THE SMITHS - THE SMITHS (1984)

 

So British ...

Ouais, parce que plus anglais tu peux pas … déjà le nom du groupe. Choisi parce que Smith est le nom de famille le plus répandu du bon côté de la Manche (si l’on cause musique) … Mais c’est pas le tout d’avoir un nom qui va causer à ses concitoyens… Les Smiths, le temps de leur courte existence (une poignée d’années) furent chaque fois désignés par les lecteurs de la presse musicale (anglaise, évidemment) comme le meilleur groupe de l’année, voire du siècle. Une popularité mesurée à l’aune des Beatles et des Jam avant eux, et d’Oasis la décennie suivante.


Hors de la perfide Albion, que dalle … à tel point que le fan-club français du groupe, pour que l’on parle des Smiths dans les mags musicaux hexagonaux, n’eurent que la possibilité de créer le leur, de magazine musical. Ils le baptisèrent les Inrockuptibles, et bon an mal an, le mag persista dans une ligne éditoriale branchée, s’éloignant autant que les contraintes économiques le permettent, du mainstream, quitte à s’extasier pour des tocards terminaux … mais ceci est une autre histoire …

Les Smiths, donc … une curieuse entité bicéphale. A Johnny Marr la partie musicale. Le type est guitariste, jeune, et capable de fulgurances mélodiques remarquables. Il est considéré par ses pairs comme le guitariste le plus talentueux des 80’s, alors qu’il n’a strictement rien d’un virtuose qui s’expose et ne fait pas rugir des empilements de Marshall. Ce serait plutôt un taiseux discret.

Morrissey & Marr

Le contraire du chanteur et auteur des textes, le dénommé Steven Patrick Morrissey, dont le nom de famille lui servira de nom de scène. Lui, il cherche depuis quelque temps (il a vingt-trois ans, quatre ans de plus que Marr au début des Smiths) son quart d’heure de gloire dans l’underground artistique et musical (il a été président du fan-club anglais des New York Dolls, a fondé celui des Cramps, et se fait publier dans la presse anglaise grâce à de multiples lettres qu’il envoie aux rubriques « Courrier des lecteurs »). Il écrit des textes plutôt sombres et tordus. C’est un ami des deux (Billy Duffy, guitariste des hardeux steppenwolfiens The Cult) qui fera se rencontrer Marr et Morrissey. Leur alliage sera celui du feu et de la glace, Morrissey l’extraverti et Marr l’introverti. L’un cherche l’ombre, l’autre fait un numéro assez étrange sur scène, chante et danse lascivement comme un pantin désarticulé. Signe décoratif notoire des premiers temps, Morrissey est grand consommateur de glaïeuls, glissés dans son dos dans la ceinture du pantalon. Les fleuristes de Manchester seront en rupture de stock les soirs de concert, les filles du public inondant la scène de glaïeuls… Morrissey apparaît comme un sex symbol … las, les groupies doivent déchanter, le chanteur revendique une activité sexuelle quasi nulle (il se prétend tour à tour vierge, homo, bi) et ses fréquentations amoureuses et ses goûts sexuels resteront mystérieux longtemps (il est très occasionnellement gay) malgré une nuée de paparazzi qui le traquent … Par contre, il gardera un sens de la communication exacerbé, parfois acéré et direct (intituler une chanson sur Thatcher « Margaret on the guillotine » est plutôt explicite), parfois beaucoup plus abscons (« Suffer little children », on en recausera plus bas de celle-là), voire navrant (de multiples prises de position certes alambiquées mais tellement souvent répétées qui ont montré dès la fin des 80’s une certaine affinité avec les théories du National Front anglais, copie conforme du parti de la Le Pen family)…

La préhistoire des Smiths, c’est le parcours classique dans le total anonymat, de multiples groupes avec de multiples comparses, avant que la bonne formule se mette en place, et que les Smiths viennent au monde. Détail géographique plus qu’important, les Smiths sont de la scène de Manchester et fortement influencés par les « stars » locales récentes (Buzzcocks, Joy Division, The Fall). Bien que d’emblée les Smiths aient un succès aussi conséquent qu’imprévisible, et ce dès leurs trois premiers singles, « Hand in glove », « This charming man » et « What difference does it make », qui se comporteront fort honorablement dans les charts nationaux.


Ces trois titres sont présents dans leur première rondelle dont au sujet de laquelle il est question ici, ce qui ne sera pas toujours le cas (comme au hasard les Beatles, nombreux seront les singles des Smiths qui ne figureront pas dans leurs albums).

« Hand in glove », un de leurs titres les plus évidents, aura une vie après les Smiths. Morrissey assiègera quasiment le staff de Sandie Shaw (une de ses idoles, chanteuse pieds nus des sixties, qui avait touché le firmament avec « Puppet on a string », scie gagnante de l’Eurovision en 1967, et tombée aux oubliettes depuis), la quadragénaire diva reprendra la chanson pour un numéro un anglais. « This charming man » sera un des classiques absolus des Smiths, typique du Smiths sounds, et introduit par un riff qui me semble repiqué sur celui de « Souvenirs, souvenirs » de feu le mari de Laeticia Boudou.  « What difference … » j’ai beaucoup de mal avec celle-là parce que Morrissey, encore à la recherche de son style vocal, passe la moitié du titre à se forcer à piailler dans les suraigus, et putain ça fait trop mal aux oreilles …

Mêmes tics vocaux, mêmes causes et mêmes effets pour « Miserable lie ». Tout ça pour dire que « The Smiths », s’il constituera pour certains une révélation et se vendra très très bien, n’est pas pour moi un indispensable, ni même pas un de ces début albums qui marquent leur époque. Les Smiths se cherchent encore et ne se trouvent pas toujours. Il se dégage de ce premier disque une certaine uniformité qui vire parfois à la monotonie. Marr ne se lâche pas encore aux compositions, et Morrissey cherche encore sa voix. Avant d’être totalement originaux par la suite, les Smiths piochent leurs musiques aux frontières du rock (« You’ve got everything now », « What difference … »), ou même du ska (« Pretty girls make graves »).


Mais surtout les Smiths sont à l’opposé de ce qui marche, qui se vent par camions. Inutile de chercher chez eux le gros son de batterie à la « Born in the USA », les démonstrations virtuoses d’un Prince, le racolage commercial d’une Madonna, … Les Smiths seront les rois de la mélodie mid-tempo (« Still ill »), de la ballade cabossée de crooner (« I don’t owe you anything »). Avec des paroles qui claquent et font réagir. Ici, la controverse viendra de « Suffer little children », qui fait allusion à des meurtres d’enfants par un serial killer dans la région de Manchester. Les faits sont récents, et les prénoms des victimes sont cités. Polémique (Victor), des familles seront offusquées, d’autres reconnaissantes, les textes de Morrissey, toujours impersonnels, laissent la porte ouverte à toutes les interprétations, et cette ambiguïté littéraire sera sa marque de fabrique.

Et les Smiths feront aussi causer avec leurs pochettes. Ils mettront souvent en photo des icônes masculines ou gay (voire les deux). Ici, c’est Joe d’Alessandro (photo extraite du film « Flesh » d’Andy Warhol), il y aura Jean Marais sur un single en 87, et Alain Delon sur leur chef-d’œuvre « The Queen is dead » en 86.

Les Smiths, vu leur succès, seront souvent cités comme références (enfin, Morrissey et Marr, tout le monde a oublié le nom de la section rythmique), leur style sera vite reconnaissable aux premières mesures, mais musicalement, peu se réclameront de leur influence. Ont-ils placé la barre trop haute, ou ne sont-ils que des étoiles filantes au cœur d’une décennie musicale souvent décriée ?

Vous avez deux heures pour répondre …


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