THE FALL - THIS NATION'S SAVING GRACE (1985)


Plus dure sera la chute ?

The Fall c’est, un, un groupe de Manchester parmi les premiers à avoir mis la ville sur la carte du rock, avant Joy Division, et bien avant les Smiths, Madchester et Oasis ; deux, la chose de Mark E. Smith, acariatre leader tyrannique et ronchon, à faire passer Lou Reed pour Frankie Vincent ; trois, le groupe préféré de tout un tas de musiciens anglais et du célébrissime DJ John Peel.
Même s’il ne s’agit pas d’une formation so british comme ont pu l’être les Kinks ou les Smiths, The Fall ne bénéficiera que d’une certaine notoriété dans son pays. La faute à son leader, peu adepte du cirque médiatique et « ingérable » en interview, ce qui l’écartera des faveurs de la presse dite musicale et donc d’un large public, la faute aussi à une instabilité chronique dans le groupe, Smith virant et embauchant à des cadences effrénées ses accompagnateurs, la faute aussi à une production pléthorique qui aborde quantité de genres musicaux, la faute surtout à des disques faits à la va-vite dans lesquels on ne prend pas la peine d’élaguer le superflu et de travailler l’essentiel … en gros un joyeux bordel dans lequel on est prié de faire son tri …
The Fall live 1985
De la bonne quarantaine de disques parus à ce jour, reviennent souvent quelques-uns des années 80, correspondant aux premières années du groupe et surtout à une période pendant laquelle Smith était quelque peu « stabilisé » par son mariage avec l’Américaine Brix, elle aussi guitariste, chanteuse et co-auteur d’un paquet de titres. Et ce « This nation’s saving grace » fait partie de la poignée des disques de The Fall à faire à peu près l’unanimité des fans …
Et effectivement, c’est un peu le foutoir … Même si une ligne musicale semble dominer, celle d’une new wave ténébreuse et martiale, servie par une brutalité et une sécheresse sonores peu communes. C’est clair, The Fall ne vise pas les charts. L’anecdote (ou la légende ?) prétend que Smith, mécontent de la production de John Leckie, pourtant une pointure (il a commencé à Abbey Road, et s’est retrouvé plus tard aux manettes derrière Radiohead ou Mumuse), aurait exigé que le disque soit pressé à partir d’un enregistrement sur K7 des bandes master, ce qui lui donnerait cet aspect froid et métallique …
Alors, on brasse pas de l’air à la batterie, on assure une rythmique stricte, les guitares se contentent de mouliner des accords en boucle, très peu d’arrangements, et la voix de Mark E. Smith qui s’efforce d’aller aussi loin dans l’inexpressivité que Lou Reed, l’une de ses idoles. Rajoutez pour les bilingues, les textes acides qui flinguent tout ce(ux) que Smith n’aime pas (en gros, le reste de la planète), et on comprend vite que l’on est en face d’un disque « difficile ».
Même si quelques titres donnent l’impression de copier-coller, le couple Smith sait trouver quelques bonnes idées à la base des meilleurs titres, tels « Bombast » (comme du Joy Division qui reprendrait PIL, ou le contraire), « L.A. » (peut-être un hommage aux Stooges, autre groupe chéri de Smith, mais ça sonne comme le Gun Club, ce qui est loin d’être un reproche), « Rollin’ Dany » (en bonus, un rockabilly saugrenu à la Cramps), « Gut of the quantifier » (martial et sautillant comme du Talking Heads ou du Gang of Four)… et puis aussi quelques morceaux qui marquent leur territoire, qui s’incrustent plus facilement dans la mémoire… Le simplet « Paint work », bluette pop, comptine totalement barrée, répétitive jusqu’à l’écœurement et parasitée par des discussions, le lancinant « What you need », le très Cramps (limite plagiat) « Vixen », le post-rock gothique de « Barmy ». Et surtout, le titre le plus connu du disque, « I am Damo Suzuki », hommage à Can et à leur chanteur japonais, sur lequel The Fall essaye d’imiter le style (ça fait vraiment illusion au début, c’est moins évident ensuite) très particulier du meilleur groupe expérimental des trente derniers siècles …
Une anecdote pour finir. The Fall partage avec The Cure bien des similitudes. Parfois assez proches musicalement, apparus à peu près en même temps, groupes de fait d’une seule personne qui s’appelle Smith, citant tous les deux Camus (The Fall baptisé ainsi d’après le  roman « La Chute », le premier titre de Cure « Killing an Arab » d’après « L’Etranger ») … Et bien, logiquement, Mark E. Smith n’aime pas Robert Smith … Et vice-versa …