LED ZEPPELIN - LED ZEPPELIN II (1969)

Le bon numéro ?

A moment donné, faut faire preuve de pédagogie, se servir de ses cheveux blancs pour éduquer les générations futures. Ainsi, à la question de savoir quel est le meilleur Led Zeppelin, il faut répondre : « Le II ». Après sept ans de réflexion peut-être, mais sans hésiter. En plus, la même réponse peut servir pour plusieurs questions, du genre quel est le meilleur disque de Robert Plant ou de Jimmy Page depuis un demi-siècle… Surtout Jimmy Page …

Parce que parler de Led Zeppelin sans mettre au premier plan son guitariste serait une faute professionnelle. Non pas parce que Page est guitariste, on s’en fout … quoique s’il avait joué du tuba, du balafon ou du triangle, on aurait peut-être moins causé cinquante ans pile poil après les faits de ce dirigeable-là. Mettons les poings dans ta gueule et accessoirement sur les i, sans Jimmy Page, Led Zeppelin serait aussi célébré aujourd’hui que Vanilla Fudge ou Granicus, si vous voyez ce que je veux dire. Alors que le Zep, ça résume à lui seul les années septante dix (j’aime écouter le son des Gibson, le soir au fond des bois), dans tout ce qu’elles ont eu de meilleur, et aussi de pire. Dans cette décennie-là (j’y étais), écouter de la musique était un acte culturel, à la limite un choix politique à lui seul, fallait choisir son camp, se laisser pousser les cheveux tout ça, et ne jamais être d’accord avec ses parents. Et puis tout ça est parti en sucette, tous nos héros sont devenus aussi cons et aussi hors sol que le premier Macron venu qui aurait gagné une élection présidentielle (mauvais exemple, lui et sa mafia de polytechniciens étaient aussi cons avant de la gagner la putain d’élection …)
Parce que Page a inventé et défini … le son ultime du rock, tout simplement. Parce qu’il faut écouter les Stones de « Exile … » en vinyle, Dire Straits en Cd, le Floyd en Blu-ray multicanaux (alors qu’avant c’était en vinyle), Led Zep, tu peux l’écouter comme tu veux, quand tu veux et sur n’importe quoi, sur le radio K7 d’une 4 L si ça te chante (ou pire en playlist sur Spotify), ça va te coller au plafond. Tu peux rééditer le catalogue, le remixer, le remastériser, rien n’y fera, ça envoyait la foudre y’a cinquante ans et ça n’a pas pris une ride.
Un exemple parmi mille : fin 1965, les Beatles laissent tomber leurs petits costards, leurs cheveux se mettent à pousser, et ils sortent « Rubber Soul », pas exactement une galette insignifiante. Moins de quatre ans (oui, quatre ans, ce doit être aujourd’hui le temps moyen entre deux rondelles soporifiques de n’importe quelle plus ou moins légende octogénaire du rock) après « Rubber Soul », sortait « Led Zeppelin II ». Un monde et une éternité séparent ces deux disques cruciaux, sans qu’il soit besoin de ressortir le couplet historique pourtant pertinent (fin 69, Altamont, la fin d’une époque autant que d’une décennie, …). Autant les Beatles ont révolutionné leur monde en proposant des choses très jolies minutieusement mises en place, autant le Zeppelin se positionne du côté de la provocation et de l’outrage. Et tous les Peter Grant du monde n’auraient servi à rien si derrière il n’y avait pas eu, comment dire, de la matière.

Alors, le « II » … Ne jamais oublier non plus que le 1er Led Zep est paru il n’y a même pas dix mois. Le groupe tourne sans relâche, visant d’entrée l’hégémonie mondiale. Les titres du « II » sont la plupart écrits sur la route, et enregistrés vite fait entre New York, Londres et Los Angeles. Et malgré tout, ce qui frappe, c’est l’unité sonore. Aucun autre disque du Zeppelin ne sera aussi homogène… Parce que le Zep est trop doué pour s’en tenir à un seul genre, en un morceau bégayé pendant toute une carrière. Led Zeppelin écrira des titres fabuleux qui n’ont rien à voir avec son fonds de commerce (« Gallows Pole », « Stairway to heaven » ou « Kashmir » ne sont pas des décalques de « Dazed and Confused ») laissant transparaître des influences celtiques, heroic fantasy ou orientales.
Il y a dans le « II » les prémisses de ces explorations qui arriveront dès le suivant. Mais ici traitées par l’homéopathie (pauv’ Juliette) comme ces sonorités celtiques que n’arrivent pas à cacher le fonds bluesy et le B3 de Jones sur « Thank you », ou cette place laissée à l’acoustique sur « Ramble on ».
Bon, il y a comme un air de déjà vu avec le « I », ne serait-ce que pour l’inspiration / pillage (rayer la mention inutile, mais les deux fonctionnent) des bluesmen (Willie Dixon sur « Whole lotta love », Howlin’ Wolf sur « The Lemon Song »), ou sur le dernier titre, « Bring it on home » patchwork sonore d’obédience bluesy comme l’était son siamois « How many more times » sur le « I ».
Et puis, même si c’est sur le « IV » qu’on trouvera les morceaux les plus connus du dirigeable, les meilleurs titres sont bel et bien sur le « II ». « Whole lotta love » pour commencer, avec d’emblée sa guitare reptilienne, la basse grondante de Jones, la voix hurlée de Plant, et le Bonzo qui écrabouille ses fûts. Avec son intermède rempli d’arrangements futuristes pendant que Plant simule l’orgasme et que Page se prépare sournoisement à envoyer une foudre à base de riffs monstrueux … « What is … » offre un quiet / loud d’anthologie (les Pixies ou Nirvana n’ont pas inventé ça, d’ailleurs le minot Cobain a appris à jouer de la guitare en reprenant du Led Zep) d’une complexité mélodique ahurissante, striée par les killers riffs de Page qui se répondent en écho sur la stéréo … Led Zeppelin est un maître de la tension sonore sur « The Lemon Song » dont le côté bluesy nonchalant ne sert que d’introduction à une accélération de dragster ponctuée par douze milliards de notes lâchées par Page en moins de temps qu’il n’en faut à un député de LaRem pour trouver une idée de nouvelle taxe … « Thank you » dont il a déjà été question clôture une de ces faces de vinyle comme on aimerait en entendre plus souvent.
Peter Grant, Ahmet Ertegun & Led Zeppelin
La seconde commence sur le même niveau d’excellence. Par « Heartbreaker » un truc tout simple (par la construction) mais d’une mortelle précision chirurgicale, avec deux solos de la mort qui tue sa race de Page, le premier inventant toute la phraséologie qui fera la fortune d’Angus Young et le second lancé comme un défi au faux-ami mais vrai rival Jeff Beck. Titre quasiment enchaîné avec « Living loving maid » qui une fois qu’on l’a gravé dans son cerveau permet de reconnaître à la première note Jimmy Page. Je rêve pas la nuit de guitar-heroes dont la prétention n’a souvent d’égale que la vacuité démonstrative, mais quand ces types trouvent un son, une manière unique de faire sonner leur instrument, je suis client, et le Jimmy Page fait partie de ces rares qui offrent beaucoup plus qu’un stéréotype de chevelu grimaçant sur le manche de son phallus à cordes … Intermède acoustique donc ensuite avec « Ramble on » avant le titre que j’ai le plus tendance à zapper, ce « Moby Dick » qui sert de vitrine à Bonham. Que ce type soit un des plus grands batteurs du rock, OK, mais remplacez trois lignes au-dessus solos de guitare par solo de batterie, et vous aurez mon avis sur la question. Et puis si on trouve ça bien, on peut tomber dans les drogues dures et s’extasier de performances longues comme un jour sans Pastis à Marseille de tous ces Ginger Baker, Billy Cobham, Christian Vander, j’en passe et des plus pénibles avec leurs kits de fûts, toms et cymbales genre château de cartes défiant les lois de l’équilibre, de l’architecture et du bon sens …
Et donc à la question de savoir quel est le meilleur Led Zep, il fallait bien répondre le « II ». Ce qui ne doit surtout pas empêcher d’en écouter quelques autres …


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Led Zeppelin