STEPPENWOLF - STEPPENWOLF (1968)

Un petit tour en Harley ?

Parce que Steppenwolf, ça doit même être écrit dans les livres d’Histoire au collège, c’est le groupe préféré des motards. Et il y en a deux, John Kay (qui sur son seul nom fait perdurer Steppenwolf depuis presque cinquante ans) et Dennis Edmonton (plus connu sous son pseudo de Mars Bonfire et auteur du titre fétiche), qui peuvent remercier Dennis Hopper d’avoir mis sur la bande-son de son film « Easy Rider » deux titres de Steppenwolf, groupe que tout semblait destiner à la troisième division du heavy psychédélisme américain, à l’ombre des Blue Cheer, Iron Butterfly et autres Vanilla Fudge …

Tout le monde le sait, les origines de Steppenwolf sont à chercher du côté de la riante Allemagne de l’Est où naquit John Kay, avant que sa famille n’émigre au Canada à la fin des années quarante. Contrairement à certaines légendes urbaines, si John Kay est bien un exilé, son exil n’a rien de politique, sa famille s’étant retrouvée plus ou moins par hasard en R.F.A. au gré de déménagements incessants dans une Allemagne en total chaos après la fin de la guerre … John Kay est un pur produit de la culture nord-américaine, les seuls liens le rattachant à ses origines teutonnes seront le nom de son groupe (d’après le bouquin de l’Allemand Hermann Hesse « Le loup des steppes ») et quelques allusions fugaces à ses origines dans une paire de chansons …
Comme beaucoup d’ados nord-américains, John Kay joue dans un college band, qui au gré de changements de personnel, finit par s’appeler The Sparrows. Le succès n’étant pas exactement au rendez-vous au Canada, Kay et quelques-uns des membres du groupe décident d’aller en 67 à San Francisco, là où les choses se passent… Et Steppenwolf est très vite signé par Dunhill, label qui a du pognon à investir grâce aux succès de son groupe phare, les Mamas & Papas …

Bizarrement, pour un groupe sans grande expérience, qui a des origines bluesy et vient de prendre flower power et psychédélisme en pleine poire, le premier disque mis en chantier (le « Steppenwolf » dont il est censé être question ici) est plutôt cohérent. Le groupe joue un rock psychédélique dur, tirant ses influences du rock’n’roll des origines, du blues et de la soul. Comme tous ceux de son époque, il part parfois dans des directions « étranges », (même le plus cohérent de tous au niveau sonore de cette époque, le Zeppelin, glissera un morceau à base de tablas indiennes sur son premier disque) avec son premier single « A girl I knew » pop psyché très flower power. Avec le succès que l’on devine … Le second single sera une reprise musclée du « Sookie, Sookie », petit classique soul de Don Covay, traité avec force guitares électriques saturées en avant, dans l’esprit Vanilla Fudge.
Le troisième essai sera le bon. « Born to be wild », composé par Edmonton / Bonfire du temps des Sparrows (il ne suivra pas ses potes et son frangin batteur dans la migration californienne) atteint le haut des charts. Là, ça rigole plus, on rentre dans le tas, riff mémorable, montée vers des sonorités orientales du refrain, et ladies and gentlemen, pour la première fois dans les paroles, l’expression « heavy metal ». De populaire, le titre deviendra mythique et symbolique lorsque l’année suivante il servira d’accompagnement musical à Peter Fonda et Dennis Hopper roulant sur leurs Harley customisées dans le film référence de la contre-culture hippie, « Easy Rider » … Hopper aura le nez creux (et les oreilles fines) en ajoutant dans la B.O. un second titre issu de ce « Steppenwolf », la chanson anti-drogue (enfin, anti-dealers) « The Pusher » …
On peut toujours trouver que les Steppenwolf sont plutôt chanceux. Sauf que si évidemment ils seront réduits pour l’éternité aux interprètes de « Born to be wild » (à preuve le sticker mentionnant « including the hit Born to be wild » vite rajouté sur la pochette du disque et qu’on retrouve des décennies plus tard à l’identique sur quasi toutes les pochettes des rééditions), l’engouement et le succès qu’ils auront au tournant des seventies reposeront sur des éléments musicaux concrets, tous déjà présents dans ce premier disque considéré par beaucoup comme leur meilleur, avec le « Steppenwolf live ». Parce que ce Loup-là sera une redoutable bête de scène, porté par la voix, la présence et le charisme de John Kay. Derrière, il n’y a peut-être rien d’extraordinaire, mais ça assure sans faire dans la dentelle …

De ce « Steppenwolf », la postérité retiendra trois classiques du groupe, « Born … », « The Pusher », « Sookie, Sookie ». Le reste n’est pas forcément à oublier, témoins le correct rock stonien « Everybody’s next one », l’hommage-plagiat-décalque de Chuck Berry (« Berry rides again »). Une reprise d’un des classiques de Muddy Waters (« Hoochie Coochie Man »), épaisse, saignante et traversée de solos de guitare est tout à fait caractéristique de la façon dont est envisagé le blues en cette fin 60’s (on rallonge la durée initiale, on alourdit le tempo, et on fait admirer sa virtuosité). D’autres titres sont plus quelconques, (les rhythm’n’blues « Your wall’s too high » et « Take what you need »), la ballade virile « Desperation », ou l’ultime « The Ostrich », le plus expérimental de la rondelle, avec son tempo hypnotique et semble-t-il l’influence des Doors …
Mais bon, comment envisager une discothèque digne de ce nom sans « Born to be wild » ?