menace flingue à la main).
« Collision » est un film que dans un autre siècle quand le cinéma n’existait pas on aurait qualifié de déterministe. A savoir la façon dont les événements agissent sur le comportement des gens. Et c’est là que le bât blesse un peu. On voit (en trente-six heures !) les démons devenir des anges et vice versa. L’enchaînement des évènements est crédible, ce sont les évolutions des personnages qui ne le sont pas. Certes, nobody’s perfect comme disait l’autre, témoin la révélation finale de l’activité du Coréen que l’on prenait jusque-là pour un type malchanceux (au mauvais endroit au mauvais moment) et qui semblait oublié par les scénaristes.
Mais désolé, des pans entiers du final du film laissent dubitatif. La super bourge raciste Bullock qui tombe dans les bras de sa boniche souffre-douleur mexicaine, ouais bof … ou la transformation en quelques heures du producteur de cinéma qui passe de victime consentante en redresseur de torts casse-cou … ou pire, la dérive tragique du coéquipier de Dillon qui finit par aller beaucoup plus loin que le collègue détesté … Certes, ça fait partie du projet et de la vision du scénario et du réalisateur, mais la plupart de ces rédemptions (l’autre sujet du film) sonnent faux …
Mais le constat (amiable ?) de « Collision » reste largement favorable. C’est prenant, rythmé, et réalisé humblement (Haggis se prend pas pour Scorsese, il sait qu’il n’en a ni la technique ni les moyens financiers) sans paraître misérabiliste. Pas loin d’être incontournable …



2 commentaires:

  1. Pas vu, mais ça me cause... Il a raflé l'oscar pour le scénario et le film, et si je comprends bien ce que ça raconte, ce n'est pas surprenant. Pourquoi Don Cheadle acteur de seconde zone ? Tu veux dire à l'époque ? Parce qu'à part les conneries d'Iron man & Cie qu'il tourne depuis 4 ou 5 ans, j'aime plutôt bien le bonhomme...

    Va falloir que je m'habitue à la banane du Velvet... J'aimais bien le King cramoisi, ça me rappelait des souvenirs d'enfance, mes grandes soeurs avaient le disque, et la pochette m'a toujours terrifié ! Je la regardais avec dégoût et fascination !

    (j'crois qu'il y a une coquille, entre Matt Dillon et Matt Damon).

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    1. Damon, Dillon, tu as raison. je corrige ...
      Sinon ce film si ça passe sur le sat, jette un œil, ça vaut le coup ...

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