L'Enfance de l'Art ...
Pascal Comelade, il jouerait sur des Marshall à onze,
peut-être qu'en tendant l’oreille depuis chez moi, je l’entendrais. Même s’il
vit à quelques dizaines de kilomètres, et quasiment dans un autre pays (la
Catalogne, c’est pas vraiment la France, et encore moins l’Espagne). En tout
cas Comelade vit dans un autre monde, inaccessible pour qui n’a pas gardé
quelque part une âme d’enfant. Avec ses instruments-jouets, accompagné ou pas
de son Bel Canto Orchestra, il compose de petites comptines surréalistes dont
il remplit ses disques.
Il a débuté dans la galaxie des Vierges, groupe punk
radical de Montpellier à la fin des années 70, avant de progressivement se
concentrer sur son propre univers baroque et poétique. Ce fan ultime (entre
autres) du Captain Beefheart, mais aussi des Cramps et du krautrock, produit
une musique à mille lieues de ses idoles. Quelques fois en collaborant avec
elles comme ici Jean-Hervé Peron ou PJ Harvey. Mais en s’entourant aussi de
musiciens beaucoup plus anonymes (ceux du Bel Canto), d’amis, de gens
rencontrés par hasard, …
La musique de Comelade, ce sont ces symphonies de poche
désuètes, d’apparence simples et légères, le plus souvent sans paroles. Mais
qui en disent quand même beaucoup, comme du Nino Rotta qui arrive à se suffire sans les images de
Fellini.
Il y a dans « L’argot du bruit », des effluves
de choses entendues mille fois (tiens, le morceau-titre, il me semble bien que
c’est la même mélodie que la honteuse scie pré-disco « El Bimbo » des
années 70), des sons qui viennent du fond des âges et des traditions locales.
Il y a des titres avec des voix en catalan (du moins il me semble), des sons qui
remontent en droite ligne des folklores andalous ou catalans, de la tristesse
des incantations gitanes (ceux du quartier Saint-Jacques à Perpignan, mais
aussi ceux des Balkans), il y a du rock basique à guitares, des embardées
pataphysiques que ne renieraient pas Soft Machine ou Gong, il y a … tout un
monde en fait, celui de Pascal Comelade.
Dont la musique est une des plus imagées qui soient.
Défilent dans la tête les scènes absurdes d’un Fellini, le jazz manouche de
voleurs de poules d’un Kusturica, la solennité funèbre d’un Tim Burton … mais
c’est pas réalisé en cinémascope et Dolby surround, juste avec des morceaux de
plastique ou de ferraille achetés pour une misère dans des brocantes, des
objets détournés (quoi de plus logique qu’une batterie - de cuisine – pour
donner le rythme).
« L’argot du bruit » fait alterner petites
saynètes sonores (« Via-Crucis del Rocanrol » mélange riffs garage et
accordéon de bal des pompiers, « Domisiladoré » comme du Calexico
repris par Charlie Oleg, « Si » aurait pu figurer tel quel sur un
disque de Tom Waits), détournement de sonorités locales (« Toti al
Soler », (allusion au petit patelin de la banlieue perpignanaise ?),
est un boléro minimaliste renforcé par un orgue à deux euros, « Sardana del
desemparats » fait un sort à la guillerette danse folklorique du cru, la
sardane, qui devient ici une marche quasi funèbre), …
Et puis il y a les collaborations avec les
« stars », Peron (le Français de la légende kraut Faust), pour une
reprise du « Sad skinhead » (à l’origine sur « Faust IV »),
et PJ Harvey qui chante sur deux titres (« Love too soon », lente
ballade crépusculaire et le meilleur des deux titres, mais aussi sur
« Green eyes » qui évoque les univers glauques d’un autre inclassable,
Scott Walker).
Et une fois achevé le dernier titre
« Maruxina », pourtant un tango minimaliste d’une infini tristesse,
on se retrouve les yeux brillants, comme un gosse qui croit que ses illusions vont
se réaliser. Plus que de la musique, Comelade fabrique une machine à rêver …