KID CREOLE AND THE COCONUTS - TROPICAL GANGSTERS (1982)

 

Wonderful thing (and babies) ...

La rumeur bruissait depuis quelques mois (depuis 1980). Il y avait à New York une attraction scénique majeure, comme on n’en avait pas vue et entendue depuis … comme on n’en avait jamais vue et entendue en fait. Kid Creole et les Coconuts, avant toute autre chose, c’est un show, un spectacle. Autre chose que les types en tee-shirt et baskets à la ville comme sur scène, autre chose que les shows sanguinolents d’Alice Cooper, les tenues Kiri le Clown revisitées Marvel de Kiss, les godes gonflables des Stones et les murs construits live par le Floyd …


Kid Creole remettait à l’honneur les tenues de scène à base de costards rutilants, comme à la grande époque des revues Stax ou des JB’s de Jaaaaames Brown dans les sixties, avec un show apparemment loufoque mais réglé au millimètre. Une dizaine de types sur scène (batteur, percus, basse, guitares, claviers, section de cuivres), plus August Darnell (alias Kid Creole) à la guitare et au chant, le vibraphoniste contorsionniste Andy Hernandez (alias Coati Mundi), Adriana Kaegi (claviers, chant et bomba latina ou plutôt suisse), et les trois Coconuts (chœurs court vêtus).

Des rythmes endiablés à base de funk, de soul, de disco, de musiques latinos ou caraïbes assuraient déjà une chaude ambiance que les quatre girls portaient à l’incandescence. Et alors que Kid Creole est typiquement et strictement new-yorkais, c’est en Europe que le groupe aura du succès … Ce qui peut s’expliquer par l’appartenance au label ZE Records. Label new-yorkais fondé par deux européens expatriés, l’Anglais Michael Zilkha et – cocorico – le Français Michel Esteban, spécialisé dans la new wave de la new wave en quelque sorte, on trouve à son catalogue des choses réputées difficiles d’accès comme Suicide, Lydia Lunch, James Chance, John Cale, Lizzy Mercier Descloux, … Kid Creole est la signature la plus « facile » du label. Même si Darnell a quasiment une décennie d’activités, entamée avec Dr Buzzard’s Original Savannah Band (où diable va-t-il chercher des noms de groupe pareils ?), brouillon de Kid Creole (là on sait d’où vient le nom, d’un film de Presley). Qui se mettra en place et sera formé avec celle qui fut un temps sa compagne, Adriana Kaegi, et Andy Hernandez.


Le concept du groupe est novateur, alors qu’il s’appuie sur des vieilleries : les big bands de jazz « festifs » genre Cab Calloway ou Count Basie, les fringues de maquereaux des années 40, et la musique « exotique » (on parlait pas encore de world music). Deux disques (« Off the coast of me », « Fresh fruit in foreign places ») serviront de galop d’entraînement pour la « revue », avant l’aboutissement « Tropical gangster ».

Qui se veut un concept album, genre Robinson Crusoé revisité par Bugs Bunny (des naufragés sur une île déserte). Evidemment un prétexte à mettre en scène et en musique des rythmes chaloupés et tropicaux. « Tropical gangsters » est la masterpiece du Kid et de sa raya. Ses tubes les plus connus sont là (avec trois singles qui passeront en radio, par ordre d’apparition « I’m a wonderful thing (baby) », « Stool pigeon » et « Annie (I’m not your daddy) ». Les titres du Lp sont en version « longue » (entre cinq et six minutes) par rapport au versions singles.

C’est la formation « royale » de Kid Creole qui est à l’œuvre sur « Tropical gangsters ». Andy Hernandez quittera bientôt le groupe, Adriana Kaegi aussi (pour le moment elle s’évente appuyée nonchalamment sur l’épaule de Darnell sur la pochette du disque) … Et les Coconuts si elles seront toujours là, une heavy rotation sera de mise chez les filles, les nouvelles arrivantes étant à chaque fois un peu moins classieuses que celles qu’elles remplacent. Du temps de la tournée de « Tropical gangsters », il y a Cheryl Poirier, Lori Eatside (assise) et Taryn Haegy (debout à côté du Kid). Pour l’anecdote, ce sont ces trois là que l’on retrouvera aux chœurs sur quelques titres de « War » le disque qui imposera U2 au monde. Si au dire des membres du groupe les plus « dévergondés » (en fait le seul Adam Clayton), l’atmosphère est devenue grâce au filles torride en studio, ça s’est pas vraiment matérialisé sur disque …

Musicalement, ce qui caractérise « Tropical gangsters », c’est la rigueur. A tous les niveaux. Tout est en place, minutieusement écrit, interprété et arrangé, à l’opposé des prestations scéniques exubérantes qui faisaient passer le fun avant tout le reste. Ecoutez par exemple « Annie … » : rythme latino soutenu par une trompette, longue intro, calypso endiablé aux arrangements brillants, et importance accrue des girls au fil du titre … « I’m a wonderful thing (baby) », c’est une base disco, mais pas du disco bas de gamme de boîte provinciale, du vrai disco classe, venu en droite ligne de Chic …


Kid Creole sait rendre hommage à la grande black music des 60’s. « Imitation » est un rhythm’n’blues comme plus personne n’en osait dans les années 80, à part les Blues Brothers … Obnubilé par les vieilleries certes, mais les oreilles grandes ouvertes sur les nouveaux sons. Témoin la phrasé rap (entre autres choses, le morceau est le plus sophistiqué du disque) sur « Stool pigeon ».

33 T (à l’origine) « classique » (un peu plus de 40 minutes) de hit titres. Le maillon faible est « Loving you made a fool out of me », pourtant pas bâclé, et le plus connu dans ces débuts de Mitterandie fut ici l’irrésistible « Annie », qui figura honnêtement dans nos charts.

La suite aurait pu être radieuse pour Darnell et sa bande. Officiellement à cause de problèmes d’egos mal gérés (l’August aurait pris un sacré melon), ce qui suivit fut une assez spectaculaire chute libre (avec départs à une cadence effrénée des membres importants comme Hernandez, Kaegi, les plus mignonnes Coconuts), tant artistiquement que commercialement. Jusqu’à une « résurrection » du plus mauvais goût (Darnell quasi seul sous l’intitulé Kid Creole & The Coconuts) avec le pitoyable « Pepito », guère mieux qu’un fond de tiroir de la Compagnie Creole …