Jackpot ...
Par bien des
aspects, « Casino » restera comme une sorte d’apogée.
De Scorsese
d’abord. Pas le genre de metteur en scène qui se fait bouffer par son scénario
ou ses acteurs. Scorsese a un style, une patte. Scorsese montre tout. Et quand
il fait des films qui se déroulent dans un milieu violent, il montre la
violence. Pas pour le plaisir de remplir l’écran de jets d’hémoglobine, mais
parce que la violence fait partie de l’histoire. Et quand la mafia (ici, celle
qui dirige en sous-main les casinos de Las Vegas), les millions de dollars, et
les montagnes de coke sont au cœur de l’histoire, eh ben, ça bastonne, ça
tabasse, ça flingue et ça saigne. Scorsese ne donne pas dans le réalisme façon
Bisounours. Au mépris des censeurs et des millions de dollars perdus, lorsque
le film quitte le cadre du « public familial » (« Casino »
a été interdit aux moins de 17 ans aux USA lors de sa sortie). Cette saga toute
en démesure (trois heures, des centaines de « fuck » dans la V.O.,
soixante crédits musicaux dans la B.O., le Caesars Palace réquisitionné pour le
tournage, …) est pour le moment, sinon définitivement, la fin du cycle
« mafia contemporaine» de Scorsese, et le second volet d’un diptyque
majeur entamé avec « Les Affranchis ».
Scorsese & De Niro |
« Casino »
est aussi l’apogée, et là aussi semble t-il le terme de la collaboration
Scorsese – De Niro. Même si des rumeurs de nouveau film les réunissant à
nouveau voient régulièrement le jour. A mon humble avis, si Scorsese est
toujours capable de faire de bons films, je vois mal De Niro, à 70 balais,
livrer une de ces performances d’acteur que Scorsese a su mieux que quiconque
lui extirper, suffit de voir sa reconversion grimaçante en beau-père de Ben
Stiller pour se dire que le Roberto a depuis pas mal d’années la tête dans le
sac … Un De Niro, qui évidemment, joue dans « Casino » un personnage
sinon de mafieux, du moins un type jonglant avec toutes les limites permises
par la loi et en relation étroite avec truands et ripoux de tous bords …
Le tandem
Scorsese – De Niro en fout plein la vue. « Casino » est avant tout un
film à grand spectacle, éclairé par les lumières aveuglantes du Tangiers, et
tous ces mouvements hyper-techniques de caméra qui ne se remarquent même pas,
la fluidité des séquences est fabuleuse, jamais un effet de trop … De Niro est le personnage central du
scénario, le dépositaire de la toute-puissance maffieuse. Il est autant le
moteur de l’histoire, celui qui fait avancer l’intrigue, que celui qui la
subit, car il est entouré par deux personnages forts.
Joe Pesci,
immense dans ce film. La connexion ritale de Scorsese, évidemment. Pesci livre
une performance de truand sauvage et speedé qui n’est pas sans rappeler les
numéros de James Cagney dans « L’ennemi public » ou « L’enfer
est à lui ». Une présence phénoménale, et pour moi il vole la vedette à De
Niro.
Sharon Stone & De Niro |
Sharon Stone aussi. Certainement
son meilleur rôle (de toutes façons, malgré sa réputation, on ne l’avait vue
que dans de furieux navets ou pas loin), pute de luxe, flambeuse et junkie,
avec tout au long du film une lente mais sûre descente aux enfers (l’alcool au
début, la dope ensuite) qui l’oblige à composer différemment quasiment à chaque
scène. Et qu’elle soit au faîte de sa beauté glamoureuse n’est certes pas un
handicap …
L’intrigue
centrale du film est assez simple. Sam « Ace » Rothstein (De Niro),
bookmaker de génie lié à la mafia de Chicago, est envoyé par celle-ci gérer un
casino de Las Vegas. Les affaires sont vite florissantes, les valises pleines
de billets retournent « au pays ». La situation va se compliquer pour
tous quand Rothstein tombe amoureux et épouse Ginger (Sharon Stone) et quand il
est rejoint par son ami d’enfance Nicki Santoro (Pesci), par l’odeur du
business illégal alléché. Rothstein va dès lors devoir composer avec ces deux
ingérables et l’histoire va très mal finir pour la plupart des protagonistes.
Joe Pesci & De Niro |
Alors certes,
si c’est bien cette triplette qui est essentielle dans le film, et si on ne
retrouve que leurs trois têtes sur l’affiche, ce serait faire peu de cas de
toute la multitude de personnages secondaires, et de tout un système (celui du
jeu en général et de Vegas en particulier) minutieusement décrit par Scorsese.
Malgré ses trois heures, de nombreux éléments de l’histoire ne sont pas
montrés, ils sont résumés en voix off par Rothstein le plus souvent, voire par
Santoro. Certaines choses abordées dans le film auraient pu faire l’objet d’un
long-métrage entier : le fonctionnement d’un casino, les techniques de
fraude fiscale et de blanchiment d’argent, la corruption du personnel, les
tricheurs plus ou moins professionnels, les relations troubles avec la
politique, la police et la justice, … autant d’intrigues secondaires dans le
film, juste abordées, mais qui en font toute la richesse et la complexité. Faut
suivre si on veut saisir toutes les nuances, les allusions, les sous-entendus
et les non-dits … Ce qui permet d’avoir au casting toute une galerie de
personnages secondaires, du mac minable de Ginger (James Woods), aux gueules
pittoresques des pontes de la mafia, en passant par toute une faune d’employés,
de petits truands, d’arnaqueurs, de flambeurs, de politicards et de flics
ripoux. Même la propre mère de Scorsese est de la distribution …
Joe Pesci & Sharon Stone |
Scorsese
traite là d’un sujet globalement brûlant, et pour éviter de se retrouver avec
une patate trop chaude, transpose l’action dans les années 70 et 80, en
précisant dans le final que depuis les choses ont changé. Tout en insinuant que
les vétérans de la mafia italo-américaine ont juste été remplacés par les cols
blancs des banksters et du monde de la finance en général. Scorsese a aussi
modifié (certains survivants, pas beaucoup, l’essentiel de la distribution se
fait dégommer avant le générique de fin, pourraient être susceptibles et
envoyer au minimum leurs avocats) les noms des véritables protagonistes (les
personnages joués par l’essentiel du casting ont réellement existé, et dans ses
grandes lignes, le scénario s’inspire de faits réels). Cette véracité de
l’histoire fait l’objet d’une incrustation au début ou la fin, je sais plus, et
on trouve dans les bonus du BluRay et sur le Net les véritables noms, ce qui
n’a à la limite qu’un intérêt tout anecdotique. C’est une histoire, un mode de
fonctionnement qui est montré, peu importent les personnages. D’ailleurs
Scorsese met vraiment des gants, essayant de nous faire croire dans les bonus
que pour lui le thème central de « Casino », c’est la dégradation de
la relation Rothstein-Ginger … Hum, Marty, j’ai du mal, j’y crois pas trop,
j’avais pas l’impression de regarder un remake de Douglas Sirk. Tiens, tant que
je cause bonus et support, autant dire que la version BluRay est somptueuse
image et son d’une précision et d’une clarté diaboliques, et les bonus (un
survol de la filmo de Scorsese commentée par lui, et une « enquête »
sur les véritables personnages ayant inspiré le film) assez nuls pour qui a
déjà vu et entendu le débit de mitrailleuse de Scorsese.
Et s’il
encore trop tôt pour enterrer Scorsese et faire un palmarès de sa carrière (il
a depuis « Casino » sorti des trucs pas dégueus et fourmille encore
de projets), « Casino » est un des films qui seront mis en avant pour
montrer ce qu’il a fait de mieux. Peut-être pas sa masterpiece, parce que
depuis « Mean streets », y’a eu du lourd, du très lourd même, mais sûrement
un de ses films majeurs … Question subsidiaire : en a t-il fait de
vraiment mineurs ?
Du même sur ce blog :