BASEMENT 5 - 1965-1980 (1980)

 

Punky reggae party ...

Basement 5 est un groupe météoritique. En comptant large, deux ans d’existence, de 1978 à 1980. Avec de plus une instabilité remarquable. Le groupe a été fondé par Don Letts, un nom qui doit bien dire quelque chose aux connaisseurs du Clash. C’est lui qui aura souvent en charge la partie visuelle de la bande à Strummer et Jones (photos, vidéo-clips, reportages), avant de co-fonder Big audio Dynamite avec Mick Jones, une fois celui-ci viré du Clash …

Letts fonde donc et est le leader de Basement 5. Rôle qu’il abandonnera assez vite, jusqu’à ce qu’il soit remplacé par un autre gars à dreadlocks, Dennis Morris. Pas vraiment une superstar, mais pas un inconnu non plus. Il fut pendant des années le photographe officiel de Bob Marley (on lui doit de nombreuses pochettes de disques du Bob) avant d’être celui des Sex Pistols. Il suivra immédiatement Lydon dans l’aventure PIL (c’est Morris qui réalisera le logo du groupe, ainsi que le célèbre packaging de la « Metal Box »).

Dennis Morris

Morris est un Anglais d’origine jamaïcaine, arrivé en Angleterre en 1965 (d’où le titre du disque, censé (re)présenter la société anglaise et son évolution de son arrivée à la date de réalisation de la rondelle). Morris ne succèdera pas seulement nominativement à Letts, il prendra également la direction totale du groupe : conception du graphisme et du logo de Basement 5 (pas sa meilleure création), définition de la direction musicale et du thème des titres, participation à l’écriture de tous les titres et chant lead. Bon, Morris n’est pas à la base Otis Redding, et les grosses quantités de weed inhalées n’aident pas à éclaircir sa tessiture vocale. Au résultat, le chant (ou plutôt les déclamations) ressemble assez à celui de Joey Starr. D’autant qu’au niveau phrasé, on est chez Morris entre reggae et rap …

Musicalement, on a toujours en filigrane des structures reggae. Les colleurs d’étiquette vous diront que Basement 5 c’est du post-punk. Chronologiquement, on peut pas leur donner tort, même si l’aspect post punk se borne à recopier le son de PIL, les Basement 5 n’ont pas vraiment fait avancer quelque schmilblick que ce soit … Mais le groupe a pu compter durant sa courte activité discographique (un simple, ce « 1965-1980 », et « In dub » un maxi 45-T reprenant quelques titres de « 1965-1980 » en version dub, comme son intitulé l’indique) sur un joker. Et pas n’importe quel joker, Martin Hannett himself. Qui est comme tout le monde (?) sait, le producteur des deux mythiques disques de Joy Division. Et on retrouve sur ce « 1965-1980 » toutes les caractéristiques de la production de Hannett, et cette noirceur sonore oppressante, que le tempo soit lent ou rapide. Et son travail avec Basement 5 a le mérite de mettre les choses au clair : le son de Joy Division, qui allait inspirer des générations de déprimés tendance suicidaire, il a bel et bien été inventé par Hannett, la bande à Curtis n’y est pour pas grand-chose …

Dès lors, l’écheveau est facile à dérouler : Basement 5, c’est à l’exacte intersection de PIL et Joy Division aux prises avec un reggae lent et lourd … et avec le cousin de Joey Starr au chant. En clair amateurs de fanfreluches, fioritures et guipures sonores flatteuses pour l’oreille, passez votre chemin. Pour les textes, le militantisme marxiste de Strummer semble être la référence évidente (en encore plus agressif et mordant dans le ton, Morris ayant la malchance (?) de ne pas être blanc. Les lignes de convergence avec le Clash sont nombreuses. Si vous voulez savoir d’où viennent les sirènes de police utilisées en rythmique sur « Police on my back » (sur « Sandinista » fin 80), écoutez le premier titre de « 1965-1980 », « Riot » (certainement en référence au « White riot » de Vous-Savez-Qui).


Bizarrement, Basement 5 réussit à transformer un handicap, soit une rythmique reggae qui swingue comme un duo d’enclumes (et on parle même pas du batteur, qui dans un parfait scénario spinaltapien a quitté le groupe le premier jour d’enregistrement), en une machine de guerre tribale et énervée (un peu comme le feront les Bad Brains, eux aussi cousins sonores, de l’autre côté de l’Atlantique). Le disque sonne forcément monolithique tout en restant plutôt efficace, avec quelques titres qui surnagent, même si les influences sont assez transparentes le Clash pour « Hard work » et « Last white Christmas », PIL pour « No ball games » ou « Union games »). Plus rarement, des trouvailles qui semblent propres à Basement 5 se distinguent. « Immigration », sinueux avec guitare jazzy, ou l’ultime « Omegaman », annonciateur du raggamuffin (mix de reggae, de rap et d’effets électroniques), et doté d’un remarquable (?) et interminable fading de deux minutes.


Le plus bizarre dans cette affaire étant le boulot de Hannett. Peu de monde devait l’attendre sur un truc reggae. Il poussera avec Basement 5 le bouchon encore plus loin, produisant leur disque suivant, un maxi 45-T de cinq titres reprenant des titres de « 1965-1980 » en version dub. Des dubs lourds, lents et menaçants, assez éloignés dans l’esprit et le résultat des merveilles de – au hasard – Lee Perry revisitant les titres de Marley. Ces deux disques, qui représentent la quasi-totalité des enregistrements de Basement 5, devenus rares au fil des années, ont été réédités sur le même Cd par les gens du label belge Play It Again Sam au début des années 90.

Pour l’anecdote le look assez improbable que les Basement 5 affichent sur nombre de photos, vient d’une sorte de blague. En majorité noirs et en goguette dans une rue commerciale, ils sont rentrés dans un magasin londonien de sport dédié au ski, pour acheter les démesurées lunettes de soleil alors en vogue sur les pistes de poudreuse, et en sont ressortis équipés de pied en cap avec les combinaisons de ski flashy de l’époque …

Chacun est libre d’apprécier (ou pas) le résultat visuel …

Par contre, au niveau sonore, malgré quelques réserves, ça envoie bien le bois …