« L’Homme de
l’Ouest » fut encensé par un article fleuve de Godard dans « Les
cahiers du Cinéma », article dans lequel au milieu d’allégories fumeuses
énigmatiques, il laissait clairement entendre que ce film était le meilleur
d’Anthony Mann et le meilleur western jamais réalisé. En parallèle, Bertrand
Tavernier, qui s’y connaît quand même un peu en matière de cinéma américain,
juge que le film n’est sauvé que par une prestation extraordinaire de Gary
Cooper… (on trouve tout ça, ainsi qu’une belle bio de Mann dans les excellents
bonus du Dvd). Comme je suis un peu con et que les cons ça ose tout comme
disait Audiard, je ne suis d’accord ni avec l’un ni avec l’autre …
Anthony Mann & Gary Cooper |
Il y a quand même dans la filmo
de Mann des westerns autrement mieux torchés que « L’Homme de
l’Ouest », et notamment la tripotée tournée avec James Stewart (de
« Winchester 73 » à « L’Homme de la plaine », faites votre
choix). Et puisque le nom de l’immense Stewart est lâché, je vois pas comment
on peut juger transcendante la prestation de Gary Cooper, acteur au jeu tout en
économie finalement assez crispant (à tel point que je me demande toujours si
on le prenait pour jouer un personnage ou pour faire son Gary Cooper devant la
caméra …).
Godard et Tavernier n’ont pas
tout faux. « L’Homme de l’Ouest » est bel et bien l’adieu de Mann au
genre du western (il finira sa carrière en tournant des péplums dispensables),
et synthétise d’une certaine façon sa perception du genre réduit à sa plus
simple expression (la thématique de la vengeance portée par des héros ambigus).
Godard a raison sur ce point-là. Tavernier aussi quand il exprime ses réserves
sur le scénario, avec ses personnages monolithiques et son final cousu de fil
blanc.
London, O'Connell & Cooper |
Le scénario c’est du réchauffé.
Un cow-boy vieillissant (Cooper) est missionné par les habitants de son petit
village pour aller en « ville » et en ramener un instituteur. Lors
d’un voyage en train, il rencontre son maître d’école (en fait une maîtresse,
Julie London, chanteuse ratée de cabaret mais qui a fait soi-disant des études).
Le train est attaqué, Cooper, London et un parasite trouillard (interprété par
Arthur O’Connell) se retrouvent en pleine cambrousse avant d’arriver dans une
ferme abandonnée qui sert de refuge aux bandits qui ont attaqué le train. Dont
Cooper a fait partie dans le temps et dont le chef despotique (Lee J. Cobb) est
son vieil oncle (en fait dans la vraie vie, Cobb a dix ans de moins que Cooper,
merci aux maquilleuses…) à moitié fou, entouré d’une troupe hétéroclite de
débiles plus ou moins légers, tous plus sauvages les uns que les autres … Une
galerie de portraits entre les consanguins de « Délivrance », ceux de
« La colline a des yeux » ou « Massacre à la tronçonneuse »
… le seul suspense étant de savoir comment Cooper sans armes, avec une femme
que tous veulent violer et un trouillard comme boulets attachés à ses pas, va
faire pour dégommer toute cette bande de dégénérés… et accessoirement s’il va
finir ses jours avec Julie London, alors qu’on a appris qu’il est marié et père
de famille… un indice, dans les années 50, on rigole pas avec l’adultère, même
au cinéma …
Lee J. Cobb |
Alors oui, « L’Homme de
l’Ouest » est pour moi plus raté que réussi. Beaucoup plus sur le fond que
sur la forme. Parce que Mann, même s’il a touché à plein de genres, il est
resté dans les livres d’histoire comme un maître du western. Parce que Mann,
c’est le genre de type (comme John Ford) que si tu lui donnes une caméra pour
filmer en Scope, t’en prends plein les yeux. Il sait trouver les endroits et
surtout les transposer sur l’écran, même si on n’a vraiment que du « grand
spectacle » dans le dernier tiers du film, le premier tiers se passant
essentiellement dans un train et le second dans la pénombre de la ferme des
bandits … c’est bien sûr ce contraste lumineux aveuglant qui rehausse le final
… tiens, en passant, un détail aveuglant : pendant la majeure partie du
film, Cooper est plus ou moins prisonnier / otage des bandits. Alors qu’eux
sont totalement dépenaillés et hirsutes, lui semble toujours propre sur lui et
toujours rasé de frais … Et la meilleure scène, elle est jouée par Cobb et
London, quand le vieux libidineux caresse les cheveux de la chanteuse / instit
et que Cooper est hors champ …
Heureusement, « L’Homme de
l’Ouest » ne s’éternise pas, un peu plus de l’heure et demie syndicale, et
perso il me donne l’impression d’être plutôt bâclé, témoin le duel final entre
Cooper et Cobb dans une falaise désertique, qui dure même pas une minute, sans
la moindre montée de tension. On est loin du final de « L’appât » au bord
du torrent en furie.
Aujourd’hui, il semble bien que
« L’Homme de l’Ouest » soit quelque peu oublié, ce qui n’est pas
forcément très injuste …
Du même sur ce blog :
Winchester 73