PASCAL COMELADE - L'ARGOT DU BRUIT (1998)


L'Enfance de l'Art ...

Pascal Comelade, il jouerait sur des Marshall à onze, peut-être qu'en tendant l’oreille depuis chez moi, je l’entendrais. Même s’il vit à quelques dizaines de kilomètres, et quasiment dans un autre pays (la Catalogne, c’est pas vraiment la France, et encore moins l’Espagne). En tout cas Comelade vit dans un autre monde, inaccessible pour qui n’a pas gardé quelque part une âme d’enfant. Avec ses instruments-jouets, accompagné ou pas de son Bel Canto Orchestra, il compose de petites comptines surréalistes dont il remplit ses disques.
Il a débuté dans la galaxie des Vierges, groupe punk radical de Montpellier à la fin des années 70, avant de progressivement se concentrer sur son propre univers baroque et poétique. Ce fan ultime (entre autres) du Captain Beefheart, mais aussi des Cramps et du krautrock, produit une musique à mille lieues de ses idoles. Quelques fois en collaborant avec elles comme ici Jean-Hervé Peron ou PJ Harvey. Mais en s’entourant aussi de musiciens beaucoup plus anonymes (ceux du Bel Canto), d’amis, de gens rencontrés par hasard, …
La musique de Comelade, ce sont ces symphonies de poche désuètes, d’apparence simples et légères, le plus souvent sans paroles. Mais qui en disent quand même beaucoup, comme du Nino Rotta qui arrive à se suffire sans les images de Fellini.
Il y a dans « L’argot du bruit », des effluves de choses entendues mille fois (tiens, le morceau-titre, il me semble bien que c’est la même mélodie que la honteuse scie pré-disco « El Bimbo » des années 70), des sons qui viennent du fond des âges et des traditions locales. Il y a des titres avec des voix en catalan (du moins il me semble), des sons qui remontent en droite ligne des folklores andalous ou catalans, de la tristesse des incantations gitanes (ceux du quartier Saint-Jacques à Perpignan, mais aussi ceux des Balkans), il y a du rock basique à guitares, des embardées pataphysiques que ne renieraient pas Soft Machine ou Gong, il y a … tout un monde en fait, celui de Pascal Comelade.
Dont la musique est une des plus imagées qui soient. Défilent dans la tête les scènes absurdes d’un Fellini, le jazz manouche de voleurs de poules d’un Kusturica, la solennité funèbre d’un Tim Burton … mais c’est pas réalisé en cinémascope et Dolby surround, juste avec des morceaux de plastique ou de ferraille achetés pour une misère dans des brocantes, des objets détournés (quoi de plus logique qu’une batterie - de cuisine – pour donner le rythme).
« L’argot du bruit » fait alterner petites saynètes sonores (« Via-Crucis del Rocanrol » mélange riffs garage et accordéon de bal des pompiers, « Domisiladoré » comme du Calexico repris par Charlie Oleg, « Si » aurait pu figurer tel quel sur un disque de Tom Waits), détournement de sonorités locales (« Toti al Soler », (allusion au petit patelin de la banlieue perpignanaise ?), est un boléro minimaliste renforcé par un orgue à deux euros, « Sardana del desemparats » fait un sort à la guillerette danse folklorique du cru, la sardane, qui devient ici une marche quasi funèbre), …
Et puis il y a les collaborations avec les « stars », Peron (le Français de la légende kraut Faust), pour une reprise du « Sad skinhead » (à l’origine sur « Faust IV »), et PJ Harvey qui chante sur deux titres (« Love too soon », lente ballade crépusculaire et le meilleur des deux titres, mais aussi sur « Green eyes » qui évoque les univers glauques d’un autre inclassable, Scott Walker).
Et une fois achevé le dernier titre « Maruxina », pourtant un tango minimaliste d’une infini tristesse, on se retrouve les yeux brillants, comme un gosse qui croit que ses illusions vont se réaliser. Plus que de la musique, Comelade fabrique une machine à rêver …