J.J. CALE - GRASSHOPPER (1982)

 

Sautillant …

Pour s’y retrouver facilement dans la discographie de JJ Cale, c’est pas très compliqué : plus ses disques sont anciens, meilleurs ils sont. Sachant que les moins bons disques du JJ valent les meilleurs de ses nombreux disciples (au rang des plus célèbres on trouve Clapton et Knopfler). Ceci posé, on peut parler de ce « Grasshopper ».

Paru en 1982, alors que Cale a déjà construit mythe et légende, et après une décennie de frénésie créatrice … Frénésie créatrice à son rythme (une quinzaine de rondelles en quarante ans de carrière).  « Grasshopper » est le septième. Pas besoin de compter, le suivant, fidèle à la fainéantise légendaire (et donc comme toutes les légendes, plutôt fausse) sera imaginativement baptisé « #8 ».

Alors que ce qui caractérisait le Cale des débuts c’était ce côté traînard, acoustique et épuré, au service de mélodies de première bourre, au début des 80’s, tel un Robert Pirès laidback, JJ Cale a musclé son jeu. Peut-être influencé par ceux qui le reprenaient (les riffs électriques du Clapton de « Cocaïne »), Cale se branche sur secteur et pousse les potards vers la droite. Bon pas sur onze non plus, mais suffisamment fort pour réveiller les crotales qui somnolent à côté de sa caravane dans le désert à côté de Tulsa, Oklahoma. Même si là aussi, l’histoire du misanthrope solitaire dans son mobil-home est à nuancer. Cale a pris épouse (Christine Lakeland, qui s’impliquera de plus en plus dans l’œuvre de son mec, on y reviendra), ne dédaigne pas bouffer du bitume (ou du tarmac) pour aller enregistrer (Nashville et Los Angeles  pour ce « Grasshopper »), et sait s’entourer (outre le fidèle alter ego Audie Ashworth à la coproduction, des pointures généralement issues du milieu des requins de studio country viennent cachetonner, et des types reconnus comme le guitariste Reggie Young ou le pianiste David Briggs – le producteur de Neil Young – sont présents sur de nombreux titres).

Donc avec « Grasshopper » JJ Cale fait du rock des années 80 (aujourd’hui, on appellerait ça du dad rock), ce qui le concernant, sonne presque comme une insulte. Cale vaut (et a fait) mieux que ces petits boogies sautillants, ces blues en roue libre, ces rhythm’n’blues blanchis, ces reggae (putain du reggae …) très approximatifs, ces instrumentaux bâclés. Le plus souvent, Cale, perdant sans doute la raison et tout sens de la mesure et du bon goût, se laisse même aller à chanter, ou au moins à chantonner.

Il ne reste que deux choses du JJ Cale des débuts. La concision (quatorze en trente-cinq minutes, fans des solos de Bonamachin ou du Stevie Ray à chapeau, circulez) et l’écriture (même s’il s’applique parfois à bien les pourrir, tous ses titres sont écrits couplet, refrain, pont, chorus, solo, arrangements, il manque rien). Et Cale qui a toujours su éviter tout de même l’écueil de la surcharge, montre qu’il est capable de torcher un titre rien qu’avec sa voix et sa guitare acoustique (« Drifters wife » comme du Dylan rêche des débuts). Et cette concision et cet art de l’écriture sauvent – presque – ce disque.

C Lakeland & JJ Cale

Il y a quelques bons morceaux. Dont « City girls » d’entrée. Mélodie voisine du « Train du soir » de Manset (alors dans sa période sous influence Dire Straits) et sautillements boogie (honteusement pompés par … Dire Straits pour « Walk of life », le monde est parfois petit …). On trouve ce titre sur toutes les compiles de Cale. Où il voisine souvent avec « Devil in disguise », le meilleur titre de ce « Grasshopper », petit boogie sans prétention, alliant simplicité, composition et interprétation parfaites. A côté de cette honnête doublette introductive, les douze morceaux suivants sont un peu à la traîne. Ça sonne bien trop souvent roue libre complète, voire pire quand Cale livre des titres désinvoltes, limite foutage de gueule, genre « vous voulez du blues, du rhythm’n’blues, du reggae, du jazzy … eh bien tenez … ». Se pointent alors sans conviction des « Don’t step ahead of the blues », « Nobody but you » (avec section de cuivres ?!), « Does your mama like to reggae », l’instrumental final « Dr Jive ». Et quand la Lakeland, telle une Yoko Ono sudiste, devient envahissante (heureusement la plupart du temps elle se contente d’harmoniser et d’un peu de guitare rythmique), se mêlant d’écriture, d’arrangements et de chanter en duo, on touche le fond (le « Does your mama …» déjà évoqué), ou lorgne assez lourdement vers les charts (« Don’t wait » comme du Creedence anorexique).

Il faut souvent dans ce « Grasshopper » savoir se contenter de peu … comme de la jolie intro au piano de la balade à bout de souffle « You keep me hangin on » (rien à voir avec le hit des Supremes), le petit riff métallique de « Can’t live here », le rendu sonore qui renvoie aux débuts du JJ de « A think going on » (mais à la mélodie totalement inconsistante), le joli gimmick de « Mississippi River » …

De ces petits bouts de talent éparpillés, à cette époque-là, Clapton s’en serait volontiers contenté (il entamait une relation musicale honteuse avec rien de moins que Phil Collins, comme quoi trois quilles de cognac par jour, ça attaque pas que le foie, ça touche aussi les oreilles, putain Phil Collins …). Et pas très loin, Knopfler et son banquier prenaient des notes et allaient passer à la caisse …

Et JJ Cale dans tout ça ? Comme d’hab il vendait que dalle, et devait s’en foutre …


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