Les Talking Heads, avant d’être signés chez Sire, étaient
un des groupes animant au milieu des 70’s les soirées du CBGB, partageant
l’affiche ou succédant sur la scène à des gens comme Patti Smith, Blondie,
Television, Ramones, Cramps, Dead Boys, Johnny Thunders & the
Heartbreakers, Mink DeVille, etc … En gros, tout le gratin des punks
new-yorkais, tous ceux qui allaient inspirer les Pistols, Clash, Damned, … en
Angleterre.
Byrne, Frantz, Weymouth & Harrison, Talking Heads 1977 |
Punks,
les Talking Heads ? Hum … Fils de bonne famille pour le trio
d’origine (Byrne, Weymouth, Frantz), étudiants à la Rhode Island School of
Design où ils se sont rencontrés… En fait, le groupe dont ils sont le plus
proche socialement à l’origine, ce doit être … le Pink Floyd de 66 (et si vous
connaissez pas la genèse du Floyd, allez voir sur Wikimachin ou vous faire
foutre, bande d’incultes…). Les Talking Heads sont d’entrée différents. Toute
cette scène du CBGB vient plus ou moins d’un rock’n’roll sans trop de
fioritures. On envoie la sauce et on voit ce qui arrive. Les Talking Heads ont
peu à voir avec le rock, qu’il soit n’roll ou pas. L’essentiel de ce premier
disque les voit s’attaquer à des structures funky et dansantes. Ou à ce qu’il
reste du funky et du dansant quand il est passé entre leurs pattes.
Les Talking Heads sont d’une approximation charmante. Entendez
par là qu’ils disposent d’une technique plutôt hésitante. Il n’est jamais venu
à l’idée de personne de citer David Byrne comme un guitariste influent ou
intéressant. La section rythmique, (Mar)Tina Weymouth – Chris Frantz, couple à la
ville comme à la scène, n’a que peu à voir avec Bogert-Appiece ou Bruce-Baker.
Le seul musicien expérimenté du groupe est le claviers Jerry Harrison, mais pas
de bol, il a fait ses classes chez les Modern Lovers de Jonathan Richman, pas
vraiment le groupe adepte de démonstrations techniques exubérantes. Le son des
Talking Heads est squelettique, rachitique, syncopé. Et par-dessus cette
instrumentation de bric et de broc, David Byrne s’approprie les parties
chantées d’une façon toute personnelle, donnant l’impression d’un trisomique
épileptique récitant ses gammes.
Les mêmes, rangés à la Dalton |
« Talking Heads : 77 » n’est pas un disque
qu’il faut avoir parce qu’il est bon. Ce n’est pas un « bon » disque
au sens 70’s du terme. Mais c’est un disque intéressant, qui pose de nouveaux
jalons dans un genre (la chanson de trois minutes) qu’on croyait définitivement
balisé.
« Talking Heads : 77 » s’inscrit dans la
lignée et la mouvance de machins comme le 1er Devo ou le 1er
Television, même s’il partage plus de similitudes avec les savants fous d’Akron
qu’avec le jazz-rock intello de Verlaine et consorts. Les Talking Heads ne sont
pas un phénomène de mode, et encore moins de foire. L’influence de ce premier
disque dépassera le strict cadre de la reconnaissance critique et de l’effet
« mode » de tout ce qui sortait du trou à rats pisseux qu’était le
CBGB. Un seul exemple, la ressemblance flagrante entre le « Boys keep
swingin’ » de Bowie et le « Tentative decisions » des Talking
Heads, l’emblématique titre de « Lodger » est sorti un an et demi
après celui de Byrne & Co. Par contre, si le son disco-funk blanchi, robotique
et approximatif des Heads est original, la structure des titres n’est pas forcément
innovante. J’ai déjà causé de Devo (évident sur « Who is it ? »
ou « First week …» ), on peut aussi trouver des relents incontestables des
Sparks ( les couplets très baroques de « Don’t worry about the
government ») ou des montées opératiques rappelant le Queen de la folle
Mercury (« Happy day »).
Talking Heads live au CBGB |
Incapables de faire compliqué, les Talking Heads
s’évertuent à faire simple (et pas simpliste), réinventant le concept du less
is more. Ce premier disque est une épure. Foin d’enrobage sophistiqué, ne reste
que l’essentiel, la structure rythmique sautillante, Harrison qui overdubbe
parfois ses parties de claviers minimalistes avec une partie de guitare, Byrne
qui assure l’hyperminimum à l’autre guitare. La seule recherche tient dans les textes
(poético-illuminés, elliptiques et second degré) et dans la façon de les
chanter (on ne peut raisonnablement pas penser que Byrne ne puisse faire mieux
vocalement, ses montées avortées dans les aigus sont faites exprès).
Tout n’est pas absolutely fabulous, il y a deux trois
titres un peu en dessous, mais en contrepartie Byrne et sa troupe livrent
quelques incunables de l’époque, inspirateurs de toutes les waves à venir (qu’elles
soient new, post, cold, …). Même s’il manque le premier single du groupe (« Love
/ Building on fire »), au moins trois titres marqueront les esprits. « The
book I read », avec la façon étrange de chanter de Byrne portée à son
paroxysme sur une chanson qui aligne une nouvelle idée toutes les dix secondes.
« Don’t worry about the government » est une merveille de second
degré décrivant les USA comme un pays de Bisounours auquel chacun doit être
fier d’apporter sa contribution, le tout sur une mélodie imparable. Mais
surtout « Talking Heads : 77 » est le disque sur lequel figure «
Psycho Killer », titre emblématique du groupe. Délire à peu près total et
morceau le plus fou sorti du CBGB. Inspiré très certainement du « Heroes »
de Bowie pour sa partie en français qui vous force à comprendre quelque chose à
votre propre langue, il esquisse par moments la mélodie répétitive qui sera la
trame du « Fashion » de … Bowie, grand amateur du groupe.
« Talking Heads : 77 » fera de ses auteurs
un groupe qui compte. Enfin, un groupe intello qui compte (alors que la musique
est primaire, pour ne pas dire primitive). De tête parlante (allusion aux speakerines
– oui, jeune lecteur connecté, c’est un vieux métier du XXème siècle) Byrne va
devenir tête pensante, groupie de Brian Eno, autre penseur en chef. La
production (hormis « Remain in light ») du groupe sera par la suite sérieuse
(sous-entendu plutôt chiante), ce qui ne fera pas marrer du tout le couple
Weymouth-Frantz…
C’est une autre histoire …
Des mêmes sur ce blog :