QUEEN - A NIGHT AT THE OPERA (1975)

 

Opéra comique ?

Bon, par où commencer cette affaire ?

Que d’après un sondage « Bohemian Rhapsody » est la chanson préférée des militaires anglais (oh putain, y’aurait tellement de choses à dire … la chanson d’une des plus grosses folles du rock plébiscitée par les hommes, les vrais, ceux qui défendent la Patrie …)

Que d’après un autre sondage, « Bohemian Rhapsody » est la chanson préférée des automobilistes qui roulent en Seat (ouais, je vous vois venir, en plus de rouler avec une caisse pourrie, ces gens-là écoutent de la musique de merde …)


Que d’après les plateformes de streaming (et suite au succès du très mauvais biopic sur Queen), « Bohemian Rhapsody » est la chanson la plus écoutée du vingtième siècle (et là, j’aimerais savoir quelle est la purge la plus écoutée de ce siècle actuel de malheur …). Et à l’attention de tous les Castex qui se croient mélomanes comme lui se croit Premier Ministre, rappelons que parmi les Anglais du XXème siècle, on trouve quelques noms comme Beatles, Rolling Stones, Who, Kinks, Led Zeppelin, Pink Floyd, Oasis, Blur, et autres David Bowie, Elton John, George Michael, tous ces individus ayant vendus du disque par containers entiers …

Vous l’aurez compris, beaucoup de choses tournent autour de « Bohemian Rhapsody », titre composé par Freddie Mercury et considéré comme le sommet de « A Night at the Opera ». Petite remarque, ce titre était un peu le serpent de mer du disque, toujours en « work in progress » et avait fini par foutre les nerfs aux trois autres du groupe, qui lors des séances d’enregistrement, l’avaient rebaptisé du peu amène « le machin à Freddie ». « Bohemian Rhapsody », tous les Anglais de sept à soixante-dix-sept ans et plus, connaissent les paroles (abracadabrantes) par cœur. « Bohemian Rhapsody » est l’arbre qui cache la forêt « A Night At The Opera » …

Bon, par où continuer ?

Et si on parlait de Queen, ou plutôt de l’image de Queen. Queen, c’est le groupe que tous les « connaisseurs » adorent détester. Accusés de grandiloquence, de mauvais goût (tant au niveau du look que de la musique), de faire du hard et du prog bas de gamme, d’avoir sorti des titres (« We will rock you », « We are the champions ») beuglés par des hordes avinées et basses du front dans tous les stades de la planète (ou dans les fins de banquet par les mêmes avinés bas du front). Et insulte suprême, d’avoir vendu du disque à coups de dizaines de millions …


Je vais vous dire comment je vois les choses. Vous avez déjà entendu parler de second degré ? Tous les gardiens du Temple pour qui le rock et ce qui en découle doit être régi par des règles immuables et codifiées par une bande d’idoles le plus souvent cafardeuses et sacrificielles (le Club des 27, « Hope I die before I get old », les yeux battus, la mine triste et les joues blêmes en cuir noir, la défonce, la technique du solo de guitare, ou pire de batterie, …) tous ces clichés mille fois rebattus qui te situent du bon « côté » (du sérieux, de la crédibilité, du cimetière,…). Queen, comme quelques rares autres (Zappa est le premier nom qui me vient à l’esprit) l’a très rapidement joué second degré, caricaturant tous les codes du rock-pop-machin. Et la caricature, ça fait pas rire les intégristes, c’est bien connu, ça donne des envies de décapitation … Et les Queen, plus souvent que tous les autres et qu’à leur tour, se sont retrouvés le cou sur le billot … Queen, ce serait n’importe quoi, du vulgaire et du racoleur à la tonne, les Bigard du rock … ouais, faut voir …

La parole est à la défense … Techniquement, tant au niveau individuel que collectif, des arrangements et de la production, les Queen ont placé la barre plutôt haut. Combien de groupes peuvent aligner dans leur casting quatre types qui tous peuvent composer et chanter lead, placer des chœurs à rendre jaloux Beatles, Beach Boys et Byrds, hein, dites un peu … Ok, les Eagles, … tiens encore un autre groupe détesté par les auto-proclamées élites du rock … sauf que les Eagles, ils font peu ou prou toujours le même disque, voire le même morceau… ou encore Kiss, en mode Marvel meets Kiri le Clown version hard … Queen, ils partent dans tous les sens, et de préférence, ceux qui sont interdits …

Queen & Roy Thomas Baker

Déjà, baptiser un disque « A night at the Opera » (en référence bien évidemment au film des Marx Brothers, et non pas au repaire de toutes les Castafiore), montre bien que l’absurde et le second degré sont revendiqués. Et en évitant le côté potache (il arrivera parfois plus tard, à la joie des détracteurs du groupe). Ce disque, c’est une affaire on ne peut plus sérieuse et années 70 ou pas, la vénérable maison EMI qui finance, trouve l’addition plus que salée et le fait savoir au groupe. « A night at the Opera » quand il arrive dans les bacs est le disque le plus cher jamais enregistré. Et ce bien que les Queen fassent à ce moment-là tout juste partie de la seconde division du rock, très loin en termes de notoriété et de ventes des poids lourds de l’époque … Et le disque a coûté cher parce que les séances de studio se sont éternisées sous la houlette du cinquième Queen, le producteur Roy Thomas Baker, qui a bien failli y laisser sa santé mentale. Sur certains titres, dixit Brian May, les bandes étaient à la limite de la rupture et de la transparence, tant les parties instrumentales et surtout vocales, s’y bousculaient. Sans cesse sur le métier les Queen remettaient leur ouvrage.

Ce qui frappe sur le disque, c’est l’empilement des vocaux. Des chœurs surgis de partout et démultipliés par le re-recording, ce dont beaucoup se passeraient s’ils avaient un chanteur du niveau de Freddie Mercury. Un type qu’on a réduit trop facilement au gay exubérant, à sa navrante moustache, à ses marcels surmontés de capes royales démesurées, etc … en oubliant quel putain de grand chanteur il était (écoutez-le sur « You’re my best friend » ou « Love of my life » par exemple). Et un chanteur qui se contente des backing vocaux sur les compos des autres du groupe (« I’m in love with my car » chantée par Roger Taylor, « ‘39 » chantée par Bryan May »).

Même si le studio permet de démultiplier les parties instrumentales, Queen est musicalement un power trio guitare-basse-batterie. Et pas un trio de manchots, Bryan May étant régulièrement cité comme un meilleurs guitar-heroes, ce dont il doit se foutre royalement. Son truc, c’est pas l’esbrouffe, mais plutôt la technique pure (sa guitare, la Red Special, il l’a construite à l’origine lui-même, en « compilant » des pièces d’autres guitares). Brian May se retrouve donc avec un son unique, immédiatement reconnaissable (à noter pour ceux que ça intéresse, il n’utilise que très peu et très rarement des pédales d’effets, le son énorme est dû à trois amplis branchés en série avec un delay différent sur deux d’entre eux).


« Bohemian Rhapsody » a tiré « A night at the Opera » vers les sommets de la reconnaissance commerciale. A l’issue d’un bras de fer avec EMI, qui ne voulait pas d’un single de six minutes (injouable à la radio disaient-ils), qui avec ses six parties différentes faisait le pendant seventies du « Good vibrations » des Beach Boys. C’est l’obstination de Freddie Mercury qui finira par payer, le reste du groupe restant d’une neutralité toute diplomatique face à la maison de disques. En fait, ils n’y croyaient pas du tout au succès du « machin à Freddie ». Lequel succès fut considérable, entraînant l’album et l’autre single (« You’re my best friend », très bonne ballade lyrique) vers les sommets des charts.

L'autre long titre de l’album (« The Prophet’s song ») est considéré comme la masterpiece de Brian May. Ouais … pour moi, c’est un truc qui a mal vieilli, enchevêtrant sans l’entrain et le drive de « Bohemian Rhapsody », passages a capella, hard, prog … Je suis par contre beaucoup plus preneur du « I’m in love with my car » du batteur Roger Taylor (entre Ziggy-Bowie et le Floyd crashé dans le Mur), des rigolos « vaudevilles » (ce genre typiquement british un peu beaucoup passé de mode au milieu des 70’s et dont les Kinks flânant dans « Muswell Hillbillies » avaient signé l’apogée du genre) comme « Lazing on a Sunday afternoon » ou « Seaside rendez-vous ».

En passant, les Queen règlent leurs comptes aux lourdauds du glam et du boogie simpliste (Sweet, Slade, Status Quo) avec l’épatant « Sweet Lady », s’en vont rendre visite à Lady Madonna en passant par les Strawberry Fields (« Good company »), font avec « ‘39 » un clin d’œil aux mêmes Beatles (et aussi au country-rock des Byrds).

La pochade ne serait pas complète sans l’ultime titre, une relecture (point trop extravagante cependant) du « God save the Queen », moins destroy que le titre des Pistols (ah, Freddie Mercury et les Sex Pistols dans le même studio deux ans tard, que d’anecdotes fabuleuses …) ou la pulvérisation de l’hymne américain par Jimi Hendrix.

Allez, disque incontournable des seventies …