La coutume, et le raccourci facile utilisé jusqu’à plus
soif, consiste à dire qu’entre le punk (1977) et le grunge (1991), la musique
qui rocke et parfois rolle a traversé un désert sans rien de nouveau à se
mettre sous la dent. Plus ou moins vrai si on se place du point de vue
anglo-saxon. Sauf qu’il y a sur la mappemonde un petit pays, meilleur pour
faire du pinard que du rock, comme l’aurait soi-disant dit perfidement Lennon,
où il s’est passé un truc.
France, milieu des années 80. Pays qui commence à
s’engluer dans une longue litanie de plans de rigueur (entendez par là qu’on
commence à dire à ceux qui n’ont quasiment rien de se préparer à n’avoir plus
rien du tout), d’autant plus mal perçus qu’ils sont mis en place par une gauche
au pouvoir depuis 1981 qui avait suscité d’immenses espoirs de renouveau et de renouvellement
social. Parallèlement, autant par jeu politique du machiavélique Mitterrand que
par un certain désarroi social, l’extrême-droite profite électoralement de la
situation. Et comme dans les années hippies post soixante-huitardes, une frange
de la population choisit de se situer en-dehors du système. Contrairement aux
babas qui avaient quitté les villes pour aller fabriquer du roquefort dans le
Larzac, les exclus et laissés-pour-compte des années 80 restent dans le milieu
urbain. Bien avant les cités des dealers de crack, ce sont les squats qui
seront le dortoir de cette génération.
Il y a dans les villes toute une partie de la jeunesse
mise à l’écart, ou ce qui revient au
même, ne veut pas rentrer dans le rang, qui a ses codes, ses modes de
fonctionnement. En gros, les punks à chien. Sauf que musicalement, cette
jeunesse-là n’en a rien cirer des punks. Rappelons que malgré le salutaire coup
de pied au cul que les punks avaient donné à une industrie musicale
chloroformée par des dinosaures de quasiment trente-cinq ans (Clapton, le
Floyd, les Stones, Who, Zeppelin, et toute la sinistre cohorte des progueux et
jazz-rockeux), tous les orchestres punk dont le nom est rentré dans les livres
d’histoire ont vu leurs rondelles publiées par les majors. Record, les têtes de
gondole Sex Pistols qui furent signés par trois majors (EMI, A&M, Virgin)
tout en n’ayant réussi à sortir qu’un seul disque …
Tout ça pour contextualiser l’affaire Bérurier Noir. Qui
peuvent pas être qualifiés de punk parce que la place a été prise par d’autres
avant eux, et surtout parce qu’ils sont … autre chose. Et rarement le terme
d’alternatifs qui leur sera attribué aura été aussi bien choisi. Parce que les
Bérus ont tout refusé dès le départ, n’en faisant qu’à leur forte tête. Ligne
de conduite : ne rien faire comme les autres, ne compter que sur soi et ne
dépendre de personne. Un projet autant utopique qu’idéaliste, voire irréaliste.
Les Bérus y sont parvenus un temps, à tenir en équilibre perpétuel sur tous les
fils de rasoirs qui se dressaient sous leurs pas …
Les Bérus ont réussi à faire de la musique et des disques en dehors de toutes les
conventions (fuck la technique, le son, le « bon goût », le look,
l’attitude, et surtout majeur gigantesque à « l’industrie » du
disque). Les Bérus, on les résume à une paire de disques et à une apothéose en
forme de rock’n’roll suicide lorsqu’en 1988 ils remplissent le Zénith de Paris
à moins de neuf (oui, j’ai bien écrit neuf) euros l’entrée.
Les Bérus, ça reste la formation la plus à géométrie
variable qui soit. L’affaire a commencé par un duo (qui n’ a rien enregistré et
dont tout le monde a oublié les noms), pour devenir connue sous la forme d’un
autre duo et d’une archaïque boîte à rythmes, pour finir par une raya (le
collectif, c’est pour ceux qui font de la musique chiante, et le crew pour les
rappeurs) d’une quinzaine de personnes dont quelques-unes juste à but
décoratif ( ? ).
Le formation « officielle » à l’époque de ce
« Concerto pour détraqués » c’est Loran et François aux guitares et
au « chant », Pascal au sax. Plus Dédé la boîte à rythmes. Plus les
potes qui passent au studio pour faire du bruit avec ce qui leur tombe sous la
main ou beugler dans un micro.
Construction typique d’un titre des Bérus : des
riffs de guitare tronçonnés, lointains descendant de ceux de Chuck Berry (ou de
Keith Richards ce qui revient à peu près au même), des textes-slogans plus
déclamés que chantés, des chœurs de hooligans pour les appuyer, et un sax corne
de brume pour achever d’épaissir la sauce. Les thématiques développées dans les
lyrics tournent autour de la marginalisation (on joue et chante pour les types
comme nous), le rejet des systèmes et des élites politiques et sociales, la
haine de la carcéralisation notamment psychiatrique. De l’engagé et du
rentre-dedans à coup de slogans mitraillés sur des rythmes tachycardiques. Et puis,
quelques titres « festifs », enlevés, à l’humour noir ravageur (marxistes
tendance Groucho). Et c’est cette partie de leur répertoire (minoritaire) qui mènera
les Bérus vers une notoriété qui dépasse largement le cadre du public a priori
concerné, la « gloire » médiatique, et son corollaire inévitable pour
la bande, l’inévitable implosion.
« Concerto pour détraqués » le premier 33T des
Bérus, c’est aussi un quasi best-of (surtout si l’on prend en compte les bonus de
la réédition Cd de 2016 incluant les deux maxis qui encadrent chronologiquement
« Concerto … », à savoir « Nada 84 » et « Joyeux
merdier »). Sommets de « Concerto … » rondelle sur laquelle il n’y
a rien à jeter, « Conte cruel de la jeunesse » et sa sordide histoire
de beauf à carabine, « Hélène et le sang » sur le viol avec la
relecture du « Wop bop a loo bop a lop bom bom » de Little Richard,
la marche funèbre « Les éléphants », le cantique asocial « Il
tua son petit frère ». Et mention particulière aux deux titres les plus
connus « Porcherie » avec son intro samplée d’un discours de Le Pen
(le borgne papa de la blondasse), dont la variante du final en live sera de
faire scander au public « La jeunesse emmerde le Front National ». Et
puis le rigolo « Commando Pernod » qui aura pour effet involontaire
et malheureux d’engendrer toute la cohorte de ces groupes alternatifs en
bermudas et rangers donnant dans le ska festif crétin, et polluant plus
sûrement tous les festivals d’été que les effluves des baraques à merguez …
Le succès de « Concerto … » sera bien réel. Et totalement
underground, le groupe n’autorisant pas les passages radio de ses titres,
fuyant toute forme de promotion et refusant de figurer dans les statistiques
plus ou moins trafiquées de ventes de disques genre Top 50 …
La situation deviendra « politiquement » intenable
avec le disque suivant (« Présente Abracadaboum ») qui fera de
grosses ventes et dont le pognon généré révèlera et réveillera l’appât du gain de
quelques-uns (surtout dans l’entourage de la bande), une guéguerre des labels
indépendants (avec Boucherie Productions, la maison des « rivaux » Garçons
Bouchers), et une débandade pleine de rancœurs et de rancunes tenaces vers la
fin des années 80.
Depuis, tout un tas d’imposteurs (pour la plupart)
essayent de renouveler ou reproduire la
déflagration sonique et sociale des Bérurier Noir. Sans comprendre que la pertinence
des Bérus était le fruit d’une époque et d’un état d’esprit et n’est pas
duplicable …
C'est loin tout ça... Dans ma chambrette d'étudiant, y'avait un voisin qui écoutait les Bérus, ce qui me permettait de faire pareil ! A l'époque, je commençais à écouter du jazz, alors entre Oscar Peterson et les Bérus... (ça pourraient être les gosses illégitimes de Madness et des Ramones ?!)
RépondreSupprimerMadness et Ramones ? Euh pas du tout pour moi ... s'il y a une filiation à établir, plutôt du côté des Dead Kennedys (ce qui je suppose, ne te parlera pas beaucoup)...
SupprimerSi, le gars en question écoutait ça aussi !
Supprimer