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THE SMITHS - THE QUEEN IS DEAD (1986)

 

Rois et Reine ...

Et s’il ne devait en rester qu’un des disques des Smiths, ce serait celui-là. Loin, très loin au-dessus des autres, n’en déplaise au fan-club (ou aux Inrocks, ce qui revient au même). Et pourtant, quand il sort, ce « The Queen is dead », troisième disque du groupe, les Smiths n’ont déjà plus rien à prouver. Et il n’y a même pas deux ans et demi qu’ils ont fait paraître leur inaugural album éponyme.


Entre-temps, ils sont devenus une institution en Angleterre, dernière sensation de rock indé à guitares. Dans un paysage musical gangréné par de la pop à synthés, ils s’obstinent dans une formule guitare-basse-batterie-chant … Bien aidés pour atteindre les sommets par les machins de plus en plus pompiers que publient les acclamés une paire d’années plus tôt U2 et Simple Minds (de toutes façons disqualifiés pour le titre de meilleur groupe anglais, les premiers sont Irish et les seconds Scottish). Tous les magazines musicaux anglais vouent une vénération aux Smiths. Faut dire que les Anglais aiment bien le rock, surtout quand c’est eux qui le font. Et donc, plus les groupes forcent sur le « so british », plus le public local leur fait un triomphe. Après les Jam et en attendant Oasis, c’est l’heure des Smiths … même Londres, pourtant souvent jalouse et aimant afficher une supériorité arrogante vis-à-vis des ploucs provinciaux, s’entiche de ces Mancuniens. Ailleurs dans le monde, que dalle, au mieux un succès d’estime… Un peu normal, les Smiths ne sont pas les Beatles, et ne cultivent pas l’universalisme musical.

Et ne changent rien avec « The Queen is dead ». Qui débute par le morceau éponyme, rengaine uchronique (et un des plus longs titres enregistrés par les Smiths, plus de six minutes) se moquant du grand dadais de Charles, appelé à régner maintenant que sa mère est morte. Caustique et moins direct que le « God save the Queen » des Pistols, mais pas moins malin. On reste au second degré (un Anglais digne de ce nom ne doit pas s’attaquer de quelque façon que ce soit à la Couronne). Ce ne sera pas toujours le cas. Morrissey deux ans plus tard sur son premier disque solo chantera un peu équivoque « Margaret on the guillotine » (vous me direz, Thatcher était pas Reine …).

Morrissey & Marr

Fidèles à leur réputation friendly gay, les Smiths mettent un beau mâle sur la pochette (Alain Delon, photo tirée du peu connu film « L’insoumis » d’Alain Cavalier), et reconduisent une méthode gagnante. Marr compose toutes les musiques, Morrissey tous les textes, Stephen Street est à la console (même si cette fois-ci Marr et Morrissey co-produisent avec lui). Les progrès viennent d’une qualité mélodique supérieure, sans titres de remplissage un peu bâclés, d’un chant tout en micro-nuances de Morrissey (finies les pénibles montées dans les aigus), et d’un Johnny Marr qui se lâche à la guitare. Sans foutre les Marshall sur onze, sans se perdre dans des solos pentatoniques à rallonge (d’autant plus que les Smiths ont très peu à voir avec les gammes bluesy) « The queen is dead » est le disque qui permet de comprendre pourquoi ce type discret et taiseux est considéré comme le meilleur guitariste des années 80 ;

Et il contraste avec l’exubérance de Morrissey au niveau des textes, qui prend un malin plaisir à cultiver une sorte d’impressionnisme loufoque (la mélodie la plus enjouée, celle de « Cemetary Gates », est une visite des pierres tombales des grands poètes romantiques anglais, Wilde, Yeats, Keats). Le gars est capable d’hommages littéraires, mais ne dédaigne pas le nonsensique complet (« Frankly Mr Shankly » et sa mélodie sautillante, l’exubérant « Somme girls are bigger than others »). Comme souvent, Morrissey est là où on ne l’attend pas, Marr a plusieurs fois évoqué sa surprise de le voir écrire des paroles légères sur des rythmes tristes et inversement, de mettre les refrains sur ce qu’il avait composé comme couplets, … ce sont ces contrastes surprenants qui participent aussi au charme des Smiths …

Mais point n’est besoin d’une licence de musicologie ou d’une maîtrise parfaite de la poésie de la langue anglaise pour apprécier ce disque. Il y a des choses d’une évidence immédiate. « I know it’s over » par exemple, la ballade sixties revisitée façon crooner avec un  Morrissey sur les traces vocales de Sinatra. Quand on sait combien se sont vautrés dans le pathos ou la grandiloquence dans ce genre d’exercice, on apprécie d’autant plus ici le résultat.


Les Smiths, comme les plus grands sont aussi un groupe à singles. Pas forcément présents sur les albums, même si ici on a trois qui ont bien marché dans les charts : « Bigmouth strikes again », le meilleur selon moi avec un grandiose Johnny Marr, « There is a light that never goes out », et son riff présentant des similitudes troublantes avec celui de « There she goes again » du Velvet Underground, et « The boy with the thorn on his side », un peu surchargé à mon goût, sur la thématique de la jalousie passionnelle meurtrière. Je lui préfère le loufoque, enjoué et moqueur « Vicar in a tutu ». Et s’il faut trouver un maillon faible à cette rondelle, ce sera « Never had no one ever » (un peu trop) tourbillonnant et (un peu trop) lyrique …

« The Queen is dead » sera l’apogée des Smiths. Un autre disque suivra qui sent l’épuisement du filon (« Strangeways, here we come »), Marr aura envie d’explorer d’autres horizons musicaux, Morrissey (ancien président du fan-club anglais des New York Dolls) voudra mettre un peu de paillettes glam dans ses chansons, et la section rythmique Rourke et Joyce en aura assez de jouer les faire-valoir anonymes des deux stars qui se partagent l’écriture …


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The Smiths


LOVE - FOREVER CHANGES (1967)

All you need is Love ...

Love est un groupe qui n’a jamais eu de succès de son vivant. Et guère plus a posteriori. A deux petites exceptions près. Un morceau de rock garage, « Seven & Seven Is », que l’on retrouve dans des compilations dédiées au genre (notamment dans les bonus de la version expended de « Nuggets » en 4 Cds, la référence dans le domaine), et ce « Forever changes ». « Forever changes » est l’archétype du disque culte (comme par exemple « Village green » des Kinks), bide monumental lors de sa parution, réévalué par les manuels d’histoire du rock’n’roll et « ceux qui savent » depuis des décennies, sans que pour autant les gens se soient précipités pour l’acheter.


Love, c’est le projet d’un homme, Arthur Lee. Figure de la scène musicale underground du Los Angeles des mid-sixties, et « priorité » avec son groupe Love Forever Changes (raccourci en Love) du label Elektra de Jac Holzman. Le groupe fait paraître deux disques en 1966, « Love » (sans grand intérêt) et « Da Capo » (avec « Seven & Seven Is », la douce ballade « Orange skies », et une bêtise qui tient une face entière du vinyle, une première pour un disque de rock). La petite histoire (ou la légende genre Liberty Valance), assure que c’est Arthur Lee qui a incité Holzman à signer les Doors avec là le succès que l’on sait …

Love est un groupe multiracial (deux métis et trois blancs). Pas le premier du genre (Booker T. & the MG’s enregistrent depuis le début de la décennie, il y a des Blancs chez les Funk Brothers, le groupe de studio de la Tamla Motown), mais à l’époque ça courait pas les rues … Être une bande de musiciens californiens dans le milieu des années 60, entraîne quelques « obligations » et les dommages collatéraux qui vont avec. Les Love vivent en communauté, et appliquent en grandes quantités la sainte trinité sex & drugs & rock’n’roll. Résultat des courses, Lee devient assez rapidement complètement cinoque. Pas un hasard si on a parfois l’impression en écoutant Love de pas être très loin du Pink Floyd de Syd Barrett.


Et comme dans le Floyd, l’omnipotent Arthur Lee pourra compter sur d’autres membres du groupe pour la composition. John Echols, responsable et coupable de la farineuse et interminable jam du précédent disque, heureusement aux abonnés absents niveau compos sur « Forever changes ». Mais surtout Bryan McLean, lui aussi guitariste et accessoirement chanteur. Pour la petite histoire généalogique, McLean est le demi-frère de la formidable Maria McKee (débuts avec Lone Justice au début des 80’s, puis carrière solo très sous-estimée, dont quelques titres avec McLean).

Sur « Forever changes », c’est McLean qui ouvre le bal avec « Alone again or » un des plus fantastiques titres des 60’s, où la concurrence était pourtant diablement rude. Ça commence avec des arpèges folk acoustique, quand la batterie et les guitares arrivent, ça prend le rythme du « White rabbit » de Jefferson Airplane, et puis les trompettes sonnent comme jamais elles n’ont sonné et ne sonneront dans un disque de pop-folk-rock-machin. Explication : les Love tous ensemble dans leur communauté (une ancienne baraque de Bela Lugosi), ne sont d’accord sur rien musicalement, et le plus souvent incapables d’assurer instrumentalement (Love ne donnera quasiment aucun concert). Première idée de Lee : faire produire le disque par Neil Young, alors dans Buffalo Springfield. Refus poli du Canadien. On fera donc avec les moyens du bord, ceux d’Elektra, et l’ingénieur attitré Bruce Botnick. Puis il faudra trouver des musiciens qui assurent. Une partie du Wrecking Crew (dont la fantastique section rythmique Hal Blaine – Carol Kaye) est réquisitionnée, les bandes sont effacées et réenregistrées un nombre incalculable de fois, et au final plus personne ne sait qui joue quoi sur quel titre. Dernière tocade de Lee : aller passer des jours avec un orchestre philarmonique de Los Angeles sous la direction de l’arrangeur Davis Angel pour rajouter couches de cordes, vents, cuivres, … Le résultat sera diversement apprécié par le reste du groupe, et cette finalisation inattendue du disque sera le début de la fin pour Love, McLean sera le premier à claquer la porte.

Quoi qu’il en soit, ces arrangements contribuent à faire basculer des chansons a priori tout ce qu’il y a de plus « classiques » vers un spectre sonore unique, luxuriant et dépouillé à la fois. Très peu partiront dans cette direction sonore : Sagittarius et The Left Banke à peu près à la même époque et les Pale Fountains (leur fantastique « Pacific Street » en 1984). Et de l’avis de ceux qui les ont scrutés, les textes (sous très fortes influences de produits toxiques) sont à peu près totalement incompréhensibles. Une des seules exceptions (et encore, de quoi est-il vraiment question) est « The Daily Planet », référence au journal dans lequel travaille Clark Kent / Superman. Mais ce que l’on retient de ce titre, ce sont les trouvailles mélodiques fabuleuses de ce rock psyché …


« Forever changes » est un des très rares disques de l’époque où il n’y a rien à zapper (pas de raggas, de planeries informes, de jams interminables, …). On peut se demander d’où est sortie l’idée d’un titre comme « A house is not a motel » (à l’opposé de tout le monde, la guitare fuzz ne mène pas le titre, elle sert d’arrangement). On reste surpris devant « Maybe the people … », très proche de « Alone again or » mais signée Lee (qui a copié qui ?).

Les Love ont beau vivre en vase clos, ils restent tout de même connectés au monde musical de l’époque. « Andmoreagain » est un des meilleurs morceaux « à la McCartney / Beatles » de tous les temps (avec « Sowing the seeds of love » de Tears For Fears et « Beetlebum » de Blur). « Live and let live » reprend les bases folk des débuts du Grateful Dead, pour finir avec ses guitares fuzz dans le rock psychédélique des contemporains Paul Butterfield Blues Band et des à venir Quiksilver Messenger Service. « The good humor … » cache derrière ses beaux violons pizzicato des similitudes avec les comptines psyché de Syd Barrett sur le premier Pink Floyd.

Et puis, Love semble annoncer des choses que l’on entendra plus tard. Il y a toute la fragilité de Nick Drake en filigrane dans « Old man » (l’autre titre du disque composé par McLean qui chante également lead), et l’espèce de proto-rap « Bummer in the summer » évoque beaucoup « The Gift » sur le second Velvet Underground qui paraîtra quelques mois plus tard …

Les chiffres de vente de « Forever changes » seront faméliques aux States, un peu moins mauvais en Europe, en Angleterre notamment. Rien cependant qui empêche Love de se déliter (officiellement divergences musicales, mais aussi caractère instable et de cochon d’Arthur Lee). La carrière de Love offre beaucoup de similitudes de parcours avec celle de Sly & The Family Stone, qui sera quelques années plus tard aussi erratique. Arthur Lee verra la lumière au contact de Jimi Hendrix (les bandes de quelques titres enregistrés par les deux ne sont jamais parues et semblent perdues à tout jamais), au point qu’une fois que le gaucher de Seattle aura définitivement quitté ce monde, Arthur Lee affirmera qu’il en est devenu la réincarnation (son foutraque disque solo « The Vindicator »), avant de devenir un habitué du caniveau et un bon client des dealers en tous genres …

« Forever Changes » restera son sommet et un sommet du rock des sixties …



 

JOY DIVISION - CLOSER (1980)

 

Mémoires d'Outre-Tombe ...

17 mai 1980 : Ian Curtis, chanteur dépressif et épileptique de Joy Division se dispute pour la énième fois avec sa femme dans la soirée. Il a une vie sentimentale compliquée, marié jeune, père d’une petite fille, vit avec une autre femme et veut divorcer. L’épouse légitime se casse chez sa mère, Ian Curtis regarde à la télé « Stroszek » ("La ballade de Bruno" en français) de Werner Herzog (pas exactement une comédie, c’est l’histoire d’un musicien raté qui finit par se suicider), puis manière de rester dans l’ambiance se passe en boucle « The Idiot » d’Iggy Pop (pas vraiment le genre de disques de fin de banquet). Après cette nuit joviale, au petit matin du 18 Mai, Ian Curtis se pend dans sa cuisine.

Ian Curtis

Le groupe devait partir sous peu pour une tournée américaine. Pas sûr que les bouffeurs de burgers auraient fait un triomphe aux broyeurs de noir anglais, mais Joy Division traversait pas l’Atlantique sans rien dans la besace. Un single (« Love will tear us apart ») était en cours de pressage et était le meilleur titre écrit par le groupe. Un trente-trois tours (fini d’enregistrer, sur lequel ne figure pas « Love … ») devait le suivre. Et forcément tout s’est écroulé … et écoulé en quantités (la mort est très vendeuse dans le rock), sans toutefois atteindre des ventes mirobolantes…

Parce que Joy Division n’est pas un groupe facile, flirtant (et inventant aussi un peu) avec le post-punk, le gothique, la cold wave, autant de genres musicaux que tout un chacun n’écoute pas forcément au lever, manière de commencer la journée de bonne humeur. Evidemment, la mort de Curtis va amplifier le nom et l’importance de son groupe. Le débat le plus récurrent du rock va se mettre en place. D’un côté les adorateurs de la première heure qui vous diront que c’était mieux avant, et de l’autre ceux qui rejoignent la caravane et vous assènent que c’est bien mieux maintenant …

Je vois mes millions de lecteurs, les yeux hagards, la bave aux lèvres, attendre mon indiscutable verdict : puisqu’ils en ont fait que deux (sans compter bien sûr tous ces machins post-mortem exhumés et le plus souvent sans aucun intérêt), quel est le meilleur disque de Joy Division, lequel faut-il avoir sur ses étagères. Ma réponse sera claire nette et précise : soit aucun des deux, soit les deux …

Summer, Curtis, Morris & Hook : Joy Division

Non « Closer » n’est pas à ranger dans le tiroir éculé (de ta mère) du toujours difficile second album obligatoirement moins bon que le premier, cet axiome vaseux de ceux qui n’y comprennent rien (ça marche pour les Doors, Pink Floyd, le Clash, mais pas pour les Beatles, les Stones ou Led Zeppelin, y’a quand même des trous dans la raquette de la démonstration) … Les deux disques de Joy Division se ressemblent. Avec des nuances. « Unknown pleasures » est un disque de Martin Hannett qui produit Joy Division, « Closer » est un disque de Joy Division produit par Martin Hannett … et c’est pas pour le plaisir de sortir une affirmation cryptique que je dis ça. Sortez vos crayons, prenez des notes, je m’explique.

Le son de « Unknown pleasures » est inouï au sens premier du terme. Cette façon de faire sonner la batterie, de distribuer les instruments dans l’espace, de remplir cet espace avec un minimum de sons, cette appétence pour les stridences, quand c’est sorti, y’avait rien qui ressemblait. Et Hannett rejoignait dès son coup d’essai le club très fermé de ces producteurs qui ont révolutionné le son, aux côtés de George Martin, Phil Spector, et Lee Perry (liste close). Une telle démonstration d’innovation faisait pour moi passer les morceaux du groupe au second plan, c’était le son loin devant, avant tout le reste.

La production de « Closer » est moins démonstrative, moins innovante. Foncièrement originale, mais axée sur des éléments essentiels. La batterie reproduit les schémas complexes du motorik (on pense souvent à Jaki Liebezeit de Can) et évite quasi absolument toute utilisation des cymbales. La basse très en avant amène la mélodie (comme dans le funk), sauf que chez Joy Division rien ne sonne funky. La guitare ponctue les séquences rythmiques au lieu de les diriger, au strict opposée du blues et de ses dérivés. Tout est overdubbé sur plusieurs pistes et passé par tout un tas de bidules (échos, delays, flangers, …) commandés depuis la table de mixage. Et par-dessus tout ça la voix de baryton triste de Curtis va aussi loin dans les graves que celle de Jim Morrison sur « L.A. Woman ».


Mais derrière la chape de plomb, New Order met de l’écriture, de la mélodie. Des chansons. Radicales. Flippantes. Sombres. Mais des chansons. Sans envie qu’elles plaisent et qu’elles finissent sur les playlists FM.

Joy Division, c’est la matrice d’une grosse partie de la musique des années 80, et pas toujours la pire. Rajoutez à Joy Division l’envie de faire une soirée disco, et vous obtenez New Order. Si vous voulez un peu plus de mélodie, vous tombez sur la trilogie dite « glaciale » des Cure. Un peu plus de synthés, vous obtenez OMD, l’Eurythmics des débuts et tous ces groupes à synthés du début de la décennie. Refilez à Joy Division des pilules de toutes les couleurs, et vous obtenez Happy Mondays, Stone Roses, House of Love … Beaucoup des descendants, reconnus ou pas de Joy Division viendront comme eux de Manchester. Les années 80 seront celles de la lutte d’influence avec Londres, la province qui tient musicalement la dragée haute à la capitale n’était pas chose envisageable jusque-là. L’affaire deviendra mondiale dans les années 90 avec la (fausse) guerre Oasis – Blur.

Beaucoup des influences évidentes sont dans « Closer ». La froideur des Cure, elle est dans « Twenty four hours », les synthés prennent le dessus sur « Decades », New Order est en filigrane dans « A means to an end » ou la danse (macabre) de « Isolation ». D’autres titres renvoient eux aux maîtres inspirateurs de Joy Division. « Atrocity exhibition » et sa rythmique c’est Can, « Colony », c’est Bowie qui ferait du glam dans des catacombes, Heart and soul » malgré son titre de standard jazz, évoque Suicide …

Association d’idées, la pochette de « Closer » est une de celles qui se remarquent, renforçant à l’extrême le côté dark du groupe. Comme celle de « Unknown pleasures », elle est l’œuvre de Peter Saville, retouchant une photo d’une composition sculpturale géante de Pietà prise dans un cimetière italien. Après le suicide de Curtis, beaucoup crieront à la prémonition. Peut être beaucoup plus prosaïquement, elle représente parfaitement ce qu’on trouve dans le disque …


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Unknown Pleasures

ROXY MUSIC - FOR YOUR PLEASURE (1973)

 

Crossroads ...

Comme indiqué en sous-titre, « For your pleasure » est « the second Roxy Music album ». Et même si une demi-douzaine suivra, « For your pleasure » sera le dernier de la formation d’origine. Avec Brian Eno s’entend. Autant commencer par lui … ce type me laisse assez circonspect avec ses théories (les stratégies obliques, comme si dans le rock il fallait être un stratège, ceux qui l’ont inventé ne connaissaient même pas l’existence de ce mot), sa litanie de disques ambient, pour les aéroports, … qui remplacent avantageusement les somnifères … Tout ça pour le côté obscur de la farce … Parce qu’en face, on le retrouve très impliqué (souvent comme producteur, ou metteur en sons, comme on veut) de quelques rondelles pas dégueulasses, genre les Bowie période Berlin, les meilleurs Talking Heads ou U2, et … « For your pleasure » sans oublier une poignée de disques à lui superbes dans les 70’s … Difficile de dire avec précision la part d’Eno sur « For your pleasure », parce que Roxy a un sacré leader maximo, en la personne de Bryan Ferry, qui signe, ce qui n’est pas rien, la quasi-totalité des musiques et des textes. Mais ces chansons sonnent toutes d’une façon étrange, inédite, inouïe, quand Eno les a tripatouillées (tout un tas de bruitages, de sons passés à travers des ordis ou des synthés), que ce soit en studio ou sur scène (lors des concerts, il est à la table de mixage, pas sur les planches).


Roxy est un groupe étrange, dans ce début des seventies où la bizarrerie la plus extravagante est la norme. Cité juste après Bolan et Bowie lorsqu’il s’agit de définir le glam-rock, on le retrouve en bonne place sur toutes les compilations prog seventies. Vous me direz, c’est en ratissant large qu’on trouve le plus de fidèles. A mon sens, Roxy penche beaucoup plus vers le glam que vers le prog (cette funeste engeance a tendance à vouloir rattacher à sa chapelle plein de choses et de gens qui n’ont rien à voir avec Genesis, Yes, les types de Canterbury and so on …). Même si on retrouve chez Roxy Music, l’espace de quelques mesures les sonorités alambiquées et les arrangements tarabiscotés qui font tout le charme (?) des progueux … Et de toutes façons, niveau glam, les Roxy écrasent toute la concurrence au moins visuellement (voir leurs tenues sur la pochette intérieure), à faire passer Bowie pour un attaché parlementaire du Modem …


Tiens, et puisqu’on parle pochette, autant causer de celle-ci, une des plus connues du rock. Parce que d’emblée Roxy Music s’est plus fait remarquer par ses pochettes que par sa musique. La légende prétend que le groupe a été signé par Chris Blackwell sur Island au vu du projet de maquette pour la pochette de son premier album, une mannequin allemande façon playmate Playboy sur une pochette en recto et verso (gatefold). Pour « For your pleasure », le principe est le même. Pochette gatefold, même photographe (Karl Stoecker). Autant la précédente était lumineuse, autant celle-ci est sombre. Elle est captée dans un grand studio (pour y faire rentrer une limousine), vinyle noir sur le sol, décor Las Vegas by night. Le modèle choisi est Amanda Lear. Bustier, robe fourreau et longs gants de cuir noir, talons aiguille vertigineux, cambrure de gymnaste des pays de l’Est, panthère noire tenue en laisse. Un peu au second plan, Bryan Ferry (chauffeur ?, compagnon ?) semble l’attendre à la portière d’une limousine. Amanda Lear n’est pas vraiment une inconnue. Muse-amante de Salvador Dali dans un improbable triangle amoureux (l’autre sommet du triangle est Gala, épouse légitime de Dali), ancienne compagne de Brian Jones (la chanson « Miss Amanda Jones » sur « Between the buttons »), et à l’époque de la photo, compagne (en pointillés) de Bryan Ferry. Cette pochette marquera bon nombre de personnes. Dont particulièrement un chanteur anglais, qui se renseignera sur cette blonde longiligne, la contactera et se mettra en couple avec elle pendant quelques années. Que ceux qui ne savent pas qu’il s’agit de David Bowie se fassent connaître, il n’y a rien à gagner …


Et la musique, au fait, dans ce disque ? bonne question, garçon, j’y viens … « For your pleasure » débute par une cavalcade glam, « Do the strand », avec un sax façon corne de brume (dans la lignée « Fun house » des Stooges, ou de Bowie) et un piano annonciateur du style Mike Garson (bientôt chez Bowie). « Beauty queen » est la ballade épique très 70’s, « Strictly confidential » est le titre qui fait que parfois Roxy est associé au courant prog (on dirait du Genesis supportable, donc à peu près du Van der Graaf Generator). « Editions of you » est le titre le plus méchamment rock, avec un solo de sax traité par Eno qui le fait ressembler à un solo de guitare. Ce titre fait penser au « Suffragette City » de … Bowie (décidément) et le malin Damon Albarn devait bien l’avoir en tête quand il a composé « Song 2 ». La première face du vinyle se terminait par « In every dream home a heartache », ballade reposant au début sur des sonorités électroniques avant un grand final d'électricité rugissante, et chanson d’amour adressée à … une poupée gonflable « I blew up your body, but you blew my mind ».

La seconde face est plus expérimentale, entamée par « The Bogus man » longue (presque dix minutes) mélopée lancinante, pas très éloignée du krautrock de Can. « Grey lagoons » revisite la face glam avec sax et guitares saturées en avant, dans la lignée de ce faisait Elton John à la même époque (l’album « Goodbye yellow brick road »). Fin des hostilités avec le morceau-titre, ballade malade (traitement des sons de sax et de batterie) sur fonds de synthés inquiétants, anxiogènes.


Il ressort de tout ça que Ferry est un grand auteur-compositeur (le format chansonnette de trois minutes est pulvérisé, mais ça reste facile d’accès) doublé d’un grand chanteur, à la palette vocale étendue, comme une sorte de Sinatra glam. Que le band derrière tient la route (Phil Manzanera est un grand guitariste et sera par la suite un sessionman très recherché, la rythmique est efficace dans des schémas pourtant parfois compliqués, le sax de MacKay se démarque des plans archi-rebattus du rhythm’n’blues). Et que Eno confère une étrangeté sonore (ça sonne bizarre, sans être expérimental – prise de tête).

Cette formation et ce disque seront l’apogée de Roxy Music. Certes le groupe sera populaire, reconnu commercialement, les disques suivants se vendront bien mieux que ce « For your pleasure », mais aucun n’atteindra sa beauté étrange et vénéneuse  …



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Siren


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LEE HAZLEWOOD - FORTY (1969)


 An American in London ...

Celui-là, le Lee Hazlewood, on l’oublie tout le temps quand il s’agit de causer des génies musicaux des sixties. Peut-être parce qu’il y en avait beaucoup des génies. Peut-être parce qu’on parle plutôt de ceux qui sont morts jeunes … Ou de ceux qui se sont cramés le cerveau … Ou de ceux qui ont eu le plus de succès … Alors forcément Lee Hazlewood ne rentre dans aucune de ces trois catégories. Quoique … Enfin, pas dans la première en tout cas, il est mort à presque quatre-vingts balais.

Pour les deux autres, il pourrait participer sans pour autant être sur le podium. Lee Hazlewood, c’est pas Syd Barrett ou Roky Erickson, et pas non plus Paul McCartney ou Mick Jagger. Même si …


Lee Hazlewood, il a forty years en 1969. Et comme vous avez pas eu Blanquer comme instit, vous en déduisez donc qu’il est né en 1929, et que c’est un très vieux de la vieille dans le monde du wockanwoll (il ne doit y avoir que Ed Cassidy, le batteur de Spirit à être plus grabataire que lui). Même si du wokanwoll, Lee Hazlewood n’en a jamais vraiment fait. Mais comme c’est un sacré auteur de chansons, il a vite compris tous les codes du truc. Comme Gainsbourg …

Et comme le Serge avec la Bardot (« Harley Davidson », « Bonnie & Clyde »), Hazlewood a créé un des couples sonores les plus fantasmatiques du siècle d’avant. Dès le milieu des années 60, Hazlewood va mettre en scène dans tous les sens du terme Nancy Sinatra, la fille de son père. Officiellement rien de physique entre eux, juste la fille à Blue Eyes qui chante seule ou en duo les compos du Lee. Et quelques années avant BB, on a eu droit à une blonde sexy en mini-jupe et cuissardes affolant tous les mâles en susurrant des « These boots are made for walking » ou « Some velvet morning » avec leurs paroles pleines de sous-entendus résonnant très fort au niveau des braguettes masculines. Ça, c’était l’aboutissement commercial de la carrière de Lee Hazlewood, commencée dès la fin des années 50 avec … Duane Eddy et Johnny Burnette. De plus, Hazlewood est un des rares songwriters de l’époque à assurer devant un micro, grâce une superbe voix de baryton (Nick Cave reconnaît qu’il lui doit beaucoup).

Sauf que, comme dit plus haut, Hazlewood a facile quinze ans de plus que ceux qui chantent ses compos et beaucoup plus encore que ceux qui achètent ses disques. Il est de la « vieille école » et tous ces chevelus qui se défoncent en poussant les Marshall sur onze, c’est pas son truc. Il a détesté le flower power et tous les hippies de Frisco, et quand arrivent les Blue Cheer, Vanilla Fudge et consorts, il décide de mettre les voiles, quitter les States, direction la Suède. Sur le chemin, il s’arrête à Londres, croyant que l’Angleterre est tout entière dévouée à Dusty Springfield ou Donovan. Sauf que c’est vers 68-69 le royaume des shows hyper bruyants de Who, que Pink Floyd assourdit et aveugle le public du club UFO, et que Jimmy Page, Jeff Beck et Clapton se tirent la bourre à grands riffs de Gibson.


Et Lee Hazlewood va mettre en chantier un disque totalement suicidaire. Il recrute Shel Talmy pour produire (oui, celui des Who et des Kinks, mais plutôt à cause de « Pictures of Lily » ou « Waterloo sunset » que de « My generation » ou « You really got me ») et un trio d’arrangeurs de cordes et de cuivres, John Arty, Big Jim Sullivan et surtout David Withaker. Et Hazlewood, un des meilleurs auteurs de son temps va sortir une rondelle exclusivement composée de reprises. Et des reprises de chansons dont certaines sont encore plus vieilles que lui et n’ont évidemment strictement rien à voir avec l’air du temps.

Parenthèse. J’ai déjà causé quelque part plus haut de Gainsbourg. Et à moins d’être sourd, il faut bien reconnaître qu’il y a des similitudes sonores entre « Forty » et « Melody Nelson ». Mais pas seulement. « Forty », on sait qu’il y a derrière Talmy et Whitaker. « Melody Nelson », on connaît le boulot de Jean-Claude Vannier aux arrangements. Mais pour ces deux disques, le reste du casting est à peu près inconnu (tout juste sur la réédition 2017 de « Forty », Talmy avance-t-il sans en être certain les noms de Clem Cattini, Nicky Hopkins, et encore plus incertain, Jimmy Page). Certains ont lancé l’hypothèse que Gainsbourg, aux grandes oreilles toujours ouvertes sur la sono mondiale, avait embauché les zicos de « Forty » pour « Melody Nelson ». Cinquante ans après les faits, au vu des rares déclarations crédibles des protagonistes potentiels sur le sujet, il semble bien que les sessionmen des deux disques ne sont absolument pas les mêmes. Fin de la parenthèse.

« Forty » donc (on y arrive, on y arrive …). Qui s’ouvre par une reprise de, tiens donc, un titre gravé par Frank Sinatra (« It was a very good year »). On sait que The Voice accompagnait souvent fifille Nancy quand elle était en studio avec Hazlewood, et que ce dernier a quelquefois emboîté le pas au Rat Pack lors des virées nocturnes dans les bars. Mais je suis pas psy, et ne me demandez pas pourquoi ce titre d’entrée … Toujours est-il qu’il pose les bases du reste. Une chanson hors d’âge (ou du temps), totalement désuète et magnifique en même temps, portée par cette voix dans les graves et le miel au milieu des mirifiques arrangements de Withaker.


Et les neuf titres qui vont arriver sont du même tonneau. Le suivant, « What’s more I don’t need her » est au moins aussi bon, et avec ces chœurs féminins qui susurrent dans le fond, on est dans les stratosphères sonores visitées parfois par Leonard Cohen. On touche au sublime avec « The night before » (la chanson que le Nick Cave apaisé des dernières années doit rêver de sortir), le spleen du crooner triste réhaussé par une discrète et fabuleuse trompette.

Le reste est à l’avenant avec une majorité de titres inconnus (même les sites encyclopédistes dédiés aux covers ne connaissent pas les versions originales). Seuls titres à la genèse connue, outre celui de Sinatra, la reprise de « September song » écrite par Kurt Weill dans les années 20, et deux composés par Randy Newman (très jeune par son âge et très vieux par sa façon d’envisager l’écriture, Hazlewood avait reconnu en lui un frère d’armes). Rien à jeter dans ce disque, avec prix spécial du jury et Palme d’Or décernés à « Mary » qui clôt la rondelle (mélodie imparable sur fond easy listening).

Inutile de préciser que « Forty » ne s’est pas vendu par millions. Il a quasiment disparu de la circulation après sa sortie, a passé des lustres sans être réédité (et valait donc une blinde d’occase), à tel point que quand une paire d’années plus tard Hazlewood arrivera en Suède (où il restera longtemps) sur son premier disque « nordique » (« Cowboy in Sweden »), il reprendra à nouveau dans des versions quasi à l’identique trois titres de ce « Forty ». Lequel a été publié sur un label « à compte d’auteur », LHI (pour Lee Hazlewood Industries). Il ne sera réédité qu’en 2017 par les maniaques de Light in the Attic Records avec une paire de titres en bonus issus des mêmes sessions mais moins bien finis (l’un est quasiment instrumental).

Si les soirées de confinement (ah zut, il faut pas prononcer le mot) vous semblent longues, une seule solution, « Forty » en boucle …


BOBBY CHARLES - BOBBY CHARLES (1972)

 

Born on the bayou ...

Fin 1955. Leonard Chess, de la maison de disques du même nom, reçoit un appel d’un gamin de Louisiane, Robert Charles Guidry. Ce minot de 17 ans lui fredonne au téléphone une chanson qu’il a écrite, « Later, alligator ». Chess, pourtant pas un philanthrope, la lui fait enregistrer et lui laisse même les droits d’auteur. Bide total. Le titre n’est pas perdu pour autant. Quelques jours plus tard, il tombe dans l’oreille de Bill Haley, toute première star de ce genre qu’on n’appelait pas encore rock’n’roll, tout auréolé du succès international de « Rock around the clock ». Haley fait sa propre version du titre du minot, rebaptisé « See you later, alligator ». Ce sera son second (et à peu près dernier) gros hit.

Début des années 2010. Rhino, label spécialisé dans les rééditions, fait les poubelles, et tombe sur le premier disque de Robert Charles Guidry, devenu depuis Bobby Charles, et qui vient de se payer un superbe costard en sapin. « Bobby Charles », paru en 1972, est réédité. Et comme bien souvent depuis des lustres, on essaye de nous vendre des machins obscurs faits par des types aujourd’hui au mieux grabataires, comme étant des merveilles oubliées des fabuleuses années 60 ou 70. Les dithyrambes pleuvent comme mousson en Inde sur des Bill Fay, Fred Neil, Linda Perhacs, Duncan Browne, … autant de gens ayant sorti au mieux une poignée de disques dans l’indifférence générale au siècle dernier. La mayonnaise prend un peu avec Sixto Rodriguez, un film (« Sugar Man »), la réédition de ses deux disques médiatisée avec des arguments (fallacieux, of course) genre le « Bob Dylan de Detroit » (après écoute, quoique sympathiques, les disques de Rodriguez sont juste du niveau des mauvais disques de Dylan). Le Bobby Charles, lui, passe sous tous les radars, le bouche à oreille mettra longtemps à infuser, et son disque finira par ressortir avec des bonus, atteignant péniblement un succès d’estime…


Retour vers le futur. Au début des 70’s, Bobby Charles qui court en vain après le succès depuis 15 ans, déménage à Woodstock. Il y a belle lurette que les derniers flonflons du festival sont éteints, ne reste plus dans le coin que les bouseux de The Band (normal, ils étaient à Woodstock dans leur maison de Big Pink avant le grand raout hippie). Et Bobby Charles est plus ou moins pote avec leur bassiste Rick Danko. Rappelons à l’usage des jeunes générations que The Band était (sous le nom des Hawks) le groupe qui accompagnait sur scène Bob Dylan lors de sa « découverte » de l’électricité, qu’ils ont mitonné ensemble ce qui deviendra les « Basement Tapes ». Et que The Band avec sa seconde galette (sans nom, avec la pochette couleur terre de sienne brûlée) a sorti un des plus beaux disques de tous les temps (avec tous ces « Across the great divide », « The night they drove Old Dixie down », « Up on Cripple Creek », « Whispering pines », j’en passe et d’aussi bons …). Avant de sérieusement décliner, et de finir par s’auto-enterrer sous la caméra de Scorsese (The last waltz »), concert d’adieu et interminable défilé des potes venus en pousser une à l’occasion. Parmi eux, Bobby Charles. Bien évidemment, coupé au montage …

1972. Avec l’aide du poteau Danko, des autres membres du Band (sauf Robertson) et de quelques types qui s’arrêtaient toujours dès lors qu’ils voyaient de la lumière dans un studio (notamment Mc Rebennack, alias Dr. John, Louisianais comme Charles et forcené des séances d’enregistrement), Charles enregistre son premier disque. Il a alors trente-quatre ans et fait déjà partie des vieux de la vieille. Il est signé par le manager du Band, Albert Grossman sur son label Bearsville.


Le résultat ? Les sachants vous diront que « Bobby Charles » est un disque de swamp rock (figure de proue du genre, Tony Joe White). Comme souvent, les sachants se trompent. « Bobby Charles » c’est beaucoup plus que ça. C’est le disque d’un type qui a eu des années pour faire macérer ses titres, et qui là, avec un backing band de rêve, les sublime. On est presque au niveau du disque du Band dont au sujet duquel il était question plus haut. C’est facile, rien à jeter sur cette rondelle. Euh, si, la pochette, le mec avec son clébard au bord de l’eau côté recto et côté verso, le Charles en train de bouffer une portion de pastèque. Même Jean Ferrat ou Nino Ferrer dans leur période Ardèche et Limousin n’ont pas osé faire aussi moche …

Parce que niveau musique, c’est stratosphérique. Tout en restant d’une facilité et d’une décontraction totale. On imagine les types enregistrant tous ensemble après avoir éclusé force bouteilles, fumé moultes cigarettes qui rendent nigaud, et s’être envoyé dans le pif quelques remontants sous forme de poudre blanche. Sans que pour autant ça fasse jam informe (en gros on est pas chez George Harrison période « All things must pass »). Toutes les racines de Charles sont là.

Le swamp rock souvent cité, cet inimitable groove chaloupé propre à la Louisiane et à La Nouvelle Orleans. Le type vient de là, est imprégné de toutes les musiques moites et swingantes du coin. On relève des touches de cajun, de zydeco, de honky tonk, portées quand il faut par des cuivres ou un accordéon (à doses homéopathiques, y’a rien qui fasse fanfare ou Clifton Chenier), et soutenues par l’omniprésent et reconnaissable entre mille piano de Dr. John (à noter que Charles est fan de Fats Domino et de son style de piano, il lui a même composé un de ses derniers hits « Walking to New Orleans »). Et puis il y a la patte rustique du Band, capable de produire une musique qu’on jugerait immémoriale, tant elle s’ancre dans les tréfonds de la culture populaire américaine. Où l’on part de très vieilles choses (de la country, du hillbilly, du western swing, du jazz, du blues) et l’on recrache tout ça au début des seventies, une époque où le Band commence à devenir quelconque, et Dylan encore pire (les minables « New morning » et « Self Portrait »). Des années plus tard, on appellera ça de l’americana ou du classic rock…

The Last Waltz, Charles caché par le micro 

Les deux premiers titres (« Street people » et « Long face »), c’est aussi fort que le Band en 69, « Small town talks » décrit mieux l’Amérique profonde (les ragots, les voisins qui s’épient) que tous les Mellencamp de la création. « It must be the good place now » est le seul morceau qui permette de citer Tony Joe White par son côté ballade feignasse, « Let yourself go » fait remonter les effluves du bayou louisianais, « Grow to old » renoue avec le meilleur des « Basement tapes » (enregistrées depuis longtemps, mais pas parues officiellement), « Tennessee blues » envisage le blues comme Hank Williams (beaucoup plus proche de la country donc, et ici avec un sublime accordéon discret).

La merveille des merveilles de ce disque se nomme « Save me Jesus », et ça pourrait presque me réconcilier avec la religion, tant c’est du même niveau que, au hasard, « Presence of the Lord » de Blindfaith ou « Amazing grace » par qui vous voulez qui en ait l’étoffe (Aretha Franklin, Ray Charles). Le titre commence à l’arrache, on sent qu’il n’y a pas eu deux cents prises, c’est du country-rock pépère (davantage de country que de rock au début, l’inverse à la fin).

Ce « Bobby Charles » aurait dû se vendre par camions. Il n’en fut rien. Et la réponse se trouve (au moins en partie) dans « All the money », inspirée par son manager Albert Grossman, véreux à souhait. Charles vient de s’en rendre compte à ses dépens (« il a tout le pognon, tout le whisky, toutes les femmes, et moi que dalle » disent en substance les paroles de la chanson). Allumer ainsi le type qui vient de te signer avant la sortie du disque n’est pas la meilleure stratégie marketing à adopter, même si Charles et ses potes devaient bien s’en foutre et de la stratégie et du marketing. Un titre en tout cas à mettre en parallèle avec le « Zanz Kant Dance » de John Fogerty dont on peut se demander s’il ne s’est pas fortement inspiré pour ce coup-là de Bobby Charles …

En tout cas, le résultat des courses sera sans appel. « Bobby Charles » sera un bide considérable. Et bien évidemment il n’aura pas une seconde chance, même si une poignée de disques sous son nom paraîtra dans les décennies suivantes, sans que cela n’émeuve qui que ce soit …

Contrairement à Yseult (??) ou Pomme (???), (en attendant l’an prochain Tristan et Poire Williams ?), Bobby Charles n’a jamais gagné de Victoire de la Musique… raison de plus pour vous intéresser à son cas …


ANNA CALVI - ANNA CALVI (2011)

 

Guitar woman ...

Des guitar heroes, c’est pas ça qui manque … des très grands (Billy Corgan), des tout petits (Prince, Sylvain Sylvain), des avec un grand nez (Pete Townshend, Jeff Beck), des avec un bonnet (The Edge), des avec un béret (Captain Sensible), des chauves (Joe Satriani), des à la coupe afro (Jimi Hendrix), des avec les cheveux longs (abonnez-vous à Hardos Magazine, vous en avez à toutes les pages), des moustachus (Frank Zappa), des barbus (Billy Gibbons), des gras du bide (Frank Black, Leslie West, Poppa Chubby, Warren Haynes, Miami Steve Machin), des à qui il manque des doigts (Django Reinhardt, Tommy Iommi), des à qui il manque des neurones (liste trop longue, mais un abonnement à Hardos Magazine peut vous aider à l’incrémenter), des qu’en avaient des neurones mais ont fini par les perdre (Syd Barrett), … plus tous les autres qui rentrent dans plusieurs catégories … à condition que ce soient des mecs, parce que guitar hero, c’est une locution qui n’a pas de féminin …

Pourtant des meufs (c’est bon Marlène S., inutile d’engager des procédures) à guitare, y’en a aussi. Mais généralement, c’est parce qu’elles sont aussi sexy avec une guitare que sans (Chrissie Hynde, Wendy Melvoin, PJ Harvey, … et leur grand-mère à tous, The Duchess, la guitariste rythmique de Bo Diddley, … ah et j’allais oublier Carla Bruni-Sarkozy-Bismuth …). Mais des femelles (coucou Marlène) de la gratte, des branleuses de manche à vitesse supersonique, vous en connaissez (oui, me souffle un abonné à Hardos Magazine, …) des virtuoses de la six cordes ? Bonnie Raitt … ouais, mais elle joue de la slide et elle est rousse, double handicap … Lita Ford ? Poison Ivy ? Ruyter Suys ? (no comment, sinon Marlène va encore se fâcher …). Ah, et toutes ces prépubères (généralement asiatiques ou d’Europe de l’Est) qui l’air de s’en foutre royalement inondent YouTube de vidéos où elles rejouent à la note près « Eruption » ou du Stevie Ray Vaughan, ont juste l’air d’animaux savants, gamines robotisées dénuées du moindre feeling …


Non, la seule à en foutre plein les oreilles guitare en bandoulière (une Fender Telecaster quasi exclusivement), c’est Anna Calvi. Et qui plus est, d’une façon totalement atypique. C’est pas une adepte des millions de notes à la seconde, jamais. Son truc, à la petite (par la taille) Anglaise, c’est une approche de la guitare par son aspect sonore. Bon, vous allez me dire, c’est pas ça non plus qui manque depuis des décennies. Sauf que généralement, ça produit … du bruit (Lou Reed étant le premier nom qui vienne à l’esprit). Dans ce « Anna Calvi », son premier disque en 2011, on a des chansons (j’ai bien écrit chansons) tout du long des quarante syndicales minutes. Miss Calvi avoue comme influences de la musique classique (no comment), cite des gens comme Nina Simone, Hendrix, les Smiths, les Stones, … plus quelques cinéastes « décalés » genre Lynch … Très rapidement, elle est devenue incontournable de prestations « artistiques », « performant » lors des défilés de mode (Lagerfeld, Chanel et Gucci l’ont sollicitée). Anna Calvi n’a rien d’une fashion victim (c’est pas Kanye West et la Kardashian, quoi …) même si elle soigne son image et sa féminité (maquillage glamour, satin ou soie souvent portés, rouges de préférence).

Musicalement, sont souvent revenus à son sujet les noms de Siouxsie, Patti Smith, PJ Harvey, Kate Bush. Pour les trois premières, je veux bien, mais à la marge, pour le côté parfois déclamatoire et crispant du chant ; pour la Babooshka, faudra qu’on m’explique. Alors moi aussi je vais faire du name dropping (ce qui me changera pas vraiment). Je citerai volontiers Jeff Buckley (plus de ferveur que de hurlement), Television (pour l’approche guitaristique de Tom Verlaine et Richard Lloyd), ainsi que Marc Ribot dans le même style (tous les trois évoluant parfois à leur corps défendant dans la galaxie jazz). Également Thom Yorke, mais un Thom Yorke qui en aurait et qui passerait pas son temps à chouiner.


« Anna Calvi » débute par un instrumental que par commodité et paresse on qualifiera d’atmosphérique (comme le premier disque de Siouxsie, là s’arrête la comparaison). Le reste est rarement évident, et sans être inouï, plutôt original. Plutôt la tension que l’attaque frontale, plutôt le feeling que la technique, plutôt la déconstruction que l’architecture classique, et inutile de chercher dans le tracklisting une reprise de quelque antédiluvien ancêtre, la dame signe toutes les compositions. Seuls « Blackout » (de la power pop des années d’après la power pop), ou le quasi classic rock de « I’ll be your man » naviguent en territoire connu.

Pour le reste, on a droit avec « Desire » à une sorte de rock « héroïque » (les guitares-cornemuses) comme U2 ou Simple Minds en tartinaient leurs premiers disques, voire les moins connus mais plus approchants dans ce cas The Alarm ou Big Country. « Morning light » pourrait être le seul où l’on se hasarde à citer (avec beaucoup d’imagination et de mauvaise foi) Kate Bush. Mais dans l’ensemble, c’est du Anna Calvi. Avec curieusement une énorme batterie en avant (beaucoup plus que la guitare dans le mix), quand on sait qu’en plus de jouer de la Telecaster, la Calvi qui est une « vraie » musicienne pratique aussi la basse, le piano et les claviers. Comme quoi avec elle, l’ego surdimensionné du guitariste n’est pas de mise.


Il y a dans ce disque quelque chose. Une âme, oserait-on écrire. Ou au moins une démarche, l’impression que tout est là pour définir une œuvre, une approche. Que tout n’a pas été calculé, minutieusement réfléchi, pour nous vendre de la rondelle argentée. Qu’Anna Calvi ne se montre pas à nous comme un phénomène de foire arty, qu’elle fait d’abord un disque, son disque, avant de se préoccuper comment il sonnera, et s’il s’en vendra beaucoup. Il aurait par exemple été facile de faire de « The Devil » un blues classique, et non pas cette chose mutante qu’elle nous présente, il aurait été aussi facile de faire un quiet-loud basique à la Nirvana ou Pixies d’un titre comme le « I’ll wanna be your man » déjà cité, de supprimer le tourbillon sonique final de « First we kiss » qui dès lors n’aurait été qu’une jolie ballade de plus, de lâcher de ci de là quelques effets de manche pour montrer, que ouais, elle assure, la nana … Seul bémol, le dernier titre « Love won’t be learning », précieux et ambitieux, et aussi celui qui a l’approche la plus jazz du lot, vient rompre la magie de ceux qui l’ont précédé.

Finalement, c’est en sortant et en se sortant de tous les sentiers battus et rebattus du disque de rock fait par une femme (rien que d’envisager le rock et la féminité ensemble est un signe de condescendance douteux) qu’Anna Calvi fait avec ce coup d’essai un coup de maître.

La suite démontrera que ce disque n’était pas un heureux accident de studio (la dame assure vraiment sur scène), le suivant « One breath » est aussi bon. Anna Calvi, une des (trop) rares bonnes surprises des années 2010 …


ELLIOTT SMITH - EITHER / OR (1998)

 

Chansons de l'innocence perdue ...

A ce stade de sa … euh, carrière (?), « Either / Or » était le disque « spectorien » d’Elliott Smith. Son troisième en solo, Elliott Smith approche de la trentaine.

Elliott Smith est issu de la middle class américaine, fils d’une institutrice et d’un toubib. Brillant, il entame des études supérieures sans conviction, ce qui ne l’empêche pas d’être diplômé en philo et sciences politiques. Il fait aussi un peu de musique avec quelques potes, dans le genre boucan (punk, hardcore, proto-grunge, cette sorte de choses). Le groupe se séparera avant la parution de son premier disque (ce qui lui vaudra plus tard des bisbilles avec l’industrie du disque, il a évidemment signé un contrat qui l’engage à vie et après le succès critique de « Either /Or » ce contrat ressurgira …). Il aurait aussi commencé tout juste ado à goûter goulûment aux drogues dures.

Smith sort au milieu des années 90 deux disques sur un label indépendant. Un pote lui a prêté un 4 pistes, il donne dans le folk dépouillé et compose, joue et produit tout seul. Avec les ventes phénoménales qu’on imagine …


Elliott Smith est un type insaisissable, beaucoup de choses dans sa vie restent un mystère (jusqu’à sa mort, classée cold case, on ne sait pas vraiment s’il s’est suicidé ou a été tué, accidentellement ou pas). Il fait partie de cette litanie d’auteurs tourmentés, fragiles et accros aux drogues et médicaments, dont les têtes de gondole du genre se nomment Nick Drake, Townes Van Zant ou Kurt Cobain … On l’aura compris, les disques d’Elliott Smith ne sont pas de ceux qu’on entend sur la sono à la fin des banquets de mariage …

« Either / Or » le sortira de l’anonymat. Sans qu’il soit dans quelque air du temps que ce soit. C’est dans tous les sens du terme un disque solo. Enregistré grâce à son 4 pistes un peu partout, et notamment chez sa copine de l’époque Joanna Bolme (que l’on retrouvera des années plus tard dans les Jicks, le groupe de Stephen Malkmus).

Le titre du disque est le même que celui d’un bouquin du philosophe danois Kierkegaard, pas vraiment un hasard quand on connaît le cursus de Smith. Sauf que sur le disque, nulle prise de tête.

Il est assez sidérant de constater comment, dans un genre largement diffusé (le folk pour faire simple) et minimaliste, on puisse encore trouver des mélodies, des refrains, des brouillons d’arrangements aussi beaux et fragiles. Oui, certes c’est brouillon. Sur plusieurs titres, on entend le souffle des bandes, le bruit du magnéto qui démarre l’enregistrement, la « production » est sommaire (les effets sur la voix, souvent doublée, sont à la limite de la faute professionnelle, on espère que c’est fait exprès, mais rien n’est moins sûr). En gros, n’importe quel groupe débutant ne voudrait pas du son de « Either / Or » comme première maquette. Sauf que …


Qui est capable d’écrire des trucs affolants de simplicité comme « Speed trials », « Ballad of big nothing », « Rose parade » « Punch and Judy », pour ne citer que les plus évidents. Et puis, chose assez inédite à cette époque-là chez Smith, il n’hésite pas à se lâcher et envoyer le bois (pas de la même façon que Metallica peut-être, mais plus intelligemment certainement). Il cogne sur les fûts, lâche quelques riffs électriques (« Pictures of me », le final quiet-loud de « Cupid’s trick », celui carrément bruyant de « 2 :45 AM »). On a rarement entendu des choses aussi évidentes faites par quelqu’un qui a l’air de s’en foutre royalement (un morceau n’a pas de titre, sinon celui de travail, « No name n°5 »).

Quelques dizaines de milliers de copies de « Either / Or » trouveront preneur. Parmi les acquéreurs, le sieur Gus Van Sant, fan depuis les débuts, qui avait utilisé de nombreux titres d’Elliott Smith pour son acclamé « Will Hunting » l’année précédente, le titre « Miss Misery » se retrouvant nommé aux Oscars, catégorie meilleure chanson originale. Elliott Smith refusera de la chanter lors de la cérémonie. Dans un premier temps, car sous la pression de l’Académie (« si tu viens pas la chanter, on la fera chanter par quelqu’un d’autre », ce genre), il s’exécutera finalement.

Dès lors, ce type qui comme Cobain ne voulait absolument pas de gloire ou de célébrité, va se retrouver malgré lui sous le feu des projecteurs, et corollaire, va devenir un junkie parano jusqu’auboutiste. Ce qui ne l’empêchera pas de publier quelques autres disques fabuleux …


THE BYRDS - GREATEST HITS (1967)

 

L'envol des Oyseaux ...

Les Byrds, tous ceux qui ont pas fini encovidés dans les EHPADs vous le diront, c’est les Beatles qui reprennent Bob Dylan. Certes … Sauf que les Byrds ils ont inventé le country-rock (avec Gram Parsons, l’indépassable album « Sweetheart of the Rodeo »), et ont donné l’idée à Tom Petty (et d’autres) de foutre partout de la Rickenbacker 12 cordes acoustique, ce que n’ont fait ni Dylan ni les Beatles …

Hillman, Clark, Clarke, McGuinn & Crosby en 1964

Il n’en reste pas moins que citer dans la même phrase Dylan, Beatles et Byrds ne relève pas d’une litote. Aux débuts était Dylan. Avec ses folks revêches acoustiques déclamés de sa voix nasale. Beaucoup plus à l’Est, les Beatles avec leurs petits costards, leurs coupes au bol, et leurs chansonnettes pour petites filles révolutionnaient l’Europe et commençaient à envahir les States. Qui se devaient de répondre. La Columbia, pas la moindre ni la pire des maisons de disques avança ses pions, les Byrds. Quasi un boys band, ils savaient chanter, composer, et avaient été réunis par une sorte de casting autour de celui qui apparaissait le plus doué (ou la plus grande gueule du lot), un certain Roger McGuinn. Par contre, en studio, ils étaient priés de laisser leurs instruments à la maison, remplacés par des sessionmen, et se contentaient de chanter et d’harmoniser. Et ça, ils savaient faire. Sauf qu’assez vite, les talents ont percé.

Roger McGuinn (qui lors d’un trip se reprénommera Jim) était la boussole du groupe, celui qui donnait la direction et le seul à participer à la longue litanie des formations différentes du groupe, Gene Clark se révèlera un compositeur fabuleux (et mésestimé toute sa vie, y compris dans sa carrière solo), et David Crosby un grand chanteur avant d’entrer dans la légende de la West Coast avec ses potes (?) S, N et parfois Y. Les trois sont l’ossature originelle des Byrds. Sera recruté un batteur (en fait c’est Hal Blaine qui joue en studio) limité mais choisi parce qu’il ressemble très très beaucoup physiquement à Brian Jones. Et assez vite, le multi-instrumentiste Chris Hillman rejoindra le groupe baptisé Byrds avec une faute d’orthographe comme Beatles. Parce que la référence absolue des Byrds, c’est le groupe de Liverpool et ses harmonies vocales. Dylan arrivera un peu par hasard, sur l’insistance du manager du groupe et de Jac Holzman, homme à tout faire de la Columbia. Les deux pousseront le groupe (pas très chaud au départ) à enregistrer une chanson inédite du Zim, « Mr Tambourine Man ».

Les mêmes un peu plus tard ...

Succès considérable, la version des Byrds deviendra une des chansons emblématiques des sixties. Nous sommes en 1965 et dès lors, en quelques mois, les Byrds vont avancer à une vitesse prodigieuse, mettre en place un son (la Rickenbacker 12 cordes acoustique), un numéro vocal jamais pris en défaut, et de gens à qui on force la main pour choisir un répertoire, devenir un groupe d’avant-garde, un de ceux qui lancent ou valident les courants musicaux. Tout en continuant (ils y ont pris goût et sont devenus fans) de reprendre Bob Dylan (qu’ils influenceront à leur tour, le « convertissant » à l’électricité, ce qu’il ne fera pas avec le dos de la cuillère).

La présente compilation dont au sujet de laquelle il est question s’attache aux trois premières années du groupe, celles du quatuor McGuinn – Clark – Crosby – Hillman (Michael Clarke sera conservé mais mis en retrait pour incompétence musicale flagrante). Ce « Greatest Hits » est rachitique (31 minutes sur un Cd, c’est léger, très léger, et qu’on ne vienne pas me dire que c’est la réédition du vinyle original), mais du coup a l’avantage de présenter le strictement indispensable du groupe, sans bout de gras superflu. Les quatre premiers albums sont concernés (« Mr Tambourine Man », « Turn ! Turn ! Turn ! », « 5th Dimension », « Younger than yesterday »), et sur les onze titres de la compilation, quatre sont signés Dylan (« Mr Tambourine Man », « All I really want to do », « Chimes of freedom », « My back pages »).


Les Byrds des débuts étaient une redoutable machine folk à hit-parades (la réponse de la côte Est se nommera Simon & Garfunkel), entamée avec « Mr Tambourine man » et « All I really want to do », cette dernière lorgnant effrontément vers le Beatles sound. Et tant qu’à faire du Beatles, Gene Clark va se fendre d’un « I feel a whole lot better » qui pourrait sans problème figurer dans le Double Bleu. En plus de Dylan, l’autre inspiration folk sera Pete Seeger, avec « The bells of rhymney » qu’il a co-écrite et une relecture d’une de ses adaptions (« Turn ! Turn ! Turn ! »  autre gros succès) à partir de versets de la Bible.

Ensuite, très vite, moins de deux ans après leurs débuts, les Byrds sous l’impulsion de McGuinn vont plonger dans le psychédélisme naissant et toutes les billevesées mystiques adjacentes. Là les titres parlent d’eux-mêmes (« Eight miles eight », « Mr Spaceman », « Fifth Dimension ») et signent une des premières émancipations du groupe (ces titres sont écrits par McGuinn, avec parfois l’aide de Crosby ou Hillman). Cette période va aussi voir leur succès commercial décliner. Pas cons, les Byrds vont revenir vers leurs fondamentaux originels, le folk rock électrique et les reprises de Dylan, l’album « Younger than yesterday » sur lequel figure l’excellente « My back pages » du Zim. La pièce de ce choix de ce disque (voire même de la compilation) est signée McGuinn / Hillman, c’est l’ironique « So you want to be a rock’n’roll star », c’est expédié en 2’05, et comporte une partie de trompette quasi mariachi du Sud-Africain Hugh Masekele.

La suite (au prochain numéro ?) sera l’éviction de Crosby (remplacé par un cheval sur la pochette de « Notorious Byrds Brothers », no comment …) avant l’arrivée du jeune prodige Gram Parsons …


Des mêmes sur ce blog :

Original Singles Vol I 1964 - 1967