ROBERT BRESSON - PICKPOCKET (1959)

 

Le Dogme ?

Celui-là, Robert Bresson, c’est un cas. Très particulier. Un des très rares à avoir une théorie complète sur l’art qui est le sien. Parce qu’on peut trouver quantité de types devant, à côté, ou derrière une caméra, qui définissent une méthodologie de travail à laquelle ils obéissent (plus ou moins longtemps). Ça peut concerner la façon de tourner, de préparer un film, un rôle, des thématiques de scénarii, de son, d’éclairage, que sais-je …

Robert Bresson

Bresson, il a passé sa vie à ruminer sur le cinéma (oups, le cinématographe), et de ses ruminations est même sorti un bouquin, ses Tables de la Loi à lui. Le bouquin s’appelle « Notes sur le cinématographe », est farci d’aphorismes parfois remarquables mais le plus souvent hermétiques et d’explications et de démonstrations aussi oiseuses que pénibles. Ce fascicule vite lu est une purge aussi illisible que du Kant ou du Saint-Simon, mais une référence incontournable de tout le milieu universitaire du cinéma. En gros, le cinéma, c’est pas ce que vous croyez, c’est juste une activité artistique de seconde zone qui consiste à mettre une caméra devant des acteurs qui par définition font semblant. Bresson, lui, il fait du cinématographe, qui est un vrai art et il utilise pas d’acteurs, mais des modèles. Et il filme la réalité, avec lumières et sons naturels. Quelques années après la parution de son bouquin, Lars Von trier et ses potes nordiques dépressifs tenteront avec le Dogme de redéfinir assez semblablement le cinéma …

Et le cinéma de Bresson, ça donne quoi ? Une palanquée de classiques pour listes des meilleurs films (« Journal d’un curé de campagne », « Un condamné à mort s’est échappé », « Au hasard Balthazar », « Mouchette », « L’argent »), dont ce « Pickpocket » fait aussi partie. Souvent en haut de la liste, ce doit être le plus austère, le plus glacial. Déjà que le mec Bresson est catho à peu près intégriste, quand il a décidé de faire un film tristos, ça donne forcément des envies de meurtre (ou de suicide …).

A l'Hippodrome de Longchamp

« Pickpocket », ça passera jamais en prime time sur TF1. Ni plus tard d’ailleurs. Avant même la première image, il faut se farcir un texte qui défile « ce film n’est pas du genre policier, l’auteur s’efforce d’exprimer, par des images et des sons … », et déjà là tu te dis que ça va être moins marrant que « Camping 23 ». « Pickpocket », c’est une tranche de la vie de Michel, jeune parigot qui vit dans un taudis sous les toits, qui refuse toute forme de travail et décide de gagner sa vie en piquant le portefeuille des autres. Comme il débute dans le métier, il se fait assez vite gauler à l’hippodrome de Longchamp, est relâché faute de preuves (personne a porté plainte), mais se retrouve confronté à un flic qui n’aura de cesse de vouloir le coincer durant tout le film. Michel a un pote « normal », Jacques, qui fait tout pour lui dénicher un travail respectable. Il a aussi une mère grabataire qu’il détrousse sans vergogne de ses économies et qu’il laissera crever toute seule, avec juste la compagnie épisodique de Jeanne, une voisine de palier qui a les yeux de Chimène pour lui, ce dont il semble se foutre royalement. Michel est aussi un théoricien qui expose un jour dans un troquet à son pote et au flic une vision assez nietzschéenne de la vie (il fait partie des hommes supérieurs qui peuvent s’affranchir des lois, parce qu’un grand voleur n’est pas un délinquant, mais un artiste). Michel n’aura de cesse de muscler son jeu, prendra des cours auprès d’un maître pickpocket, fera équipe avec lui, partira deux ans à l’étranger parce que ça sent le roussi pour lui, reviendra avec des velléités de rédemption, trouvera un vrai boulot, donnera son salaire à Jeanne pour qu’elle puisse élever le gosse que Jacques (le mec bien) lui a fait avant de l’abandonner. Pour subsister Michel retournera à Longchamp exercer ses talents de pickpocket, se fera menotter la main dans le sac, pour finir en taule où il s’apercevra un peu tard que si Jeanne vient le visiter, c’est par amour et non par charité … Voilà, moins d’une heure et quart et « fin » s’incruste sur l’écran.

Michel et Marie au bistrot

Le scénario en soi n’est pas inintéressant, pour faire simple on dira que c’est du cinéma social (beaucoup plus qu’un polar), sauf qu’il n’y a là-dedans aucune forme de sensibilité, d’émotion, de sentiment. Les acteurs (pardon, les modèles) sont le plus souvent immobiles, inexpressifs, et débitent leur texte d’une façon monocorde et nonchalante. Et pas parce que ce sont des amateurs. Bresson est un maniaque, limite tortionnaire, qui multiplie les prises pour avoir le résultat qu’il souhaite (l’histoire – ou la légende – prétendent que certains plans ont nécessité une centaine de prises). Le rendu, c’est une succession de plans serrés, de gros plans, de champs – contrechamps (jamais de panoramiques ou de mouvements de caméra) sur des acteurs le plus souvent statiques récitant des textes inexpressifs. Si on veut être méchant on dirait que c’est du « théâtre filmé » (ce contre quoi Becker se bat) mal joué …

Sauf qu’on finit par se laisser embarquer par cette histoire et que les « modèles » limite zombies de Becker évoluent dans un monde réel (suffit de voir les figurants à qui on n’a certainement pas demandé leur avis, regarder curieusement en coin (ou carrément de face) l’objectif, au milieu du brouhaha d’un bistrot, d’une station ou d’une rame de métro, d’un champ de courses) … Et dans cette histoire qui n’en est pas une, Becker rajoute une touche de réalisme et une de ses obsessions de grenouille de bénitier, la rédemption.

Michel et Marie à la prison

Le réalisme, c’est la présence dans le rôle du maître pickpocket, d’un vrai prestidigitateur (un certain Kassagi) qui utilise toute sa dextérité pour faucher larfeuilles, montres, et autres paquets de billets. Une leçon qui sera retenue par Jean Becker (au style épuré et glacial assez proche de Bresson), lorsqu’il confiera dans le fantastique « Le trou » le rôle du chef de la tentative d’évasion à un vrai taulard multirécidiviste et multi évadé.

La rédemption, c’est lors de son retour au pays quand Michel, qui contre toutes ses convictions jusque là affichées, travaille et file tout son salaire à la fille-mère de façon toute désintéressée.

Ça va sans dire, mais ça va pas plus mal en le disant, je suis pas exactement fan du travail de Bresson. Mais force est de constater que sa rigueur limite paranoïaque, finit par donner à ses films une patine toute particulière. En gros, il fait de la cold wave avant la Nouvelle Vague, et ni ses disciples désignés ou revendiqués (Becker, Rohmer, Duras, voire Melville) n’iront jamais aussi loin dans sa démarche jusqu’au-boutiste. Et les nordiques du Dogme ne reprendront que ses contingences techniques, leurs acteurs, bien qu’amateurs, étant beaucoup plus dans le pétage de plombs hystérique que dans l’immobilisme déshumanisé.

Une anecdote pour finir. Tous les acteurs de Bresson sont des amateurs, et quasiment aucun ne retournera ou ne fera carrière dans le cinéma(tographe). Sauf celle qui ici interprète Jeanne, Marika Green. Qui se fera méconnaître en enchaînant des seconds rôles oubliables dans des films oubliés, avant de devenir belle-sœur de Marlène Jobert et tante d’Eva Green, et d’obtenir un « grand » second rôle dans « Emmanuelle » (oui, oui, bande de pervers, on parle bien du même, Marika Green c’est l’archéologue en Jeep qui va initier Sylvia Kristel à l’amour entre femmes …).

Et pour faire mon Wes Craven, un grand non-remerciement à la maison MK2, qui a sorti ce film en Dvd, d’une qualité tout juste passable, et qui malgré sa courte durée (72 minutes), n’a pas trouvé de place sur la rondelle argentée pour glisser le moindre bonus, commentaire, bande-annonce,