JONI MITCHELL - HEJIRA (1976)

Voyage, voyage ...

Aujourd’hui, environ cinq cents mois après la sortie de ce disque, qu’en reste-t-il de ce « Hejira » et de Joni Mitchell ? Pas grand-chose, ni du skeud, ni de la dame …
Celle qui fut la Reine de Laurel Canyon sinon du peuple hippy une fois la Joplin partie conduire sa Porsche peinturlurée fuschia dans les paradis artificiels qu’elle connaissait bien est aujourd’hui une vieille dame un peu beaucoup oubliée qu’il faut aider à traverser les rues et protéger de la canicule. Et les nouvelles qui suintent du net sur Joni Mitchell la disent bien malade …
Joni Mitchell elle s’est révélée au monde avec l’hymne définitif des grands raouts hippies, ce « Woodstock » dédié au festival du même nom (auquel elle n’a pas participé), qu’elle a écrit et que Crosby Stills Nash & Young ont infiniment popularisé en le reprenant sur « Déjà Vu ». Et tant qu’à évoquer les Beatles hippy, ils furent bien sûr ses amis, voire ses amants … Parce que la Joni, pas un super canon, fut une croqueuse d’hommes et un cœur d’artichaut. La liste de ses amants recoupe à peu près celle des stars du rock californien des 70’s, plus quelques autres de moindre renommée…
Joni Mitchell 1976
Son âge d’or artistique, ce sont ces mêmes seventies. Où tout est à sauver ou presque, même si la qualité ira en déclinant plus la décennie tirera vers sa fin. « Hejira », translation phonétique de « hégire » (le voyage qui marquera la théorisation de l’Islam par Mahomet si j’ai bien compris). Bon, le « Hejira » de la dame Joni est un peu moins lourd de charge devant l’Histoire. Ce voyage, Joni Mitchell l’a réalisé en bagnole avec des amis pour se refaire le moral et se ressourcer après une rupture amoureuse. Et c’est sur la route, avec les moyens du bord (la guitare) qu’elle a composé tous les titres, alors que d’habitude elle compose au piano.  Est-ce la crainte de la simplicité (les mélodies écrites à la guitare sont plus simples que celles écrites au piano) qui lui a fait rechercher la sophistication en studio, ou une suite logique somme toute, entamée avec son précédent « The hissing of summer lawns » ? Que ceux que ça intéresse se fassent connaître, il n’y a rien à gagner et pas de réponse ici …
Toujours est-il que ce « Hejira » a un enrobage musical minimaliste. Mais un minimalisme complexe. La Mitchell est allée chercher le bassiste virtuose de Weather Report Jaco Pastorius himself, et le guitariste jazzy forçat des sessions que tous les studios west coast s’arrachent, Larry Carlton. Les deux ne jouent pas sur tous les titres et pas forcément ensemble, mais l’instrumentation est réduite. Quelquefois une batterie caressée, un filet de clarinette sur un titre, une paire de cuivres quasi inaudibles sur un autre, et c’est tout.
J Mitchell & J Pastorius
Que ceux qui pensent que « Hejira » peut ressembler aux premiers crachats folks de Bob Dylan passent leur chemin, on en est ici à l’antithèse. C’est hyper technique (le Pastorius et le Carlton n’étant pas exactement réputés pour la sobriété de leur jeu), hyper compliqué (on touche aux limites de la composition à la guitare), hyper chiadé (le son est pur et clair comme du cristal, no guitare fuzz évidemment) … et souvent hyper chiant aussi …
« Hejira » est un des plus longs enregistrements couchés sur un seul vinyle (52 minutes), on est dans le cœur du mille du centre du son west coast (rien qui dépasse, qui crisse, qui grince, jamais un mot ou une note plus haute que l’autre). Les textes sont interminables (à la Dylan) et sont de purs récits (jamais de refrain), souvent axés sur sa gamelle sentimentale (dont on se fout un peu beaucoup) ... Et la Mitchell, si elle est un bon auteur-compositeur, n’est pas une chanteuse extraordinaire, elle se met souvent à la limite de la rupture dans les montées vers les aigus, et c’est plutôt pénible, même si c’est son style immuable… Alors faut chercher des branches auxquelles se raccrocher pour éviter de s’endormir.
La pochette d’abord. Et que ceux qui comprennent pas aillent voir à quoi ressemblent les pochettes de la disco de Joni Mitchell (elle a très souvent la désagréable habitude d’y mettre un de ses crobars peinturlurés arrivant à faire rivaliser en mocheté visuelle son œuvre avec celle de Dinosaur Jr, ce qui n’est pas rien …). Celle-ci, elle n’en a eu que l’idée, laissant la réalisation à des gens dont c’était le métier et c’est une bien bonne idée … on voit la Joni en surimpression d’une route attifée du béret à la Faye Dunaway dans « Bonnie & Clyde », accessoire indispensable de toutes les bobos californiennes des 70’s …
Furry sings the blues - Neil Young & Joni Mitchell
Une moitié des titres ne mérite pas pour moi qu’on en parle, not my cup of tea … Force est de reconnaître que le joli écrin dans lequel ils sont sertis fait briller des choses comme l’inaugural « Coyote » (Pastorius et Carlton, la Joni guitare et voix, de la technique qui swingue un peu, allez ça passe …), ou le soft rock de « Song for Sharon » (la Sharon étant si j’ai bien compris une sienne amie, canadienne comme elle, qui aurait voulu être artiste et n’a pas réussi). Recueillent également un avis favorable « Furry sings the blues » (au sujet de Furry Lewis, country man bluesy septuagénaire, qui pour la petite histoire n’a pas du tout apprécié d’être l’inspirateur du titre), rehaussée surtout par la présence de l’harmonica de Neil Young qui intervient là comme dans la B.O. de « Dead Man », c’est-à-dire au feeling et ça tranche avec le côté bien clinique du restant du disque. Un mot pour « Black crow », le titre le plus « rock » (enfin le plus strident dans le contexte), mais qui n’a certainement pas été à l’origine du nom du groupe des frangins Robinson …
Précisons (rigueur, sincérité et objectivité à la de Rugy, hein, vous me connaissez) que certains bobos malentendants considèrent ce « Hejira » comme le sommet de l’œuvre de Joni Mitchell et une des merveilles du style West Coast …