JJ CALE - SPECIAL EDITION (1984)

Le Roi Fainéant ...

Celui-là, il a failli finir sous le dégradant intitulé « Poubelle direct » … si j’avais pas peur de me faire lyncher par mes millions de lecteurs.
Whaaaat ???  Une compilation de JJ Cale à la poubelle ?
Ben oui, mais pour les bonnes raisons. Je m’explique. « Special Edition » est paru simultanément en vinyle, K7 et Cd en 1984. Le support Cd étant apparu en 1982. Remarque, le premier Cd plus ou moins rock paru était d’ABBA, et la première vente conséquente le « Love Over Gold » de Dire Straits, dont tous les vendeurs de matos avaient un exemplaire et te faisaient écouter la pureté du son de « Private Investigations », titre fortement inspiré, c’est le moins que l’on puisse dire, par JJ Cale.
Même jeune, JJ Cale était vieux ...
Un cadre de chez Phonogram a dû avoir la lumineuse idée de s’engouffrer dans la même brèche avec une compilation du grincheux troubadour américain. Vite faite, mal faite, mais fallait battre le fer pendant qu’il était brûlant … très mauvaise idée et très mauvaise rondelle au final. Parce que Cale tient beaucoup plus du bouseux rustique (quoi que, on en reparlera) que du type obnubilé par le high tech. Ce qui ne l’a pas empêché d’avoir un son et une approche reconnaissables entre mille, et surtout d’avoir une production qui a évolué (pas toujours en bien, on y reviendra aussi) au fil du temps.
Cette compilation est faite sans aucun respect de la chronologie. On part de « Cocaïne » (1976) pour finir par « Crazy Mama » (1972), en poussant jusqu’au début des 80’s. N’importe quoi … Pire, comme il était de coutume d’affirmer péremptoirement que le support Cd était d’un meilleur rendu sonore que le vinyle (ce qui est très discutable, surtout à cette époque-là), Mr et Mme Phonogram ont aligné les titres sans les égaliser, alors évidemment on fait cohabiter des trucs enregistrés sur du matériel de fortune (avec une dynamique faible) avec les bandes master des studios multipistes californiens (avec une dynamique beaucoup plus puissante). La juxtaposition est forcément calamiteuse, et le rendu sonore se fait au détriment des titres les plus rustiques … évidemment les meilleurs. Encore heureux que dans la précipitation et l’appât du gain, ils aient pas repiqué directement les vinyles, comme ça s’est fait parfois … On regrettera également qu’en tout et pour tout, on n’ait que quarante minutes de musique, alors qu’il y avait matière à meubler qualitativement …
Jusqu'au serre-tête qu'il s'est fait piquer par Knopfler ...
Ceci posé, il n’y a pas d’oubli tragique. Les titres qui ont assis la légende de JJ Cale sont là. Ils sont issus essentiellement des deux premiers albums, « Naturally » et « Really », quand tout à coup le monde ébahi (enfin quelques zozos plutôt rares, Cale vendait que dalle) découvraient dans un business dominé par des Gibson raccordées à un ampli Marshall tous potards sur onze, un péquenaud déclamant d’une voix endormie sur un rythme incitant à la sieste des machins peinant à dépasser les deux minutes… Ecouter ces « Magnolia » (peut-être sa plus belle), « After midnight », « Call me the breeze », « Crazy Mama » en a traumatisé quelques-uns au-delà du raisonnable. Knopfler bien sûr, dont toute la carrière repose sur un plagiat honteux de Chet Atkins et JJ Cale. Les rudes soudards de Lynyrd Skynyrd dont « Call me the breeze » deviendra un cheval de bataille live. Et God lui-même, qui relancera une carrière qui avait tendance à se noyer dans le cognac en reprenant « Cocaïne » après « After midnight » (avait-il seulement saisi qu’il s’agissait d’une chanson anti-drogue, lui l’héroïnomane forcené) et en profitera pour rajouter quelques zéros à son compte en banque.
Le compte en banque, Cale devait même pas en avoir. Il vivait dans un mobil home cabossé au milieu du désert dans l’Oklahoma, passait ses journées à gratouiller en laissant tourner les magnétos, refusait les interviews, les shows télé et les tournées, envoyait bouler les représentants de sa maison de disques et sortait une rondelle tous les trois ans. On a longtemps cru que tout était jeté sur bande en une seule prise, en compagnie de son éternel complice, le producteur Audie Ashworth. Jusqu’à ce que des décennies plus tard, Cale ayant entrepris de faire quelque chose qui ressemble à une carrière « normale » révèle que ces fameux titres laidback (le nom inventé pour son style) étaient en fait des collages de dizaines de prises issues de maquettes enregistrées dans sa caravane en bute à un groupe électrogène préhistorique et récalcitrant. En gros, Cale utilisait la même façon de faire de la musique quarante ans plus tôt que, au hasard Daft Punk …
Christine Lakeland et un fan de son mari qui se prend pour Dieu ...
Cale aurait pu faire un parcours sans faute tant l’hypothèse de départ était parfaite et qu’il s’y est tenu scrupuleusement pendant quelques albums (les trois premiers, le troisième étant un peu en panne de bonnes chansons tout de même). Et puis, genre Ancien Testament, il céda à la Tentation. Lui, l’ermite dont la seule compagne était une vieille moto de cross, rencontra sa muse, Christine Lakeland. Et n’en déplaise à Marlène-aux-grosses-fesses Schiappa, elle a joué le rôle qu’on peut attendre d’une femme quand elle s’occupe de la musique de son mec, elle l’a rendue toute moche, confirmant un vieil axiome rédigé par toutes ces Yoko Ono, Linda Eastman, Kathleen Brennan, … au détriment de leurs époux … fin de la parenthèse myso.
Certes, Lakeland a dû faire ouvrir un compte en banque à son mari, mais elle s’est mêlée de sa musique, co-signant des titres, apparaissant partout sur les crédits, chantant même en duo avec lui (« Don’t cry sister »). Alors on pourra toujours dire que Cale était cuit, n’avait plus rien à dire, aurait bégayé son truc, il n’empêche que c’est pas avec sa dulcinée présente voire omniprésente qu’il a livré son meilleur. Il s’est même laissé aller à quelques sottises comme le rhythm’n’blues funky de pacotille « Lies » qui ferai passer Earth Wind & Fire pour des génies. Ou l’imitation de Dire Straits avec « City girls » que Knopfler pompera pour en faire « Walk of life », hit intergalactique, Cale testant à l’occasion et à ses dépens l’histoire de l’arroseur arrosé …
En résumé, fuyez cette rondelle, et dégottez-vous – au moins – une bonne compile du feignant en chef du binaire. Laquelle ? Eh oh, démerdez-vous … je vais faire la sieste …

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