ANDREA ARNOLD - FISH TANK (2009)

 

California dreaming ...

« California dreaming » est la plus belle chanson des 60’s (avis ferme, définitif et incontestable) et donc forcément aussi des décennies suivantes. Alors si elle est dans la B.O. d’un film, j’ai tout de suite un a priori très favorable, c’est comme ça … Dans « Fish tank », on l’entend trois fois. Bon, dans la version de Bobby Womack, qui vaut pas l’originale des Mamas & Papas, mais qui est très bien tout de même. Et si « California dreaming » était pas dans la B.O., « Fish tank » serait quand même un putain de grand film …

Un grand film … ouais, mais je sais même pas si « Fish tank » est ce que l’on a coutume d’appeler un film. C’est une tranche de vie. On sait pas vraiment ce qui s’est passé avant, et on n’a pas la moindre idée de ce qui va se passer après la dernière image. Peu importe …

Andrea Arnold & Katie Jarvis

On voit souvent cité à propos de « Fish tank » le nom de Ken Loach, le grandmaster du cinéma social anglais. Ce qui n’est pas stupide. Sauf que dans « Fish tank », y’a pas de message, ni directement, ni en filigrane … Plus rarement, on évoque le « Rosetta » des frangins Dardenne. Comparaison pertinente également, surtout si on n’oublie pas de mentionner Emilie Dequenne. Parce que Emilie Dequenne, pour son premier rôle, crevait l’écran et portait « Rosetta » à elle seule …

Dans « Fish tank » y’a encore plus fort. Une parfaite inconnue (repérée par une copine de la réalisatrice alors qu’elle se disputait avec son copain sur un quai de gare) est l’héroïne du film et présente dans toutes les scènes, et sur sa seule prestation fait de ce qui aurait été un film sympa mais un peu plombant un pur bijou. Elle s’appelle Katie Jarvis, et a totalement disparu des radars une fois le tournage terminé. Elle n’était pas au Festival de Cannes où « Fish tank » a récolté le Prix du Jury (elle avait une excuse, elle était enceinte jusqu’aux yeux) et n’est jamais réapparue devant une caméra. Un cas à peu près unique …

La réalisatrice de « Fish tank » c’est Andréa Arnold, adepte du cinéma vérité. Par les thèmes abordés, et la façon de filmer (en extérieurs, y compris dans des logements de 40 m², et caméra à l’épaule). Heureusement, c’est en couleurs, sinon plus austère tu peux pas … et c’est pas une tocade de réalisatrice à la recherche d’un coup d’esbroufe. Tout ce que je connais d’elle (des courts-métrages dont un oscarisé, présents en bonus du Dvd, et l’excellent « American honey ») font passer la rigueur technique aux oubliettes.


« Fish tank », c’est quelques semaines de la vie de Mia, une adolescente d’une quinzaine d’années des quartiers que pudiquement on appelle défavorisés (ici, ceux de l’Essex, banlieue Nord de Londres). Mia est une solitaire, ne va plus à l’école, et passe ses journées dans un logement abandonné à s’entraîner à danser du hip hop, au son de deux minuscules enceintes reliées à un discman, et vêtue de joggings à capuche Prisu informes. Elle a tout juste le sens du rythme, et pour ce qui est des figures acrobatiques, c’est la cata. Mais elle s’obstine, son but c’est de gagner sa vie en dansant … Que ceux qui s’imaginent voir quelque chose ressemblant à « Fame » ou « Dirty dancing » sachent qu’ils sont très loin du compte, les vilains petits canards ne deviennent pas des cygnes gracieux chez Arnold…

Mia a une mère, encore jeune, poivrote et fêtarde, qui peut se permettre de s’habiller moulant et sexy, et une jeune sœur. Ont-elles le même père, on en sait rien, y’a plus d’homme à la maison. La majorité des échanges de ce triangle féminin consiste généralement en une bordée d’insultes. Alors forcément, un tel milieu, ça t’endurcit, et Mia n’est pas vraiment une tendre. Quand elle rencontre d’anciennes copines qui la chambrent, c’est à coups de boule qu’elle met un terme final à l’embrouille … Mia est sauvage, rebelle. Alors quand elle passe à côté d’un terrain vague où campent des roms et qu’elle voit une jument à l’air malheureux enchaînée à un bloc de béton, elle essaie de la libérer. S’enfuit quand les jeunes roms la repèrent. Revient le lendemain, manque de se faire tabasser voire pire, se fait détrousser. Et revient encore récupérer son sac et son discman. Et là, elle sympathise (un tout petit peu) avec un jeune rom.

Jarvis & Fassbender

Ce ne sont pas les occasions de voir du monde qui lui manquent, à Mia. Mais c’est pas son truc, la vie sociale. Quand des amis et amies à sa mère viennent dans leur minuscule appart danser, flirter, fumer des joints et picoler, elle leur pique une bouteille et va se saouler toute seule dans sa chambre. Mia finit quand même par être intriguée par Connor, le nouveau mec de sa mère (un superbe Michael Fassbender débordant de sensualité animale, et seul acteur professionnel du film), commence par lui faire les poches et lui piquer un peu de fric, avant de l’« accepter ». C’est lors d’une balade familiale dominicale qu’elle se laissera un peu « apprivoiser », Connor lui faisant découvrir sur le lecteur Cd de sa bagnole la version de « California dreaming » de Bobby Womack. Mia laissera un peu tomber ses rythmiques rap pour s’entraîner à danser hip hop sur Bobby Womack. Elle s’inscrira à un casting de danseuses la tête pleine de rêves … A partir de là, ça pourrait, comme chez à peu près tout le monde, virer conte de fées dance ou love story à deux balles. Ben pas ici …

Famille dysfonctionnelle ?

Là où réside le talent d’Arnold et de son casting, c’est d’aller explorer la face dark de cette affaire. Parce que chez ces gens-là, tout peut partir en vrille à tout instant. Et tout partira en vrille (mais … normalement, raisonnablement, serait-on tenté de dire, on n’est pas avec « Fish tank » dans l’excès scénaristique aussi improbable qu’incroyable). Les personnages de « Fish tank » sont entiers, mais pas des psychopathes. Il y a toujours une immense justesse plutôt qu’une surenchère lorsque le film flirte avec le glauque ou le sordide. Mais une fois que beaucoup sont passés au bord de l’abîme, il n’y a pas non plus de happy end …

Tout juste si on assiste à la fin du film à une scène fabuleuse, lorsque les chemins de Mia et de sa mère vont se séparer, la mère et la fille ondulent lentement face à face au rythme de la musique sur fond de reggae, la seule façon que trouvent ces deux êtres qui semblent se détester de se montrer réciproquement leur affection, sans échanger le moindre mot…

Des films qui sont peu ou prou basés sur le même scénario que « Fish tank », il en sort trois par semaine. Mais des films aussi bons, il en sort pas trois par décennie … Claque monumentale …