MARGUERITE DURAS - INDIA SONG (1975)

 

Valium song ...

« Marguerite Duras, elle a pas écrit que des conneries, elle en a aussi filmées » (Pierre Desproges, très drôle, évidemment, sauf que c’était une tirade sur « Hiroshima mon amour », sublime film de Resnais d’après un scénario de Duras, donc vanne de mauvaise foi …)

Bon, « India song ». Qui d’ailleurs est beaucoup plus de Benoît Jacquot et Bruno Nuytten que d’elle (techniquement, elle fait pas la différence entre une caméra et une 2 CV, elle disait ce qu’elle voulait voir à l’écran, et les acteurs et l’équipe technique devaient se démerder pour arriver au résultat).

Duras & Seyrig

« India Song », c’est l’histoire d’Anne-Marie Stretter, veuve de l’ambassadeur de France à Calcutta dans les années 30, qui accumule les amants (qui défilent à grande vitesse, enfin, façon de parler, et on en reparlera) et rejette le seul type qui l’aime vraiment (le vice-consul de Lahore). Bon, tous les personnages sont fictifs, à part peut-être la veuve, plus ou moins double de Duras jeune. Car avant de devenir le sosie officiel de Karl Zero, Margot Duras était une jeune femme gironde et, comment dire, libérée (« L’amant », son bouquin et le film d’Annaud qui en a été tiré seraient en partie autobiographiques).

« India song », au vu de son titre et du scénario, on peut se dire qu’on va voir au moins un film exotique. Bon, y’a pas de scènes au Taj Mahal … loin de là. Les intérieurs ont été tournés dans des hôtels parisiens (notamment le Georges V, et des hôtels particuliers, dont un, délabré, de la famille Rothschild). Quant aux rares extérieurs, ils ont été tournés à Neauphle-le-Château, le bled des Yvelines où vivait Duras et où, quelques années plus tard, sera assigné à résidence l’ayatollah Gros Minet (merci Coluche) avant qu’il devienne Guide Suprême de la révolution iranienne. Je doute que la féministe et le fondamentaliste aient souvent pris le thé ensemble …

« India Song » a été tourné en moins de deux semaines. Faut dire que pour plein de raisons (le scénar, Duras à la caméra, …), les financeurs se sont pas bousculés. A l’origine, Duras rêvait dans les rôles principaux de Peter O’Toole et Dominique Sanda. Une fois le budget pris en compte, c’est Delphine Seyrig (« un film en quinze jours, je signe pour une année avec elle, ça me fera six mois de vacances » citation tongue-in-cheek mais véridique) qui prendra le rôle principal. Comme elle dépasse le mètre quatre vingt, il a fallu prendre des grands (de préférence débutants et pas trop chers) pour qu’elle ait pas l’air d’une croqueuse de nains. Les deux plus connus aux rôles masculins seront Mathieu Carrière et Michael Lonsdale.

Lonsdale & Seyrig

« India song » est un film en couleurs muet … avec plein de dialogues. Je m’explique. Les acteurs évoluent sans dire un mot, leurs dialogues sont en voix off … plus quatre « récitants » qui exposent et narrent l’histoire. Parce que « India song » se comporte majoritairement de plans fixes que les acteurs traversent en marchant très lentement, ou en dansant, encore plus lentement. Exceptions, quelques rares panoramiques, évidemment très lents et un superbe travelling vers la fin dans les couloirs du Georges V. Il y a même une (longue) scène genre nature morte (c’est pas une photo, on voit la fumée de bâtons d’encens omniprésents dans le film, et ne me demandez pas ce qu’ils viennent foutre là, ces fumigènes odorants) qui réunit la plupart du casting (Madame et ses flirts ?).

Bon, la défense pourra toujours dire que le film est tiré d’une pièce de théâtre du même nom, elle-même tirée d’un bouquin de Duras, « Le Vice-Consul ») ; la défense pourra toujours s’appuyer sur les critiques dithyrambiques de l’époque, reproduites sur la jaquette du Blu-ray et signées Gérard Lefort, Jean de Baroncelli et Henry Chapier, dont l’avis est certes bien supérieur au mien, mais qui ont passé leur vie à défendre des machins intellos qui t’endorment au bout de deux bobines … La défense pourra à juste titre s’appuyer sur le jeu de miroirs d’un certain nombre de plans, où la caméra est judicieusement placée de biais sur un immense miroir mural devant lequel passent ou dansent les acteurs, et on les voit arriver (ou partir selon l’angle) avant qu’ils soient dans le champ de l’objectif, un procédé largement utilisé chez d’autres (Ophuls dans « Madame de … », Losey dans « The servant », …) mais jamais d’une façon aussi systématique (à mon sens, ce procédé est la seule chose à sauver du film). « India song » (titre tiré d’un morceau de jazz qui revient souvent dans la bande-son) est intriguant et original au début, mais cette lenteur sans paroles et sans aucune action (même si ça finit très mal pour Lonsdale et Seyrig), c’est juste insupportable sur la durée, et l’argument, y’a deux films, un film des voix et un film des corps, sur la durée ça tient pas …

Seyrig et ses amants dans les couloirs du Georges V

Des gens à l’époque se sont extasiés de la scène la plus fameuse d’« India song », où on a un plan fixe puis un gros plan (au moins cinq minutes en tout) sur une Delphine Seyrig au sein droit dénudé, couchée à même le sol avec une paire de ses gigolos … autres temps, autres mœurs, et autres réactions …

« India song », c’est le genre de film qui doit passer une fois tous les dix ans à pas d’heure sur Arte, et qui a été remastérisé en 2K récemment (heureusement, tant l’image d’origine paraissait floue et granuleuse (pas sûr que ce soit fait exprès). Combo Blu-ray et Dvd (plus bonus) vendu à prix très raisonnable par la petite boîte d’édition Tamasa (j’ai pas d’actions chez eux, d’ailleurs il risque fort d’y en avoir un d’occase en état mint à la vente bientôt) alors que de vieilles versions Dvd ou VHS coûtent une blinde sur le net …