Une anecdote révélatrice :
quand la version en anglais de « Mon oncle » (tiens, si j’y
pense, on en causera de cette version) obtint en 1959 l’Oscar du meilleur film
étranger, les membres du jury américain demandèrent à Jacques Tati quelle était
la personnalité qu’il souhaitait inviter à la réception donnée en son honneur. Réponse :
Buster Keaton. Et le Buster, bien que vieillissant se pointa à la sauterie …
Normal, il y a du Buster Keaton
chez Tati : Hulot est impassible en toute circonstance, et peu bavard,
pour ne pas dire muet. Le comique de Tati est toujours de situation, visuel. Bon,
de toute façon, Tati pouvait pas inviter Méliès, mort depuis vingt ans. Même si
la poésie loufoque de Tati doit beaucoup au Georges …
La villa Arpel
« Mon oncle » est un
peu l’articulation de la carrière cinématographique de Tati. Après avoir visité
la France d’en bas comme ils disent maintenant à travers le regard de son alter
ego facteur puis Monsieur Hulot (« Jour de fête », « Les vacances
de Monsieur Hulot ») et avant de s’attaquer au futur crispant (« Trafic »,
« Playtime »), Tati expose avec « Mon oncle » la
confrontation – cohabitation forcée de la tradition et de la modernité. Le contraste
est saisissant entre la ruralité banlieusarde de Saint-Maur et la villa
futuriste des Arpel. On passe d’un monde à l’autre par une sorte de friche industrielle,
genre pochette du « Led Zeppelin IV ». D’un côté les « petites
gens » et leur univers suranné et gentiment bordélique, de l’autre les
gros bourgeois, leur monde aseptisé et balisé aussi bien physiquement que
mentalement.
La place du marché de Saint-Maur
est la vraie … à une exception près, la « maison » et ses dédales d’escaliers
ubuesques où vit Hulot (création du chef décorateur Henri Schmitt, et "réinventée" dans la première scène de "The French Dispatch" de Wes Anderson) qui masque
la vraie église sur laquelle le décor est appuyé. L’usine est aussi en banlieue
parisienne (Créteil), quant à la maison des Arpel elle a été pensé et dessinée par
Tati et construite dans les studios de la Victorine à Nice. Il doit y avoir des
encyclopédies consacrées à cette « Villa Arpel ». En tout cas, cinquante
ans après les faits, des architectes, sociologues, designers, … en gros toute
cette engeance furieusement branchouille théorise et dissèque encore sur les
emprunts, inventions, incohérences, etc … de cette baraque. Les bonus des Dvd en
sont pleins, et on voit même des gars qui ont construit les vrais décors ou « meubles »
que l’on voit dans le film et qui sont pas peu fiers de leurs réalisations. Tout
ça pour dire que ce décor qui traduit en fait la suffisance, le mauvais goût et
la bling-bling attitude des bourgeois (les CSP++ d’aujourd’hui) de la fin des
années cinquante a suffisamment marqué les spectateurs du film et n’a rien
perdu de son surréalisme comique des décennies plus tard …
La maison de M Hulot
La villa Arpel est habitée par –
forcément – monsieur et Madame Arpel et leur petit garçon. Lui est directeur d’une
usine qui fabrique des tuyaux en plastique, elle est femme au foyer tendance « Maldon »
de Zouk Machine, nettoyer, balayer, astiquer (vous voyez que j’ai des lettres,
limite doctorat es tubes pourris des années 80). Le tout caricaturé au maximum.
Le seul être à peu près normal de la baraque est leur minot Gérard, qui a
surtout envie de jouer avec ses potes péquenots, qui adore son oncle Monsieur
Hulot, et qui se fout du milieu et des contraintes bourgeoises que lui imposent
ses parents. Evidemment, et comme souvent chez Tati, l’essentiel du casting est
constitué de parfaits inconnus (Jean-Pierre Zola ?, Adrienne Servantie ?,
et une ribambelle de quinzièmes rôles habitués aux apparitions le plus souvent
muettes dans les films de l’époque) couplés parfois à de parfaits débutants (la
stupéfiante voisine, son physique rachitique et anguleux, ses tenues et mimiques
extravagantes, on n’est même pas sûr que le Dominique Marie qui apparaît au
générique soit son vrai nom, tant elle a disparu de tous les radars).
Mais que raconte donc « Mon
oncle » ? Euh, quasiment rien. Même ce qui est annoncé par les rares
dialogues (Hulot à l’usine, la réception pour lui trouver compagne (la voisine
des Arpel), Hulot part pour la province, …) tout ça n’est que prétexte à mises
en scènes drolatiques. Et là Hulot se taille la part du lion, même si en fait
toutes les scènes et tout le casting (et même au-delà, voir l’usage récurrent qui
est fait du poisson-jet d’eau dans la villa, où l’usage du mobilier et des
accessoires, notamment dans la cuisine de la même villa) sont traités avec
humour, distanciation et second degré … ce qui entre autres m’enchante, c’est
la démarche de la secrétaire de l’usine, toute en trotte-menu rigide (le rythme
est donné par une balle de ping-pong, c’est elle qu’on entend et pas le bruit
de ses talons).
Hulot a un look, qui ne change
jamais. Galure, long imperméable, pantalon trop court sur chaussettes rayées,
la pipe au coin du bec et le Solex pour se déplacer … hors du temps et des
modes. Hulot est un timide maladroit et complexé (voir sa gêne devant la fille
de la concierge qui grandit et devient mutine et coquette) qui dans son inamovible
désir de se faire le plus discret possible, réussit par sa maladresse à devenir
le centre de l’attention. Et Hulot-Tati est très fort. A peu près tout est
prévisible (la carafe qui rebondit et le verre qui se casse) et pourtant ça
fonctionne magnifiquement. Son passage à l’usine de son beau-frère, même s’il doit
quand même beaucoup au « Modern times » de Chaplin, on sait bien que
lui confier même momentanément la gestion de la machine qui fabrique les tuyaux
va mal se passer. Et évidemment, le tuyau se transforme en chipolata …
Et il faut être sacrément sûr
de soi (parce que c’est pas évident d’être acteur et réalisateur) pour donner
dans le running gag (le plus fameux, c’est le balayeur qui ne balaye jamais de tout
le film, Mme Arpel toujours en train d’épousseter, mais on pourrait aussi
évoquer le reflet du soleil dans la vitre qui fait chanter le serin, les
déplacements dans la villa en suivant les dalles sur la pelouse, …).
Tout chez Tati est prétexte à
comique (les « petites gens » du marché comme les bourges du beau
quartier), les rencontres ou confrontations entre les deux montrent bien que
ces mondes qui se côtoient ne se comprennent pas … Le petit reproche que j’émets,
c’est que comme dans tous les films où tout est prétexte à gag, le scénario et
l’histoire passent au second plan, voire sont abandonnés en cours de route ;
On ne peut pas parler de « Mon
oncle » sans évoquer la partie sonore et musicale. Les dialogues donnent l’impression
d’être captés depuis le fond d’une piscine, des bribes sont compréhensibles, le
reste est inaudible, renforçant l’aspect totalement out of time du film. Le thème musical
(une valse à flonflons renforcée par un accordéon que n’aurait pas reniée Nino
Rota) est lancinant et répétitif juste ce qu’il faut.
J’en ai causé au début (ce qui
prouve qu’il m’arrive de me relire), « Mon oncle » gagnera l’Oscar du
meilleur film étranger dans sa version anglaise. Et même si les deux versions
sont quasiment identiques (il faudrait faire de l’image par image pour voir les
différences), il s’agit bien de deux films différents. La version anglaise a été
tournée en anglais pour la partie des dialogues qui devaient être audibles, le
reste est en français. Et comme les acteurs ne maîtrisaient pas vraiment la
langue de John Wayne, les dialogues originaux en anglais ont été ensuite
doublés. Hasard ou pas pour que le film fasse une carrière internationale, toutes
les voitures utilisées sont des grosses voitures américaines (on se croirait chez
Melville ou Godard de ce côté-là).
Aujourd’hui, les films de Tati
sont disponibles dans des versions superbes. Grâce surtout au couple Jérôme Deschamps
– Macha Makeieff, fans ultimes de Tati, qui ont remué ciel et terre pour effectuer
des restaurations mirifiques sur du matériel d’origine qui commençait à subir
des ans l’irréparable outrage …
Je laisse le mot de la fin à
Hervé Bazin qui dans sa critique du film dans les Cahiers du Cinéma posait au
final la question suivante : « Mon oncle » est-il un film
réactionnaire ? Vous avez deux heures et interdiction de fumer …
Les films de Raoul Ruiz que je connaissais (deux ou
trois, le type en réalise autant chaque année depuis des lustres), ont un point
commun : je les supporte pas … trop de trucs qui me gavent et pas
grand-chose ou encore moins qui m’intéresse … son maniérisme austère me gonfle …
Ruiz, c’est la caution humanitaire (le type est d’origine chilienne, il a fini en
France pour fuir Pinochet et ses camps de concentration dans les stades) et
artistique de notre beau (?) pays … Le type qu’on invite de temps en temps au
festival de Cannes pour cautionner le genre auteurisant francophone (Ruiz a la
double nationalité), mais dont même les programmes de pas d’heure la nuit sur
Arte montrent jamais les films … doit être beaucoup plus facile de trouver des cinéphiles
qui le connaissent pas que des types qui le trouvent excellent voire plus …
Ruiz, Zylberstein & Giraudeau
Ceci posé, venons-en à « Ce jour-là »,
sélectionné à Cannes en 2003. Un fil « différent » du reste de sa
production, peut-on lire dans les tréfonds du web sur les pages qui lui sont
consacrées et qui prennent la poussière en attendant le zozo égaré là à force
de clics compulsifs et effrénés …
« Ce jour-là » est une comédie, genre
auquel Ruiz (clone physique de Philippe Martinez, le Che Guevara d’occasion des
1er Mai merguez-gaz lacrymo) s’est peu souvent consacré. Bon, une
comédie chez Raoul Ruiz, on n’est pas au même niveau que chez Max Pecas. C’est
pire, encore plus barré et déjanté, à tel point qu’on se demande s’il s’agit
bien du même type qui sort des films de trois heures sur des adaptations de Proust,
grand écrivain comique comme chacun sait …
Bon, dans les castings chez Ruiz manquent les
ineffables Ticky Holgado, Philippe Caroit et Caroline Tresca. Par contre on y
retrouve tout le gotha révéré du cinéma français, voire d’ailleurs. Dans « Ce
jour-là » on a droit dans les seconds rôles à Piccoli, Rufus, Hélène Surgère,
Bidault, Balmer, Atkine, le fiston Vadim, … qui entourent les deux rôles
principaux, Elsa Zylberstein et Bernard Giraudeau … ce qui sur le papier a
quand même de la gueule …
Tous s’agitant sur fond de maladie mentale et d’histoire
d’héritage, l’essentiel du casting étant occis au couteau de cuisine ou au
marteau arrache-clous … Mais que fait la police ? Ben les flics, sous la
conduite d’un impassible Jean-Luc Bideau, elle prend le café, lit les journaux
et joue au billard dans une auberge, et après mûre réflexion au comptoir sur
les affaires et possibles crimes en cours, elle décide de ne rien faire, manière
de laisser la situation se décanter toute seule … Tout ça dans une Suisse
dystopique où chaque plan en extérieur se passe au milieu de défilés de convois
militaires …
« Ce jour-là » est totalement barge, entre
banquets d’assassinés, visions d’anges et conspirations malsaines … Buñuel et
Lynch attaqués sur leur terrain … et comme chez eux, on comprend pas toujours
tout, de toute façon on a pas le temps de comprendre, ça déboule à cent à l’heure
pendant plus d’une heure et demie … On a droit à tout et plus encore. Des gens
qui se poursuivent sur les chapeaux de roues dans un gigantesque manoir ou son
parc, on dirait du Mr Bean au ralenti (les protagonistes sont plus très
jeunes), une femme qui se fait écraser par un fourgon les bras en croix genre
Tex Avery, des cyclistes qui tombent de leur bécane en apercevant Elsa
Zylberstein au bord de la route (y compris ceux qui réussissent à tomber alors
qu’ils marchent à côté de leur vélo) … Les chassé-croisé dans le manoir
semblent sortis des gags nonsensiques de Blake Edwards … Citons pour le plaisir
un Giraudeau diabétique qui passe son temps à s’autotester (puis à se repeigner)
avant de consciencieusement tester tous les cadavres de plus en plus nombreux
qui l’entourent afin de contrôler leur taux de sucre …Ils lui ont fait bouffer
des champis, à Ruiz, ou quoi ? De toute façon, suffit de la voir déambuler
dans les bonus du Dvd sur les promenades cannoises pour avoir envie de se
marrer. Il ne sépare jamais d’un dossier (de presse ?) qu’il porte en
toute circonstance des deux mains derrière son dos, exactement comme Obélix
porte ses menhirs … J’ai pas envie de savoir comment ce rébarbatif suprême en
est arrivé là, mais force est de constater que « Ce jour-là » est une
grande comédie (c’est pas les Tuche, ou les misères de Boon et Merad …)
En plus, le comique n’est pas seulement visuel, c’est
aussi le scénario qui est délirant … Livia (Zylberstein) est l’héritière un peu
demeurée de sa mère, qui a fait fortune avec le Sal Sox (du ketchup où la
tomate est remplacée par du soja !). La vieille a tellement fait fortune
que Livia serait à elle seule plus riche que la Suisse tout entière. Son père
(ou peut-être son beau-père, on sait pas trop, y’a des zones qui restent
mystérieuses dans le scénario) joué par Piccoli est un notable (notaire ?
avocat ? on l’appelle Maître) qui a investi dans l’immobilier y compris
jusque dans une clinique psychiatrique. Dans laquelle est enfermé à perpette
Emil (sans e à la fin et sans accent au début comme il se plaît à le répéter)
Pointpoirot le serial killer psychopathe du coin (excellent Giraudeau). Après
que le personnel de la clinique lui eut fait un bourrage de crâne sur l’adresse
et le nom de Livia (une très très méchante personne), on fait s’évader Pointpoirot,
sachant qu’il va aller assassiner l’héritière dont le pognon reviendra à Piccoli
et sa famille …
Evidemment, rien ne va se passer comme prévu,
Pointpoirot et Livia tombent amoureux (ils se prennent réciproquement pour des
anges) et dégomment accidentellement ou pas tous ceux qui viennent traîner dans
le manoir familial, qu’ils veuillent s’assurer que Livia est morte ou qu’ils
viennent tuer le couple de zinzins. Toute la famille (ses autres enfants, sa
maîtresse, sa sœur …) de Piccoli et ses hommes de main seront tour à tour
envoyés dans le manoir, y compris un agent du fisc helvétique prêt à tout pour
taxer l’héritage au taux d’imposition en vigueur …
En fait, le seul reproche qu’on peut faire à « Ce
jour-là », c’est qu’il n’y a pas un seul moment de répit où on pourrait
comprendre tous les tenants de l’intrigue.
Question subsidiaire : Ruiz n’aurait -il pas un
frère jumeau ? Parce que le Ruiz que je connaissais, je l’imaginais pas du
tout tourner et surtout réussir une comédie …
On va commencer par la fin … le
support. Apparemment une version de 2021 d’un Blu-ray plus ancien, distribué
par Studio Canal via Universal. Studio Canal, ils sont souvent coupables de
rondelles bâclées genre service minimum. Cette version du « Lauréat »
est tout bonnement somptueuse. D’après une restauration du film en 4K (c’est
juste du 1K sur le Blu-ray, mais ça suffit, les films vieux de plusieurs
décennies supportent pas toujours très bien la très haute résolution), son 5.1
DTS en V.O… Et au moins six ou sept heures de bonus, dont trois commentaires
intégraux du film (Mike Nichols & Steven Soderbergh, Dustin Hoffman &
Katharine Ross, et un prof de cinéma (?) allemand). Commentaires pas toujours
captivants sur la durée (notamment celui du prof allemand, qui fait du
commentaire audio stricto sensu, nous décrivant ce qu’on voit à l’image, mais
c’est une joie de l’entendre prononcer dans sa langue natale des « Mizzizz
Robinnzzzonn »). Se rajoutent quasi une heure d’interview de Mike Nichols
(sur l’ensemble de sa carrière, mais « Le lauréat » y tient une place
importante), un exposé sur la place du film dans le cinéma des 60’s, des
interventions de personnalités pour qui il a vraiment compté (avec notamment un
Henry Rollins, théoricien du punk hardcore et tous tatouages en avant, qu’on ne
s’attendait pas forcément à retrouver là), un laïus sur la musique dans le film
(par là aussi une Allemande, filmée chez elle devant sa bibliothèque dans
laquelle on voit des milliers de bouquins, mais pas un seul vinyle ou Cd, d’où
une intervention farcie de clichés, d’approximations et d’inexactitudes), le
screen test d’une longue scène entre Hoffman et Ross qu’on ne retrouvera pas
dans le film, des interviews d’acteurs et de gens qui ont participé à
l’élaboration du film, et j’en passe … Le tout intégralement sous-titré en
français, ce qui là aussi est suffisamment rare pour être souligné …
Hoffman, Bancroft & Nichols
« Le Lauréat » c’est
d’abord un bouquin. De Charles Webb, paru en 1962, écrit alors qu’il n’avait
que 21 ans, et inspiré par le milieu étudiant californien dont il faisait
partie. Les droits du bouquin sont quasi immédiatement rachetés par un petit
producteur, Lawrence Turman, qui y met toutes ses économies (1000 dollars). Il
donne le bouquin à lire à son copain Mike Nichols, les deux compères décident d’essayer
de l’adapter au cinéma. Ce sera le premier film de Nichols. Un premier
scénariste, Calder Willinghan bosse sur le projet, rien de bon n’en sort, et
c’est finalement un quasi inconnu, Buck Henry qui reprend le boulot. Contrats
léonins hollywoodiens, c’est Willingham (qui n’y est pour rien) qui voit son
nom cité en premier dans les crédits du film. Buck Henry aura cependant une
contrepartie, c’est lui qui interprète le réceptionniste hilarant du Taft Hotel
dans le film, ce qui lui vaudra d’entamer une carrière intéressante de seconds
rôles et d’écriture de scénarios.
Le réalisateur, c’est donc Mike
Nichols. D’origine allemande (il a fui avec ses parents le régime nazi),
parcours à l’Actor’s Studio, connu des initiés pour son duo comique à succès
avec Elaine May, il se tourne à New York vers la mise en scène théâtrale, où
son boulot est remarqué et reconnu, et c’est un pote de Robert Redford.
D’ailleurs dès que le projet « Le Lauréat » est mis en chantier, le
quatuor d’acteurs envisagé se compose de Robert Redford, Candice Bergen (Benjamin
et Elaine), Ronald Reagan (!) et Doris Day (?) pour les parents Robinson.
Problème, la préparation du film prend trois ans, et entre-temps Nichols va
tourner son premier long-métrage. Pas exactement n’importe lequel, puisqu’il
s’agit de « Qui a peur de Virginia Woolf ? » avec le couple
Burton-Taylor recréant dans un huis-clos les engueulades avinées qui étaient
leur quotidien dans la vraie vie. Pluie d’Oscars et de nominations à la clé, et
donc les choses peuvent s’accélérer pour la mise en chantier du
« Lauréat ».
« Qui a peur … » a
été tourné en noir et blanc. « Le Lauréat » sera aussi en noir et
blanc, mais en couleurs … Je m’explique. Grâce au génie (mot parfois vite utilisé,
mais qui ici prend tout son sens) du directeur photo Robert Surtees, doyen de
l’équipe du film. Des images en couleurs donc mais tout en contrastes
clair/obscur, noir/blanc. Colossal boulot sur les éclairages pour obtenir ces
contrastes, grosse imagination pour les costumes (la mère de Benjamin, jouée
par Elizabeth Wilson, actrice de théâtre, connaissance Nichols, et personnage
le plus drôle du film, est toujours habillée en noir et blanc). Avant toute
autre considération, « Le Lauréat » est un chef-d’œuvre visuel. Un
plan génial toutes les dix minutes, en gros. Les plus remarquables, la caméra
subjective d’un Ben en tenue de plongée à travers son masque, les personnages
filmés dos au soleil quand Ben est dans la piscine, la jambe de Mrs. Robinson
en train de remettre ses bas au premier plan avec Ben au second plan (le visuel
de beaucoup de supports vidéo), l’arrivée de Mrs. Robinson lors du premier
rendez-vous à l’hôtel que l’on voit se refléter dans la table en verre, la même
dans l’entrebâillement de la porte lors de l’aveu de Ben à Elaine, … et le plus
beau de tous, ce plan en légère contre plongée des deux amoureux à l’hôtel avec
cadrage à l’oblique (déjà vu dans « Citizen Kane », et dont Welles
(ab)usera dans « La soif du mal »).
Les belles images, ça flatte
les pupilles, mais si ça donne de belles scènes, c’est encore mieux. De ce
côté-là, ça se bouscule aussi. Ça se bouscule tellement, qu’il n’y a
pratiquement rien à jeter pendant une heure trois-quarts. Certes, Nichols est
un metteur en scène maniaque et les scènes étaient très écrites. On apprend
cependant que quelques-unes parmi les plus mémorables sont dues à des
improvisations. Deux exemples. Quand Benjamin ramène Mrs. Robinson chez elle et
qu’elle commence salement à l’allumer assise au bar, lorsque Benjamin est en
face d’elle mais pas dans l’axe de la caméra, Anne Bancroft pose une jambe sur
un tabouret, dévoilant à Dustin Hoffman ses sous-vêtements, c’était pas dans le
script, et ça n’a fait que rajouter un vrai trouble à celui qu’il jouait.
Retour de manivelle, lors de la première rencontre dans la chambre d’hôtel,
Hoffman n’était pas bon. Au bout de quelques prises, Nichols le prend à part,
et lui dit de se comporter comme la première fois qu’il a touché une fille. Et donc
quand Bancroft enlève son chemisier, il lui pose gauchement la main sur le
sein. Elle est surprise, on le voit une fraction de seconde dans ses yeux, elle
improvise en frottant son chemisier comme si elle enlevait une tache ou de la
poussière. Là Hoffman disjoncte, sent le fou-rire le gagner, tourne le dos et
va se cogner la tête contre un mur pour évacuer le fou-rire. Bancroft croit que
la scène va être coupée, c’est très visible par son relâchement, Hoffman
revient, enchaîne sur le dialogue écrit, et elle le suit. Ce morceau de scène
improvisé a été gardé et ce flottement dans le jeu des deux acteurs bien apparent
participe pourtant à sa réussite.
Esprit d'Orson Welles, sors de ce corps ...
Le casting du
« Lauréat » va se révéler exceptionnel. Il va lancer la carrière de
Dustin Hoffman, choisi sur une intuition inspirée de Nichols et Turman. Hoffman
est un acteur de théâtre new-yorkais qui commence à faire parler de lui. Il
vient de prendre une agent, qui lui conseille de tenter l’audition à Los
Angeles. Il y va sans conviction, ne reçoit pas un bon accueil de Nichols, qui
lui fait cependant faire un bout d’essai avec une autre quasi débutante,
Katharine Ross. Toutes les parties concernées l’avouent, ils sont tous les deux
choisis un peu par défaut, étant jugés moins mauvais que les autres acteurs
castés. Anne Bancroft, l’autre sommet du triangle majeur du film était elle un
des premiers choix des producteurs, et livre une fantastique performance de
garce intégrale. Autre anecdote, l’acteur quasi débutant qui devait jouer Mr.
Robinson avait été choisi depuis quelque temps. Voyant que les débuts du
tournage étaient sans cesse reportés, il a rendu son contrat et est allé
tourner un autre film. Ce choix, vu le succès qu’a rencontré « Le
Lauréat », aurait pu lui être fatal. Il faut croire que pour lui les
planètes étaient bien alignées. Cet acteur c’est Gene Hackmann et le casting
qu’il a rejoint c’est celui de « Bonnie & Clyde » …
De belles images, des scènes
d’anthologie, des acteurs magnifiques, c’est déjà beaucoup. Mais « Le
Lauréat » a connu un immense succès parce qu’il raconte une histoire qui
fait exploser les codes convenus et puritains du cinéma hollywoodien. Avec un
autre film « scandaleux », « Bonnie & Clyde », il va
poser les jalons de ce qu’on appellera par la suite le Nouvel Hollywood, quand
au début des années 70, de nouveaux réalisateurs (Scorsese, Coppola, Spielberg,
…) et de nouveaux acteurs (De Niro, Dunaway, Pacino, Redford, Nicholson,
Streep, …) viendront à leur tour bousculer l’establishment … L’histoire du
« Lauréat » est ancrée dans son époque, ces années soixante où tous
les codes moraux et sociaux établis commencent à voler en éclats. La trame
générale n’est pas forcément originale au cinéma. « Le Lauréat »,
c’est Dustin Hoffman, fils de famille CSP+ comme on dirait aujourd’hui qui
vient brillamment de finir un cycle d’études lui assurant à l’avenir une belle
réussite professionnelle. Lors de la réception donnée en son honneur par ses
parents, il se fait brancher violemment par une de leurs amies, Mrs Robinson,
et va entamer avec elle une liaison purement sexuelle. Jusqu’à ce que la fille
des Robinson, Elaine rentre à la maison quelques semaines plus tard et
impressionne rapidement le puceau maintenant dévergondé. La mère-amante va
devenir jalouse et rivale, et la fille ne va évidemment pas apprécier la
situation.
Le point de départ, l’histoire d’amour
avec une grande différence d’âge n’est pas nouvelle. « Lolita » bien
sûr, mais même le couple Scarlett O’Hara – Rhett Butler dans « Autant en
emporte le vent » avaient labouré avec succès (et scandale) le même
terrain. « Harold et Maude » explorera de façon plus sensible et
poétique le même sujet, et tout le monde s’y mettra par la suite, même en
France (Cayatte avec « Mourir d’aimer » sur l’affaire Gabrielle
Russier, jusqu’au douteux Brisseau avec « Noce blanche »). « Le Lauréat »
ne se contente pas d’un point de départ, il nous montre aussi le cheminement
des personnages. Ce qui pousse Mrs. Robinson a jouer les cougars, l’évolution
de Benjamin qui s’extrait peu à peu de son rôle d’objet et d’esclave sexuel,
l’évolution des relations entre Ben et Elaine, du mépris sordide affiché par le
premier au début, jusqu’à l’enlèvement final … Ce film dans lequel tout est
permis, et surtout ce qui relève de l’interdit bien-pensant s’ancre
parfaitement dans les bouleversements qui secouent la Californie de la seconde
moitié des sixties (les hippies de San Francisco, la drogue, l’amour libre, la
contre-culture surtout musicale, …).
Et bien avant que ça vienne à
l’idée de Mylène la Fermière, la génération désenchantée, elle est dans
« Le Lauréat ». De la seconde scène, plan fixe sur un Dustin Hoffman
raide sinon rigide sur un tapis-roulant d’aéroport pendant que défile le
générique et qu’il y a en fond sonore « The sounds of silence »
(« Hello darkness my old friend, I’ll come to talk with you again
… »), jusqu’à la dernière, avec Hoffman et Ross qui une fois les rires et
l’adrénaline de leur escapade retombés, fixent du fond du bus l’objectif de la
caméra et qu’on voit l’inquiétude poindre dans leur regard. Et la question se
pose : peut-il y avoir une happy end, de l’avenir et de l’espoir dans un
monde dans lequel on se sent étranger ?
Un des rares reproches faits à
Nichols c’est d’avoir zappé voire sous-estimé ces éléments contemporains à son
scénario. Oui et non, le bouquin a été écrit en 62 et adapté fidèlement, mais
Nichols le raccroche à 66-67 avec le personnage du logeur de Benjamin à San
Francisco (extraordinaire second rôle de Norman Fell) et son questionnement
répété et suspicieux à Benjamin pour savoir s’il ne fait pas partie de ces
jeunes étudiants « agitateurs ». Sur le tournage, l’équipe du film s’est
retrouvée en connexion avec l’actualité, les étudiants du campus de Berkeley où
ont été tournées des scènes, se montrant réservés voire hostiles à l’arrivée
des caméras et des acteurs … Et puis Nichols s’est raccroché à l’actualité musicale
de son époque, en confiant l’essentiel de la bande-son à Simon et Garfunkel, on
y reviendra … Autre ratiocination de comptables dénigreurs, l’âge des
protagonistes, précisé dans le bouquin et cité dans le film. Ben a 21 ans
(Hoffman en a 30), Elaine aussi (Ross en a 26), Mrs. Robinson 42 ans (Bancroft
en a 35). Le jeu des acteurs (et aussi le talent des maquilleuses) gomment ces
différences d’âge …
Des cathos aussi ont vu rouge.
La base de l’histoire (une femme mariée qui débauche le fils de ses amis)
n’était pas faite pour leur plaire, mais le final du film les a … crucifiés.
Généralement, dans toutes les comédies romantiques, le mariage est arrêté avant
le « oui » fatidique. Ici, il a été prononcé et le mariage vole en
éclats quelques secondes plus tard. Les forces de la bien-pensance sont
repoussées par Hoffman qui se sert d’une croix comme d’un épée, avant
d’utiliser cette croix pour condamner la porte de l’église et s’enfuir avec la
mariée consentante … ça a fait tousser dans les évêchés … pour l’anecdote, une
autre controverse est purement fortuite. La scène a été tournée dans une vraie
église louée pour l’occasion. D’après le scénario Hoffman devait frapper
violemment la cloison de verre à coups de poing. Le pasteur du cru, resté pour
surveiller le tournage, a pris peur pour son carreau géant, et menacé
d’expulser toute l’équipe si la scène était tournée de cette façon. D’où un
Hoffman obligé de frapper le grand carreau avec les paumes de ses mains, bras
écartés. Ceux qui en avaient envie ont vu un nouveau blasphème dans cette pose
christique, ce qui n’était pour le coup pas prémédité …
Dans la même lignée, on a eu
droit à quelques gloussements des ligues bien-pensantes à cause de l’apparition
de façon subliminale du nombril et des seins d’Anne Bancroft, quand Benjamin la
raccompagne chez elle et qu’elle s’offre à lui. Le scandale a failli être
évité. Anne Bancroft avait refusé d’apparaître seins nus. Nichols dépêcha des
assistants dans des clubs de strip-tease pour trouver une professionnelle
présentant à peu près les mêmes caractéristiques morphologiques. Pas de chance,
la première amenée sur le plateau refusa d’être filmée et il fallut de nouveau
courir les clubs pour en ramener une autre, juste avant que Nichols ne se
décide à abandonner ces plans fugaces. Par contre, aucune remarque concernant
la strip-teaseuse (en fait une étudiante en médecine) qui effectue son
effeuillage façon burlesque et vient faire tourner ses plumes sur les épaules de
Katharine Ross. Le fait qu’une soit dans le film une bourgeoise mère de famille
et l’autre une danseuse de cabaret provoquerait-il chez les ligues de vertu des
réactions différentes ?
« Le Lauréat » est
également novateur dans la façon d’utiliser la musique. Il est présenté comme
le premier film ayant utilisé une majorité de musique pop (donc récente et
contemporaine) dans sa bande son. Je veux bien, si on considère que
« Quatre garçons dans le vent » de Richard Lester n’est pas un film,
ce qui reste malgré tout à démontrer. Mais soit. Dans « Le Lauréat »
les transitions musicales sont signées Dave Grusin que l’on retrouvera souvent
sur les musiques des films de Pollack. Le reste est de Paul Simon (et
Garfunkel). Le duo pop-folk commençait à percer sur la côte Est et en bon
new-yorkais Nichols avait acheté leur disque (il n’apparaît pas très
connaisseur en matière de pop-rock-folk-machin cela dit) « The sound of
silence » qu’il écoutait tous les jours selon ses dires. Il a pris contact
avec la Columbia pour les droits (et un peu avec Paul Simon). La Columbia les
lui a accordés (et même ceux du suivant « Parsley, sage, rosemary &
thyme »), Paul Simon devant même fournir pour l’occasion une chanson
originale. Ce qu’il avait plus ou moins oublié et que Nichols lui a rappelé
lors d’une rencontre de travail. Simon a profité de l’occasion pour quasiment
se débarrasser d’une ébauche de titre (il n’y avait de finalisés qu’une mélodie
et un couplet, pour une durée d’une minute et demie), initialement baptisé
« Mrs Roosevelt » et qu’il a transformé en « Mrs
Robinson ». On entend trois fois ce titre, une fois sifflé, une fois en
instrumental et une fois avec les paroles existantes à ce moment-là. Le succès
du film et la mélodie entêtante du morceau ont conduit Paul Simon à en terminer
l’écriture et c’est devenu un des incontournables du duo …
Après des heures d’avis
d’intervenants sur les bonus, un point reste en suspens. Si les influences du
« Lauréat » sur des films à venir paraissent indiscutables, d’où
vient « Le Lauréat » au niveau cinématographique ? Nichols dit
que son film préféré est « Un tramway nommé Désir », ce qui peut se
comprendre, Nichols vient du théâtre et le film de Kazan est l’adaptation de la
pièce de théâtre, et notamment grâce à Brando, dégage une sensualité voire une
sexualité implicites. Un intervenant nous dit que Nichols aimait la Nouvelle
Vague française. Manque de bol, on a droit à un bout d’interview hallucinant où
Nichols, jusque-là mais également ensuite très calme, modéré, courtois, so
british pourrait-on dire, se lâche contre les critiques français toujours aussi
nuls, parlant de ces « froggies qui n’y comprennent rien ». On
s’explique pas trop ce mépris quasi insultant, quand on sait que les critiques
français, notamment ceux des Cahiers du Cinéma sont devenus des Truffaut ou
Godard … Alors, la Nouvelle Vague et Nichols ? Ben je vais vous donner mon
avis …
Qu’il le reconnaisse pas, que
des gens s’en soient aperçus ou pas, il me semble que « Le Lauréat »
doit pas mal au « Mépris » de Godard. Pour deux raisons. La première est
un détail visuel. La voiture offerte par ses parents à Benjamin pour son
diplôme et qu’on voit dans beaucoup de scènes est un cabriolet Alfa Roméo
Spider rouge. Exactement le même modèle couleur comprise que celui que conduit
Jack Palance dans « le Mépris » … Coïncidence troublante. Mais la
similitude la plus flagrante vient de la plus longue scène du
« Lauréat » située au milieu du film. On y voit dans une chambre
d’hôtel Ben et Mrs. Robinson avoir une longue discussion parfois très tendue où
tous les ressorts psychologiques des personnages sont explorés. On comprend
pourquoi elle l’a branché, les relations inexistantes avec son mari, celles de
quasi haine pour sa fille, et on voit Ben en train de se débarrasser de sa
timidité complexée et de vouloir rompre avec son unique rôle d’objet sexuel. On
passe de disputes et de paroles blessantes échangées en réconciliations, de
faux-départs en vrais retours, d’habillages puis de déshabillages. Si c’est pas
un quasi copier-coller de la scène d’une demi-heure entre Bardot et Piccoli
dans « Le Mépris », je veux bien passer le reste de l’hiver à regarder
l’intégrale des Tuche en boucle …
Happy end ?
Tous ceux qui ont participé au
« Lauréat » seront les stars de l’année 68. Plus dure sera la chute
pour beaucoup. Seul Dustin Hoffman deviendra une énorme star hollywoodienne.
Ross n’aura droit qu’à un autre second rôle populaire (dans « Butch
Cassidy et le Kid ») avant de disparaître du haut des castings, Anne
Bancroft ne retrouvera plus également de succès équivalent. Et Mike Nichols, de
demi-succès publics en critiques pas trop mauvaises (mais jamais en même temps)
aura au terme de ses deux premiers films fini son parcours en haut du
box-office…
Et puisqu’on est entré depuis
longtemps dans la longueur de chronique vraiment déraisonnable, tant qu’à faire,
un mot sur Hoffman et #metoo. Il a été souvent cité comme au mieux ayant eu des
comportements déplacés envers des femmes (actrices ou pas) du milieu du cinéma.
Et les histoires pas toujours drôles le concernant commencent avec « Le
Lauréat ». C’est lui qui le dit dans une interview solo donnée à
l’occasion de la restauration et de la sortie du film en Blu-ray et que l’on
trouve dans les bonus. Il a selon ses termes « pincé » les fesses de
Katharina Ross lors d’une prise, pour selon lui, la motiver pour la scène. Il
reconnaît qu’une fois la prise terminée, elle était folle de rage de ce geste
et le lui a fait savoir sans ménagement. Selon lui, c’est oublié et ils sont
devenus bons amis … Il n’empêche que lorsqu’ils commentent tous les deux le
film (une quarantaine d’années après sa sortie), il lui tient des propos assez équivoques,
proches d’une drague lourdingue, et au son de sa voix, et surtout de ses
silences, on sent que Katharina Ross est loin d’apprécier ses compliments
douteux …
Ceci étant, vous l’aurez
compris, film indispensable …
Y aura-t-il de la neige à Noël ? Peut-être … ou
peut-être pas. Ce qui est sûr c’est qu’ils vont nous ressortir la rengaine
pourrie de Tino Rossi, et toute une ribambelle de films de circonstance, à base
de dessins animés Disney et de ringardises avec De Funès. Mais ça m’étonnerait
qu’on voit « Bad Santa » le soir de la dinde aux marrons et des
pataugas dans la cheminée …
Terry Zwigoff
Parce que « Bad Santa » est un film pas vraiment
dans l’esprit des soirs de réveillon, il pourrait y avoir avis de tempête
traumatique chez les chères têtes blondes en cas de visionnage familial.
Pourtant y’a tous les ingrédients du film de Noël, à commencer par le Père Noël
himself, un lutin qui l’accompagne, un petit garçon qui va voir sa vie changée,
une petite histoire d’amour et presque une happy end …
Derrière « Bad Santa » on trouve les
frères Coen, officiellement uniquement producteurs exécutifs. En fait, les
scénaristes du film (Glenn Ficarra et John Requa) reconnaissent que les
frangins leur ont aussi refilé un scénario sur lequel il n’y avait pas
grand-chose à retoucher. Derrière la caméra, Terry Zwigoff, qui avait obtenu une
petite reconnaissance pour son documentaire sur les frères Crumb (dont bien sûr
l’iconoclaste Robert, auteur de Bd – Fritz the Cat – et de pochettes de disques
– « Cheap thrills » de Janis Joplin) et son premier film « Ghost
world » (adaptation d’une BD avec notamment Scarlett Johannson et Steve
Buscemi). Zwigoff ne fait pas partie des réalisateurs que l’Histoire retiendra
comme grand manieur de caméra, c’est service minimum, il filme des acteurs.
Billy Bob Thornton & Tony Cox
Et parmi eux, Billy Bob Thornton se taille la part
du lion. Il est Willie, le Bad Santa, ancien surdoué du perçage de coffres-forts,
et déclassé à cause d’un éthylisme continuel. Il continue cependant d’exercer
ses talents en période de fêtes de fin d’année, se faisant embaucher dans les
grands centres commerciaux pour jouer le Père Noël avec un nain qui est son
elfe accompagnateur, son complice Marcus qui l’a remis sur les rails (Tony Cox).
Le soir du réveillon, ils se font enfermer dans le magasin et avec l’aide de la
femme de Marcus, percent le coffre et s’en vont avec le fric et quelques
babioles de luxe qui peuvent traîner dans les rayons.
Et comme en plus d’être bourré du matin au soir, Willie
est un serial niqueur (gibier de prédilection les femmes à fort tonnage),
Marcus a fort à faire pour que les deux associés fassent leur boulot d’animation
et le braquage qui suit. Bien évidemment, le personnage du Père Noël ne serait
pas complet sans quelques autres « handicaps » : il déteste,
mais vraiment, les enfants et s’exprime toujours dans un langage obscène et
ordurier à faire passer la feue bande de Charlie-Hebdo pour la Comtesse de Ségur
…
Tout à fait logiquement, il va trouver sur sa route
un gosse obèse et simplet dont il finira par squatter la luxueuse maison (maman
est morte, papa est un escroc comptable en prison, ne reste que la grand-mère
sénile), en compagnie de sa nouvelle conquête, une serveuse de bar (pas du tout
enveloppée) qui fantasme sexuellement sur le Père Noël et ses attributs (non,
bande de pervers, pas ceux auxquels vous pensez, juste son bonnet qu’il doit
conserver pour l’honorer). Viendront se rajouter un directeur de magasin
suspicieux, un chef de la sécurité qui voit rapidement arriver le coup qui se
prépare, et une bande de gosses qui tyrannise le petit gros …
Billy Bob Thornton s’en donne à cœur-joie, mais ne
surjoue pas, n’en fait pas trop comme c’est généralement le cas des ivrognes de
comédie (il a l’air vraiment bourré quand il arrive en titubant, attend les
enfants assis sur son fauteuil-trône clope au bec et bouteille de whisky à la
main avant de les insulter, de se pisser dessus, de destroyer les animaux
postiches de la crèche à coups de batte de base ball, …), au milieu d’une
bordée d’insultes et d’insanités classées X (« On dit qu’il peut rentrer
partout, même dans la chatte de Margaret Thatcher » celle-là me plaît
bien, même s’il faut à peu près avoir l’âge de rentrer en hospice pour savoir
qui était Margaret Thatcher). Ce curieux Père Noël est quand même un ignoble
sympa (c’est pas lui qui fait les choix les plus pourris, ça revient à Marcus
et sa femme), il finit même (conte de Noël oblige) par se prendre d’affection
pour le petit obèse débile, et le final en plus ou moins happy end se place
sous le signe de la rédemption. L’honneur et le bon goût sont (presque un petit
peu) saufs.
Ce qui ne fait tout de même pas de « Bad Santa »
un chef-d’œuvre de film comique. Des personnages auraient pu être développés
dans le ressort comique (la femme de Marcus, la grand-mère), d’autres sont plus
laborieux dans leurs rôles (le directeur du magasin, son chef de la sécurité).
Reste un Billy Bob Thornton rayonnant dans quelques
grandes scènes comiques …
Evidemment, il y aura des suites (« Bad Santa 2 »,
« Bad Santa 3 »), pas vues mais qui ne bénéficient pas de beaucoup de
louanges …
Mel Brooks a toujours donné
dans la comédie. Pas toujours très finaudes, ses comédies. Metteur en scène
(entre autres) assez peu prolixe (il y a des décennies qu’il a arrêté de
tourner, et c’est pas maintenant, à pas loin de cent ans, qu’il va s’y remettre
…), il a quand même réussi à obtenir quelques petits succès critiques et
publics avec trois de ses films. Avec son premier « Les producteurs »,
satire de l’envers du décor des musicals de Broadway, avant son coup de maître « Frankenstein
Jr », pastiche du chef-d’œuvre de James Whale. Et sauvé miraculeusement
des oubliettes, ce « Blazing saddles » (titre en V.O.).
Parce que le film était sorti
début 74, avait été un bide total, et avait été remis à l’affiche à la fin de l’année,
profitant du succès des premières séances de « Frankenstein Jr ». L’espace
d’un éclair, Mel Brooks allait devenir la figure de proue du sous-genre humour
juif newyorkais, avant l’arrivée de Woody Allen qui allait lui rafler son titre
sans contestation …
Le Gouverneur Mel Brooks et sa secrétaire
Comme l’indique son titre en
français, « Le shérif est en prison » est une parodie de western. Pas
vraiment un film, plutôt une suite de sketches loufoques plus ou moins heureux.
La trame de départ (vite perdue en route) est la même que dans « Il était
une fois dans l’Ouest », des magouilleurs qui veulent exproprier pour
faire passer une voie ferrée. Tous les ingrédients du western sont là (les
gentils très gentils, les méchants très méchants et très cons, les peureux très
peureux, les brutes, les Indiens, les bastons, les grandes rasades de whisky,
les pin-ups chanteuses de saloon). Seul point remarquable, dans ce Texas « pour
hommes », le shérif du patelin est un nègre (Mel Brooks a dû batailler
avec la Warner pour que tous les « niggar(s) » des dialogues soient
conservés), semi-esclave travaillant sur le chantier de la voie ferrée, qui s’est
rebellé, a été condamné à la pendaison, et grâce (?) à un plan fumeux des méchants,
se retrouve avec l’étoile sur le gilet …
Gene Wilder & Cleavon Little
Pour faire triompher la loi, l’ordre
et la justice, il sera aidé par un prisonnier repenti, le Waco Kid, ancienne
plus rapide gâchette de l’Ouest, devenu alcoolo tremblotant (mais vraiment
alcoolo et vraiment tremblotant). N’ayant peur de rien, Mel Brooks proposera le
rôle de ce gentil pistolero à rien moins que John Wayne, qui déclinera
diplomatiquement (il a une image qui ne correspond pas vraiment au rôle). C’est
finalement le complice habituel Gene Wilder qui reprendra le rôle au dernier
moment, et qui est le seul du casting à faire bonne figure devant la caméra.
Parce que le shérif héros du film est interprété par un certain Cleavon Little,
acteur de théâtre de Broadway, assez loin, pour être gentil, de rendre une prestation
oscarisable. A noter que Brooks avait suggéré le nom de son pote Richard Pryor,
qui avait participé à l’écriture du scénario, rejeté par la Warner parce que
pas assez connu à l’époque… Quelques troisièmes couteaux des castings (géniaux,
assure Mel Brooks, hum …) complèteront la distribution. Mel Brooks jouera deux
courts rôles, le Gouverneur Lepétomane (si, si, …) et un magnanime chef
Indien.
Mel Brooks fait ce qu’il peut
avec ce qu’il a. Il avoue dans une interview qui accompagne le Dvd, que lui et
sa femme (Anne Bancroft) vivaient dans le dénuement lorsqu’il essayait de monter
le film. Le manque de moyens est évident, et est parfois utilisé comme base de
gags (la baston finale qui déborde du plateau de tournage, se continue sur les
plateaux voisins, avant de gagner les rues de Burbank au milieu des voitures et
des bus scolaires, le tout s’achevant dans une salle de cinéma qui projette … « Le
shérif est en prison ») ...
Un ange (bleu) passe ...
« Le shérif … »
pastiche parfois d’autres films, les plus évidents emprunts sont à chercher du
côté du récent « L’homme des hautes plaines » de Clint Eastwood (le
village-leurre reconstruit qu’on fait exploser), et du beaucoup plus ancien « L’Ange
bleu » (la chanteuse de cabaret, la chanson avec la chaise). Mel Brooks ne
recule devant rien, c’est aussi le problème, l’humour est une denrée rare et précieuse
à manier avec précaution. On peut rester réservé devant la multiplication des blagues
racistes, les concours de pets après repas aux fayots, les tabassages de mémés,
… Pas de blagues sur les Juifs, mais par contre l’obsession de Brooks pour les
nazis avec les Sioux très organisés qui parlent allemand, la présence d’une patrouille
de SS dans des mercenaires recrutés (en compagnie de types du Ku Klux Klan et
de prémonitoires Touaregs armés de Kalachnikov) tient plus de l’obsessionnel
que du comique …
Il faut tout de même
reconnaître que certains gags nonsensiques sont bien foutus, et que Mel Brooks,
en total control freak touche-à-tout, a participé à l’écriture et la
composition de certains titres de la B.O. Petite anecdote : avec son
budget de misère, Mel Brooks s’est quand même payé l’orchestre au grand complet
(avec pupitres et tenues de gala) de Count Basie qui joue vraiment live en
plein désert (pour d’évidentes raisons techniques, c’est la piste son d’un
disque du Count qui a été utilisée dans le montage).
La doublette « Le shérif … »
et le bien meilleur « Frankenstein Jr » seront les deux jalons de la très
courte période sinon de gloire, du moins de reconnaissance populaire de Mel
Brooks. Il se prendra ensuite à lui tout seul pour les Monty Python le temps de
quelques risibles navets avant de ranger définitivement ses caméras au début
des années 80.
Fans de Bigard et Dubosc, « Le
shérif est en prison » est pour vous …
« Mammuth » est le genre de films à faire
fuir tous les geeks qui commentent sur les sites et forums spécialisés la
qualité technique des Blu-ray 4K, en balançant à la face des internautes
passant là par hasard un jargon incompréhensible où reviennent des mots aussi
abscons que grain, piqué, colorimétrie, et j’en passe …D’ailleurs, à ma
connaissance, « Mammuth » n’existe qu’en Dvd.
« Mammuth » il a été tourné en 8 mm (et le
making of en super 8), autrement dit un truc en total décalage avec les standards
visuels du XXIème siècle. Bon, les deux types derrière cette affaire, Delépine
et Kervern, ils ont pas une étoile à leur nom sur Hollywood Boulevard, on est d’accord.
Mais tapie dans l’ombre, la galaxie Canal+ - Vivendi – Universal (le World
Company chère à Delépine). Qui s’est pas trop mouillée pour financer « Mammuth »,
à tel point que la multinationale n’est pas citée au générique et ne distribue pas les supports physiques.
Delépine & Kervern
Faut dire que Delépine est l’auteur le plus
caustique des Guignols, ce qui n’est pas rien au milieu de la bande de plumes
venimeuses et hilarantes de l’émission phare de Canal+. Et Kervern est un des
déjantés (avec Delépine of course du Journal de Jules Edouard Moustic).
Et le tandem Delépine-Kervern réalise des films,
plutôt assez éloignés du cinéma méditatif de (au hasard) Ozu. Dans l’esprit,
leurs films sont plus proches de Ken Loach et encore plus d’Aki Kaurismaki (et
j’espère que vous savez qui sont ces gens …). « Mammuth » c’est une
tranche de vie façon road movie des petites gens, de ceux de la France d’en
bas. Evidemment, ils sont tous un peu largués, un peu cons. Mais l’humour (toujours
présent) n’est pas là pour montrer leur bêtise, on sent au contraire toute l’empathie
de Delépine et Kervern pour ces déclassés, ces asociaux, ces mecs et ces nanas
cabossés par la vie.
M et Mme Pilardosse
Le personnage central du film, c’est Serge
Pilardosse, un type massif, taciturne et bas du front. Il bosse dans un
abattoir, c’est sa dernière journée, il part à la retraite et a droit à un
minable pot d’adieu et un cadeau tout aussi surréaliste (un puzzle de 2000
pièces). Il se retrouve donc à tourner en rond autour de la table de la salle à
manger chez lui, au grand dam de Catherine sa femme, caissière dans un
supermarché. Comme c’est elle qui porte la culotte et prend les décisions du
ménage, elle lui enjoint de partir récupérer des justificatifs de salaire pour tous
les petits boulots qu’il a fait dans sa jeunesse afin de booster sa maigre
retraite. L’occasion pour Pilardosse de parcourir la cambrousse (celle des
Charentes) a bord de sa moto pour récupérer ses papelards. La bécane, qui donne
son titre au film, c’est une Münch 1200 Mammuth (une grosse cylindrée
autrichienne des 70’s, un modèle peu courant, collector).
Pilardosse, c’est Depardieu, carrure à la Obélix,
cheveux longs genre biker de temps révolus. Comme souvent, dès qu’il est dans
un casting, il écrase tout de sa présence, il ne joue pas Pilardosse, il est
Pilardosse …Et « Mammuth » repose sur lui, sur son Odyssée dans le
plein sens homérique du terme. Et les coréalisateurs ne se cachent pas pour
dire que sans lui, pas de film. Il était réticent au début, avant d’être prêt à
renoncer à son cachet (déjà quasiment un cadeau quand on connaît son tarif)
pour que le film se fasse.
Poelvoorde & Depardieu
C’est l’occasion pour Delépine et Kervern de le
confronter à une galerie de portraits, des imbéciles heureux de l’administration
qui se servent de leur ordinateur, des règlements, et des répondeurs téléphoniques
comme autant d’outils de torture, aux pauvres types un peu à la ramasse comme
lui …
Plus qu’une reconstitution de carrière, cette quête
des bulletins de salaire sera pour Pilardosse l’occasion d’un voyage à rebours
dans sa vie, parce qu’il en profitera pour visiter sa famille, des oncles, des
cousins, des nièces, perdus de vue depuis des années. Il a vécu de petits
boulots éphémères (fossoyeur, videur dans une boîte de nuit, forain, serveur
dans une buvette, saisonnier dans un domaine viticole, …). Et dans sa famille,
ils sont tous aussi désaxés et décalés que lui.
Pilardosse n’est pas parti sans rien sur sa moto. Sa
femme (Yolande Moreau, excellente comme toujours, leurs scènes en commun sont
superbes) lui a confié le seul téléphone portable du couple, dont il a grand
peine à se servir (« Je te rappelle pour savoir si tu as bien reçu mon
message », ce genre). Et Pilardosse est parti avec son détecteur de métaux
avec lequel il arpente les plages à la recherche de piécettes ou de breloques
perdues par les touristes (rencontres extraordinaires avec Benoît Poelvoorde,
chercheur « concurrent », qui les réalisateurs le soulignent, a fait
l’aller-retour Belgique – La Rochelle avec sa propre voiture pour une seule demi-journée
de tournage).
Adjani & Depardieu
Outre ses anciens employeurs qui l’accueillent
diversement (mentions particulières à Dick Annegarn, en barde fossoyeur et Siné
en viticulteur psychologue), Pilardosse va rencontrer des femmes. Sa nièce (la
performeuse Miss Ming), simplette (« Je peux te vouvoyer ? ») et
forcément inadaptée au monde actuel, qui a enterré son père sans déclarer sa
mort pour continuer à toucher sa retraite entre autres loufoqueries. Une
arnaqueuse fausse infirme (Anna Mouglalis) qui le vampe avant de lui faucher
tout ce qu’il a (ce qui donnera lieu à une équipée revancharde de Catherine et
d’une copine caissière à bord d’une vieille Datsun sans pare-brise pour
retrouver le précieux portable dérobé). Et surtout Pilardosse croisera à plusieurs
reprises le fantôme de son ancienne petite amie, morte lors d’un accident,
alors qu’ils étaient tous les deux en balade sur la Mammuth. Cet ectoplasme
troublant et sanguinolent est interprété par Isabelle Adjani qui s’est éclatée
pendant ses trois jours de tournage, piquant la caméra Super 8 de Fred Poulet, le
réalisateur du « Making fuck off », pour une interview-vérité exceptionnelle
de Depardieu sur ses relations avec son fils Guillaume, récemment décédé.
« Mammuth » n’atteint pas l’heure et demie
et pourtant que de choses il nous montre … Selon une citation elliptique de Delépine
et Kervern (toujours et partout en lunettes noires, genre Blues Brothers charentais)
« Mammuth » est une odyssée sur la décroissance, Pilardosse partant
sur une moto collector et revenant sur une mobylette en djellabah pour aller
passer le Bac. Plus qu’une succession de situations drôles, ubuesques, « Mammuth »
est un film profondément humain, rendant le dérisoire et le futile immensément
importants. Un film à l’arrache, sans moyens (la boîte de prod de Delépine s’appelle
« No Money Productions »), avec une image et un son minables …
Qu’il me soit permis de le préférer à l’intégrale des
productions Marvel …
« Being
John Malkovich » en V.O. est un film extraordinaire dans tous les sens du terme
… pendant plus d’une heure. La dernière demi-heure, par contre, vient un peu
tout flinguer …
Spike Jonze & John Malkovich
Alors
commençons par le début. A l’origine du film, deux hommes, Spike Jonze et Charlie
Kaufman. Le premier est un golden boy du spot télé et du vidéo-clip (pour ceux
qui sont en haut de l’affiche à la fin des 90’s, genre Björk, Fatboy Slim, les
Chemical Brothers, …). Le second est scénariste pour des séries télé.
« Dans la peau … » sera leur coup d’essai dans le cinéma pour les
deux, première réalisation pour Jonze, première écriture de scénario pour
Kaufman … Je sais pas à quoi ils carburaient (enfin, on peut supposer qu’ils
suçaient pas que des glaçons, du moins Jonze, que l’on voit descendre de sa
voiture et vomir dans la rue, lors d’une courte – forcément courte – interview
dans les bonus du Dvd), mais ils ont fait très fort sur ce coup …
Craig
Schwartz (John Cusack) est un marionnettiste qui se trouve génial, mais ne vit
que des piécettes qu’il récolte en se produisant dans les rues, quand il ne
prend pas des torgnoles par les parents lorsqu’il met en scène dans son
spectacle l’histoire d’Héloïse et d’Abélard (ben ouais, fallait écouter en
cours de français au lycée, sinon allez sur Wikimachin, vous comprendrez que
c’est pas vraiment une histoire d’amour tout public …). Craig est marié à Lotte
(Cameron Diaz, loin des rôles de bimbo qui l’ont rendue célèbre), qui travaille
dans une animalerie et ramène du boulot à la maison, forcément transformée en
zoo, et qui s’intéresse plus à ses bestioles qu’à son mari, auquel elle suggère
tout de même que les marionnettes, c’est bien joli, mais qu’il faudrait trouver
un vrai job …
L'étage 7 et demi
Ça tombe bien
Craig dégotte une annonce où une boîte recherche un type agile de ses doigts
pour du classement et de l’archivage. Cette boîte se trouve dans un immeuble,
au septième étage et demi … c’est-à-dire que tout le monde marche courbé dans
des couloirs et des bureaux où le plafond est à un mètre cinquante du sol. Le
personnel et le directeur sont aussi étranges que les lieux qu’ils occupent, de
la secrétaire dyslexique et allumeuse (Mary Kay Place), au patron (Orson Bean,
un vétéran des seconds rôles), un prétendu docteur de cent cinq ans, bien
conservé grâce à une consommation effrénée de jus de carotte, et prêt à baiser
tout ce qui passe à portée …
Craig utilise
donc sa dextérité pour classer fiches et dossiers, tout en tombant amoureux fou
d’une grande brune qui n’a pas froid aux yeux (excellente Catherine Keener). Un
jour, pour récupérer un dossier qui a glissé derrière un meuble, il découvre
une petite porte donnant sur une galerie souterraine. Dans laquelle il
s’empresse de ramper pour se retrouver … dans la peau de John Malkovich, en
tant qu’ « invité » (il est quelque part dans son cerveau, et voit à
travers ses yeux). Et au bout d’un quart d’heure, l’expérience prend fin, et
Craig est éjecté, tombant dans le remblai d’une rocade …
Cusack, Keener & Diaz
L’expérience
pouvant se répéter à l’infini, Craig et Maxine (la grande brune qui bosse avec
lui) commencent donc une lucrative vente de billets (paiement en espèces, of
course) pour passer un quart d’heure dans la peau de John Malkovich. Sauf
qu’avec un peu d’entrainement, on peut passer plus de temps et
« diriger » Malkovich. Si l’on rajoute des tentatives de liaison
amoureuse qui compliquent tout (Craig tombe amoureux de Maxine, Maxine de
Lotte, le toubib de Lotte, et Malkovich de Maxine). Parce que le John, sentant
qu’il se passe des trucs bizarres dans sa tête, finit par mener son enquête et
découvre les étrangetés qui se trament dans le septième étage et demi, allant
même jusqu’à emprunter le couloir lui-même …
C’est avec
cette scène extraordinaire (John Malkovich dans un restaurant où tout le monde
est John Malkovich) que prend fin la partie la plus intéressante du film. Le
reste, qui consiste à trouver une fin « crédible » ou
« rationnelle » à toutes ces aberrations mises en images, fait
tourner les personnages et les mini-intrigues qui les lient en rond. Cette
dernière partie repose beaucoup sur John Malkovich, qui trouve là les scènes de
loin les plus délirantes de sa carrière, mais cabotine un max, pion central
d’un jeu dont Kaufman et Jonze ont à peu près perdu toutes les règles …
Reste quand
même les deux premiers tiers du film où quasiment rien n’est à jeter,
trouvailles scénaristiques géniales, comique surréaliste à tous les …étages …
avec mention particulière au couple Cusack – Diaz (lui, lunaire à la
perfection, elle s’en allant de plus en plus dans l’irrationnel total). La
scène où ils sautent tous les deux en même temps sur Maxine qu’ils ont invité à
dîner et à fumer des joints mérite sa place dans une anthologie du comique de
situation …
Un monde plein de Malkovich ...
Evidemment,
Jonze (trente ans) a pu compter sur ses états de service dans d’autres domaines
pour réunir tout ce beau monde (et si l’on compte ceux qui n’ont qu’une courte
scène, ou font juste un caméo, il faut rajouter au casting des Dustin Hoffmann,
Martin Sheen, Sean Penn, Michelle Pfeiffer, Brad Pitt, et quelques-un(e)s que j’ai
dû louper parce que aucun ne figure au générique). Le fait qu’à cette époque il
fréquente assidûment la famille Coppola, notamment la Sofia du même nom, a
aussi dû aider à faire s’ouvrir quelques portes et sortir quelques carnets de
chèques …
« Dans la
peau de John Malkovich » est à la base une comédie totalement délirante.
Dommage que viennent dans les dernières bobines se greffer
« explications » métaphysico-médicales, sorte de secte recherchant la
jeunesse éternelle (le polar horrifique « Get out » se serait-il
inspiré de cette partie du scénario ?), qui finissent par parasiter les
géniales idées originelles et une prestation épileptique d’un Malkovich en roue
libre …
« Dans
la peau de John Malkovich » est un peu le pendant cinématographique d’un
rock indé bobo qui faisait les milliardaires musicaux de la décennie. Le film
est co-produit par Michael Stipe de R.E.M., et après une partie musicale
essentiellement à base de classique, c’est la très in Björk qui assure le
générique avec l’aquatique, forcément aquatique « Amphibian ».