Rebel Rebel
Depuis des décennies, Willie Nelson est une
institution au pays de Mitt Romney. Le genre de figure tutélaire incontournable
qui surgit lorsque l’on parle musique populaire blanche, le voisin de palier
d’Elvis ou de Springsteen. Et si pour ces deux-là les choses se sont emmanchées
rapidement pour l’accès au mega stardom, Nelson fut pendant plus d'une décennie un de
ces galériens plus ou moins obscurs du music business, ne devenant vraiment une
star, avec la popularité qui va avec, qu’à la fin des 70’s avec le succès de son
très mainstream « Stardust ».
Végétant chez l’antique label RCA, dans lequel il
était en gros confiné au rôle du cow-boy chantant de service, Willie Nelson va
effectuer un bond artistique prodigieux en signant chez Atlantic en 1973.
Surtout parce que conjointement il devient la figure de proue du mouvement
Outlaw, tous ces artistes country (lui, Tompall Glaser, Kristofferson,
Jennings, …), ruant dans les brancards conventionnels qui sclérosaient le genre,
le réduisant à une musique de ploucs faite par des ploucs pour des ploucs, et
chapeauté par des requins nashvilliens verrouillant toute la partie économique
de l’affaire …
Et d’entrée chez son nouveau label, Nelson va
frapper fort avec ce « Shotgun Willie ». Atlantic lui donne les
moyens, rien de moins que Jerry Wewler, Arif Mardin (les deux stars maison de
la production), et David Briggs (l’indéfectible homme de studio de Neil Young)
sont aux manettes, tout le gotha des musiciens de séance étiquetés country
réquisitionnés, plus quelques apparitions de guests amis (Doug Sahm, Waylon
Jennings). Le répertoire alterne compostions de Nelson, et reprises de son
idole l’antique countryman Bob Wills, ou, plus surprenant, titres écrits par le
hippy déjanté Leon Russell.
Le résultat, c’est le disque parfait pour chialer
dans sa bière, rempli de country songs tristes et traînardes. Nelson ne renie
pas son idiome originel, mais met de côté les pénibles yodels, et relègue au
fond du mix violons aigus sautillants et pedal steel joviales. Le son est
résolument celui d’un rock band, et on peut déceler un peu partout l’influence
assimilée de gens comme Gram Parsons, John Fogerty, The Band. La country music
sort de son ghetto doré et s’ouvre au monde. Tout ça servi par la voix de
Willie Nelson, la plus belle a avoir œuvré dans ce registre.
Les ventes de ce « Shotgun Willie » seront
conséquentes, les hits au rendez-vous (l’éponyme « Shotgun Willie »
et ses cuivres rhythm’n’blues, « Stay all night », peut-être le
morceau le moins risqué, le plus « classique » de l’album). Mais ce sont
les ballades tout en nuances de gris qui marquent les esprits, de
« Whiskey River » à la magnifiquement épurée (juste guitare sèche et
voix) « A song for you », en passant par des perles comme « Sad
songs & waltzes », « Bubbles in my bear », ou la très
« Exile on Main St » « Devil in a sleepin’ bag ».
L’influence de ce disque sera considérable dans le
développement d’une forme modernisée de country qui débordera dès lors très
largement l’audience exclusive des péquenots blancs et réacs du Sud des Etats-Unis.
Même les Sudistes graisseux de Point Blank plagieront quasiment la pochette de
« Shotgun Willie » pour leur premier disque en 1976…