GRANDADDY - LAST PLACE (2017)

Un dernier pour la route ?
Grandaddy s’est séparé au milieu des années 2000. Ah bon, vous saviez pas ? Ben vous devez pas être les seuls.
Comment, vous avez jamais entendu parler de Grandaddy ? Ben, ça c’est un peu con, vous êtes passés à côté d’un grand groupe. Qui a fait de grands disques invendus. Voire invendables. Et c’est ça finalement qui les a conduits à mettre la clé sous la porte, parce que le choix s’est posé pour les types du groupe : soit continuer de faire de la musique, soit trouver un job pour faire bouffer Bobonne et les marmots. Le gâchis habituel quand tu donnes pas dans le mainstream formaté…
Avec un look pareil, c'est pas gagné ...

Bon, les esprits chagrins argueront aussi que quand tu cultives un goût aberrant pour les chemises à carreaux (qui portées amples cachent la bedaine), les casquettes floquées au nom de ton équipe de baseball ou de basket favorite, et les barbes en broussaille, en fait quand tu te trimbales avec un look de blaireau total, t’as peu de chance de ratisser large auprès du public, même du Midwest. Bon, y’en a bien un dans le lot qui s’était un peu mis à l’abri du besoin, le dénommé Jason Lytle. Parce que c’était lui le songwriter unique du groupe. En fait de groupe, quasi ses accompagnateurs. Mais aussi ses potes.
Ce qui explique ce « Last place ». Un disque conçu pour les fans qui arrêtaient pas de pleurnicher sur la disparition du groupe. Et comme Lytle avait quelques trucs en réserve, et qu’il voulait les jouer et enregistrer avec ses potes … « Thanks everyone It was good to be gone » est-il écrit dans un coin du digipack.
Alors pour ce qui doit être promis-juré le dernier tour de piste de Grandaddy, pas question de changer quoi que ce soit. On est en terrain connu, on retrouve tout ce qui a fait Grandaddy. En premier lieu, ces mélodies à la pureté stupéfiante qui chassent sur les terres du meilleur des Beatles et des Beach Boys. Ce goût pour les synthés vintages du début des 80’s. Cette nonchalance vocale et instrumentale (laid pop ?). « Last place » est un bloc homogène. Ecouté distraitement, il peut paraître monotone. Les variations sont infinitésimales, un peu plus de ci, un peu moins de çà …
Tirer des plan sur la comète ...
Curieusement, les deux titres censés ressortir du lot en tant que singles (« What’s we won’t » et « Evermore ») sont ceux qui mettent le plus les sons de synthés antédiluviens en avant. De façon quelque peu exagérée à mon goût mais bon, c’est l’ADN du groupe. Même si ça finit par sonner comme les Cars sous Lexomil, ce qui n’est ni une insulte ni un reproche. Mais ce qui saute surtout aux oreilles, c’est le soin méticuleux, voire maniaque apporté aux gimmicks et arrangements, jamais lourdingues et hors propos (« The boat is in the barn », « This is the part » et leurs fabuleux arrangements de cordes). On se régale de ces madeleines proustiennes que sont « Jed the 4th », titre folk psychédélique avec sa boucle centrale à la « A day in the life ». Ou de « A lost machine », débuté avec une mélodie qui évoque Pierre Bachelet ( ?! ) avant de virer comme un inédit du Floyd période « The wall ».
C’est quand Lytle et ses boys s’éloignent de leur ordinaire qu’on accroche moins, sur le court instrumental synthétique « Oh she shelter :( » ou le rock bizarroïde et répétitif « Check Injin ».

Ce disque pour les fans devrait les ravir. Les autres passeront une fois de plus à côté. Tant pis pour eux … 

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DEEP PURPLE - IN ROCK (1970)

Le rock'n'roll aux trousses ...
Deep Purple à ses débuts (MK I comme disent les gens instruits) est un groupe de balourds crasseux aussi anecdotique que dispensable, assemblage brinquebalant de sessionmen plus ou moins célèbres (Blackmore, Lord) et d’inconnus qui ne méritaient a priori pas mieux (les autres). Pire, sous la conduite du pompeux et immodeste Jon Lord qui se voit l’égal de J.S. Bach, ils vont commettre l’irréparable, le brouet terminal « Concerto for group and orchestra » dont le titre à lui seul évite tout développement superflu. En gros, ils sont encore plus mal barrés que les Stones après « Their Satanic Majesties Request ». Et surtout beaucoup moins connus.
Lord, Paice, Gillan, Blackmore, Glover ; Deep Purple MK II
Les trajectoires des deux groupes vont (hasard ? copie ?) devenir étrangement similaires. Keith Richards prend le pouvoir chez les Stones, le groupe dégage plus ou moins Brian Jones, opère un virage musical à 180°, sort en 45T « Jumpin’ Jack Flash » et dans la foulée l’album « Beggars Banquet ». Chez les Deep Purple, Blackmore devient leader, deux types sont virés (remplacés par Glover et Gillan, la MK II), le très remuant single « Black Night » paraît, en éclaireur du 33T « In Rock », entérinant là aussi un très net revirement. Avec pour les Stones comme pour Deep Purple, deux pochettes qui marqueront les esprits. Les gogues délabrées de « Beggars » et le pastiche du Mont Rushmore pour « In Rock ». Les similitudes s’arrêtent là pour moi.
Déjà, le coup de la pochette de « In Rock » est ambitieux. Clairement destiné à toucher l’imaginaire subliminal des Ricains, chez qui Deep Purple est à peu près inconnu. Deep Purple n’a jamais donné dans la modestie. Comme chacun ( ? ) sait, il y a dans le Mont Rushmore quatre visages taillés dans la pierre. Sur la pochette de « In Rock », l’intrus est Ian Paice. Ce qui est ballot, le batteur à binocles étant l’un des plus terrifiants pousse-au-cul que le monde du binaire ait connu. Je vais vous dire, sans lui, la plupart des titres du groupe seraient aussi consistants que de la guimauve tiède en studio, et ne parlons du live où il a fort à faire pour ramener les autres à la raison et accessoirement au rock.
Les mêmes en couleur ...
En fait, si les trois les plus cités comme leaders et frontmen de cette formation sont Blackmore, Lord et Gillan, Paice et Glover (l’architecte sonore, le dépositaire et garant du son Purple en studio, celui qui s’occupe de toutes les rééditions) en sont le ciment, ceux dont l’assise rythmique empêche le délitement vers les sombres rivages de l’expérimentation forcénée et inaudible, ou pire, vers la tentation du gouffre du prog balbutiant.
« In rock » est donc le disque de la remise en question. Mais aussi du recentrage. Pas un hasard s’il débute par just a few roots, replanted, comme ils disent, le monumental « Speed King ». Hommage transparent et assumé à Little Richard et retour à un rock’n’roll exubérant et violent. Parce que Gillan va chercher très haut dans les aigus gueulés, que Blackmore aligne les parties de guitare sauvages, que la rythmique met une pression infernale, et que Lord n’essaie pas de faire son solo liturgique. Certains ont vu dans ce titre et plus généralement dans ce disque la naissance du hard-rock « moderne ». Soit. Ça se tient, c’est une sorte d’aboutissement entamé par le « You really got me » des Kinks, beaucoup de choses entendues chez Hendrix, Clapton et Beck dans leurs groupes respectifs, chez les Américains « lourds » de Vanilla Fudge, Blue Cheer, Iron Butterfly … Sachant qu’en même temps en Angleterre, un quatuor nommé Led Zeppelin commençait à très fortement marquer les esprits. 
Mais si le Zep vient clairement du blues, Deep Purple vient d’ailleurs. On ne trouve chez eux aucune allusion au genre rustique, et les tentations classiques ou baroques sont (provisoirement) remisées à l’arrière-plan. Deep Purple joue un rock speedé et violent, et « In Rock » est le disque le plus énervé de sa pléthorique discographie. Deep Purple ne fera jamais mieux, et c’est pas faute d’avoir essayé …Témoin de cet état de grâce qu’ils ne retrouveront que très épisodiquement, « Child in Time ». Où comment faire un grand titre de plus de dix minutes avec un texte de huit lignes sans tomber dans la redite, le jam gonflante où le prog. Tout y est bon, du numéro de hurleur de Gillan, des cavalcades sur les fûts de Paice, en passant par les solo tueurs de Blackmore. Même Lord (il n’échappera à personne que pour moi c’est le boulet du groupe, toutes époques et disques confondus, son obstination à mettre son B3 liturgique en avant étant soit hors propos soit d’un mauvais goût terrifiant) utilise intelligemment sont armoire à musique. « Child in Time » montre qu’on peut s’inspirer de Procol Harum (« Whiter shade of pale ») et King Crimson (« 21st Century Schizoid Man ») sans ressembler éhontément à l’un ou l’autre. « Child in Time », passant du bucolique apaisé à l’ultraviolence en retombant toujours sur ses pattes est le sommet du disque.
Les mêmes en public ...
Les autres titres font beaucoup moins dans la dentelle (le très sec et méchant « Flight of the rat » en étant l’exemple type, même si bizarrement ce titre ne fait pas partie des « classiques » de Purple), fournissant à des myriades de groupes de chevelus des plans pour faire headbanger les générations futures. Ainsi, le début de « Hard lovin’ man » est la matrice de toutes les cavalcades débridées de Iron Maiden. Pas par hasard, quand on sait que l’ingé-son de « In Rock » (en fait le vrai producteur du disque) Martin Birch auquel ce titre est dédié, deviendra une dizaine d’années plus tard le metteur en sons de Maiden. De même « Into the fire », outre des emprunts évidents à King Crimson (le riff principal) retrouvera plus tard sa mélodie plus ou moins décalquée dans le « Metropolis » de Motörhead.
Avec « In Rock » Deep Purple signe contre toute attente un manifeste, met en place une de ces loupiotes à la lumière desquelles beaucoup viendront recharger une inspiration défaillante. Bon, s’il fallait trouver un maillon faible à ce disque, ce serait « Living wreck », qui est le titre le plus linéaire, le moins fou …

Tout le reste, croyez-moi, ça déménage. Et laisse à mon sens le reste de leur pléthorique discographique loin derrière …

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MARIA McKEE - YOU GOTTA SIN TO GET SAVED (1993)

Chante avec les stars ...
Maria McKee est une star en Suède. Ou quasiment, paraît-il … Maria Qui ? Non, McKee, d’abord. Et c’est pas en faisant un tour sur Wikimachin qu’on en sait plus. Là ou ailleurs, on vous vend Maria McKee comme la demi-sœur de Bryan McLean ou l’ancienne chanteuse de Lone Justice. Et pourtant Maria McKee n’est pas morte que je sache. Mais pour son malheur, elle s’est toujours conjuguée au passé…

Et ça doit lui faire une belle jambe de voir toujours cité Bryan McLean. A l’attention des fans de Zaz, Bryan McLean fut un temps le George Harrison (c’est lui qui a composé « Alone Again Or », merveille absolue de « Forever changes ») de Love, avant qu’Arthur Lee, qui en était le Lennon-McCartney, juge qu’il n’avait pas besoin de s’encombrer d’autres talents que le sien et l’éjecte du groupe phare de la scène psyché de L.A. Et pour le fan de Renaud assis à côté du radiateur, je précise que Lone Justice eut son quart d’heure de gloire au début des années 80 où, en compagnie de Rank & File et quelques autres enstetsonnés dont le nom me revient pas, il fut le chef de file d’un éphémère courant dénommé soit alternative country soit cow-punk, au gré des humeurs éditoriales de la presse musicale qui leur consacra quelques entrefilets enthousiastes avant de passer à autre chose … Bâillements … En fait, les seuls à connaître Maria McKee sont les fans de Tarantino (enfin de ses B.O.), elle a un titre dans le soundtrack de « Pulp fiction » …
Bon, Maria McKee donc. Qui se retrouve has been à la dissolution de Lone Justice et qui n’a même pas alors 25 ans. Qui sort un premier disque solo sur Geffen (une major ou quasi) avec Mitchell Froom (pas le premier producteur venu). Ce disque éponyme sera quasi un bide. Il faudra attendre quatre ans pour que Geffen redonne à Maria McKee les moyens de faire un disque. Parce que quelqu’un là-dedans à dû se dire qu’une voix pareille, ça méritait une autre chance. Ah, je vous ai pas dit, Maria McKee est une putain de grande chanteuse. Qui ne se contente pas de poser ses octaves là où on lui dit, mais qui est capable d’écrire des chansons et de choisir des reprises qui déchirent leur race …

Et quand on lit les crédits ce « You gotta sin … », on se dit de suite que pareilles mouches au casting ne s’attrapent pas avec le premier vinaigre venu. Aux manettes en studio George Drakoulias, celui qui façonne le son des Black Crowes (remember, le meilleur croisement jamais entendu entre Stones et Zeppelin). Anecdote : pour l’assister, un ingé du son qui fera plus tard beaucoup parler de lui, le dénommé Brendan O’Brien (celui que tu vas chercher quand tu veux faire un mauvais disque, et c’est pas N. Young, Pearl Jam, Springsteen, AC/DC et une multitude d’autres qui me contrediront). De la partie également Don Was, Jim Keltner, Olson et Louris des Jayhawks, Auer et Stringfellow des Posies, Benmont Tench des Heartbreakers de Petty, les Memphis Horns (les souffleurs de chez Stax derrière Hayes, Redding, etc …). Comme qui dirait du beau monde. Sans compter Dennis Hopper (oui, le vrai, celui de « Easy rider ») pour la photo de pochette. Tout ce beau monde n’est pas venu que pour cachetonner, on trouve écrit en gras dans les notes de pochette « This is not a solo album. The Band is : »). Et quand McKee ne chante pas ses compos, elle reprend des choses des Jayhawks, de Gerry Goffin & Carole King, ou de Van Morrison (deux titres). Tiens, vous en connaissez beaucoup, qui se hasardent à reprendre du Van The Man, tellement il a l’habitude de placer vocalement la barre haut le bougon barde irlandais ? Ben Maria McKee elle le fait et plutôt bien.
« You gotta sin … » (dix titres, quarante minutes), c’est de l’americana de haut niveau. Un savant mélange de folk, soul, rock, rhythm’n’blues, gospel, … Chantés par une voix qui marque son territoire sans être démonstrative.  Le premier nom qui me vient à l’esprit s’il faut une comparaison c’est Tammy Wynette (et si vous savez pas qui est Tammy Wynette, allez écouter « Stand by your man », et vous gourez pas, pas la version de Lemmy Motorhead et de la plasmatique siliconée Wendy O. Williams, non, la vraie, l’originale). « You gotta sin … » monte en puissance, débute par une sorte d’échauffement, de mise en bouche (« I gonna soothe you », mid tempo rock soul funky). Avant un première reprise relax de Van Morrison (l’antique « My lonely sad eyes », pas une des plus connues des Them, son premier groupe).

Dès le troisième titre (« My girlhood … »), McKee commence à lâcher les watts vocaux sur cette ballade nerveuse. Juste avant le premier sommet du disque, « Only once ». Une merveille de country rock, la voix de cristal du début qui évoque tellement Emmylou Harris, qu’on s’attend à voir apparaître celle de Gram Parsons au détour d’un couplet. Ce titre retrouve par moments (pompage ?) la magie mélodique du « Christian life » des Byrds période Gram Parsons (comme quoi tout est dans tout, et inversement …). Et tant qu’on est à évoquer des similitudes vous risquez de trouver par moments des choses qui rappellent « Only love can break your heart » de Neil Young dans « I forgive you », grosse perf vocale de la Maria sur cette soulerie de facture classique.
Deux reprises suivent. « I can’t make it alone » de Goffin-King, c’est le titre le plus rock de l’album, avec Drakoulias à la batterie qui n’oublie pas de se mettre inconsidérément en avant au mixage. Antithèse, la reprise des Jayhawks (« Precious ») est servie unplugged, avec guitares acoustiques, harmonica et tout le tremblement pour servir d’écrin à la voix de cristal de la Maria.
Mine de rien, sans rien à jeter, on arrive au dernier tiers du skeud. Et là, acrochez-vous, surgit une extraordinaire version de « The way young lovers do », un des vrais grands titres du surestimé chef-d’œuvre de Van Morrison « Astral weeks ». McKee se lâche complètement sur cette relecture sauvage, s’offrant même un passage de scat vers la fin. Le spectre d’Aretha Franklin accompagne la powerful soul ballad « Why wasn’t I more grateful », le genre de titre où on ne peut pas être quelconque faute de se vautrer dans le ridicule. Le morceau-titre (« You gotta sin to get saved » donc) est l’apothéose finale, c’est une tornade rhythm’n’blues gospelisante, tout le monde est à fond et semble t-il captured live.
Aujourd’hui, la cinquantaine entamée, Maria McKee est une sorte de bibelot chantant encombrant. Pas besoin d’être devin pour affirmer que la confidentialité sera son avenir.

Reste ce « You gotta sin … » intemporel à la beauté qui n’est pas près de s’estomper …


MARIANNE FAITHFULL - BROKEN ENGLISH (1979)

S'en fout la mort ...
S’il fallait une preuve (de plus) que comme disait l’autre, les temps ils changent, il suffit de se poser une seule question : qui, aujourd’hui, même le plus petit label indépendant après une campagne de crowdfunding, prendrait le risque de sortir pareille chose ? « Broken English » est paru en 1979 sur Island, une major de l’époque.
Aujourd’hui, « Broken English » est unanimement célébré comme une masterpiece de cette chose qui crève à petit feu depuis des décennies et qu’on appelle rock. Et pourtant c’est un disque qui ne ressemble à rien (de ce qui se faisait en ces temps-là).

Le nom sur la pochette, d’abord. Marianne Faithfull. Que tout le monde croyait morte, enterrée par trop de bibine, de clopes et de dope. Ben non, elle est toujours vivante, dans l’indifférence générale, sort des disques que personne n’achète ou n’écoute. Tourne même dans des salles à peu près vides avec un backing band de troisièmes couteaux qui l’accompagneront sur « Broken English ». Faithfull a conservé un peu de cette miraculeuse beauté qui avait mis le Swingin’ London à ses pieds à la fin des 60’s (et accessoirement trois Rolling Stones dans son lit, dont Mick Jagger avec lequel elle eut la liaison la plus durable). Pétage de plombs, carrière de chanteuse pop avortée malgré l’aide de ses mentors stoniens (et d’Andrew Loog Oldham)  un gros succès avec une bluette pas si innocente que ça (« As tears go by »), et chute vertigineuse dans la solitude (Jagger la largue) et la défonce (de mauvaises langues qui connaissent bien le dossier assurent que le « Sister Morphine » de « Sticky Fingers », lui ressemble tellement que c’est elle qui l’aurait écrit, sans que Jagger et Richards la créditent). En un mot comme en trente pages, Marianne Faithfull est une légende. En perdition totale, mais une légende quand même …
Autres problèmes. Elle qui n’a jamais brillé par ses performances vocales, là, à la fin des 70’s, à cause de dix années de déglingues diverses ininterrompues, elle n’a carrément plus de voix. Ou alors une espèce de râle genre canard en phase terminale de grippe aviaire. D’ailleurs deux ou trois choristes la soutiennent en permanence en studio. C’est pas tout. Faithfull est totalement tricarde, personne veut écrire pour elle ou l’accompagner. D’où les titres originaux de ce « Broken English » co-écrits avec ses musicos. Coup de bol, Steve Winwood, un vieil ami des 60’s, un des rares à ne pas l’avoir oubliée, vient donner un appréciable coup de main aux claviers et synthés. Leurs destins sont voisins, ceci explique le copinage entre la petite fiancée des 60’s et celui qui a dix-sept ans était en haut des hit-parades avec le Spencer Davis Group et montait un groupe avec Clapton (Blind Faith). Et dans le genre tableau noir, circonstances de base désastreuses, on va pas en rester là. « Broken English » est un disque qui ne ressemble à rien de ce qui marche. Ni à rien qui de ce qui se fait d’ailleurs. Rempli à la gueule d’ambiances noires, crépusculaires, sinistres, avec ses synthés lugubres, il se pose plus en précurseur de tous les corbeaux qui vont se pointer avec leur new-cold-wave qu’en suiveur de quoi que ce soit. Corollaire obligé (la vie n’est pas un conte de fées), « Broken English », même s’il remet Marianne Faithfull sous les feux de la rampe, se vendra peu.

Et pourtant. Dans ces huit titres, on trouve trois réussites et cinq merveilles absolues.
Chapter One. Les juste réussis.
« Brain drain », sorte de country rock d’outre tombe, un titre en total décalage avec le « personnage » de Marianne Faithfull qu’on imagine pas vraiment en stetson et veste à franges.
Un peu dans le même registre totalement inattendu, « Guilt », introduit par un synthé agonisant, la Marianne le moral dans les chaussettes. Un blues mutant pour héroïnomanes.
« What’s the hurry » est un titre crépusculaire, bien dans le ton du reste, avec un synthé sinistre un peu trop en avant.
Chapter Two. Les merveilles. Par ordre d’arrivée à l’oreille.
« Broken English » le titre, installe l’ambiance générale. Lourde, triste, entre ce qu’on appellera new wave et cold wave, batterie mate, synthés et claviers (Winwood) lugubres. Et la voix surprenante, choquante, étrange, irréelle (cochez les mentions inutiles), chargée de tristesse, de fêlure, de brisures. Totalement inouïe.
 « Witche’s song » c’est un peu l’épopée familiale (Marianne et sa mère, descendantes du fameux libertin autrichien Sacher-Masoch), et la mise au ban de la société (la mère pour filiation « diabolique », Marianne pour tous ses excès). Remarque : si Bittan et Federici ont pas écouté ce titre pour sortir la mélodie au synthé de « Dancing in the dark », je suis prêt à aller consulter un ORL dans le New Jersey.
« The ballad of Lucy Jordan ». On parierait sa chemise que c’est le marqueur, le signe distinctif de Marianne Faithfull tant Lucy Jordan c’est elle. Ben non, c’est une reprise (de Dr Hook ??? putain c’est qui ?) écrite par le compositeur Shel Silverstein. Il n’empêche, c’est le sommet de ce disque, cette interprétation à fleur de peau des meilleures années de la vie gâchées. Pas un hasard si on la retrouvera dans la B.O. de « Thelma et Louise ». et même si depuis « Broken English » Faithfull a sorti quarante douzaines de disques, « … Lucy Jordan » sera à jamais le titre qui restera d’elle.

« Working class hero » est un hommage. Avec ses origines aristocratiques et sa vie, Marianne Faithfull n’a rien d’un col bleu. C’est une reprise choisie un peu au hasard (elle n’en voulait pas une des Stones), pour déclarer son amour à tous les géniaux rockers qu’elle admire (Beatles, Iggy Pop, Bowie, …). Le résultat est encore plus triste (et aussi beau) que la version originale de Lennon, pourtant pas un titre guilleret à la base (sur le plutôt funèbre « Plastic Ono Band »).
Last but not least, la scandaleuse « Why d’ya do it ». Titre écrit par le poète Heathcote Williams, narration crue (on y cause fellations, bite, chatte), des ruminations d’une femme trompée et délaissée par son mec. A l’origine écrite pour être proposée à Tina Turner (bon, quand on voit que le retour de la tapineuse à Ike a été orchestré par le centriste Knopfler avec un profil allumeuse sexy mais chaste, on imagine qu’elle aurait pas chanté ce truc), elle va comme un gant à celle qui avait défrayé la chronique quand la brigade des stups londonienne en intervention chez Mick Jagger avait vu descendre d’un escalier Marianne Faithfull nue sous un manteau de fourrure. (Tant qu’on est dans le trivial, c’est cette anecdote qui avait fait proposer au pervers Russ Meyer un rôle à Faithfull dans le film « Who killed Bambi » pour une scène où le taré Sid Vicious devait lui lécher une barre chocolatée sur son sexe …). Quoi qu’il en soit, le puritain gouvernement australien fera supprimer la chanson du pressage destiné à son pays. Assez cocasse, quand on sait ce que chantait à la même époque Bon Scott sur les skeuds d’AC/DC …
Pour en finir avec l’exhaustivité, il convient de signaler que le disque est produit par un  rat de studio de chez Island (Mark Miller Mundy), et que la sublime photo de pochette est signée Dennis Morris (photographe quasi officiel de Marley, avant de devenir celui des punks anglais en général et du Clash en particulier).
« Broken English » aura deux follow up, l’honnête « Dangerous acquaintances » et le minable « A child’s adventure ». Malgré (ou à cause de) son petit succès, « Broken English » n’aura aucune incidence sur le train de vie toxique de Lady Marianne. Tout juste aura-t-elle plus d’argent à claquer en dope…
Ce n’est qu’après une énième rehab finalement réussie, qu’elle se réinventera dans les nineties en diva mainstream, sorte de version boursouflée de Marlene Dietrich avec répertoire qui va avec …

N’empêche, quel putain de grand disque que « Broken English » …

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R.E.M. - OUT OF TIME (1991)

Intemporel ...
« Out of time » est paru en 1991. Pour cette chose qu’on appelait albums (avant que le concept se perde au profit des morceaux qu’on piocherait en streaming, sur You Tube, qu’on téléchargerait à l’unité, …), certainement la dernière des grandes années du rock. Sont parues cette année-là des galettes entrées depuis dans toutes les listes récapitulatives, idéales, à écouter avant de mourir, etc … « Nevermind » de Nirvana, « Ten » de Pearl Jam (le grunge), le dyptique « Use our illusion » des Guns (alors le groupe de rock sur le toit du monde), « Black Album » de Metallica (les prochains Guns), le dernier excellent U2 (« Achtung baby »), les références en matière de trip-hop (« Blue lines » de Massive Attack), de shoegazing (« Loveless » de My Bloody Valentine), de fusion (« Blood Sugar Sex Magik » des Red Hot, « Screamadelica » des Primal Scream). Tous écoulés par millions d’unités. Comme le « Out of time » de R.E.M.
Buck, Mills, Stipe, Berry : R.EM.
Et évidemment, à l’époque comme rétrospectivement, ça a fait hurler les puristes ou prétendus tels. Quoi, comment, le porte-drapeau du rock indie, le groupe roi des campus américains, qui signe sur une major et décuple ses ventes. Trahison, je vous dis. Qu’on les pende !!
Perso, du R.E.M. des années 80, j’ai vraiment usé qu’une galette. « Reckoning » leur second, et leur hommage le plus évident à ce Velvet Underground qu’ils citaient toujours. Les autres ? Ouais, bof … Sans plus. Cette musique cafardeuse et sautillante empêtrée dans un bourdon sonore et chanté à la longue assez pénible, ça me faisait guère plus d’effet que la plupart des disques des Talking Heads. De la musique typée intello (d’où le succès sur les campus, avant que les campus deviennent le fief des Kanye West de tout poil), en gros …
En fait qu’est-ce qu’on leur reproche aux R.E.M. ? D’avoir fait un bon disque qui s’est vendu par camions. Tu parles d’un crime. Comme si c’était pas le but de tous les types qui rentrent en studio, qu’ils l’avouent ou pas. Et qu’on vienne pas me parler de visées mercantiles. Il y a dans « Out of time » des suicides commerciaux. Aller chercher une mandoline pour la base sonore de « Losing my religion », c’est pas gagné d’avance. Vous en connaissez beaucoup de hits avec une mandoline en avant ? Ouais, « Mandolin wind » de Rod Stewart (en 1971, quand même). Vous voulez faire de la thune en 1991, vous allez chercher un rappeur. Oui, mais pas KRS-1 (sur « Radio song »), c’est un type catalogué « dangereux activiste », pas vraiment gage de heavy rotation sur MTV … Vous voulez faire du duo aguicheur pour les hit-parades? OK, mais pensez vous que Kate Pierson des totalement has been B-52’s soit le bon choix (même si Iggy Pop était allé la chercher l’année d’avant pour un de ses rares très bons disques solo « Brick by brick ») ? Kate Pierson elle est là, à cause de la Athens connection (R.E.M. et les B-52’s sont issus de la même ville de Géorgie et les seconds ont servi de modèle « spirituel » aux premiers). Vous voulez de la guitare saturée (ça marche à fond en 1991) ? C’est raté (et pourtant Peter Buck sait faire s’il veut), pire, les R.E.M. s’adjoignent sur la plupart des titres une section de cordes drivée par Mark Bingham …

Alors, Warner ou pas, « Out of time » est d’abord un disque où les types sont à leur zénith. Créatif, d’abord. Une décennie à créer une osmose entre quatre types (euh, six en fait, il faut rajouter sur ce disque l’omniprésent Peter Holsapple des excellents mais feu dB’s, et celui qui est de fait le cinquième R.E.M., leur producteur attitré Scott Litt), à mettre en place un son immédiatement reconnaissable (« Belong » aurait pu figurer tel quel sur n’importe quel disque de R.E.M. des 80’s) mais qui tend à se « démocratiser » (le chant de Stipe devient à peu près compréhensible, l’instrumentation tend vers la « ligne claire », s’éloignant quasi imperceptiblement à chaque disque du magma sonore de leurs disques précédents). Aussi un zénith populaire. Parce que c’est pas la Warner fraîchement apparue dans leur carrière qui les fait jouer depuis des années devant un public de plus en plus nombreux dans des salles de plus en plus grandes. Avant « Out of time », R.E.M. est considéré comme le plus grand groupe indie américain, une dénomination totalement stupide mais qui traduit un certain potentiel de séduction et une ascension populaire régulière.
R.E.M. sur le toit (du monde)
Les R.E.M. franchissent avec « Out of time» un palier, placent la barre à une hauteur que personne (peut-être même pas eux) n’envisageait. Un hit intergalactique (« Losing my religion »), deux autre pas loin (« Radio song » et « Shiny happy people »). Des démarquages intelligents de « Losing … » (« Near wild heaven » et surtout « Half a word away »), l’incontournable hommage au Velvet (« Me in honey » l’intro, la guitare inexpressive, la structure lancinante, tout ramène à la band à Lou Reed et John Cale), un clin d’œil – pompage de Dylan (« Country feedback », me semble t-il bien inspiré par « Knockin’ on heaven’s door »), un titre pour les ploucs country du Midwest (le rustique « Texakarna » avec pedal steel guitar et tout le tremblement). Et pour finir le tour du propriétaire, deux titres que tout oppose, le tout en fréquences basses et bien nommé « Low », et à l’autre extrémité du spectre sonore le totally baroque (arrangements de cordes omniprésents) « Endgame » (qui me fait penser à « Lady Jane » (et si vous connaissez pas « Lady Jane », misère, je vous plains…).
En fait, il n’y a pas grand-chose à reprocher à « Out of time » (tiens, un autre titre des Stones « chansons » de « Aftermath »). Si, en cherchant un peu, sa pochette aussi moche que celle de la plupart de leurs précédents skeuds, mais qui par son aspect flashy et coruscant (« Shiny happy people » ?), donne le ton plutôt enjoué du disque. A mettre en parallèle avec la toute grise (parce que d’une tonalité plus grave, plus triste) de l’autre chef-d’œuvre qui allait suivre « Automatic for the people ».

« Out of time » est un disque non pas centriste, mais totalement fédérateur. Incontournable et indispensable …


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ALFRED HITCHCOCK - FRENZY (1972)

London calling ?
A la vue des bonus du film, paru en 1972, dans lesquels on voit un Hitchcock (plus de 70 ans au compteur, strict costard noir, bedaine proéminente), se mettre en scène dans Londres, je ne peux m’empêcher de penser qu’à la même époque la ville dansait sur les rythmes glam (avec l’accoutrement qui allait avec) de T. Rex et Bowie. Raccourci facile, quand paraît « Frenzy », Hitchcock a tout du has been … Non pas musicalement, il a jamais été très rock’n’roll, mais has been tout court.
Le coupable idéal et sa copine
L’apogée de Hitchcock, c’est les années 50 (avec quelques chefs-d’œuvre qui débordent avant ou après). Là, au début des années 70, c’est juste un dinosaure, un vestige d’un autre temps, quasiment d’un autre monde. Non pas que « Frenzy » soit une daube, loin de là, mais c’est juste un film un peu perdu dans son contexte. « Frenzy » se veut parfumé au soufre. Pour la première fois plein cadre, une scène de viol suivie d’un meurtre, quelques fesses, poils pubiens et tétons en gros plans (pas ceux des actrices, ceux de doublures « mannequins »), un ton humoristique très noir au service d’une intrigue sophistiquée (le scénario est dérivé d’un bouquin à succès adapté au théâtre).
« Frenzy » sera un des plus gros succès populaires d’Hitchcock. Soit. Avec deux scènes (seulement deux, on l’a connu plus prolifique de ce côté-là) d’anthologie. Celle qui introduit le film, la Tamise à hauteur du pont de Tower Bridge survolée en hélicoptère, et puis un travelling arrière phénoménal dans une cage d’escalier, un couloir et pour finir la rue.
L'ex qui cherche l'oxygène
Et le reste ? Ben un film à suspense sans suspense (on sait dès le premier tiers du film qui est l’assassin, et qui va ramasser à sa place) qui ne vaut que par ses à-côtés. Offrant une galerie de seconds rôles (casting fait au feeling, Hitchcock « embauchant » la plupart des acteurs sans les avoir mis en situation, juste après une discussion) jubilatoires (la femme du flic et ses recettes de cuisine « branchées », la secrétaire de l’agence matrimoniale). En fait, « Frenzy » est bien mieux si on se désintéresse de l’intrigue.
Hitchcock, après exil et gloire américains, revient à Londres. Et y fait un film so british. « Frenzy » n’est pas transposable. La plupart des scènes ont lieu dans et autour du marché de Covent Garden (retour aux sources à forts relents freudiens, le père d’Hitchcock y tenait un étal de fruits et légumes), et il n’y a pas une scène, pas un plan, qui nous fasse sentir ailleurs qu’à Londres (où ailleurs qu’à Londres, verrait-on un tueur dont l’arme du crime est une cravate ?). Mais en même temps qu’une sorte de déclaration d’amour « patriotique », la vision d’Hitchcock est également caustique. Témoin la première scène parlée du film, dans laquelle on voit un ministre promettre devant une Tamise saumâtre que bientôt on pourra s’y baigner (gag, Chirac fraîchement élu maire de Paris avait dit la même chose de la Seine), avant que l’attention de la foule ne se porte sur un cadavre dénudé y flottant (c’est cette scène qui donne lieu à l’incontournable caméo d’Hitchcock, fugacement à l’image sur deux plans). Il y a dans « Frenzy » tous les clichés d’un Londres très très britannique (le « héros » malchanceux est au départ serveur dans un pub au patron fort en gueule, il renoue avec son ex dans un club cosy, tous les personnages sont guindés juste ce qu’il faut).
Le tueur
« Frenzy », il serait pas d’Hitchcock, on dirait que c’est un film qui se cherche. Hésitant entre romance (le triangle du « héros », son ex, la serveuse), sadisme et voyeurisme bon marché (les crimes de Rusk), humour plus ou moins décalé (le cadavre dans le sac de patates et les contorsions et postures qu’il entraîne, le flic et les petits plats de sa femme). D’ailleurs Hitchcock n’a pas touché à une caméra. Il a porté une attention minutieuse au scénario, a choisi ses acteurs (aucun grand nom au casting, et la plupart avouent dans les bonus du Dvd qu’ils ont été tout surpris de se trouver là) et a supervisé le tournage. Enfin, supervisé, façon de parler. Perpétuellement assis hors champ (avec sa femme toute proche, qui a fait un infarctus ou un truc du genre, mais qui une fois rétablie, est revenue aux côtés de son Alfred), donnant l’impression d’un faux détachement, mais doté d’un sens de la prise de vue stupéfiant, n’hésitant pas à passer des jours sur une scène (celle du viol et du meurtre a pris trois jours, c’est une succession de plans de quelques secondes), ou au contraire laissant ses acteurs improviser attitudes ou dialogues. Chef d’orchestre plutôt que soliste démonstratif …
« Frenzy » est quasiment le dernier tour de piste d’Hitchcock (seul le très dispensable « Complot de famille » suivra). Qui n’a plus rien à prouver et ne prouve plus rien.

En fait le meilleur truc de « Frenzy », c’est sa bande-annonce dans laquelle Hitchcock se met en scène. Oserait-on dire qu’elle est mieux que le film ? Moi j’ose …

Du même sur ce blog :

CHILDISH GAMBINO - AWAKEN, MY LOVE (2016)

Payer les dettes ?
Il paraît que Donald Glover (qui est Childish Gambino à lui à peu près seul, enfin pas tout à fait, voir plus bas) est un touche-à-tout (de génie, disent ses deux fans et demi en France). Là-bas, au pays de l’autre Donald, il fait des films, l’acteur, de la musique, du rap, … Une sorte de Will Smith underground. Ce qui n’est pas vraiment un compliment, mais bon, … Quoique, la black music US est tellement au fond du trou (quand on voit leurs « stars », les Kanye West, Jay-Z, Rihanna, Beyoncé, ça fout quand même un peu les jetons) depuis des lustres, que réussir à faire parler de soi en dehors de frasques people est un bon point.
Donc le Childish – Glover donnait jusque-là dans le rap. Et là, il nous sort un disque de musique noire 70’s, clamant haut et fort son admiration pour Clinton. Non, pas Hillary ou Bill, mais George, le gourou-leader de Parliament et Funkadelic, un des types les plus innovants et samplés de la Terre depuis presque quarante ans, le master es P-Funk himself.
Ecce Homo ...
Et bizarrement, ce « Awaken, my love ! » me fait beaucoup plus penser à Prince (enfin, celui-là aussi devait beaucoup à Clinton), et plus précisément (tant le nabot est parti dans tous les sens), au Prince de la fin des années 80 – début des années 90. La voix (souvent forcée, on dirait bien) de fausset de Glover étant le marqueur de similitude sonore le plus flagrant.
Arrivé à ce stade-là, on pourrait mettre un point final et tourner la page, genre « ouais, encore un zozo sans imagination, qui ne fait qu’imiter ce que d’autres ont fait mieux que lui, avant, etc … ». Sauf que la musique dans le collimateur de Childish Gambino est un peu plus élaborée que du punk ou du rock garage. Et qu’on cause là de soul, funk, p-funk, … des seventies, c’est-à-dire d’une époque et de genres musicaux qui ont atteint une créativité, une complexité et une sophistication inégalés depuis. En gros, si t’es pas bon et que tu touches à ça, tu te vautres lamentablement. Et il faut reconnaître que Childish - Glover s’en tire pas trop mal.
D’abord parce qu’il peut s’appuyer sur un alter ego de l’ombre, le dénommé Ludwig Goransson, qui co-écrit, co-produit, joue d’une multitude d’instruments, et plutôt bien de la guitare. Ah, parce que je vous ai pas dit, y’a pas un orchestre d’ordinateurs derrière tout ça, mais des types qui jouent sur des instruments, y compris sur des synthés ou des claviers vintage, ou en tout cas qui sonnent vintage.
Il y a dans ce « Awaken … » une bonne petite moitié des titres qui sont bien, voire plus. Le premier titre (« Me & your Mama »), où on change de ton et de son toutes les deux minutes (intro cristalline, chœurs gospel, funk lourd, accalmie jazzy) donne envie d’écouter la suite. Même s’il ne trouvera son équivalent que sur le dernier titre (« Stand tall »), lui aussi morceau à tiroirs, et pour sa part très fortement réminiscent du Wonder de l’extraordinaire « Songs in the key of life ».
Entre ces deux sommets, à boire (un peu de soupe) et à manger (du consistant). Principal reproche, noyer sous les arrangements (parfois judicieux, c’est pas le propos) ce qui a fait l’essence du p-funk, hérité d’ailleurs de James Brown, le groove hypnotique. Tu chopes une assise rythmique en béton, répétée ad lib, et tu fais tricoter les autres instruments par-dessus. Plus facile à dire qu’à faire, évidemment, la preuve ici, où des titres comme « Boogieman » et « Zombies » (avec ses étonnantes parties de guitares que ne renierait pas un Robert Fripp) sont les seuls qui répondent à ces règles-là.
Childish Gambino live : Iggy Pop syndrome ?
Parce qu’ailleurs, même si on reste bien dans la black music des 70’s, ce sont plutôt d’autres noms qui viennent à l’esprit (plus par la suggestion que par la copie conforme, faut être honnête). « Redbone » avec sa voix passée au vocoder fait penser à du Al Green en accéléré sous hélium, et ça me laisse tout de même perplexe, la ballade soul-funk « Baby boy », on dirait du Marvin Gaye de la fin des seventies, la géniale osmose voix-musique en moins. Et on trouve à mon sens résumé sur ce titre tout le problème du disque, c’est de l’hommage bien fait, mais ça n’arrive pas au niveau du talent, voire du génie de Clinton, Gaye, Green, Wonder, ou de leur cousin commun, le perturbé Sly Stone.
Il n’y a vraiment qu’un titre à part, l’incongru dans le contexte « California », dancehall tendance raggamuffin, un genre que l’on croyait porté disparu depuis qu’on est sans nouvelles depuis bien vingt cinq ans de Shabba Ranks, Buju Banton, et de tout ce qui vient de Jamaïque en général. C’est pas mal foutu, mais un sous-genre de reggae au milieu de ce disque, ça fait un peu ballot et hors sujet …

Conclusion : y’en a pas. Comme dans ce disque qui s’achève sans prévenir en plein milieu d’un morceau comme si on venait de te débrancher l’ampli.